1919 |
Un ouvrage qui servira de manuel de base aux militants communistes durant les années de formation des sections de l'Internationale Communiste. |
L'ABC du communisme
Comment le développement du capitalisme a conduit à la révolution communiste
(Limpérialisme, la guerre et la faillite du capitalisme)
La guerre impérialiste ne se distingue pas seulement par ses proportions gigantesques et par son action dévastatrice, mais aussi par le fait que toute léconomie du pays en guerre est subordonnée aux intérêts militaires. Largent suffisait jadis à la bourgeoisie pour faire la guerre. Mais la guerre mondiale prit une telle ampleur et les pays englobés par elle avaient une telle immensité, que largent seul ne put suffire à ses besoins. Les aciéries durent exclusivement fondre des canons plus monstrueux les uns que les autres; la guerre absorba tout le charbon extrait des mines, tous les métaux, les tissus, le cuir, etc. Bien entendu, parmi les trusts capitalistes nationaux, cest celui dont la production et les transports répondaient le mieux aux besoins de la guerre, qui pouvait espérer être victorieux. Comment se fit cette adaptation ? Par la centralisation de toute la production.
Il fallait que la production marchât sans àcoup, quelle fût bien organisée, soumise aux instructions directes de létat-major général, afin que les ordres de « ces messieurs à galons et képis étoilés » fussent ponctuellement exécutés.
Pour cela, la bourgeoisie neut quà mettre la production privée et les différents syndicats et trusts à la disposition de son Etat de proie bourgeois. Ainsi fut fait. Lindustrie fut « mobilisée » et « militarisée », cest-à-dire mise à la disposition de lEtat et des autorités militaires. « Mais, objectera-t-on, la bourgeoisie a perdu ses profits ? Car ce fut alors la nationalisation ? Une fois tout remis à lEtat, quel a été le profit de la bourgeoisie et comment accepta-t-elle un pareil marché ? » Et cependant, la bourgeoisie la accepté et il ny a rien détonnant à cela. Car les syndicats particuliers ont tout remis, non à lEtat ouvrier, mais à leur propre Etat impérialiste. Et quy avait-il là de si effrayant pour la bourgeoisie ? Elle ne faisait que passer ses richesses dune poche dans lautre, sans y perdre un centime.
Il faut se rappeler constamment le caractère de classe de lEtat. LEtat nest pas une sorte de troisième pouvoir placé au-dessus des classes; il est, de haut en bas, une organisation de classe. Sous la dictature des ouvriers, lEtat est une organisation douvriers. Sous la domination de la bourgeoisie, lEtat est une organisation dentrepreneurs, tout comme un trust ou un syndicat.
Par conséquent, lorsque la bourgeoisie a remis ses syndicats privés entre les mains de son Etat (pas un Etat prolétarien, mais son propre Etat capitaliste de proie), elle ny a absolument rien perdu. Que le fabricant Dupont ou Durand touche son profit à la caisse dun syndicat ou à celle de la banque dEtat, nest-ce pas la même chose ? Non seulement, la bourgeoisie ny perdit rien, mais elle y gagna. Grâce à cette centralisation, en effet, la machine militaire marcha mieux et ainsi saccrurent les chances de victoire dans cette guerre de brigandage.
Cest ainsi que pendant la guerre, dans presque tous les pays capitalistes, un capitalisme dEtat prit la place des syndicats particuliers. LAllemagne, par exemple, ne put remporter ses victoires et résister si longtemps à lassaut de forces ennemies supérieures en nombre, que parce que la bourgeoisie allemande sentendit admirablement à organiser ce capitalisme dEtat.
Le passage au capitalisme dEtat sest opéré de diverses manières. Le plus souvent, des monopoles dEtat furent créés dans lindustrie etle commerce, cest-à-dire que lindustrie et le commerce passèrent, dans leur totalité, entre les mains de lEtat bourgeois. Ce passage ne saccomplissait pas toujours dun seul coup, mais peu à peu, comme lorsque lEtat achetait une partie seulement des actions dun syndicat ou dun trust.
Alors cette entreprise appartenait pour moitié à lEtat, pour moitié à des particuliers, et lEtat bourgeois y imposait ses vues. De plus, même dans les entreprises restées aux mains des particuliers, il imposait souvent une réglementation rigoureuse : ainsi, certaines entreprises étaient tenues, par une loi spéciale, dacheter des produits à dautres entreprises qui, à leur tour, ne devaient vendre que par quantités déterminées et à un prix fixé; lEtat rendait aussi obligatoires certaines méthodes de travail, certains matériaux, il imposait la carte dachat pour tous les produits importants. Ainsi, à la place du capitalisme privé, se développa le capitalisme dEtat.
Le capitalisme dEtat substitua aux organisations particulières de la bourgeoisie son organisation unique, son Etat. Jusqu'à la guerre, il y avait dans chaque pays capitaliste lorganisation de lEtat bourgeois et, en dehors delle, des syndicats, des trusts, des consortiums dentrepreneurs, des unions de propriétaires fonciers, des partis politiques bourgeois, des associations de journalistes, de savants, dartistes bourgeois, des associations culturelles, des congrégations, des sociétés de jeunes gardes blancs, des bureaux de détectives privés, etc. Sous la domination du capitalisme dEtat, toutes ces organisation particulières se fondent dans lEtat bourgeois, deviennent ses filiales, exécutent ses plans, se soumettent à un « commandement suprême ». Dans les mines et dans les usines, on exécute les ordres de létat-major général; les journaux ne publient que ce qui plaît au grand état-major; on prêche dans les églises comme le veulent ces brigands galonnés; dessinateurs, poètes, chansonniers se soumettent à leur censure; on invente les machines, les canons, les munitions, les gaz dont létat-major a besoin. Ainsi, toute la vie est « militarisée » pour assurer à la bourgeoisie ses profits souillés de boue et de sang.
Le capitalisme dEtat signifie un renforcement formidable de la haute bourgeoisie. De même que, sous la dictature du prolétariat, la classe ouvrière est dautant plus forte que la collaboration dans le travail des soviets, des syndicats ouvriers, du Parti Communiste, etc., est plus intime; de même, sous la dictature de la bourgeoisie, cette dernière est dautant plus puissante que toutes les organisations bourgeoises sont rattachées lune à lautre par des liens plus solides. Le capitalisme dEtat, en les centralisant et en en faisant les rouages dune seule et unique machine, favorise la puissance formidable du capital. La dictature de la bourgeoisie célèbre vraiment là son triomphe.
Le capitalisme dEtat est apparu, pendant la guerre, dans tous les grands pays capitalistes et même dans la Russie tsariste (comité dindustrie de guerre, monopoles, etc.). Mais, par la suite, la bourgeoisie russe, effrayée par la Révolution, craignit que la production, avec le pouvoir dEtat, ne passât dans les mains du prolétariat. Cest pourquoi, après la révolution de février 1917, elle sopposa à lorganisation de la production.
Nous avons vu que le capitalisme dEtat ne supprime en aucune façon lexploitation, mais augmente prodigieusement la puissance de la bourgeoisie. Néanmoins, les partisans de Scheidemann, en Allemagne, et autres socialistes dunion sacrée ont proclamé que cette contrainte dans le travail était du socialisme, quune fois tout en possession de lEtat, le socialisme serait réalisé. Ils ne voyaient pas quil ne sagit point dun Etat prolétarien, mais dune concentration de la puissance gouvernementale dans les mains des ennemis les plus acharnés et des assassins du prolétariat.
En unissant et en organisant la bourgeoisie, et en augmentant ainsi sa puissance, le Capitalisme dEtat affaiblit la classe ouvrière. Sous sa domination, les ouvriers devinrent les esclaves à peau blanche dun Etat de proie. On les priva du droit de faire grève, on les mobilisa et militarisa; tous ceux qui se déclaraient contre la guerre étaient aussitôt condamnés pour crime de trahison; dans beaucoup de pays, on leur enleva la liberté de circuler, le droit de passer dune entreprise dans une autre, etc. Le « libre » ouvrier salarié était devenu un serf condamné soit à mourir sur les champs de bataille pour la cause de ses ennemis, soit à travailler jusqu'à épuisement, non pour lui-même, pour ses camarades ou pour ses enfants, mais dans lintérêt de ses oppresseurs.