L'article « Contre le boycottage » fut publié fin juillet 1907 dans la brochure Sur le boycottage de la Troisième Douma, tirée dans une imprimerie social-démocrate clandestine de Pétersbourg. La couverture portait de fausses indications : « Moscou, 1907. Imprimerie Gorizontov. 40, rue Tverskaïa. » En septembre 1907, la brochure fut saisie. |
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Contre le boycottage
Le boycottage appartient à une des meilleures traditions révolutionnaires de la période la plus riche en événements, la plus héroïque de la révolution russe. Nous avons dit plus haut que l'un de nos objectifs est de garder avec soin ces traditions, de les cultiver, de les débarrasser des parasites libéraux (et opportunistes). Il nous faut analyser quelque peu cet objectif, pour en déterminer la nature et éviter les malentendus et fausses interprétations possibles.
Le marxisme diffère de toutes les autres théories socialistes en ce qu'il allie de façon remarquable la pleine lucidité scientifique dans l'analyse de la situation objective et de l'évolution objective, à la reconnaissance on ne peut plus catégorique du rôle de l'énergie, de la création et de l'initiative révolutionnaires des masses, et aussi, naturellement, des individus, groupements, organisations ou partis qui savent découvrir et réaliser la liaison avec telles ou telles classes. La haute appréciation donnée aux périodes révolutionnaires dans le développement de l'humanité découle de l'ensemble des conceptions historiques de Marx c'est dans ces périodes que se résolvent les multiples contradictions qui s'accumulent lentement dans les périodes dites d'évolution pacifique. C'est dans ces périodes qu'apparaît avec le plus de force le rôle direct des différentes classes dans la détermination des formes de la vie sociale, que se créent les fondements de la « superstructure » politique, laquelle se maintient longtemps ensuite sur la base de rapports de production rénovés. A la différence des théoriciens de la bourgeoisie libérale, c'est justement dans ces périodes que Marx voyait non pas clés déviations par rapport à la marche « normale », des symptômes de « maladie sociale », de tristes résultats d'excès et d'erreurs, mais les moments les plus vitaux, les plus importants, essentiels et décisifs de l'histoire des sociétés humaines. Dans l'activité même de Marx et d'Engels, la période de leur participation à la lutte révolutionnaire des masses de 1848-1849 se détache comme un point central. C'est de là qu'ils partent pour définir les destinées du mouvement ouvrier et de la démocratie des différents pays. C'est là qu'ils reviennent constamment pour définir la nature interne des différentes classes et de leurs tendances sous l'aspect le plus manifeste et le plus net. C'est toujours en partant de cette époque-là, de l'époque révolutionnaire, qu'ils jugent les formations politiques ultérieures, moins importantes, les organisations, les objectifs et les conflits politiques. Ce n'est pas sans raison que les chefs intellectuels du libéralisme, tel Sombart, détestent de toute leur âme ce trait de la vie et de l'œuvre de Marx, en le mettant sur le compte du « caractère aigri de l'émigrant ». Voilà qui est bien des pions de la science universitaire bourgeoise et policière, que de réduire à une aigreur personnelle, aux ennuis personnels de leur situation d'émigrants, ce qui est chez Marx et chez Engels la partie la plus indissociable de toute leur philosophie révolutionnaire !
Dans une de ses lettres à Kugelmann, je crois, Marx jette en passant une remarque bien caractéristique et intéressante pour le sujet qui nous occupe. Il note que la réaction a réussi en Allemagne à éliminer presque complètement de la conscience populaire le souvenir et les traditions de l'époque révolutionnaire de 1848 [p]. Il met en relief les buts opposés de la réaction et du parti du prolétariat en ce qui concerne les traditions révolutionnaires d'un pays. Le but de la réaction est d'extirper ces traditions et de représenter la révolution comme « un vent de folie », expression de Strouvé pour traduire Das tolle Jahr (l'année folle, expression utilisée par les historiens allemands à mentalité bourgeoise et policière, et que l'on trouve même dans l'historiographie universitaire allemande en général pour parler de 1848). Le but de la réaction est de faire oublier à la population les formes de lutte, les formes d'organisation, les idées, les mots d'ordre engendrés en si grand nombre et avec une si grande variété par l'époque révolutionnaire. De même que les Webb, ces louangeurs obtus de la bourgeoisie anglaise, s'appliquent à représenter le chartisme [q], époque révolutionnaire du mouvement ouvrier anglais, comme un simple enfantillage, un « péché de jeunesse », une naïveté qui ne mérite pas une attention sérieuse, une déviation anormale et accidentelle, de même les historiens bourgeois allemands traitent l'année 1848 en Allemagne. La réaction se comporte pareillement envers la Révolution française, qui montre sa vitalité et la force de son influence sur l'humanité par la haine farouche qu'elle provoque jusqu'à nos jours. De la même manière nos héros de la contre-révolution, en particulier les « démocrates » d'hier dans le genre de Strouvé, Milioukov, Kizevetter et tutti quanti rivalisent entre eux pour bafouer les traditions révolutionnaires de la révolution russe. Deux ans à peine se sont écoulés depuis que la lutte directe des masses prolétariennes conquérait cette parcelle de liberté qui enthousiasme les serfs libéraux de l'ancien régime et, parmi nos publicistes, il s'est déjà créé un grand courant s'intitulant libéral ( ! ! ), cultivé dans la presse cadette et consacré uniquement à ce but : présenter notre révolution, les méthodes de lutte révolutionnaires, les mots d'ordre révolutionnaires, les traditions révolutionnaires comme quelque chose de bas, de primitif, de naïf, de spontané, d'insensé, etc... et même de criminel... De Milioukov à Kamychanski, il n'y a qu'un pas [4] ! Au contraire, les succès de la réaction, qui a commencé par chasser le peuple des Soviets des députés ouvriers et paysans pour le pousser dans les Doumas de Doubassov et Stolypine, et qui maintenant le pousse dans la Douma des octobristes, apparaissent aux héros du libéralisme russe comme un « processus de croissance de la conscience constitutionnelle en Russie ».
La social-démocratie russe a incontestablement le devoir d'étudier avec un soin extrême et sous tous ses aspects notre révolution, de faire connaître aux masses tous ses procédés de lutte, ses formes d'organisation, etc. ; de consolider ses traditions révolutionnaires dans le peuple ; d'enraciner dans les esprits cette conviction que la lutte révolutionnaire est le seul et unique moyen d'obtenir des améliorations tant soit peu sérieuses et durables ; de démasquer sans répit toute la bassesse de ces présomptueux libéraux qui corrompent l'atmosphère sociale par les miasmes de la servilité « constitutionnelle », de la trahison et de la lâcheté à la Moltchaline. Une seule journée de la grève d'octobre ou de l'insurrection de décembre compte cent fois plus dans l'histoire de la lutte pour la liberté que des mois de discours serviles de cadets à la Douma sur le monarque irresponsable et le régime de la monarchie constitutionnelle. Nous devons veiller et, sauf nous, il n'y aura personne pour le faire, à ce que le peuple connaisse ces journées pleines de vie, riches de contenu et grandes par leur signification et par leurs effets, d'une façon bien plus détaillée et plus approfondie que ces mois d'asphyxie « constitutionnelle » et de prospérité à la Balalaïkine-Moltchaline [r], sur lesquels, avec la complicité bienveillante de Stolypine et de sa suite de gendarmes et de censeurs, se répandent en louanges notre presse de parti libérale et les journaux « démocratiques » (oh ! oh ! ) sans-parti.
Il est hors de doute que chez beaucoup de gens les sympathies pour le boycottage proviennent précisément du désir très louable des révolutionnaires de maintenir la tradition du meilleur passé révolutionnaire, et d'animer le triste marais de la grisaille journalière par la flamme d'une lutte courageuse, déclarée et décisive. Mais c'est justement par souci des traditions révolutionnaires qui nous sont chères, que nous devons protester énergiquement contre l'idée que l'application d'un mot d'ordre d'une certaine époque historique puisse bel et bien susciter les conditions majeures de cette époque. Une chose est de conserver les traditions de la révolution, de savoir les mettre à profit pour une propagande et une agitation continuelles, pour faire connaître à la masse les conditions de la lutte directe et offensive contre la vieille société ; mais répéter un mot d'ordre arraché à l'ensemble des conditions qui lui donnèrent naissance et assurèrent son succès, pour l'appliquer à des conditions essentiellement différentes, en est une autre.
Marx, qui appréciait hautement les traditions révolutionnaires et flagellait sans pitié ceux qui les traitaient en renégats ou en philistins, demandait en même temps aux révolutionnaires de savoir penser, de savoir analyser les conditions d'application des vieilles méthodes de lutte au leu de répéter tout simplement les mots d'ordre connus. Les traditions « nationales » de 1792 en France resteront peut-être a jamais le modèle de certaines méthodes de lutte révolutionnaires, mais cela n'a pas empêché Marx en 1870, dans la fameuse Adresse de l'Internationale, de mettre en garde le prolétariat français contre une transposition erronée de ces traditions dans une époque différente [s].
Chez nous, il en va de même. Nous devons étudier les conditions de l'application du boycottage, enraciner dans les masses cette idée que le boycottage est une tactique tout à fait légitime, quelquefois même indispensable, aux moments d'essor révolutionnaire (quoi qu'en disent les pédants qui se réclament en vain de Marx). Mais sommes-nous en présence de cet essor, condition essentielle de la proclamation du boycottage, voilà une question qu'il faut savoir poser indépendamment et résoudre par une sérieuse analyse des faits. Notre devoir est de préparer autant que nous le pouvons l'avènement à cet essor, de ne pas nous interdire d'avance un boycottage à un moment opportun; mais, considérer le mot d'ordre du boycottage comme applicable en général à toute assemblée représentative mauvaise ou très mauvaise serait, sans contestation possible, une erreur.
Rappelez-vous les motifs par lesquels on défendait et prouvait la nécessité du boycottage pendant les « journées de liberté », et vous verrez du coup l'impossibilité de transporter purement et simplement ces arguments dans la situation actuelle.
La participation aux élections abaisse le moral, livre une position à l'ennemi, déroute le peuple révolutionnaire, facilite l'entente entre le tsarisme et la bourgeoisie contre-révolutionnaire, etc., disions-nous en défendant le boycottage en 1905 et au commencement de la prémisse essentielle de 1906. Quelle est la prémisse essentielle de ces arguments ? Si elle n'a pas toujours été exprimée, elle était toujours sous-entendue, comme une chose qui dans ce temps allait de soi. Cette prémisse, c'est la riche énergie révolutionnaire des masses, se cherchant et se trouvant des issues directes en dehors de tous les canaux « constitutionnels ». Cette prémisse, c'est l'offensive ininterrompue de la révolution contre la réaction, offensive qu'il aurait été criminel d'affaiblir en occupant et en défendant une position livrée exprès par l'ennemi pour ralentir la poussée générale. Essayez de répéter ces arguments en dehors de cette prémisse essentielle, et vous sentirez immédiatement la fausse note de toute votre « musique », la fausseté du ton fondamental.
Il serait non moins vain de vouloir justifier le boycottage par la différence entre la II° et la III° Douma. Trouver une différence sérieuse, fondamentale entre les cadets (qui à la II° Douma ont définitivement livré le peuple aux Cent -Noirs [t]) et les octobristes [u], attacher une importance quelque peu réelle à la fameuse « constitution », déchirée par le coup d'Etat du 3 juin, cela relève bien plus d'un démocratisme vulgaire que de la social-démocratie révolutionnaire. Nous avons toujours dit, affirmé, répété que la « constitution » de la I° et de la II° Douma n'était qu'un mirage que le bavardage des cadets ne servait qu'à masquer leur « octobrisme », que la Douma était absolument inapte à satisfaire les revendications du prolétariat et des paysans. Pour nous, le 3 juin 1907 est le résultat naturel et inévitable de la défaite de décembre 1905. Nous n'avons jamais été « enchantés » par les charmes de la constitution des Doumas, nous ne pouvons donc pas être désenchantés outre mesure par la transition d'une réaction maquillée, assaisonnée de la phraséologie des Roditchev, à une réaction déclarée, brutale, sans voile. Peut-être même cette dernière est-elle un moyen bien plus efficace de dégriser tous ces stupides libéraux débridés ou les groupes de la population qu'ils ont désorientés.
Comparez la résolution menchevique de Stockholm et la résolution bolchevique de Londres sur la Douma d'Etat. Vous verrez que la première est emphatique, bourrée de phrases et de mots sonores sur le rôle de la Douma et la portée de son œuvre. La seconde est simple, sèche, lucide, modeste. La première résolution est imprégnée d'un enthousiasme petit-bourgeois pour le mariage de la social-démocratie avec le constitutionnalisme (« un nouveau pouvoir sorti du sein de la nation », etc., toujours dans cette même veine d'hypocrisie officielle) ; la deuxième dit en substance : puisque cette damnée contre-révolution nous a relégués dans cette maudite porcherie, nous travaillerons encore pour le bien de la révolution, sans pleurnicherie, et aussi sans vantardise.
En défendant la Douma contre le boycottage dans la période de lutte révolutionnaire directe, les mencheviks se sont pour ainsi dire engagés devant le peuple à ce que la Douma soit une sorte d'instrument de révolution. Et ils ont solennellement failli à cet engagement. Nous, bolcheviks si nous nous sommes engagés, c'est seulement à prouver que la Douma est une engeance infernale de la contre-révolution et qu'on ne peut en attendre aucun avantage sérieux. Jusqu'ici les évènements ont parfaitement confirmé notre point de vue, et l'on peut être sûr qu'ils continueront à le faire. Sans « corriger » la stratégie d'octobre-décembre, sans la renouveler sur la base de faits nouveaux il ne saurait être question de liberté en Russie.
C'est pourquoi, lorsqu'on me dit : « On ne peut pas se servir de la III° Douma comme de la seconde, on ne peut pas expliquer aux masses la nécessité d'y prendre part », j'ai envie de répondre : si l'on entend le terme « se servir » à la manière grandiloquente des mencheviks, c'est-à-dire si l'on considère la Douma comme un « instrument » de la révolution, etc., alors évidemment c'est impossible. Mais les deux premières Doumas ont été en réalité de simples échelons conduisant à la Douma octobriste et cependant nous nous en sommes servis pour le but simple et modeste [5] (propagande et agitation critique et explication de la situation aux masses) en vue duquel nous saurons toujours exploiter même les pires institutions représentatives. Un discours à la Douma ne provoquera aucune « révolution » et la propagande à propos de la Douma ne se distingue par aucune qualité spéciale, mais la social-démocratie tirera de l'un et de l'autre autant et parfois même plus de bénéfice que d'un discours imprimé ou prononcé dans une autre assemblée.
Nous devons tout aussi simplement expliquer aux masses notre participation à la Douma octobriste. A la suite de la défaite de décembre 1905 et de l'échec des tentatives de 1906-1907 pour « réparer » cette défaite, la réaction nous a relégués et continuera à nous reléguer dans des institutions pseudo-constitutionnelles de plus en plus mauvaises. Toujours et partout nous défendrons nos convictions et appliquerons notre point de vue en répétant: tant que durera l'ancien pouvoir, tant qu'il ne sera pas extirpé, il n'y aura à attendre rien de bon. Nous préparerons le terrain pour un nouvel essor, et jusqu'à son avènement et pour son avènement il faut travailler avec plus d'acharnement, sans lancer de mots d'ordre qui n'ont de sens que dans les conditions d'un essor.
Il serait non moins inexact de considérer le boycottage comme une ligne tactique opposant le prolétariat et une partie de la démocratie bourgeoise révolutionnaire au libéralisme et à la réaction. Le boycottage, ce n'est pas une ligne tactique, mais un procédé de combat particulier, applicable dans des conditions spéciales. Confondre le bolchevisme avec le « boycottisme », c'est faire la même erreur que de le confondre avec la « combattisme ». La différence entre la ligne tactique des mencheviks et celle des bolcheviks est déjà nette, elle s'est cristallisée dans les résolutions différentes dans leurs principes adoptées au III° Congrès bolchevique de Londres et à la conférence menchevique de Genève, au printemps de 1905. On ne parlait et on ne pouvait parler alors ni de boycottisme ni de « combattisme ». Aux élections à la II° Douma, alors que nous n'étions pas boycottistes, et dans cette Douma même, notre ligne tactique a été radicalement distincte de la ligne menchevique, tout le monde le sait. Les lignes tactiques divergent sur tous les procédés et moyens de lutte, sur tous les théâtres de lutte, sans qu'il y ait pour cela des méthodes de lutte spéciales propres à telle ou telle ligne. Et si le boycottage de la III° Douma pouvait se justifier ou être déterminé par l'effondrement des espoirs révolutionnaires fondés sur la première ou la seconde Douma, par l'effondrement d'une constitution, « légale », « forte », « solide », et « véritable », c'eut été du menchevisme de la pire espèce.
Notes de l'auteur
[4] En français dans le texte. (N.R.)
[5] Cf. dans le Prolétari (de Genève), 1905, l'article sur le boycottage de la Douma de Boulyguine (voir Œuvres, t. 9, pp. 181-189, N.R.) où il est dit que nous ne nous interdisons pas son utilisation en général, mais que nous avons pour le moment un autre objectif en vue : la lutte pour la voie révolutionnaire directe. Cf, également dans le numéro 1 de 1906 du Prolétari (de Russie) l'article « Á propos du boycottage » (voir Œuvres, Paris-Moscou, t. 11, pp. 139-147, N.R.) où sont soulignées les modestes dimensions des services rendus par le travail opéré au sein de la Douma. (Note de l'auteur)
Le « Prolétari » (de Genève) [le Prolétaire], hebdomadaire illégal bolchevique, organe central du P.O.S.D.R. créé par décision du III° Congrès du parti. Le 27 avril (10 mai) 1905, par décision de l'assemblée plénière du Comité central du parti, Lénine fut nommé rédacteur responsable de l'organe central. Celui-ci parut à Genève entre le 14 (27) mai et le 12 (25) novembre 1905, soit 26 numéros en tout. Le Prolétari suivit la ligne de l'ancienne Iskra léniniste et eut la même orientation que le journal bolchevique Vpériod.
Lénine publia dans ce journal près de 90 notes et articles. Ces écrits déterminaient la physionomie politique du Prolétari, son contenu idéologique et son orientation bolchevique. Lénine accomplit un énorme travail en tant que directeur et rédacteur.
Le Prolétari réagissait sans tarder à tous les événements importants du mouvement ouvrier russe et international et menait une lutte impitoyable contre les mencheviks et autres éléments révisionnistes et opportunistes. Il fit beaucoup pour propager les décisions du III° Congrès du parti et unir les bolcheviks sur le plan de l'organisation et de l'idéologie. Le Prolétari défendait avec esprit de suite le marxisme révolutionnaire et étudiait tous les problèmes fondamentaux que posait la révolution en cours. En éclairant sous tous les angles les événements de 1905, il mobilisait de larges masses de travailleurs en vue de la victoire de la révolution.
Le Prolétari exerçait une considérable influence sur les organisations social-démocrates de l'intérieur. Certains articles de Lénine publiés dans l'hebdomadaire étaient repris par les journaux bolcheviques locaux et diffusés sous forme de tracts. Peu après le départ de Lénine pour la Russie, début novembre 1905, l'hebdomadaire cessa de paraître. Les deux dernières livraisons (nos 25 et 26) eurent pour rédacteur V. Vorovski. Cependant, Lénine avait écrit pour elles quelques articles, qui ne furent publiés qu'après son départ de Genève.
Le « Prolétari » (de Russie), journal bolchevique illégal. Publié du 21 août (3 septembre) 1906 au 28 novembre (11 décembre 1909 sous la direction de Lénine. Cinquante numéros en tout.
Les collaborateurs réguliers du journal étaient M. Vladimirski, V. Vorovski, A. Lounatcharski et I. Doubrovski; le travail technique d'édition était effectué par E. Schlichter, A. Schlichter, etc. Les vingt premiers numéros furent préparés pour l'impression et composés à Vyborg. (Ce tirage à partir des matrices reçues de l'étranger eut lieu à Pétersbourg; mais, pour des raisons de clandestinité, les exemplaires portaient « Moscou » comme lieu d'édition.) Par la suite, les conditions s'étant détériorées au plus haut point, la rédaction, conformément à la décision prise par les comités du P.O.S.D.R. de Pétersbourg et de Moscou, transféra le lieu d'édition du journal à l'étranger des n° 21 à 40 sortiront à Genève, les n° 41 à 50 à Paris).
En fait, le Prolétari était l'organe central des bolcheviks. Le travail essentiel de la rédaction était l'œuvre de Lénine La majorité des numéros contient plusieurs de ses articles; plus de cent articles et notes de sa main sur les questions les plus importantes de la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière y furent publiés. Le journal contenait dés analyses approfondies des problèmes de tactique et de politique générale, des compte-rendus sur les activités du Comité central du P.O.S.D.R., les décisions des conférences et des assemblées plénières du Comité central, des lettres du Comité central sur diverses questions de l'activité du parti et toute une série d'autres documents. Le journal était étroitement lié aux organisations locales du Parti.
Durant les années de la réaction stolypinienne, le Prolétari joua un rôle de premier plan dans la conservation et la consolidation des organisations bolcheviques, dans la lutte contre les liquidateurs, les otzovistes, les ultimatistes et les constructeurs de Dieu. A l'assemblée plénière du Comité central du P.O.S.D.R. tenue en janvier 1910, les mencheviks aidés par les conciliateur réussirent, sous couvert de lutter contre les tendances fractionnelles, à faire adopter une décision mettant fin à la publication du journal Prolétari. (N.R.)
Notes de l'éditeur
[p] Voir la lettre de K, Marx à L. Kugelmann en date du 3 mars 1869.
[q] Chartisme, mouvement révolutionnaire de masse des ouvriers anglais provoqué par leur pénible situation économique et l'absence de droits politiques. Le mouvement débuta vers 1840 par d'imposants meetings et manifestations et dura, avec des interruptions, jusqu'au début des années 50.
Ce qu'il manquait au mouvement chartiste c'était une direction prolétarienne animée d'un esprit révolutionnaire conséquent et aussi un programme nettement défini. C'est là qu'il faut rechercher la cause essentielle de ses échecs.
[r] Balalaïkine, personnage du roman de Saltykov-Chtchedrine intitulé Une idylle de notre temps ; il s'agit d'un bavard libéral, aventurier et menteur de surcroît, qui fait passer ses intérêts égoïstes avant toute chose.
Moltchaline, personnage de la pièce de A. Griboédov Le malheur d'avoir trop d'esprit, arriviste et flagorneur.
[s] Voir K. Marx et F. Engels, Œuvres choisies en deux volumes, tome I, Editions du Progrès, Moscou, 1964, p. 528.
[t] « Cent-Noirs », bandes monarchistes créées par la police du tsar pour lutter contre lé mouvement révolutionnaire. Les Cent-Noirs tuaient des révolutionnaires, attaquaient les intellectuels progressistes, organisaient des pogromes antijuifs.
[u] Octobristes, membres du parti des octobristes (ou « Union du 17 octobre »), créé en Russie après la publication du manifeste du tsar du 17 (30) octobre 1905. C'était un parti contre-révolutionnaire, qui représentait et défendait les intérêts de la grosse bourgeoisie et des propriétaires fonciers qui appliquaient des méthodes de gestion capitalistes. Il avait à sa tête A. Goutchkov, industriel connu et propriétaire d'immeubles à Moscou, et M. Rodzianko, gros propriétaire foncier. Les octobristes soutenaient sans réserve la politique intérieure et extérieure du gouvernement tsariste.