1978
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"Le titre du livre synthétise ma position :
à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."
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Nahuel Moreno
La dictature révolutionnaire du prolétariat
I. Un programme de "liberté
politique illimité" pour le Shah ou
un programme pour l'écraser sans pitié ?
4. Que firent les dirigeants des autres grandes
révolutions ?
Pourquoi Lénine et Trotsky agirent-ils ainsi ? Furent-ils les
premiers dans l'histoire ? Evidemment non ; toutes
les grandes révolutions triomphantes firent de même.
Comment des idéaux comme "l'égalité civile", la "déclaration des droits de
l'homme", qui tiennent éveillés les démocrates, purent-ils être imposés
? Il semblerait que le SU soit certain que ce fut grâce à un code
pénal humanitaire ; mais Robespierre, au contraire, se
demandait : "Faut-il juger les précautions exigées par le salut
public en temps de crise, provoquée par l'impuissance-même des lois, avec le
code criminel à la main ?" Et il expliquait : "Si
l'attribut du gouvernement populaire dans les époques de paix est la vertu,
ses attributs en temps de révolution sont à la fois la vertu et la terreur :
la vertu sans laquelle la terreur est funeste, la terreur sans laquelle la
vertu est impuissante. Il n'y a pas de terreur sans justice rapide, sévère,
inflexible ; elle est pour cela une émanation de la vertu".
Toujours Lénine, à propos de la Révolution Française, disait en 1920 au
communiste Frossard : "un français ne peut en rien renoncer à
la Révolution Russe, car par ses méthodes et ses procédés, elle recommence la
Révolution Française". Et nos patriotes, ceux qui ont libéré l'Amérique du
joug de la couronne espagnole ou anglaise, nos "libérateurs", les héros de
"l'indépendance" et de la "démocratie", comment agirent-ils ?
Bolivar soutenait qu'il fallait fusiller les
espagnols qui ne soutenaient pas la révolution. "Tout espagnol qui ne
conspire pas contre la tyrannie en faveur de la juste cause, par les moyens
les plus actifs et efficaces, sera tenu pour ennemi, et châtié en tant que
traître à la patrie, et sera en conséquence irrémissiblement passé par les
armes. Au contraire, un pardon général et absolu sera accordé à ceux qui
passeront à notre armée avec ou sans leurs armes ; à ceux qui
prêteront assistance aux bons citoyens qui s'efforcent de secouer le joug de
la tyrannie. Les officiers de l'armée et les magistrats civils qui proclament
le gouvernement de Venezuela et se joignent à nous conserveront leurs emplois
et leurs charges ; en un mot, les espagnols qui se signalent par
leurs services rendus à l'état seront considérés et traités comme des
américains. (...) Espagnols et Canariens, comptez sur la mort,
même en étant indifférents, si vous n'oeuvrez pas activement à la liberté de
l'Amérique. Américains, comptez sur la vie, quand bien même vous seriez
coupables." (Bolivar, 1813) [13]. Celui qui
serait aujourd'hui un disciple conséquent de Bolivar promulguerait un décret
disant que "tout grand bourgeois qui n'entre pas dans l'armée prolétarienne
et ne la soutient pas de toutes ses forces sera fusillé". Et Jefferson dit
pendant la révolution américaine : "Dans la lutte, qui est
nécessaire, tombèrent sans les formalités de la justice de nombreuses
personnes coupables, et, avec elles, quelques-unes innocentes. Je le déplore
plus que quiconque et pleurerai quelques uns d'entre eux jusqu'à ma mort,
mais de la même manière que s'ils étaient tombés sur le champ de bataille. Il
fut nécessaire d'utiliser l'arme du peuple, un mécanisme qui n'est pas aussi
aveugle que les balles et les bombes, mais qui l'est jusqu'à un certain
point.".
En accord avec cette manière correcte de faire des analogies, il y eut
toujours pour les marxistes cinq lois historiques de toute dictature
révolutionnaire, qui sont immuables :
Premièrement : La bourgeoisie, lorsqu'elle réalisa
sa révolution contre le féodalisme et l'absolutisme, imposa les grandes
dictatures révolutionnaires de Cromwell et Robespierre, lesquelles ne
donnèrent aucune sorte de libertés à leurs ennemis contre-révolutionnaires
(rappelons-nous que ce n'est pas par hasard si la guillotine fut le symbole
des meilleures années de la Grande Révolution Française de 1789).
Deuxièmement : Le prolétariat, comme vient de le
montrer clairement l'exemple de la dictature révolutionnaire de Lénine et de
Trotsky, n'a agi et n'agira pas autrement que Cromwell et Robespierre, bien
qu'évidemment avec un caractère de classe différent, prolétarien et non
bourgeois ou petit-bourgeois.
Troisièmement : il faut donc distinguer entre les
situations révolutionnaires et de guerre civile, et celles de stabilisation
d'une dictature. Quand il y a stabilité, il peut y avoir démocratie,
jurisprudence, des normes relativement stables; quand on entre dans une
période révolutionnaire ou il s'agit pour la dictature, comme lors de la
guerre civile, de s'imposer ou de survivre, tout se résout par les forces en
lutte et non pas des normes. Plus précisément, celles-ci sont détruites par
les classes et leurs partis qui se livrent une guerre mortelle.
Quatrièmement : Dans les moments critiques, la
contre-révolution recourt à la plus féroce répression, et tout
révolutionnaire qui se respecte doit recourir à la terreur révolutionnaire.
Chaque classe en lutte pour sa survie recourt alors à la dictature la plus
acharnée et implacable pour triompher ou survivre. La dictature
révolutionnaire du prolétariat est l'application scientifique consciente de
ces lois absolues de l'histoire des révolutions, de la lutte de classes et de
l'établissement de toute dictature révolutionnaire.
Cinquièmement : Il y a une autre loi qui complète
les précédentes: chaque fois que les classes exploitées, pour n'avoir pas
appliqué ces lois inexorables des révolutions et des dictatures
révolutionnaires, se montrèrent "magnanimes", "humanitaires", "prudentes",
"normatives", "juridistes", "démocratiques" avec la contre-révolution,
toujours cette dernière triompha.
Ce sont là les lois que le SU ignore. C'est la première fois que quelqu'un
qui se dit trotskyste désire soumettre la révolution et la guerre civile à un
code pénal. Trotsky affirma inlassablement le contraire.