1919

Un ouvrage qui servira de manuel de base aux militants communistes durant les années de formation des sections de l'Internationale Communiste.


L'ABC du communisme

N.I. Boukharine


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Comment le développement du capitalisme a conduit à la révolution communiste
(L’impérialisme, la guerre et la faillite du capitalisme)


29 : La guerre impérialiste de 1914-1918

La politique impérialiste des « grandes puissances » devait tôt ou tard produire une collision. Il est tout à fait clair que cette politique de rapine de toutes les grandes puissances a causé la guerre. Il n’y a que les imbéciles pour croire actuellement que la guerre a éclaté parce que les Serbes ont tué un prince autrichien et que l’Allemagne a envahi la Belgique. Au début de la guerre, on discutait beaucoup pour savoir qui en était responsable. Les capitalistes allemands prétendaient que la Russie avait attaqué l’Allemagne et les commerçants russes que l’Allemagne avait attaqué la Russie. En Angleterre, on disait qu’on faisait la guerre pour défendre la malheureuse petite Belgique. En France, par la plume, par la chanson, par la parole, on célébrait la générosité de la France défendant l’héroïque peuple belge. Et en même temps, l’Autriche et l’Allemagne colportaient partout qu’elles se défendaient contre l’agression des cosaques russes et faisaient une guerre sainte de défense nationale.

Tout cela, du commencement à la fin, n’était que bêtises destinées à tromper les masses ouvrières. La bourgeoisie avait besoin de ces mensonges pour entraîner les soldats. Ce n’était pas la première fois qu’elle avait recours à ce moyen. Nous avons déjà vu comment les syndicats industriels ont introduit des droits de douane afin de mener avec plus de succès la lutte pour les marchés étrangers, tout en pillant leurs propres compatriotes. Ces droits étaient donc, pour eux, un moyen d’agression. Mais la bourgeoisie criait qu’elle voulait ainsi défendre l’« industrie nationale ». Dans la guerre impérialiste faite pour soumettre le monde à la domination du capital financier, tous les participants sont essentiellement des agresseurs. N’est-ce pas maintenant clair comme le jour ? Les valets du tsar disaient qu’ils « se défendaient ». Mais lorsque la révolution d’octobre eut enfoncé les armoires secrètes du Ministère, il fut établi par des documents officiels que le tsar, aussi bien que Kerensky, en accord touchant avec les Anglais et les Français, avait fait une guerre de brigandage, qu’il voulait prendre Constantinople qui n’était pas à lui, détrousser la Turquie et la Perse, arracher la Galicie à l’Autriche.

Les impérialistes allemands se sont démasqués aussi. Il n’y a qu’à rappeler le traité de Brest-Litovsk, les pillages de Belgique, de Lithuanie, d’Ukraine, de Finlande. La révolution allemande a fait également plus d’une découverte; nous savons maintenant, par des documents authentiques, que l’Allemagne s’était préparée à l’agression en vue du pillage et qu’elle rêvait de s’approprier presque toutes les colonies étrangères et maints territoires ennemis.

Et les « nobles Alliés » ? Entièrement démasqués eux aussi. Après les avoir vus, par la paix de Versailles, détrousser l’Allemagne, lui imposer 132 milliards de marks-or de « réparations », lui enlever toute sa flotte, toutes ses colonies, presque toutes ses locomotives et ses vaches laitières, personne ne croira plus à leur générosité. Maintenant, ils pillent la Russie au nord et au sud. Donc, eux aussi, ont fait la guerre en vue du pillage.

Les communistes (bolcheviks) avaient dit tout cela dès le début de la guerre, mais bien peu les croyaient. Maintenant tout homme, tant soit peu intelligent, sait qu’ils disaient la vérité. Le capital financier est un brigand rapace et sanguinaire, quelle que soit son origine : russe, allemand, français, japonais ou américain.

Il est donc ridicule de dire, dans le cas d’une guerre impérialiste, qu’un impérialiste est coupable, un autre, non; ou que certains impérialistes sont les agresseurs, tandis que les autres se défendent. Tout cela a été inventé pour berner les travailleurs. En réalité, tous se sont attaqués d’abord aux petits peuples coloniaux; tous ont conçu le dessein de se livrer au pillage du monde entier et de le soumettre au capital financier de leur propre pays.

La guerre devait fatalement se transformer en une guerre mondiale. Le globe entier étant alors découpé en morceaux et partagé entre les « grandes puissances » et toutes les puissances étant unies entre elles par une économie mondiale commune, il était inévitable que la guerre embrassât presque tous les continents.

L’Angleterre, la France, l’Italie, la Belgique, la Russie, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Serbie, la Bulgarie, la Roumanie, le Monténégro, le Japon, les Etats-Unis, la Chine et des douzaines d’autres petits Etats ont été entraînés dans le remous sanglant. La population du globe s’élève à environ un milliard et demi d’hommes. Tous ont souffert, directement ou indirectement de cette guerre imposée par une poignée de capitalistes criminels. Le monde n’avait encore jamais vu d’armées aussi immenses, des engins de mort aussi monstrueux. Jamais le monde n’avait vu non plus pareille puissance du capital.L’Angleterre et la France ont contraint à la défense de leurs coffres-forts, non seulement des Anglais et des Français, mais aussi des milliers et des milliers de leurs esclaves coloniaux noirs ou jaunes. Les brigands « civilisés » n’ont pas craint d’employer pour leurs desseins jusqu'à des cannibales. Et tout cela masqué sous les plus nobles formules.

La guerre de 1914 a eu ses précédents dans les guerres coloniales. Telles furent : la campagne des puissances « civilisées » contre la Chine, la guerre hispano-américaine, la guerre russo-japonaise de 1904 (pour la Corée, Port-Arthur, la Mandchourie, etc.), la guerre italo-turque en 1912 (pour la colonie africaine de Tripoli); la guerre anglo-boer dans laquelle, au commencement du XX° siècle, l’Angleterre « démocratique » a étranglé les deux républiques boers. Plus d’une fois ces compétitions risquèrent d’allumer un immense incendie. Le partage des territoires africains menaça d’amener une guerre entre l’Angleterre et la France (pour Fachoda), ensuite entre l’Allemagne et la France (pour le Maroc); la Russie tsariste a failli entrer en guerre avec l’Angleterre pour le partage de l’Asie Centrale.
Déjà, à la veille de la guerre mondiale, les antagonismes d’intérêts se sont fortement accusés entre l’Angleterre et l’Allemagne pour la prédominance en Afrique, en Asie Mineure et dans les Balkans. Et les circonstances firent alors que l’Angleterre marchât avec la France qui voulait enlever à l’Allemagne l’Alsace-Lorraine, et avec la Russie qui désirait faire ses petites affaires dans les Balkans et la Galicie. L’impérialisme allemand, rapace, avait pour allié principal l’Autriche-Hongrie. L’impérialisme américain ne s’en mêla que plus tard, car il guettait l’affaiblissement réciproque des Etats européens.
En plus du militarisme, l’arme la plus employée par les puissances impérialistes est la diplomatie secrète avec ses traités secrets, ses complots, voire ses assassinats, ses bombes, etc… Il existait des traités secrets d’un côté entre l’Angleterre, la France et la Russie, de l’autre entre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Turquie et la Bulgarie. L’assassinat de l’archiduc autrichien avant la guerre n’eut pas lieu, semble-t-il, sans que les agents secrets de l’Entente en eussent été informés. Mais la diplomatie allemande elle-même n’y voyait pas d’inconvénients; l’impérialiste allemand Rohrbach écrivait : « Nous devons considérer comme un bonheur que, grâce à l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, le grand complot anti-allemand ait éclaté avant le terme fixé. Deux ans plus tard, la guerre aurait été pour nous beaucoup plus dure. » Les provocateurs allemands eussent été prêts à sacrifier un de leurs princes pour déchaîner eux-mêmes la guerre.

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