1947 |
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! – LA LUTTE de CLASSES – Organe de l'Union Communiste (Trotskyste) n° 87 – 5ème année – bimensuel (B.I.) le n° 4 francs |
LA LUTTE DE CLASSES nº 87
29 mars 1947
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A la suite des attaques personnelles du P.R.L. contre M. Thorez, à l'occasion du débat sur l'Indochine, les chefs staliniens ont dû se livrer, eux aussi, à une petite manifestation de diversion. Jusqu'à maintenant, bien que partisans de "l'entente avec Hô-Chi Minh", ils avaient accepté, non seulement la responsabilité ministérielle de la guerre, mais aussi la solidarité parlementaire avec le P.R.L. lors du vote de confiance à Blum, qui lui-même se déclarait entièrement d'accord avec Thierry d'Argenlieu (Lutte de Classes, n°81). Ils avaient aussi voté avec le P.R.L. les crédits généraux pour l'armée (y compris celle d'Indochine) et accepté en commission les crédits SPECIAUX qui faisaient l'objet des récents débats.
Mais comme le P.R.L. a mis en doute le "caractère national" des chefs staliniens, ceux-ci ont décidé de s'abstenir lors du vote sur la question de confiance posée par Ramadier, suspendant ainsi sur la tête du ministère la menace d'une crise. En agissant de cette façon, ils vou-laient, d'un côté, contraindre les cercles dirigeants à avouer publiquement qu'ils ne peuvent pas se passer de leur concours en ce moment, et Ramadier fit en effet solennellement l'éloge de Maurice Thorez ; d'un autre côté, cela leur donnait une nouvelle occasion de "faire de l'opposition" et de démontrer ainsi aux travailleurs conscients, qui savent que le colonialisme est une source de réaction et de misère, leur fidélité à la défense vigilante de la démocratie. Après quoi, ils maintinrent la "solidarité ministérielle" !
Comme toujours, les manoeuvres trompeuses des chefs du P.C.F. sont justifiées par l'intérêt de la classe ouvrière. La solidarité des ministres staliniens avec le gouvernement Ramadier, qui mène en Indochine une politique aventuriste et réactionnaire, est justifiée par l'habituel subterfuge : "La réaction serait trop contente qu'on s'en aille." Mais comme cette fois la participation gouvernementale oblige les ministres staliniens à FAIRE noir là où leur parti DIT blanc, il a fallu aux chefs staliniens MINIMISER la question de l'Indochine et proclamer leur accord "SUR TOUTES LES AUTRES QUESTIONS DE LA POLITIQUE GOUVERNEMENTALE". Quelles sont ces autres questions ? L'Humanité du 25-3 proclame : "Non à la guerre ! Oui à la baisse ! Oui contre les factieux ! Oui pour notre sécurité et les réparations !" Mais le "Oui à la baisse" qui n'est qu'une machine de guerre po-litique pour s'opposer aux revendications les plus urgentes des travailleurs, c'est également l'attitude du P.R.L. et du patronat ; le Oui à Bidault, c'est aussi l'attitude du P.R.L. ; quant au "Oui contre les factieux", le fait que depuis deux ans de gouvernement "démocratique" la réaction est plus puissante que jamais, prouve que la participation ministérielle des Staliniens, sous ce prétexte, n'est qu'une duperie pour les travailleurs. Et comme pour rester au gouver-nement, le soi-disant "Non" du P.C.F. à la guerre d'Indochine, s'est transformé en "Oui" pour les ministres staliniens, ceux-ci ne sont restés au gouvernement que pour faire une politique APPROUVEE D'UN BOUT A L'AUTRE PAR LE P.R.L. !
Et cependant, la question de la guerre d'Indochine, dont les chefs staliniens ont fait un problème gouvernemental de second ordre, est en réalité le problème fondamental qui commande tous les autres.
100 MILLIONS PAR JOUR rien que pour la guerre en Indochine, A COTE DE TOUS LES AUTRES CREDITS POUR L'ARMEE, c'est une saignée financière qui provoque la hausse des prix d'une façon irrésistible, et ruine l'économie française en la détournant, comme en temps de guerre, de ses buts réels : nourrir, vêtir, abriter le peuple en France.
D'autre part, l'exploitation coloniale, qui n'est pas possible sans les d'Argenlieu, est la source PRINCIPALE de la réaction en France même.
Dans ces conditions, la poursuite de la guerre en Indochine, que nous avions dénoncée comme une aventure, ne peut mener qu'à une catastrophe les travailleurs français.
Cependant, les chefs staliniens mettent leur espoir dans le succès de leur formule "entente avec Hô-Chi Minh". Car l'impérialisme français ne peut plus mener une guerre longue. A l'instar de la Hollande, qui vient d'arrêter les hostilités contre les 60 millions d'habitants des Indes-Néerlandaises qu'elle exploite, le gouvernement Ramadier sera probablement, lui aussi, obligé de négocier avec le Viêt-nam. C'est alors que les chefs staliniens pensent tirer profit de leur attitude, en faisant valoir leur "clairvoyance", leur "fermeté" et leur "courage".
Mais si une telle éventualité peut temporairement sauver les chefs staliniens d'un discrédit immédiat et de la faillite politique, la question ne se pose pas de la même façon pour les ouvriers et paysans d'Indochine et pour les travailleurs français.
Car "l'entente avec Hô-Chi Minh", préconi-sée par les chefs staliniens, n'est pas une politique démocratique. "Le maintien de la présence française" qu'ils préconisent à la place de l'"ancien colonialisme" n'est que cet ancien colonialisme lui-même. Il ne s'agit pas d'enlever aux Banques exploitrices leur monopole, de les exproprier, de retirer les troupes qui pillent le pays et épuisent le budget métropolitain. Il s'agit de concessions à une mince couche bourgeoise ou instruite pour s'en faire une alliée.
Or, le maintien de la "présence française" en Indochine en la personne de l'armée des d'Argenlieu sera non seulement une source de conflits continuels, mais la continuation de la domination de la Banque d'Indochine qui maintiendra intacte l'exploitation coloniale.
La seule politique favorable aux intérêts des travailleurs, c'est LE RETRAIT SANS CONDITIONS DE TOUTES LES TROUPES D'OCCUPATION, ET L'EXPROPRIATION DES BANQUES, NOURRIES DE LA SUEUR DES TRAVAILLEURS FRANÇAIS ET INDOCHINOIS, AU PROFIT DU PEUPLE INDOCHINOIS ET DU PEUPLE FRANÇAIS. Faute de quoi, les travailleurs français continueront à souffrir, selon l'exigence de Ramadier, "comme sous la servitude".
Les dirigeants de la C.G.T. et les représentants de la collaboration patronale et gouvernementale ont plus d'une corde à leur arc ; puisque nous n'avons pas pu obtenir le relèvement des salaires et le reconnaissance du minimum vital, disent-ils, comme le gouvernement se déclare pour la baisse des prix, en avant pour la baisse réelle des prix.
La hausse des salaires n'est, en effet, pas pour les ouvriers un but en soi. Ce qui les intéresse, c'est d'avoir un pouvoir d'achat décent et suffisant ; hausse des salaires ou baisse des prix ne sont par conséquent que deux aspects d'une même chose. C'est sur cela que spéculent les représentants de la C.G.T. pour préconiser la "lutte pour la baisse" en compensation de leur capitulation sur le minimum vital.
Mais si baisse des prix et hausse des salaires reviennent au même pour les ouvriers, pourquoi ontils été jusqu'à présent mis dans l'obligation de revendiquer l'augmentation des salaires, pourquoi le gouvernement refuse-t-il cette augmentation, et y oppose-t-il la baisse des prix ? Si dans les deux solutions, il n'y a aucune différence pour les ouvriers, pourquoi cette différence faite par le gouvernement, et au profit de qui ?
Frachon nous expliquait lui-même, il y a à peine trois semaines-un mois, dans L'Humanité, que si les ouvriers sont dans l'obligation de revendiquer le minimum vital, c'est parce que depuis bientôt deux ans, aucune promesse gouvernementale, pas plus qu'aucune pression des dirigeants de la C.G.T. dans les divers organismes économiques mixtes, n'ont pu, comme l'ont montré les événements, endiguer la politique de hausse des prix du patronat.
Aujourd'hui, dans la résolution même de la C.G.T. qui concerne l'abandon du minimum vital, nous lisons que le patronat, qui ne veut pas la hausse des salaires, a accepté avec grand tapage la baisse des prix (voir les déclarations des dirigeants patronaux)... pour mieux la saboter. Qu'est-ce que cela prouve ? Si le patronat avait été obligé d'accorder l'augmentation des salaires basée sur l'indice des prix, comme le demandent les ouvriers, c'eût été une atteinte concrète et immédiate à ses marges de profits ; il a opposé aux revendications de salaires la baisse des prix parce que rien et personne ne l'oblige à procéder effectivement à la baisse et qu'il dispose au contraire de tous les leviers économiques et politique qui lui permettent de la "saboter".
C'est parce que hausse des salaires et baisse des prix sont effectivement les deux aspects différents d'une même question : celle du renforcement du pouvoir d'achat populaire face au pouvoir d'achat des riches, qu'ayant capitulé sur les salaires, les dirigeants de la C.G.T. ne peuvent pas davantage imposer la baisse.
La déclaration de la C.G.T. qui abandonne le minimum vital, affirme que pour imposer la baisse au patronat il faut vérifier ses prix de revient et de vente, découvrir les stocks, les bénéfices camouflés, les dépenses exagérées, etc. C'est là une atteinte aux prérogatives patronales essentielles, une ingérence dans sa propriété privée. Une pareille immixtion dans ses affaires se heurterait à sa résistance acharnée, encore bien plus que sur la question des salaires. Et les dirigeants de la C.G.T., qui n'ont pas été capables d'organiser l'action ouvrière pour briser la résistance des patrons sur la question des salaires, prétendent surveiller leurs prix et leurs bénéfices... par les Comités d'entreprise. Rien que le moyen indique déjà tout le sérieux de cette "lutte pour la baisse".
Quelle est l'activité pratique de ces "Comités d'entreprise", connue par les ouvriers, et non pas celle que leur attribue Frachon sur le papier ? Tout au plus de s'occuper d"'oeuvres sociales". Car il s'agit, en réalité, non pas d'organismes ouvriers ayant une fonction de surveillance auprès du patronat, mais d'auxiliaires de celui-ci, d'organes mixtes de collaboration avec le patronat, où se trouvent en minorité les délégués ouvriers dont la tâche légalement fixée est de veiller à la bonne marche de l'entreprise, à l'augmentation du rendement, et non de dénoncer les agissements du patronat, agissements qui leur sont du reste cachés ; car c'est la direction patronale elle-même qui communique ses renseignements aux Comités d'entreprise, les renseignements qu'elle veut bien leur donner.
Le résultat, c'est que dans une importante usine comme Renault, par exemple, comme partout ailleurs, l'activité du Comité d'entreprise consiste à informer les ouvriers du nombre d'automobiles qui ont été fabriquées dans le mois, à rendre compte des progrès de la crèche ou de l'apprentissage et à s'en prendre, aussi, à l'occasion... aux ouvriers qui "resquillent" un quart de vin en plus de leur ration à la cantine.
Dire aux ouvriers que de pareils organismes peuvent représenter -sans parler de contrôler effectivement- ne fut-ce qu'une ébauche ou un essai de contrôle, c'est compromettre à leurs yeux l'idée même du contrôle ouvrier.
A juste titre, les ouvriers n'ont aucune confiance dans ces organismes. Et cependant, des militants syndicalistes partisans de la lutte pour l'échelle mobile et le contrôle ouvrier, essaient de donner un caractère "progressif' à ces Comités d'entreprise. Nous lisons dans le bulletin syndical de l'imprimerie ParagonMommens, au sujet de l'ouverture des livres de compte et du contrôle ouvrier : "Beau champ d'activité pour les Comités d'entreprise". Mais c'est précisément ce que disent aussi les bureaucrates de la direction cégétiste, pour réduire à néant la lutte pratique réelle pour l'échelle mobile et pour la baisse des prix par le contrôle ouvrier.
En réalité, comme pour les salaires et encore plus que pour les salaires, la lutte pour la baisse des prix ne peut pas se concevoir menée par quelque organisme technique siégeant aux côtés des patrons, mais par des organes de combat des ouvriers, directement contrôlés par eux et eux seuls, opposant à la force patronale leur propre force.
C'est donc en acquérant d'abord des forces dans l'unité et la cohésion de lutte pour l'amélioration de leurs conditions économiques immédiates, c'est-à-dire en imposant le minimum vital et l'échelle mobile, que les ouvriers pourront être assez forts pour se proposer la tâche du contrôle et de la baisse des prix, et grouper ainsi autour d'eux d'une manière effective les petites gens qui sont victimes de la politique gouvernementale favorable au grand capital.
A la conférence de Moscou
Nous démontrions dans notre précédent article (Du diktat de Munich au diktat de Moscou, Lutte de Classes n°86) que le but avoué du pacte franco-anglais : dresser le bloc franco-anglais contre le danger allemand, était mensonger. A peine l'encre avec laquelle Bevin et Bidault avaient signé le pacte de Dunkerque était-elle séchée, qu'ils devaient prendre position au sujet de l'Allemagne, à la Conférence de Moscou. Comme un pacte n'a de valeur que dans ses conséquences immédiates, on allait tout de suite savoir la vérité sur celui de Dunkerque. Or, non seulement Bevin et Bidault ne se sont pas trouvés d'accord sur les problèmes que pose l'Allemagne, aux "Alliés", mais des quatre puissances en présence, ce sont précisément les points de vue français et anglais qui s'opposaient le plus.
On le voit : le but avoué des pactes n'est que la formule la plus capable de duper les travailleurs des pays signataires, afin de mieux les entraîner à soutenir l'effort militaire de la bourgeoisie au nom d'alliances "sacrées", alors qu'en réalité celle-ci utilise ses forces pour des buts de pillage en compagnie d'"alliés" qui sont aussi bien des ennemis, dès que leurs intérêts les séparent.
Mac Arthur, représentant de l'état-major américain au Japon, s'est prononcé pour l'évacuation de troupes américaines du pays qui fut le principal adversaire des Alliés en Asie et dans le Pacifique. Peut-être se serait-il converti subitement à la démocratie ? Pas le moins du monde. Au même moment, les impérialistes américains colonisent la Turquie et font pression sur l'Angleterre pour qu'elle maintienne ses troupes en Grèce. Parce que dans ces deux derniers pays la bourgeoisie est trop faible pour s'opposer aussi bien à la lutte de son propre peuple, qu'aux visées militaires de Staline ; tandis qu'au Japon la puissance restaurée des capitalistes peut servir à l'impérialisme américain dans ses plans contre la Chine et contre l'U.R.S.S. Le retrait des troupes du Japon n'est envisagé que parce qu'il est le seul moyen de restaurer la puissance militariste de la bourgeoisie japonaise.
En se retirant, les forces américaines veulent laisser la bourgeoisie japonaise suffisamment forte pour écraser les masses ouvrières et paysannes, car Mac Arthur ne pense nullement laisser les travailleurs et paysans japonais régler leur compte à leurs exploiteurs et instaurer la véritable démocratie.
Il ne se retirera pas avant que les banquiers japonais ne se soient relevés et suffisamment renforcés avec l'aide des financiers américains. Cette aide des financiers américains aux capitalistes japonais est préconisée ouvertement. Elle ne peut étonner que ceux qui se sont laissés tromper par la propagande démocratique alliée. Quel est l'intérêt majeur qui pousse le capitalisme américain à relever la puissance japonaise ? C'est que le capitalisme américain veut dominer le monde entier, et l'occupation militaire des grands pays est plutôt une source de faiblesse militaire qu'un surcroît de puissance. Les U.S.A. ont besoin de "collaborateurs" contre la Chine et contre l'U.R.S.S. Et l'impérialisme japonais avec ses traditions de lutte contre ces deux pays peut être un allié décisif.
Mais les dirigeants de l'U.R.S.S., puissance contre laquelle les U.S.A., qui visent à la domination mondiale, dirigent tous leurs plans, opposent aux méthodes de brigandage des impérialistes américains les mêmes méthodes. Les USA ayant revendiqué la possession des îles de Micronésie comme base stratégique dans le Pacifique, Molotov a fait connaître à Washington qu'il considérait ce projet comme parfaitement "équitable". En commentant cette attitude, Le Monde (21-3-47) révèle qu'en "justifiant l'annexion de fait de la Micronésie..., l'U.R.S.S. entend légitimer du même coup les annexions déguisées qu'elle a déjà opérées ou qu'elle projette en Europe et en Asie, et elle assoit plus solidement sa propriété (qui lui fut reconnue à Yalta) sur les Kouriles".
Donnant, donnant, par conséquent.
Nous n'avions donc pas tort non plus quand nous affirmions que les décisions des Trois Gros à Moscou révèleront aux travailleurs que les véritables victimes de cette guerre n'ont été que les masses laborieuses de tous les pays.
GAUTHIER
Malgré la politique anti-ouvrière des bureaucrates cégétistes, des centaines de milliers d'ouvriers répondirent à leur appel et défilèrent dans les rues de Paris pour se rendre au Champ de Mars. Un des mots d'ordre de la C.G.T., qui fut repris par de nombreuses pancartes, fut celui des : "Oisifs au travail;". Des ouvriers scandaient : "Les zazous au boulot, les fascistes au poteau". Parler de mettre les oisifs au travail, quand tous les leviers de commande sont entre les mains des bourgeois, c'est-à-dire de ceux qui ne travaillent pas, cela est un leurre. Mais si les travailleurs l'ont repris, c'est qu'en sortant de l'usine, ils éprouvaient le besoin de manifester leur haine contre les parasites qui vivent de leur sueur et de leur sang.
Le mot d'ordre des primes à la production fut rarement repris par les manifestants et quand Frachon en parla, seuls quelques fanatiques aux abords de la tribune applaudirent. Par contre les pancartes réclamant le minimum vital étaient nombreuses. Les bonzes ont capitulé devant le gouvernement et Jouhaux nous a expliqué que les discussions reprendraient au mois de mai pour définir la nouvelle conception du minimum vital. Mais si Jouhaux peut attendre le mois de mai, les travailleurs, eux, ne peuvent pas attendre. C'est pourquoi les pancartes et les slogans réclamant le minimum vital furent si nombreux. La manifestation clama aussi sa solidarité au peuple indochinois : "Paix avec le Viêt-nam" ; "les 100.000 millions d'Indochine au minimum vital" réclamaient des pancartes. Pendant ce temps, les parlementaires communistes font parade en s'abstenant de voter des crédits tandis que Thorez et les ministres du P.C.F. les votent au Conseil des Ministres. Tandis que le micro, avant le meeting, jouait des airs de swing et La Marseillaise qui ne fut pas reprise par la foule, de nombreux groupes sur le parcours et en arrivant au Champ de Mars chantaient L'Internationale.
Bien avant la fin du discours, les ouvriers regagnaient le métro, ils savaient ce qu'"ils" allaient dire.
Encore une manifestation qui n'aura servi à rien.
Pourquoi tant d'ouvriers, les suiveurs mis à part, ont-ils participé à une manifestation sans lendemain ?
Excédés par des conditions de vie toujours plus misérables, en l'absence de véritables organisations pour diriger leurs luttes, les travailleurs sont venus nombreux au Champ de Mars non pour acclamer leurs "chefs", mais pour crier leur mécontentement.
Car, les "chefs", eux, n'ont organisé cette manifestation que pour servir, comme le reconnaît Le Monde, organe des 200 familles (qui ne les blâme pas à ce sujet) "d'exutoire" (soupape de sûreté) (Le Monde, 27-3-47).
Malgré deux années de gouvernement " démocratique " à participation "communiste-socialiste", il est question de plus en plus souvent de l'activité de groupes factieux, de découverte de dépôts d'armes, de complots fascistes et de leurs attaques à main armée.
Le grand capital prépare ses troupes spécialisées à la guerre civile. En cas d'une attaque fasciste de la bourgeoisie, qu'allons-nous faire ? Suffira-t-il, comme en 34, de se mobiliser dans une grève de 24 heures et de faire une démonstration pacifique de la force ouvrière pour l'enrayer ?
Mais tout d'abord, un coup fasciste se bornera-t-il à une répétition de février 34, à une manifestation démonstrative à la Concorde ?
Comme le témoigne leur campagne politique actuelle et leurs préparatifs militaires de guerre civile, les cadres fascistes sont beaucoup plus nombreux qu'en 34 et 12 années de pourriture de la "démocratie" bourgeoise ont fourni une base autrement solide au mouvement fasciste. Bien plus qu'à ce moment-là, la bourgeoisie se prépare à résoudre la crise de son régime à la manière forte, comme elle a déjà essayé de le faire en 39-40.
Si donc les fascistes trouvaient le moment venu de passer à l'attaque pour détruire les organisations ouvrières et de préparer l'instauration de l'Etat fort de la bourgeoisie, la classe ouvrière se trouverait dans l'obligation d'entrer en lutte ouverte avec les fascistes, lutte qui ne se conçoit pas sans l'armement des ouvriers.
...Pour prévenir et faire échec à la politique réactionnaire de la bourgeoisie, ou pour faire aboutir nos revendications économiques, dans ce cas aussi la classe ouvrière aura à se défendre contre l'opposition armée de la bourgeoisie et de ses bandes fascistes.
On ne peut donc pas concevoir une grève générale, soit de défense du niveau de vie, soit en réponse à une attaque fasciste, sans l'armement des travailleurs, pour tenir en respect les fascistes.
Mais pour que la lutte des ouvriers contre une attaque puisse être menée à bien, il faut qu'ils puissent s'appuyer sur un Gouvernement véritablement anti-fasciste. Car, à ce sujet, les ouvriers ne peuvent pas ne pas tenir compte de leur expérience de 1934. La grève générale avait effectivement enrayé l'attaque fasciste, mais quant à leur désarmement, on s'en était remis à l'Etat bourgeois qui protège en réalité les fascistes, celui-ci n'étant pas un arbitre pour maintenir l'ordre (sans cela, comment expliquer le renforcement des troupes fascistes sous les gouvernements "démocratiques"), mais un instrument des capitalistes tout comme les fascistes. La confiance faite à cet Etat en 34-36 a finalement mené les ouvriers à la défaite devant la réaction capitaliste.
Un gouvernement anti-fasciste véritable ne peut être basé sur l'Etat et la police actuels qui ne "luttent" contre les fascistes que pour mieux les protéger et les camoufler, comme cela s'est passé en 44 ("insurrection populaire" de la police pétainiste) et qui profite au contraire de sa soi-disant lutte antifasciste pour sévir contre les ouvriers, sous prétexte de faire l'arbitre entre la gauche et la droite.
L'armement et la coordination de la lutte ouvrière ne peuvent être réalisés que par les Comités de quartier et d'usine, sur lesquels s'appuiera le véritable gouvernement anti-fasciste, un Gouvernement élu par les délégués de ces Comités à tous les échelons, un Gouvernement ouvrier et paysan, seule forme démocratique de la volonté ouvrière.
On ne peut pas songer à mener la grève générale sans l'armement du prolétariat, et on ne peut pas songer à mener cette lutte d'ensemble sans y lier la perspective du Gouvernement ouvrier et paysan.
"Face à la minorité des capitalistes et de leurs laquais, le Gouvernement ouvrier et paysan, appuyé sur l'union dans la lutte des travailleurs des villes et des campagnes, représente pour ceux-ci une démocratie nouvelle, la plus efficace et la seule efficace pour résoudre les difficiles problèmes auxquels les masses exploitées ont à faire face." (Lutte de Classes, nº 73).
Mais serait-ce là envisager des objectifs trop lointains et trop difficiles à atteindre ?
En réalité, la lutte pour le Gouvernement ouvrier et paysan est imposée par toute la situation depuis 1934 ; la classe ouvrière est plutôt en retard qu'en avance pour sa réalisation, car sans cet objectif, toute lutte nouvelle sera condamnée à un échec sinon immédiat, sûrement à la longue, parce que les succès immédiats comme ceux de 34 et même de 36 peuvent être réduits à néant, si la bourgeoisie conserve son Etat, si on ne dresse pas devant l'Etat et les bandes fascistes de la bourgeoisie, qui tous deux représentent les mêmes intérêts, une force capable de la contrebalancer avant de l'éliminer.
Il est allé rue Mouffetard... Car M. Depreux connaît la manière de faire des ministre populaires. Quitter un moment les salons dorés du ministère, descendre "démocratiquement" au milieu du peuple qui travaille et qui souffre, serrer quelques mains calleuses pour le photographe officiel - cette technique est vieille et le procédé, malgré sa bêtise, ne réussit que grâce au respect petit bourgeois qu'inspire le titre de "ministre".
Mais il n'eut pas de chance dans la rue Mouff', où les visages marqués par le froid et les privations contrastaient avec l'entourage et la personne bien nourrie de M. Depreux. Les journaux ont largement commenté le geste de la ménagère qui, en quelques mots bien ajustés, dit son fait à M. le Ministre ("socialiste" !) venu pour se "solidariser" avec la population souffrant de faim et de froid.
Cependant, M. Depreux n'est pas homme à se décourager. Le ministre de la police, des gardesmobiles, des prisons de France et d'Afrique du Nord, est venu accompagner le cortège funèbre d'Albert Binant, ouvrier révolutionnaire, membre du P.C.I.
La police de Depreux a matraqué les ouvriers révolutionnaires, comme Binant, qui ont manifesté à plusieurs reprises leur opposition à la guerre impérialiste d'Indochine. M. le Ministre de la police aurait pu craindre de courir une aventure encore plus fâcheuse que celle de la rue Mouffetard, que les dirigeants du P.C.I. lui fassent comprendre qu'Albert Binant l'aurait "trouvé mauvaise" qu'il assistât à son enterrement.
Mais il faut croire que Depreux n'est pas si bête que ça, qu'il savait à qui il avait à faire, pour oser paraître au milieu d'un cortège où aurait pu se trouver une autre victime de sa police, Pierre Conte, matraqué à Wagram et qui vient d'être condamné par la justice du gouvernement Ramadier à 6 mois de prison pour avoir usé du droit démocratique le plus élémentaire, le droit de réunion.
Peut-être en gens instruits, les dirigeants de cette manifestation prolétarienne n'ont-ils pas voulu provoquer de "scandale". Et cette attitude est effectivement confirmée par le reportage des obsèques du camarade Binant, dans La Vérité qui cite en bonne place Depreux et considère comme naturel que celui-ci se soit trouvé parmi eux. Mais la révolution n'est pas possible sans scandale, sans que des voix rudes fassent entendre aux ministres socialistes de trahison leurs quatre vérités.
Heureusement, la montée révolutionnaire, par l'immixtion croissante dans tous les domaines qu'elle permet aux masses travailleuses, donne justement libre carrière aux rudes manifestations, verbales et autres, des travailleurs et travailleuses, qui mettent les Depreux, les techniciens de la démagogie, dans l'impossibilité d'exercer leur métier.
On nous communique :
Apprenons avec indignation l'arrestation arbitraire de M. Duong-Bac-Mai, délégué parlementaire Gouvernement Vietnam en France stop. Elevons énergiques protestations contre cette mesure despotique indigne de la France démocratique stop. Réclamons : 1) la libération immédiate ; 2)º Cessation des hostilités et négociation avec Gouvernement Ho-Chi-Minh seul Gouvernement légal du Vietnam stop. Travailleurs du groupement de Sorgues (Vaucluse).
Dans Le Peuple du 22-3-47, nous lisons sous le titre "Certaines économies coûtent cher" : nombre de nos camarades ouvriers risquent de se voir licencier au moment où Gouvernement et économistes s'inquiètent du manque de main-d'oeuvre.
Alors que les dépenses d'engagement pour les travaux dans les ports étaient de 10 milliards pour 1946, elles ne seront plus que de 7 milliards pour 1947, ce qui correspond à une activité de reconstruction réduite de moitié."
Ainsi, lorsqu'il s'agit de la reconstruction, grave problème qui touche directement la population, le Gouvernement bourgeois n'hésite pas à réduire considérablement les capitaux. Tant pis si les ports restent en ruines et si des millions de personnes continuent à se loger dans des baraques en bois deux ans après la fin de la guerre. Par contre, dès qu'il s'agit de crédits militaires, il n'y a pas un sou à rogner. Et pour financer les dépenses improductives de l'armée et de l'armement, il n'est pas question de faire des économies. Dans ce cas, le Gouvernement n'hésite pas à accorder des centaines de milliards pour entretenir, "pour les besoins de la Défense nationale, un effectif de maind'oeuvre d'environ 1.300.000 hommes en 1947." (Le Monde, 23-3-47).
DAN
RENAULT Mouvement au secteur Collas
A l'atelier 5 (Trempe), les ouvriers ont débrayé pour réclamer une augmentation de salaire. Après plusieurs délégations infructueuses et 4 jours de grève, ils obtinrent 2 fr. de l'heure d'augmentation. Par solidarité pour l'atelier 5, des ouvriers du département 6 ont engagé une action. Ils arrêtèrent les moteurs et tentèrent de convoquer une réunion pendant le travail pour dresser un cahier de revendications, nommer une délégation et décider de l'action à mener. Mais ils furent arrêtés dans leur action par les délégués, au moment où la moitié environ du département avait cessé le travail. Ceux-ci tentèrent de briser l'élan des ouvriers en argumentant que "ce n'était pas le moment de faire grève parce que le sort de la France se jouait à la conférence de Moscou" ou que "des éléments irresponsables cherchaient à nous entraîner dans une grève sans fin et qu'on n'aurait rien à manger."
Comme des ouvriers protestaient : "Ca fait 2 ans qu'on la saute, on en a marre" et que leurs arguments ne convainquaient personne, les délégués remirent eux-mêmes les moteurs en route. La liaison étant mal assurée du fait de la spontanéité du mouvement, les ouvriers furent désorientés, ne sachant s'il fallait aller de l'avant ou reculer.
Si les ouvriers ont manqué d'organisation pour mener le mouvement jusqu'au bout, ils ont fait une fois de plus l'expérience de la direction syndicale. L'un d'eux disait à un représentant du syndicat : "C'est toi qui a remis le moteur en marche, mais la prochaine fois je t'attacherai à ta machine s'il le faut".
N'ayant pu demander l'avis des ouvriers dans une réunion, les camarades les plus combatifs firent circuler une liste de pétition, réclamant une augmentation de 10 francs de l'heure sur le taux de base, pour tout le monde.
Les pétitions ayant été signées par la grosse majorité des ouvriers dans les secteurs où elles furent présentées, le délégué du secteur Collas fut contraint d'accepter de présenter la revendication à la direction.
Divisions ouvrières
Après avoir saboté un mouvement en mettant eux-mêmes les moteurs en marche, les représentants de la C.G.T. se sont attirés la méfiance des ouvriers. La menace de la crise gouvernementale fit espérer à quelques Staliniens de base que leur parti allait entrer dans l'opposition. C'est ainsi qu'un Stalinien disait à un ouvrier ayant joué un rôle actif dans une grève : "Ce qu'il faut surtout c'est l'unité, ce n'est pas sous prétexte qu'on est socialiste, communiste ou trotskyste qu'on doit se tirer dans le dos".
– Mais l'autre fois vous n'avez pas hésité à nous tirer dans le dos quand nous avons débrayé.
– Ce n'est pas une raison, s'il y en a qui ont fait des bêtises, pour continuer.
Ainsi, devant le danger, les ouvriers de base du P.C.F. ne tiennent plus compte des calomnies de leurs chefs et recherchent l'unité avec ceux que leurs dirigeants qualifient de fascistes et d'agents de la réaction. Les ouvriers d'avant-garde et particulièrement les Trotskystes appuient sans réserve tout mouvement de défense des intérêts ouvriers. Mais, en brisant des grèves, les Staliniens sont les meilleurs artisans de la division.
Mardi dernier, chez Renault, des ouvriers disaient : "Ils nous ont saboté notre mouvement, moi je sabote le leur, je n'irai pas à leur manifestation et je continuerai à travailler". Et en effet, certains ouvriers refusèrent de débrayer à 5 heures.
Au lieu d'unir les ouvriers, les bureaucrates syndicaux introduisent la méfiance et la division dans le mouvement ouvrier.
La manifestation du Champ de Mars
Irons-nous à la manifestation ? Telle fut la question que se posèrent pas mal d'ouvriers. Car beaucoup comprenaient que la manifestation et rien c'est la même chose. On nous a déjà promenés souvent après 9 et 10 heures de travail. Nous attendons toujours le résultat.
Chez Renault, un certain nombre d'ouvriers, malgré le mot d'ordre de la C.G.T. de quitter une demi-heure avant, ont continué à travailler, prétextant que la C.G.T. brisait nos mouvements et qu'ils ne voulaient pas perdre une demi-heure pour des bêtises. Est-ce là une attitude juste ? Si les bureaucrates du syndicat font tout pour étouffer et briser nos luttes, c'est à nous de leur imposer notre volonté en chassant, comme il convient, les briseurs de grève.
Il n'est, évidemment, pas question d'aller défiler devant les "grands chefs" pour redorer leur blason. Mais ne pouvait-on pas envisager, puisque la C.G.T. donnait l'ordre de cesser le travail une demi-heure avant l'heure, d'organiser une réunion pour établir et discuter nos cahiers de revendications ?
C'est à cela que certains camarades ont pensé, mais manquant d'organisation, ils n'ont pu faire mieux que d'exprimer leur hostilité aux manifestations de parade en restant inactifs au pied de leur machine.
Ainsi ils marquaient leurs désapprobations pour la politique de trahison des bonzes confédéraux et n'apparaissaient pas comme des jaunes aux yeux de nombreux ouvriers encore trompés par leurs dirigeants.
GREVE DE PROTESTATION A L'IMPRIMERIE LANG
Les ouvriers de l'Imprimerie Lang sont en grève et occupent leur usine pour protester contre le retour de l'ancien patron, collaborateur à la direction de l'entreprise. Par un tract diffusé dans toutes les imprimeries, les grévistes ont fait appel à la solidarité de leurs camarades, les conviant à venir assister à un meeting tenu le 25 mars, à 17 heures, devant les locaux de l'imprimerie en grève, rue Curial.
Ce tract est parvenu à l'Imprimerie Nationale le même jour, à 15 heures. Mais les délégués, au lieu de demander aux ouvriers de cesser le travail pour se rendre à cette manifestation de solidarité ouvrière ont déclaré ne pas avoir d'ordre de grève du syndicat. La décision est mise aux voix une légère majorité se prononce pour la continuation du travail. Sur la protestation des ouvriers, libre choix est laissé à chacun d'y aller ou non.
Mais à 5 h.30, quand il s'est agi d'aller défiler au Champ de Mars, les délégués se sont bien gardés de demander leur avis aux ouvriers. Ils se sont contentés de déclarer : "on arrête le travail et on s'en va au Champ de Mars".
Déjà, quand il s'était agi de verser l'impôt de grève pour les ouvriers de la presse, ces mêmes délégués avaient eu une attitude identique : loin de faire comprendre à leurs camarades le caractère obligatoire et nécessaire de cette manifestation de solidarité, ils ont laissé chacun libre de "donner ce qu'il voulait", transformant de cette manière la solidarité en aumône.
CHEZ THOMSON
Chez Thomson, une ouvrière demande à une déléguée de travailler à l'heure au lieu de travailler aux pièces. La déléguée répond par une énumération des avantages du travail au rendement.
"Dans l'usine, par exemple, des ouvrières qui ne gagnaient pas assez à l'heure ont demandé à travailler aux pièces."
Première ouvrière : Ils devaient demander une augmentation s'ils n'étaient pas assez payés. (Approbation générale).
La déléguée : Ils ne l'auraient pas obtenue et puis le travail à l'heure entretient la paresse.
Deuxième ouvrière : Tous les ouvriers qui travaillent à l'heure ne sont pourtant pas des fainéants. Et ce qu'il a de sûr c'est qu'ils ne sont pas épuisés comme nous, le soir, après le travail.
Première ouvrière : Pour 6 fr. de plus par heure on travaille deux fois plus au rendement qu'à l'heure. C'est certain qu'on n'a pas le temps de "flâner" mais, comme cela, aussi, le bénéfice est presque double pour le patron. C'est cela le syndicalisme de la C.G.T.
La déléguée: Vous n'êtes pas capables de faire des sacrifices.
Deuxième ouvrière : Toi, alors, tu as de l'audace ! Si tu trouves qu'on ne fait pas assez de sacrifices, moi je trouve qu'on ne fait que cela.
La déléguée s'en va.