1868-94 |
«Dans tous ces écrits, je ne me qualifie jamais de
social-démocrate, mais de communiste. Pour Marx, comme pour
moi, il est absolument impossible d'employer une expression aussi
élastique pour désigner notre conception propre. » Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec. |
La social-démocratie allemande
Critique du programme social-démocrate d'Erfurt de 1891
L'article de Bernstein devait constituer une réponse à Vollmar, et en tant que telle eût été très utile [1]. Mais au lieu de cela, le brave Bernstein tourne autour du pot jusqu'à ce qu'il en arrive subitement à répondre à la fraternisation de Cronstadt [2]. Il y dit naturellement des choses qui ne sont absolument pas à leur place, alors qu'il aurait dû soulever de tout autres aspects du problème : que si la France représente formellement la révolution vis-à-vis de l'Allemagne, celle-ci, en raison de son parti ouvrier, est matériellement à la pointe de la révolution, et c'est ce qui apparaîtra au grand jour au moment de la guerre - parce que nous, et avec nous, la révolution sera ou bien écrasée, ou bien au contraire hissée au pouvoir. C'est ce qu'il eût fallu dire dans tous les cas.
A propos : j'ai entendu qu'au congrès du parti tu voulais proposer la déclaration de principes de Karl Kautsky comme programme. Pour ma part aussi, je la tiens dans l'actuelle version (Neue Zeit, n° 51) pour bien meilleure que votre projet. Je ne lui ai conseillé que quelques modifications à certains passages de la partie imprimée page 788. Il a manifestement beaucoup réfléchi, et avec succès, sur ce travail. Je n'ai pas encore eu l'occasion de lire l'article de Bernstein sur les revendications particulières...
J'espère que tu as lu dans l'original ma lettre publiée par Le Socialiste [3], la traduction du Vorwärts en est abominable et par endroits pure insanité. Où diable Liebknecht trouve-t-il d'aussi affreux traducteurs ? Il est pourtant visible que, le temps approche où nous serons la majorité en Allemagne ou du moins le seul parti assez fort pour tenir en mains les rênes du pouvoir - au cas où la paix continuera. Et c'est justement à cause de cela que je ne souhaite pas que ce procès continu de développement soit interrompu par une crise, qui peut certes la raccourcir de deux à trois ans, mais la prolonger tout aussi bien de dix a vingt ans.
En ce qui concerne mes remarques sur le fait que vous prenez trop en considération le jugement de l'adversaire, tu en es le seul fautif. Dans ta lettre, tu dis à propos de l'introduction de Bernstein : « Les adversaires tombent aussi sur l'écrit qu'ils présentent comme étant tendancieusement hostile à Lassalle. » À entendre régulièrement et en toute occasion dans votre bouche l'argument selon lequel il faut tenir compte du jugement de nos adversaires, alors on en vient à dire tout naturellement que nos adversaires peuvent aller se faire fiche. Au demeurant, Marx et moi-même nous avons dit dès 1848 : Quelle bêtise avons-nous bien pu commettre pour que nos adversaires nous louent ? - donc tout à fait comme toi.
Mais maintenant je crois que vous feriez bien de ne plus bombarder le pauvre Bernstein de lettres à propos de Lassalle : il va en être complètement bouleversé, et finira par être si embrouillé par ce que vous lui avez vous-mêmes réclamé de faire et par ce qu'il considère comme étant de son devoir, que cela ne peut que compliquer les choses et contribuer à susciter à la fin des choses qui ne seront que plus contradictoires encore. Si cette note [4] s'y trouve, vous en portez tout autant la responsabilité que Bernstein, et il n'est tout de même pas juste de condamner à cause de cette méchante note tout son travail, au demeurant excellent. Je lui ai dit qu'il ne devait pas se laisser égarer, mais de garder la main de fer sous le gant de velours, et qu'à la fin vous lui seriez reconnaissants d'avoir critiqué Lassalle. En effet, je sais pertinemment que si vous relisez à présent les textes de Lassalle, vous serez vous-mêmes étonnés de ce qui s'y trouve, et vous serez édifiés sur la croyance en le faux héros dont vous vous êtes donnés tant de mal de faire montre sous le régime de la loi anti-socialiste par pure politesse à l'égard des Lassalléens que vous fréquentiez. Je suis persuadé que vous, ainsi que toute une masse de gens qui tenez encore à la tradition lassalléenne, vous ne savez pas ce que cet homme a dit et écrit (et, qui plus est, le plus souvent en sachant mieux les choses qu'il ne les disait et écrivait !) Ainsi donc, la nouvelle édition des uvres de Lassalle aura sur vous aussi une action utile - à condition bien sûr que vous lisiez avec autant de zèle le prophète que les critiques du prophète [5].
Dans ton projet reproduit par le Vorwärts, je découvre tout à coup, à mon grand étonnement la formule de « la masse réactionnaire [6] ». Je t'écris aussitôt à ce sujet, bien que je craigne d'arriver trop tard. Cette formule d'agitation jette une fausse note discordante et gâte toute l'harmonie des théorèmes scientifiques, formulés de manière condensée et tranchée. Étant une formule d'agitation parfaitement unilatérale, elle est absolument fausse sous la forme apodictique absolue qui seule la fait résonner efficacement.
Elle est fausse, car elle exprime comme un fait accompli ce qui n'est qu'une tendance historique exacte seulement comme telle. Au moment où surgit la révolution socialiste, tous les autres partis apparaîtront en face de nous comme une seule masse réactionnaire. Il est possible, au reste, qu'ils le soient d'ores et déjà et qu'ils aient perdu toute capacité à une action progressive quelle qu'elle soit, mais pas nécessairement. A l'heure actuelle, nous ne pouvons pas l'affirmer, avec la certitude avec laquelle nous énonçons les autres principes du programme. Même en Allemagne il peut se présenter des circonstances où les partis de gauche, malgré leur indigence profonde, soient obligés de déblayer la scène d'une partie du fatras féodal et bureaucratique antibourgeois qui subsiste encore en si grande quantité. Or, à ce moment précis, ils ne feront plus partie intégrante de la masse réactionnaire.
Aussi longtemps que nous ne sommes pas assez forts pour prendre en mains les rênes du pouvoir et appliquer nos principes, il ne saurait - à strictement parler - être question d'une masse réactionnaire vis-à-vis de nous. Sinon, toute la nation se partagerait en une majorité de réactionnaires et une minorité d'impuissants.
Les hommes qui ont brisé en Allemagne la division en États minuscules, donné à la bourgeoisie les coudées franches pour sa révolution industrielle, introduit des conditions unitaires de circulation pour les marchandises et les personnes, et par là-même, devaient nous procurer à nous-mêmes un plus grand champ d'action et plus de liberté de mouvement l'ont-ils fait comme « masse réactionnaire » ?
Les bourgeois républicains français qui, de 1871 à 1878, ont définitivement vaincu la monarchie et la tutelle cléricale, ont assuré une liberté de la presse, d'association et de réunion à un degré inconnu jusqu'ici en France en des temps non révolutionnaires, qui ont institué l'obligation scolaire pouf tous et haussé l'enseignement à un niveau tel que nous pourrions en prendre de la graine en Allemagne – ont - ils agi en tant que masse réactionnaire ?
Les Anglais des deux partis officiels, qui ont considérablement étendu le droit de suffrage universel, quintuplé le nombre des votants, égalisé les circonscriptions électorales, instauré l'obligation scolaire et amélioré le système d'enseignement qui, à chaque session parlementaire votent non seulement des réformes bourgeoises, mais encore des concessions sans cesse renouvelées aux travailleurs avancent certes d'un pas lent et mou, mais personne ne peut les taxer d'être « une seule et même masse réactionnaire » en général.
Bref, nous n'avons aucun droit de présenter une tendance qui se réalise progressivement comme un fait déjà achevé - d'autant qu'en Angleterre, par exemple, cette tendance ne se réalisera jamais jusqu'au bout dans les faits. Le jour où la révolution se produira, la bourgeoisie sera toujours prête encore à toutes sortes de réformes de détail. Seulement il n'y aura plus de sens à continuer de vouloir des réformes de détail d'un système qui s'effondre tout entier.
Dans certaines circonstances, le slogan de Lassalle a une certaine justification dans l'agitation, bien qu'on en fasse chez nous d'incroyables abus, par exemple dans le Vorwärts, depuis le 1er octobre 1890. Mais elle n'a pas sa place dans le programme, car dans l'absolu elle est fausse et trompeuse. Elle s'y présente un peu comme la femme du banquier Bethmann, pour lequel on voulait ajouter un balcon à sa résidence : « Si vous m'y édifiez un balcon, v'la que ma femme s'y mettra et me défigurera à moi toute la façade » !
Je ne puis parler des autres modifications dans le texte publié par le Vorwärts; je ne retrouve pas le journal, et la lettre doit partir.
Le congrès du parti se tient à une date glorieuse. Le 14 octobre est l'anniversaire des batailles de Iéna et d'Auerstadt, à l'occasion desquelles la vieille Prusse d'avant la révolution s'est effondrée. Puisse le 14 octobre 1891 devenir pour l'Allemagne prussianisée le « Iéna intérieur » prédit par Marx [7] !
Tout s'est très bien passé au congrès d'Erfurt [8]. Je t'en enverrai le protocole officiel dès qu'il sera publié. Bebel m'écrit que les discours ont été salopés dans les comptes rendus. L'opposition des arrogants Berlinois, au lieu d'accuser, est passée immédiatement elle-même dans le banc des accusés, s'est comportée lamentablement et doit à présent travailler hors du parti, si elle veut obtenir ce qu'elle recherche. Il se trouve indubitablement quelques éléments policiers parmi eux, ainsi que certains anarchistes cachés, qui voulaient en douce faire du racolage parmi nous, et enfin des ânes, des étudiants dont certains avaient raté leur examen des gens qui aiment se gonfler. Il s'agit en tout d'un peu moins de 200 hommes.
De même Monsieur Vollmar a dû filer doux : il est beaucoup plus dangereux que les précédents, car il est plus malin et plus tenace, vaniteux fou et veut à tout prix jouer les premiers rôles. Bebel s'est fort bien comporté, de même Singer, Auer, Fischer (qui était ici au Sozialdemokrat, un gaillard très capable et, en plus, un Bavarois d'une méchante grossièreté). Le rôle le plus amer a été dévolu à Liebknecht, qui a dû recommander le projet de programme, rédigé par Kautsky et soutenu par Bebel et moi, pour servir de base au nouveau programme, partie théorique.
Le reste de lassalléanisme a également été écarté. A l'exception de quelques passages un peu faiblement rédigés (mais où l'énoncé seul est un peu mou et vague), on ne peut plus rien redire à ce programme - du moins à première lecture.
À première lecture, le programme fait une très bonne impression à quelques passages un peu mous près, sur lesquels j'ai déjà précédemment attiré l'attention de Kautsky. C'était une amère pilule pour Liebknecht, qui a dû faire le rapport sur le nouveau programme, d'où se trouve éliminé le dernier reste non seulement de lassalléanisme, mais encore de la très chère phraséologie qui lui vient du Parti Populaire. Le discours - à en croire le rapport du Vorwärts qu'il a dû certainement composer lui-même-en porte aussi des, traces douloureuses. Et ensuite il eut la malchance d'avoir à affronter la proposition, de Kunert relative à son gendre [9]. J'espère qu'il se trouvera une pente bien douce sur laquelle on pourra faire glisser progressivement Liebknecht vers la retraite : il fait vraiment trop attardé et suranné dans le parti.
Mes félicitations pour l'adoption de ton. projet de programme à Erfurt et pour l'élimination d' « une seule et même masse réactionnaire » [10]. Je n'ai pas encore eu le temps de comparer dans le détail ton projet et le programme définitivement adopté.
A Erfurt tout a certes bien marché. Nous avons surtout bien ri sur les discours de Fischer et d'Auer. Ces deux - là avaient bien mérité de soulager un peu leur tempérament sur l' « opposition ». Le Bavarois contre les Berlinois; il ne reste plus grand-chose de ces derniers après la bataille. On constate, à l'attitude de ces derniers comme à celle de Vollmar, combien, tout ce petit peuple a surestimé ses forces. De telles reculades restent sans exemple. Mais cela n'a pas manqué de produire son effet à l'étranger : ce fut en Angleterre une sévère défaite pour Hyndman qui avait d'abord protégé Gilles publiquement et avait manifestement cru en les forfanteries de celui-ci à propos de l'effondrement du Parti allemand - maintenant il cherche autant que possible à se défaire de ce misérable. En outre, le Figaro a élevé Gilles aux nues.
Mes meilleurs remerciements pour les informations sur Erfurt. Ils m'ont été précieux à beaucoup d'égards, notamment pour les tractations à la commission du programme. Tu appelles le projet du Comité central son projet - celui de Liebknecht. Bebel m'a envoyé tout le matériel relatif aux divers épisodes de la genèse de ce projet. J'ai constaté qu'à chaque stade un bon morceau du travail premier de Liebknecht est tombé et a été remplacé par les formulations de Bebel, jusqu'à ce que finalement il n'en soit pratiquement plus rien resté - s'il en est resté quelque chose ! Mais ce qui en est resté, c'est l'absence de liaison produite par ce travail de sape du projet de Liebknecht et la faible coordination des phrases entre elles qui en résultait. Et c'est ce qui donna à ton projet l'avantage que chacun devait reconnaître au premier coup d'il et qui, une fois que Bebel l'eut franchement reconnu, s'imposa immédiatement aux autres également
Les dernières élucubrations qui cherchent à démontrer que le chapitre de Marx sur la tendance historique de l'accumulation capitaliste est dépassé, sont en tout cas de Geiser, qui passe pour une véritable autorité scientifique à Breslau. Mais il est possible aussi que Liebknecht étant embarrassé (car il ignorait manifestement que ces phrases étaient tirées du Capital), a raconté, comme il aime à le dire lui-même, « n'importe quelle bêtise » qui lui passait par la tête.
En tout cas, la partie théorique du programme d'Erfurt peut maintenant circuler partout. Le principal c'est qu'on n'y trouve rien de contestable du point de vue théorique; c'est ce qui a été obtenu en gros. Les revendications pratiques ont toutes sortes de défectuosités, certaines ont un caractère petit bourgeois - si on les applique aux conditions actuelles - , mais on pourra toujours, rétorquer qu'étant notre rapport de forces actuel, elles ne seront tout de même pas appliquées tant que nous ne serons pas au pouvoir, et qu'ensuite elles auront un caractère tout à fait différent. C'est le cas de la justice gratuite; la journée de travail de six heures pour les moins de dix-huit ans, ainsi que la protection des femmes contre le travail de nuit et, c'est la moindre des choses, quatre semaines avant et six semaines après l'accouchement.
Liebknecht me fait de la peine : il lui a fallu chanter maintenant les louanges du nouveau programme, dont tout le monde sait fort bien qu'il n'y a été pour rien., Mais c'est lui-même qui a recherché le poste - que peut-on y faire ?
Ce que tu me dis du discours de Tölcke est nouveau pour moi, et très intéressant [11]. L'introduction de Bersntein [12] a aiguillonné les vieux Lassalliens à une grande action, après que la publication de la lettre de Marx les a déjà tiré brutalement de la douce béatitude qui accompagne obligatoirement leur adoration du divin Lassalle. Même Jacob Audorf, l'inventeur de l'audacieuse carrière qui nous conduit au baron Itzig (comme Marx aimait à appeler Lassalle) a fait retentir des cris de bataille indignés dans la causerie du dimanche du Hamburger Echo. Mais le truc ne marche plus. Au reste, Bernstein s'est ému plus qu'il ne fallait des critiques de Bebel. Celui-ci était très rationnel et demandait simplement que, pour ce qui est de la forme, on procède en sorte que le public honorant traditionnellement Lassalle ne soit pas effrayé d'emblée et qu'on ne fournisse pas aux vieux Lassalléens de motif de plainte justifiée. A cela vint s'ajouter la malchance qui voulut que Bernstein y introduisit la note syphillitique tout à fait inutile (parce que transformée en racontar par un « probablement ») que messieurs les censeurs de Berlin ont remarquée... lorsqu'il était trop tard. Or le fait qu'ils aient raté le coche les a mis ensuite dans une véritable colère achilléenne, et alors Bernstein a dû encaisser pour son ou mieux pour leur lapsus, en recevant quelques lettres indignées. Je l'ai appuyé pendant tout ce temps comme il convenait.
La presse adverse vit de l'antagonisme entre le Lassalle national et les sociaux-démocrates sans patrie. Elle se gardera donc bien d'attaquer un livre, dans laquelle sa légende est détruite aussi radicalement.
Le travail de Bernstein est vraiment très bon et il m'a fait grand-plaisir. Il suscitera en Allemagne un effet énorme - avec le temps - , et lorsque l'édition sera achevée il devrait être publié en brochure à pan, voire devrait être continué par Bernstein et dépouillé de son but particulier. Jusque-là nous serons en mesure de mener aussi cela à bien. Ici il aura également son effet utile, car les bourgeois anglais vaguement teintés de socialisme cherchent ici aussi à créer une légende de Lassalle pour l'opposer à Marx.
J'enverrai aujourd'hui ton manuscrit en recommandé [13]. Je n'ai pu lire que les 16 premières pages. J'éliminerais pratiquement toute ton Introduction. Les raisons pour lesquelles un programme a besoin d'un commentaire, etc., etc., bref, toutes tes considérations sur les raisons pour lesquelles la brochure a été écrite ne font qu'affaiblir l'effet et détournent le lecteur du texte qui suit. D'emblée, tu dois entrer en matière - c'est la meilleure justification, Je ne peux juger eu plan du reste du texte, la partie principale. Je suis à ce point accablé par toutes sortes de travaux que je ne sais plus à quel saint me vouer. Rien que des bricoles, mais qui dévorent mon temps que c'en est une honte. Je brûle d'avoir le temps de m'atteler au Troisième livre du Capital, et on m'arrache chaque jour des mains le temps de travail qu'on me vole littéralement.
Frédéric Engels
Notes
[1]
Engels fait allusion à l'article de Bernstein «
Lettres d'Angleterre » publié dans la Neue Zeit n°
50. Bernstein y soumit à une vive critique la Triple Alliance
(Allemagne, Autriche-Hongrie et Italie), la scission de l'Europe en
deux camps adverses s'y exprimant de plus en plus nettement. Il y
dénonçait surtout le rôle de l'Allemagne dans la
politique de la Triple Entente.
Georg von Vollmar avait prononcé le le
juin 1891 à Munich un discours sur les tâches et la
tactique de la social-démocratie au moment du soi-disant
cours nouveau du gouvernement Caprivi, après la chute de
Bismarck. Il se fit le porte-parole de l'opportunisme dans le parti
et prôna une tactique de collaboration avec les classes
dominantes dans le domaine de la politique intérieure et
extérieure, notamment en cas de guerre contre la Russie.
Cette tactique impliquait une transformation lente et
progressive de la société au moyen de réformes,
qui entraînait une réconciliation de la classe ouvrière
avec l'État militaire existant et l'ordre capitaliste en
vigueur. La presse bourgeoise s'empressa d'approuver ces projets.
Engels écrivit à Bebel une série d'articles sur
la politique étrangère, la menace de guerre et la
position à adopter en cas de déclenchement d'un
conflit mondial (Engels à Bebel, 29 septembre 1891, 13
octobre 1891, 24 et 26 octobre 1891) et prépara, sur le même
thème, pour les socialistes français l'important
article sur le Socialisme en Allemagne (cf. Marx-Engels, Le
parti de classe, tome IV, pp. 81-91). Au congrès
d'Erfurt, W. Liebknecht, P. Singer et, R. Fischer et Bebel surtout
(dans deux discours fondamentaux) s'en prirent aux conceptions
opportunistes de Vollmar et défendirent la ligne marxiste
dans le parti. Bebel réfuta la thèse de Vollmar qui
affirmait que la Triple Alliance était un instrument de paix.
Vollmar n'en continua pas moins de demeurer dans les rangs de la
social-démocratie et fut député sans
interruption de 1890 à 1919. Est-il besoin de dire que ce
fervent pacifiste devint social-chauvin durant la première
guerre mondiale ?
[2] En juillet 1891, la flotte française avait été reçue triomphalement à Cronstadt à l'occasion du rapprochement survenu entre la Russie tsariste et la France républicaine et revancharde. Au même moment, les diplomates négocièrent un traité franco-russe, qui fut signé en août 1892 et prévit des consultations communes en politique internationale ainsi qu'une action militaire commune en cas d'attaque de l'un des deux partenaires. Ce traité prépara l'alliance franco-russe de 1893, dirigée contre la Triple Alliance.
[3] Cf. l'article sur Le congrès de Bruxelles et la situation en Europe dans ce recueil.
[4] Dans son introduction (à l'édition complète des discours et écrits de Lassalle, décidée par le Comité central du parti social-démocrate en 1891), Bernstein remarquait dans une note sur les maladies dont souffrait Lassalle : « Probablement syphilis ». Le premier volume parut en 1892 et les second et troisième en 1893.
[5]
Liebknecht avait écrit le 16 mai 1873 à Marx : «
Lassalle t'a pillé, mal compris et falsifié - c'est à
toi de le lui démontrer : nul autre ne peut le faire aussi
bien que toi, et personne ne saurait en prendre ombrage parmi les
éléments honnêtes du lassalléanisme
(que nous devons ménager). C'est pourquoi, je t'en prie,
écris vite les articles en question pour le Volksstaat, et
ne te laisse pas arrêter par d'autres considérations,
par exemple, le fait que Yorck en soit le rédacteur. »
De même, Bebel écrivit à
Marx, le 19 mai 1873 : « Je partage entièrement le
souhait de Liebknecht, à savoir que vous soumettiez les
écrits de Lassalle à une analyse critique. Celle-ci
est absolument nécessaire. » Le même jour, Bebel
écrivait à Engels : « Le culte de Lassalle
recevrait un coup mortel, si l'ami Marx réalisait le souhait
de Liebknecht - que je partage entièrement - et mettait en
évidence les erreurs et les lacunes des théories de
Lassalle dans une série d'articles présentés
objectivement. »
[6] La formule lassalléenne de la « masse réactionnaire » s'était glissée de nouveau dans le texte du projet de programme d'Erfurt reproduit dans le supplément du Vorwärts du 6 octobre 1891, alors que le texte adopté au congrès ne la contenait pas.
[7] Engels fait manifestement allusion à la phrase finale du texte de Marx, les Révélations sur le procès des communistes de Cologne, cf. traduction française des Éditions Costes, 1939, p. 230.
[8]
Le congrès du parti social-démocrate d'Allemagne se
tint à Erfurt du 14 au 21 octobre 1891 en la présence
de 230 délégués.
Les points suivants étaient à
l'ordre du jour : compte-rendu d'activité du Comité
central, politique suivie par la fraction parlementaire, tactique du
projet de nouveau programme, ainsi que des questions d'organisation.
Dans les débats sur la politique et la tactique, les délégués
du congrès discutèrent de la conception opportuniste
de Vollmar et des positions anarchisantes des « Jeunes ».
Les délégués adoptèrent à
l'unanimité les résolution sur la politique et la
tactique proposée par Bebel contre ces deux déviations.
Les porte-paroles des « Jeunes » - Wilhelm, Werner et
Carl Wildberger - furent exclus du Parti, après avoir refusé
de se soumettre aux résolutions du congrès. Vollmar et
ses partisans, par contre, se déclarèrent en faveur
des résolutions du congrès et votèrent même
pour la résolution sur la politique et la tactique sans
changer quoi que ce soit à leurs conceptions. Lénine
affirmait déjà que l'anarchisme dans le parti est le
plus souvent une sorte de punition pour les péchés
opportunistes du mouvement, les maladies infantiles étant le
fruit des maladies séniles de l'opportunisme. Si l'on juge le
congrès d'Erfurt d'après ce critère, on
constatera que les symptômes du mal furent artificiellement
écartés, tandis que la cause du mal conservée,
l'opportunisme se déclarant même d'accord avec les
décisions du congrès.
Le congrès adopta à l'unanimité
le projet de programme du parti.
Engels se déclara satisfait du congrès
d'Erfurt : formellement le marxisme avait triomphé, il ne
pouvait espérer et faire plus.
[9] Au congrès d'Erfurt, le délégué Fritz Kunert demanda qu'on lève la résolution du congrès de St Gallen interdisant aux anciens députés Louis Viereck et Bruno Geiser (le gendre de Liebknecht) de revêtir des postes de confiance dans le parti. Après une longue discussion, le congrès repoussa la demande de Kunert.
[10] La formule lassalléenne de la « masse réactionnaire » s'était glissée de nouveau dans le texte du projet de programme d'Erfurt reproduit dans le supplément du Vorwärts du 6 octobre 1891, alors que le texte adopté au congrès ne la contenait pas.
[11] Karl Wilhlem Tölcke avait déclaré au congrès d'Erfurt : « L'ancien rédacteur du Sozialdemokrat, Monsieur Bernstein de Londres a également fait une critique des discours et des écrits de Lassalle, et je veux tout de même protester de toutes mes forces contre cette sorte de critique. » Kautsky écrivit le 30 octobre 1891 à Engels : « L'accueil que reçut cette protestation fut cependant des plus froids (c'est à peine si 20 voix crièrent : très juste !) et elle fut complètement passée sous silence par les orateurs suivants : comme on le voit, les gens portent beaucoup moins Lassalle dans leur cur qu'on ne le croit. »
[12] Dans son introduction (à l'édition complète des discours et écrits de Lassalle, décidée par le Comité central du parti social-démocrate en 1891), Bernstein remarquait dans une note sur les maladies dont souffrait Lassalle : « Probablement syphilis ». Le premier volume parut en 1892 et les second et troisième en 1893.
[13] Engels fait allusion à l'ouvrage de Kautsky Das Erfurter Programme in seinem grunds ätzlichen Theil erläutert, Stuttgart 1892.