1971

"Nous prions le lecteur de n’y point chercher ce qui ne saurait s’y trouver : ni une histoire politique de la dernière République espagnole, ni une histoire de la guerre civile. Nous avons seulement tenté de serrer au plus grès notre sujet, la révolution, c’est-à-dire la lutte des ouvriers et des paysans espagnols pour leurs droits et libertés d’abord, pour les usines et les terres, pour le pouvoir politique enfin."

P. Broué

La Révolution Espagnole - 1931-1939

Annexe I : Les organisations ouvrières dans les debuts de la république

Document 1 : La loi de défense de la république votée par les députés socialistes (octobre 1931).

Article Premier.

Sont considérés comme des actes d'agression contre la République, et, comme tels, soumis à la présente loi :

1° L'excitation à la désobéissance aux lois et aux dispositions légitimes des autorités.

2° L'incitation à l'indiscipline, la provocation à l'antagonisme entre les différentes parties de l'armée, ou entre celles-ci et les organisations civiles.

3° La propagation de nouvelles pouvant ébranler le crédit ou troubler la paix ou l'ordre public.

4° La provocation indirecte ou l'incitation à commettre des actes de violences contre les personnes, les choses ou les propriétés, pour des motifs religieux, politiques ou sociaux.

5° Toute parole ou geste de mépris à l'égard des institutions ou organismes de l'État.

6° L'apologie du régime monarchique ou des personnes qui le symbolisent, l'usage d'emblèmes, insignes ou signes distinctifs faisant allusion à ce régime ou à ces personnes.

7° Le port illégal des armes à feu et la possession de substances explosives prohibées.

8° La suspension ou la cessation d'industries ou de travaux de n'importe quel ordre, sans justifications suffisantes.

9° Les grèves non annoncées huit jours à l'avance, à moins qu'il n existe d'autres délais annoncés dans une loi spéciale ; les grèves déclenchées pour des motifs autres que des questions de travail, et celles n'ayant pas été précédées d'un arbitrage ou d'une conciliation.

10° Les variations injustifiées du prix des denrées.

11° Le manque de zèle ou la négligence de la part des fonctionnaires publics dans l'exécution de leur service.

Art. II

Pourront être déportés ou bannis pour une période qui ne sera pas supérieure à celle de la validité de cette loi, ou frappés d'amende jusqu'à un maximum de 10 000 pesetas, les auteurs directs des actes énumérés dans les § 1 à 10 de l'article précédent, ainsi que ceux qui auront incité à les commettre. En outre, sera, selon le cas, confisqué ou suspendu ce qui aura servi à leur exécution. Ceux qui se sont rendus coupables des faits indiqués dans le § 11 seront suspendus, ou privés de leur charge, ou rétrogradés.

Art. III

Le ministre de l'Intérieur a la faculté de :

>1° Interdire les réunions ou manifestations publiques de caractère politique, religieux ou social, quand, en raison des circonstances. on peut présumer que leur déroulement pourrait troubler la paix publique.

2° Dissoudre les centres des associations considérées comme incitant à la réalisation des actes énumérés dans l'article I de cette loi.

3° Examiner la comptabilité et enquêter sur l'origine et la distribution des fonds de n'importe quelle organisation énumérée par la loi sur les associations.

4° Décréter la confiscation des armes de tout ordre et des substances explosives, même de celles qui sont légalement détenues.

Art. IV.

L'application de la présente loi est confiée au ministre de l'Intérieur.

Le gouvernement pourra, pour l'appliquer nommer des délégués spéciaux dont la juridiction s’étendra à deux ou plusieurs provinces.

Si, lors de la dissolution des Cortes constituantes, celles-ci ne prorogent point cette loi, il sera entendu par là qu'elle sera abolie.

Document 2 : commentaires des communistes sur le vote de la loi de défense de la République.

« Une analyse sommaire de cette loi prouve son caractère éminemment anti-prolétarien, malgré les efforts que font les sociaux-démocrates pour la présenter comme dirigée contre la droite monarchiste et contre la gauche anarchiste...

... L'emploi fait par les autorités sociales-démocrates d'Allemagne des lois pour la protection de la république soi-disant votées contre la droite montre que ces lois sont dirigés en réalité contre le prolétariat révolutionnaire.

Déjà la presse du Parti communiste est interdite, tandis que les journaux monarchistes continuent leur parution. La république des banquiers avait besoin d'une arme pour massacrer « légalement » les travailleurs d'Espagne, et ce sont les ministres social-fascistes qui se sont empressés de la mettre à sa disposition.

Le prolétariat d'Espagne ne manquera pas de répondre à cette nouvelle provocation par le renforcement de la lutte révolutionnaire sous la direction du Parti communiste. »

Les Cortes votent une loi scélérate ‘pour la défense de la République' », La Correspondance Internationale, n° 98, 31 octobre 1931, p.1111)

Document 3 : Le point de vue « faïste » dans la C.N.T.

« Contre la force autoritaire, ce qui compte, c'est la tactique personnelle, individualiste, de petits groupes. Aux ressorts du Pouvoir s'opposent l'ingéniosité et l'audace des révolutionnaires. S'il est impossible de combattre au corps à corps, la poitrine découverte, contre des organisations qui l'emportent inévitablement, il est en revanche possible de les combattre par d'autres moyens. Le principal atout des organisations qui sont au service de la bourgeoisie, c'est l'abondance des éléments dont elles disposent pour se battre. Le principal atout de la révolution doit être l'audace, le combat dans l'ombre, la capacité de semer la terreur qui démoralise, l'efficacité du dommage infligé sans risque on avec un risque minime. »

(Tierra y Libertad, 14 avril 1933.)

Document 4 : Les conclusions du manifeste des « trente »

... « Nous sommes révolutionnaires, oui, mais nous ne cultivons pas le mythe de la révolution. Nous voulons la disparition du capitalisme et de l'État, qu'il soit rouge, blanc ou noir ; mais non pour le remplacer par un autre, mais pour que, une fois la révolution faite par la classe ouvrière, celle-ci puisse empêcher la réinstallation de tout pouvoir, quelle que soit sa couleur. Nous voulons une révolution qui naisse d'un sentiment profond du peuple, comme celle qui est en train de se forger aujourd'hui et non une révolution qu'on nous offre, que prétendent réaliser ces individus qui, s'ils y arrivaient, qu'ils l'appellent comme ils le veulent, se convertiraient fatalement en dictateurs dès le lendemain de leur triomphe. Cette révolution, nous la voulons et nous la désirons.

La majorité des militants de l'organisation la veut-elle aussi ? Voilà ce qu'il faut élucider, ce qu'il faut poser clairement bien avant. La Confédération est une organisation révolutionnaire, non une organisation qui cultive la bagarre et l'émeute, qui ait le culte de la violence pour la violence, de la révolution pour la révolution. De ce point de vue, nous nous adressons aux militants, à tous, et nous leur rappelons que l'heure est grave, nous attirons leur attention sur la responsabilité que va prendre chacun par son action ou son abstention. Si aujourd’hui, demain, n'importe quand, on les appelle à un mouvement révolutionnaire, qu'ils n'oublient pas qu'ils se doivent à la Confédération nationale du travail, à une organisation qui a le droit de se contrôler elle-même, de veiller sur ses propres mouvements, d'agir par son initiative propre et de se déterminer à partir de sa volonté propre. Que la Confédération soit celle qui, suivant ses voies propres, doit dire comment, quand, dans quelles circonstances il faut agir ; qu'elle ait une personnalité et des moyens propres pour faire ce qu'elle a à faire.

Que tous sentent la responsabilité de ce moment exceptionnel que nous sommes en train de vivre. Qu'ils n'oublient pas que, de même que le fait révolutionnaire peut conduire au triomphe, et que, quand on échoue, on doit tomber avec dignité, de même toute action sporadique de la révolution conduit à la réaction et au triomphe des démagogies. Que chacun adopte aujourd'hui la position qui lui semble la meilleure. La nôtre, vous la connaissez. Fermes dans cette proposition, nous la maintiendrons en tout temps et en tout lieu, même si, pour la maintenir, nous sommes roulés par les courants contraires. »

(J. Peirats, La C.N.T. en la Revolución Española, t. 1, pp. 47-48.)

Document 5 : Le point de vue du secrétaire de l'Internationale communiste sur la chute de Primo de Rivera.

« Il faut se rendre nettement compte qu'en dépit des formes de guerre civile auxquelles donne issue l'essor révolutionnaire d'Espagne, la classe ouvrière ne joue pour le moment qu'un rôle mime dans ce mouvement. De ce fait, les mouvements de cet ordre défilent sur l'écran historique comme un simple épisode qui ne laisse pas de traces profondes dans l'esprit des masses travailleuses et n'enrichit pas leur expérience de la lutte de classes. Une grève partielle peut avoir pour la classe ouvrière internationale une importance plus suggestive qu'une telle révolution « genre espagnol », qui s'effectue sans que le P.C. et le prolétariat y exercent leur rôle dirigeant. »

(Traduction française d'une intervention de D. Manuilski, secrétaire de l'exécutif de l'I.C., au X° Plénum du comité exécutif, La correspondance Internationale, n° 44, 1930, p. 523.)

Document 6 : Maurín et l'I.C. en 1930, selon l'I.C.

« Je suis rentré en Espagne, comme vous le savez, pour y travailler d'accord avec la ligne de l'I.C. et les résolutions du II congrès du P.C.E. C'est dans ce sens que je vous ai écrit lors de mon séjour à Moscou, et telle est en fait mon intention.

Le Comité exécutif me présente comme un trotskyste. Vous savez que cela est absolument faux. J'ai pris position sur le trotskisme en 1925 lorsque la majorité du comité exécutif actuel du P.C.E. était trotskyste. D'autre part, l'organe trotskyste La Vérité me combat comme l'élément le plus dangereux pour ses projets dans le P.C.E..

J'ai accepté très sincèrement la ligne de l'I.C. et travaillé toujours d'accord avec elle. Vous connaissez, je pense, toute ma fidélité envers la cause communiste. »

(Lettre au secrétariat de 1'I.C., de Barcelone, le 8 juillet 1930, citée dans La Correspondance Internationale, n° 65, 22 juillet 1931, p. 812.)

Document 7 : L'Exécutif de l'I.C. et l’exclusion de Joaquín Maurín

« Le C.E. de l'I.C. appelé à se prononcer sur la décision du P.C.E. excluant Joaquín Maurín des rangs du parti et sur l'appel de Maurín à l'Internationale contre cette décision, constate :

1) Dans toute son activité politique, dans ses discours, ses articles, Joaquín Maurín défend une ligne politique, tactique et d'organisation contraire à la ligne de l'Internationale et du P.C. espagnol, une ligne libérale menchévistse qui, dans la situation révolutionnaire actuelle de l'Espagne, constitue une véritable trahison du prolétariat révolutionnaire. Maurín, bien que partant de l'affirmation juste que la révolution espagnole est une révolution démocratique-bourgeoise, ne comprend pas que le prolétariat et ses alliés les paysans doivent jouer dans le développement même de cette révolution un rôle dirigeant...

Au lieu de chercher à éclairer le prolétariat sur son rôle dirigeant dans la révolution démocratique en cours, Maurín veut transformer le mouvement ouvrier en appendice des groupes et partis petits-bourgeois qui font l'œuvre politique de la bourgeoisie. Cette politique n'est pas autre chose au fond que celle des anarcho-syndicalistes et des social-démocrates pour ne pas gêner le gouvernement bourgeois... Cette politique libérale menchéviste a conduit Maurín à pratiquer une politique trotskyste en collaboration avec Nín... Jamais il n'a combattu le trotskisme ni ne s'est clairement différencié de lui. Enfin... Maurín et son groupe ont soutenu les chefs anarcho-syndicalistes de la C.N.T. dans leur campagne contre l'action révolutionnaire du Parti communiste...

2) Maurín, pour tromper les ouvriers révolutionnaires et masquer son travail de désagrégation du mouvement communiste espagnol, a systématiquement mené un double jeu de politicien ; .. En collaboration avec Nín et d’autres trotskistes exclus, il mène la campagne de dénigrement contre le P.C.E., s'efforce de désagréger ses rangs et a organisé la scission de la Fédération communiste de Catalogne, s'efforçant de dresser contre l'Internationale les ouvriers révolutionnaires de Catalogne... Le C.E. de l'I.C. considère comme absolument juste et justifiée la décision du C.E. du P.C.E. excluant Maurín de ses rangs... »

Moscou, 3 juillet 1931,

Le Comité exécutif de l'I.C.

(La Correspondance Internationale, n°65, 22 juillet 1931, pp. 811-812.)

Document 8 : Andrés Nín sur Joaquín Maurín

« 2 novembre 1930 : Fédération communiste catalano-baléare. Jusqu'à très récemment, elle a adhéré au parti officiel. Son leader le plus en vue est Maurín. A son arrivée en Espace, le C.E. qui n'a jamais vu d'un bon œil ce camarade (car, malgré ses hésitations, c'est un camarade très intelligent et surtout très honnête) lui a demandé de faire une déclaration contre le « trotskysme » et de renoncer à ses « anciennes erreurs ». Il s'est refusé à donner cette déclaration et alors on l'a exclu... Je ne sais pas si vous savez que je suis lié avec lui d'une très vieille amitié. Maurín est très proche de nous et je suis sûr qu'il finira par se prononcer pour l'Opposition... Nous pourrions tout gâter si nous l'attaquions de façon trop injuste.

5 février 1931 : Les thèses politiques de la Fédération communiste catalane... ont été rédigées par moi et Maurín.

7 mars 1931 : La Fédération catalane estime que mon adhésion directe... pourrait aggraver ses rapports avec I'I.C. C'est juste.

12 avril 1931 : Si aujourd'hui mon entrée n'a pas été possible, elle le sera bientôt, peut-être avant un mois...

15 avril 1931 : La Fédération catalane est venue solliciter mon concours. Je ne pouvais pas le refuser, et me voilà travaillant d'une façon immédiate (en réalité dirigeante dans une large mesure) dans le comité central de cette organisation.

29 juin 1931 : Son orientation est toujours chancelante, indéfinie. Mes rapports avec ses dirigeants ont passé par diverses étapes, collaboration, rupture, de nouveau collaboration, de nouveau rupture. Nous nous trouvons actuellement dans ce dernier cas... jusqu'au congrès d'unification.

13 juillet 1931 : Pour le n° 3 de la revue [il s’agit de Comunismo] j'ai écrit un article contre les erreurs de Maurín. On ne peut pas garder le silence sur elles sans grand danger pour le mouvement. La campagne électorale que le Bloc a faite ces jours-ci avait très peu de chose de communiste. »

(Extraits de lettres d'Andrés Nín à Trotsky, « La Révolution espagnole (1936-1939) », Études marxistes, n°7-8, pp. 8042.)

Document 9 : Le P.C. espagnol et la coalition républicano-socialiste.

« La contre-révolution a chargé Azaña de prendre le fouet de la répression et de la terreur contre les ouvriers et les paysans révolutionnaires » (Mundo Obrero, 13 juin 1933.)

« Largo Caballero, « presque » bolchevik, et complètement social-fasciste » (Mundo Obrero, 17 août 1933.)

« Le social-fasciste Prieto, laquais sanglant du capitalisme ». (Mundo Obrero, 15 février 1933.)

« Nous dénonçons ouvertement devant tous les ouvriers la concordance entre le Comité exécutif du Parti socialiste espagnol et les préparatifs de Lerroux » (Mundo Obrero, 19 septembre 1933.)

« Les chefs socialistes, eux aussi, complotent et protègent le fascisme. » (Mundo Obrero, 24 mai 1933.)

« Les chefs socialistes pactisent avec la contre-révolution et le fascisme. » (Mundo Obrero, 30 mars 1932.)

« Le gouvernement Azana-Prieto, dans une note officielle, se met aux ordres de ses patrons les capitalistes. » (Mundo Obrero, 22 avril 1933.)

« Il n'y a, il ne peut y avoir de fonctions intermédiaires. Il faut démasquer les traîtres et les démagogues démocratiques. » (Mundo Obrero, 15 février 1933.)

(Montage réalisé par La Batalla, 5 février 1937.)

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