1965 |
"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne." |
Défense du trotskysme (1)
Léconomisme et la théorie de l'état
La théorie selon laquelle « l'assimilation structurelle » des pays d'Europe orientale à l'U.R.S.S. (c'est-à-dire l'assimilation de leur structure à celle de l'U.R.S.S.) avait été réalisée par le moyen de l'intervention « militaro-bureaucratique » du Kremlin allait porter des fruits empoisonnés dans l'évolution ultérieure du « S.I. ». La mission historique de la classe ouvrière consiste à abattre le capitalisme et à édifier le socialisme. Si la bureaucratie du Kremlin a pu, « objectivement », réaliser la première partie de cette tâche et entreprendre la réalisation de la seconde en Europe orientale - pourquoi pas dans le monde entier ? En même temps, les « nationalisations » devenaient le critère permettant d'affirmer la nature de classe prolétarienne de l'état.
Alors qu'il était encore trotskyste - plus pour longtemps, il est vrai - Ernest Germain envisagea pendant quelques semaines de s'opposer à Pablo. A cette fin, il rédigea, au début de 1951, un document intitulé : « Dix thèses », et conçu comme une réplique à ce véritable manifeste du révisionnisme que Pablo venait de publier sous le titre « Où allons-nous ? »
La neuvième de ces « Dix thèses » présente l'intérêt de faire appel à la conception marxiste selon laquelle la nature de classe d'un état est le produit de la dynamique des forces sociales qui lui ont donné naissance, et non du pourcentage atteint par les « nationalisations » :
« La méthode au moyen de laquelle notre mouvement a résolu la question de la nature de classe de la Yougoslavie, dans la résolution adoptée par le 9° plénum du C.E.I., se rattache en ligne droite à sa tradition marxiste-léniniste, déjà défendue avec succès dans sa solution de la question de l'U.R.S.S. La résolution du 9° plénum résout la question yougoslave en partant des forces réelles de CLASSE et non de rapports de propriété ISOLES de leur origine historique. Elle "légalise" en même temps la formule de "gouvernement ouvrier et paysan" pour désigner certaines étapes transitoires entre la décomposition du pouvoir de la bourgeoisie et l'établissement de la dictature du prolétariat, la construction d'un appareil d'Etat d'un type nouveau. Cette formule, inscrite dans notre programme de transition, a depuis démontré toute son utilité dans le cas de la Chine, où notre mouvement l'utilise pour caractériser l'étape actuelle du développement de la révolution chinoise. Elle fait partie de notre bagage programmatique nécessaire pour comprendre des phénomènes de transition propres à notre époque.
La discussion internationale actuellement en cours au sujet de la nature de classe des pays du glacis ne pourra être conclue positivement qu'à condition que ne soit pas abandonné l'acquis théorique qui a constitué son point de départ. Tout le monde ayant admis, au début de la discussion, que nous avions affaire, dans le glacis, avec des pays dominés par la bureaucratie soviétique DEPUIS 1944, au cours de cette domination, des transformations de structure ont été opérées dans ces pays dans le cadre de la politique d'assimilation structurelle poursuivie par la bureaucratie. La difficulté consiste en ceci : déterminer à quel moment, dans ce processus d'assimilation structurelle, s'opère la transformation de quantité en qualité. Au cas où une révolution prolétarienne se produit dans un pays, le fait même de cette révolution nous dispense de rechercher d'autres critères pour démontrer le changement de domination d'une classe vers une autre; l'exemple yougoslave en est une nouvelle preuve. Nous pouvons très bien concevoir que le prolétariat, après la prise du pouvoir dans certains pays, y maintienne la propriété privée des moyens de production dans certains secteurs pendant toute une période. La nationalisation COMPLÈTE des moyens de production n'est même pas un fait en U.R.S.S. Une nationalisation GÉNÉRALISÉE peut seulement servir de preuve de l'existence d'un Etat ouvrier, aucun Etat bourgeois n'étant censé pouvoir prendre ces mesures. »
Mais la suite du texte ouvrait déjà la porte au pablisme :
« Dans le glacis, le problème est tout autre : il n'y a pas eu de révolution prolétarienne (ce qui est vrai si l'on ajoute : se développant jusqu'au bout et aboutissant à la prise du pouvoir par les travailleurs), et la question à déterminer - la forme du passage du pouvoir d'une classe à une autre - est compliquée du fait que la bureaucratie y a exercé effectivement le pouvoir DES LE DEBUT (ce qui n'a pu se faire que parce que l'appareil d'état bourgeois était préalablement démantelé, et c'est ainsi qu'il fallait résoudre la question de l'origine sociale du pouvoir). C'est dans ce sens (pour déterminer le moment de l'assimilation structurelle) que nous avons soulevé la question de la planification et la suppression des frontières EFFECTIVES , lintégration EFFECTIVE de leur économie dans la planification soviétique, de leur armée dans l'armée soviétique, qui terminera le processus d'assimilation structurelle. »
Deux questions sont ici mélangées. celle de la nature de classe des états du glacis et celle de l'assimilation structurelle. En fin de compte, Germain fait dépendre la nature de classe des états du glacis de leur assimilation structurelle par l'U.R.S.S.
La « résolution sur le caractère de classe des pays européens du glacis soviétique » adoptée par le « 3° congrès mondial » (1951) allait être un assemblage confusionniste de thèses contradictoires :
« Sur le plan ECONOMIQUE cette évolution a épousé la ligne fondamentale d'un début de coordination et de planification effective entre leurs économies, d'une part, et celle de l'U.R.S.S. d'autre part, qui ont considérablement atténué leur dépendance de l'économie et du marché capitalistes internationaux.
Depuis 1949 on assiste à la mise en exécution d'une série de plans à longue portée (cinq à six ans) qui, au fur et à mesure de leur réalisation, détachent ces pays d'une partie de leurs liens avec le marché capitaliste extérieur et fusionnent progressivement leur économie en un tout de plus en plus organiquement lié à l'économie planifiée de l'U.R.S.S. »
(« Quatrième Internationale », vol. 9, n° 8-10, août-octobre 1951, p. 41.)
Ainsi, la marche à l'assimilation structurelle apparaissait comme une manifestation de la politique du Kremlin; alors que, au contraire, la domination de ces pays par la bureaucratie du Kremlin constitue un obstacle à l'assimilation structurelle. Celle-ci suppose en effet lharmonisation des économies des divers pays en fonction d'une division rationnelle du travail, ce qui est incompatible avec l'existence d'oppressions nationales et de rapports de dépendance.
La volonté du Kremlin d'empêcher que ne se réalise en Europe orientale un ensemble économique doué dune certaine puissance et de sa dynamique propre, et l'étroitesse nationale bornée des cliques au pouvoir se sont traduites en fait par cette caricature du « socialisme dans un seul pays » : la « construction du socialisme » dans chaque pays d'Europe orientale pris à part, et coupé du marché mondial. Leur dépendance de fait à l'égard de ce marché s'est alors manifestée indirectement par des distorsions économiques inouïes, considérablement aggravées par leur subordination à l'économie de l'U.R.S.S. Dans la même résolution du « 3° congrès mondial », on lisait plus loin :
« ... C'est avant tout en raison de leur même base économique, de la structure essentiellement commune à tous les pays du glacis, caractérisée par de nouveaux RAPPORTS DE PRODUCTION ET DE PROPRIÉTÉ PROPRES A UNE ÉCONOMIE ETATISEE ET PLANIFIEE, ESSENTIELLEMENT SEMBLABLES A CEUX DE L'U.R.S.S., que nous devons considérer ces Etats comme étant actuellement des Etats ouvriers déformés. »
(Idem, p. 42.)
La méthode correcte de Germain (« partir des forces réelles de classe et non des rapports de propriété isolés de leur origine historique » ) était donc abandonnée, pour aboutir à cette conclusion purement pabliste :
« ... Il est nécessaire de reconnaître que l'Internationale s'est vue empêchée d'avoir une appréciation exacte de l'évolution dans le glacis, du rythme et de l'ampleur de l'assimilation, par suite d'une série de considérations restrictives comme celles qui ont été indiquées dans les « Thèses sur l'U.R.S.S. et le stalinisme » du 2° congrès mondial, affirmant que « la véritable destruction du capitalisme (dans le glacis) n'est possible qu'à travers la mobilisation révolutionnaire des masses et l'élimination des formes particulières d'exploitation que la bureaucratie a introduites dans ces pays ». Dautre part, dans la résolution du 7° plénum du C.E.I. (mai 1949) sur « L'évolution des pays du glacis », où était envisagée plus positivement la perspective possible d'une assimilation structurelle achevée par l'action propre de la bureaucratie stalinienne, on insistait encore sur « la suppression des frontières, qu'elle s'effectue par l'incorporation de certains ou de tous ces pays à l'U.R.S.S., ou qu'elle s'effectue par la constitution d'une fédération balkano-danubienne formellement indépendante de l'U.R.S.S., mais véritable cadre unifié pour la planification de l'économie.
Il s'est avéré que l'action révolutionnaire des masses n'est pas une CONDITION INDISPENSABLE pour que la bureaucratie puisse détruire le capitalisme dans des conditions exceptionnelles analogues et dans un climat international comme celui de la "guerre froide". »
(Idem, pp. 42-4.3.)
Conclusion d'autant plus importante quelle simbriquait dans la perspective pabliste de la révolution-guerre, et cadrait avec la conception de la « révolution sous toutes ses formes » !