1950 |
Prolétaires de tous
les pays, unissez-vous ! |
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12 janvier 1950
Le retour à la liberté des salaires sera-t-il, pour le patronat et pour le gouvernement, l'occasion d'une politique encore plus astucieuse et plus rentable que celle du blocage des salaires ?
Oui, si les travailleurs laissent faire. Le vote des lois régissant les Conventions Collectives, en fixant le minimum vital à 9.500 francs par mois – pour un ouvrier, pas pour un chômeur ! – peut aboutir non pas à une hausse, mais à une baisse des salaires pour des millions de travailleurs. Car la bourgeoisie et le gouvernement ne se sont résignés à rendre la "liberté" aux salaires qu'au moment où l'existence de nombreux chômeurs et la menace du chômage permettent aux capitalistes d'exercer une pression efficace sur les ouvriers.
Décidément, patrons et ouvriers ne parlent pas la même langue ! Par liberté des salaires, les travailleurs entendaient une hausse de leur pouvoir d'achat (réduit à moins de moitié par rapport à 1938, alors que la production est à l'indice 120%), tandis que les patrons l'interprètent dans le sens d'une baisse, partout où ils ne pourront pas faire autrement. Ils donnent ainsi toute la mesure de leur hypocrisie.
Par la suppression du minimum vital actuel de 12.500 francs, par la non extension automatique des conventions aux tiers non contractants et par les grands pouvoirs d'interprétation et de décision laissés aux ministres (capitalistes) du Travail, le gouvernement et le Parlement ont mis du côté du patronat le plus d'atouts légaux possible.
Le seul point sur lequel gouvernement et capitalistes aient été battus, c'est celui de l'arbitrage obligatoire – autrement dit la suppression du droit de grève. A ce sujet, L'Humanité, qui a mis en vedette l'action des élus P.C.F. pour faire adopter des "Conventions Collectives véritablement démocratiques", devrait davantage d'explications aux travailleurs. Pourquoi la majorité gouvernementale, qui a donné satisfaction à Bidault et à Ségelle en ce qui concerne la suppression du minimum vital et autres dispositions réactionnaires, a-t-elle repoussé l'arbitrage obligatoire ? On laisse croire au lecteur que le mérite en revient à la pression des organisations syndicales, parmi lesquelles, naturellement, la C.G.T. occupe la première place.
Cela paraît vrai pour l'immédiat. Mais comme nous n'avons pas la mémoire courte, nous rappellerons que le droit de grève a été sauvé en dépit de ces organisations et contre elles.
En effet, l'entreprise la plus dangereuse contre ce droit n'a pas été la tentative légale d'un Raynaud ou d'un Bidault, mais bien celle dont se sont fait complices les Frachon unis aux Jouhaux, aussitôt après la fin de la guerre. Bien qu'inscrit dans la Constitution le droit de grève n'avait-il pas été pratiquement aboli par la loi sur le blocage des salaires, dont l'auteur n'est autre que Croizat lui-même ? Dès lors qu'on ne pouvait obtenir légalement d'augmentation de salaire, la grève ne devenait-elle pas illégale et inutile ? Il en fut ainsi pendant trois ans pour la grande majorité des travailleurs. Et c'est L'Humanité qui avait justifié moralement cette abolition en lançant : "On ne revendique pas dans un pays appauvri" (L'Huma 16-9-45).
Mais, à la longue, les travailleurs ont donné raison à La lutte de Classes" qui, elle rétorquait à L'Humanité : "Si l'économie ne supporte pas de revendications, pourquoi, alors, supporte-t-on qu'elle soit pillée par une poignée de gros capitalistes ?" (La Lutte de Classes n° 52, 27-9-45). C'est en explosant contre la volonté des dirigeants cégétistes, staliniens et socialistes, que les grèves, d'avril à octobre 1947, sauvèrent, avec bien d'autres choses, le droit de grève. Si, depuis avril 47, les ouvriers n'avaient pas continuellement réagi, aussi bien contre la politique patronale que contre la complicité avec celle-ci de leurs organisations, il n'y aurait plus aujourd'hui trace du droit de grève. Le mérite de la sauvegarde de ce droit essentiel ne revient donc pas à ceux qui veulent se l'attribuer comme résultat de leur tardive opposition parlementaire, mais entièrement et exclusivement, à l'esprit d'action, qui est resté vivace dans la classe ouvrière française en dépit de tout.
A la lumière de ces faits, on comprend aussi parfaitement que c'est la réaction ouvrière du 25 novembre dernier qui a "éclairé", une nouvelle fois, les parlementaires et fait échec à Bidault. Ce lien évident entre la réaction ouvrière du 25 novembre et le rejet par l'Assemblée de l'arbitrage obligatoire prouve aux ouvriers, s'il en était encore besoin, que toutes les autres revendications qui sont à l'ordre du jour ne seront inscrites dans les conventions que sous la pression de l'action ouvrière : des salaires décents, des conditions de travail plus humaines, une garantie contre la dépréciation du salaire par la hausse des prix (échelle mobile des salaires), des horaires de travail normaux (la semaine de quarante heures avec un salaire suffisant), une défense contre le chômage (échelle mobile des heures de travail) ne seront obtenus que dans la mesure où les travailleurs seront capables de les imposer par leur unité et par leur volonté de lutte. "Tout dépendra de l'état d'esprit des ouvriers et des patrons, du rapport des forces en présence", Le Monde résume ainsi l'opinion commune de la bourgeoisie sur ce point.
Il est bien vrai que dans le régime de la loi du plus fort, rien ne vaut un bon "rapport de forces".
Si le patronat a préparé ses batteries, l'action unie bien que limitée du 25 novembre, a déjà prouvé que le rapport de forces n'était pas si défavorable à la classe ouvrière.
La bataille des Conventions Collectives ne fait que commencer.
Il est hors de doute que la classe ouvrière est en présence d'une offensive patronale concertée. Hispano-Suiza, Brissonneau, Latil, Morane n'ont pas seulement de commun le refus des patrons de satisfaire aux revendications ouvrières, mais aussi le lock-out, les licenciements de militants ouvriers et l'intervention brutale des C.R.S. A tel point qu'un journal comme L'Aube qui, au moment de la répression des grèves des mineurs ne trouvait rien à redire de la brutalité de J. Moch et ses sbires, s'est soudainement ému, avec sa tartufferie coutumière. Ces messieurs, dans la crainte de nouveaux "25 novembre", s'élèvent contre l'utilisation du lock-out par les patrons et en appellent aux pouvoirs publics pour rétablir "la paix sociale". Mais cette balance que les gens de l'Aube semblent tenir entre la classe ouvrière et le patronat – la grève est un mal, le lock-out aussi, réconciliez-vous ! – n'a d'autre but que d'endormir les travailleurs. Car, pour leur part, le patronat et le gouvernement savent qu'il ne peut y avoir de justice en régime capitaliste et que seule la répression peut obliger les ouvriers à supporter leur misérable sort.
Les derniers conflits prouvent que patronat et gouvernement sont prêts à tout mettre en oeuvre pour battre les ouvriers. Que font les dirigeants des organisations syndicales en présence de cette situation ? La vérité, c'est qu'ils ne savent pas ou ne veulent pas tirer de la situation les enseignements qu'elle comporte.
Les Conventions Collectives, en supprimant le minimum vital, ont en effet créé une situation nouvelle. Les travailleurs, unis jusqu'à maintenant dans la même lutte contre le blocage des salaires, vont se trouver divisés, selon la branche d'industrie, la situation de leur entreprise, en catégories plus ou moins capables de se défendre contre les attaques patronales. Seule, une lutte d'ensemble de tous les travailleurs, ayant comme objectif PRINCIPAL le minimum vital au taux établi par les organisations syndicales, peut souder les rangs de toute la classe ouvrière, en même temps qu'elle serait capable de venir à bout des C.R.S. de M. Moch.
Mais les dirigeants syndicaux ne font aucune agitation dans ce sens. A tel point qu'on peut se demander si c'est bien eux qui ont lancé l'appel à la grève générale, le 25 novembre dernier ! Ils sont bien d'accord, tous, sur le papier, pour réclamer 3.000 fr. d'acompte pour tous en attendant l'entrée en vigueur des Conventions Collectives, mais rien ne montre qu'ils se préparent vraiment à une lutte d'ensemble. Tout au contraire. La C.G.T., comme la C.F.T.C. et F.O., tablent actuellement sur les travailleurs des industries privilégiées comme l'Automobile, par exemple (voir L'Humanité 10-1-50). Cette tactique, qui mise sur "les forts", ne peut en réalité que diviser la classe ouvrière en secteurs privilégiés et non privilégiés ; et c'est là ce que recherchent précisément, les capitalistes. Elle aboutirait à une dispersion des forces qui ne manquerait pas de se faire sentir, à la longue, sur tous les travailleurs.
Il faut le dire et le répéter : LES AVANTAGES SPECIAUX A CHAQUE BRANCHE D'INDUSTRIE NE PEUVENT DEVENIR UNE REALITE POUR LES INTERESSES QUE SI, AU PREALABLE, LA CLASSE OUVRIERE ARRACHE UN MINIMUM VITAL CALCULE PAR LES ORGANISATIONS SYNDICALES.
C'est autour de ce mot d'ordre que la classe ouvrière doit se grouper. Elle doit faire comprendre à ses dirigeants actuels pourquoi elle veut combattre. Que les travailleurs, dans leurs syndicats, dans leurs usines, forcent leurs dirigeants à prendre des décisions dans ce sens. Au front unique patronal, il faut opposer l'action d'ensemble de la classe ouvrière unie pour imposer un véritable minimum vital et un salaire décent pour un travail décent.
La Lutte de Classes reparaît, après 33 mois d'interruption. Pourquoi cette éclipse et pourquoi la nouvelle forme de bulletin gratuit ? Voilà qui demande explication.
La Lutte n'a pas cessé de paraître, en mai 1947, faute d'objectifs politiques propres ni par suite d'un manque de ressources de l'organisation. Au contraire. Sa disparition fut provoquée par... notre premier succès décisif : c'est, en effet, par les militants et sous la direction de l'Union Communiste (trotskyste) qu'éclate et se déroule la grande grève générale Renault d'avril-mai 1947. Mais ce mouvement, décisif pour le sort des travailleurs français, contraints pendant 3 ans, par leurs propres organisations officielles, à l'abandon des grèves revendicatives, nous imposa deux tâches immédiates qui absorbèrent toutes nos forces. La grève finie, sous peine de livrer à nouveau les travailleurs aux anciens dirigeants qui les avaient trahis, nous dûmes créer un syndicat révolutionnaire, le "Syndicat Démocratique Renault" et publier un journal à la portée des ouvriers, La Voix des Travailleurs – car ceux-ci venaient à peine de rompre avec la collaboration de classe, et sur le terrain des revendications seulement. Non pas que ce dernier ne devait aussi poser, devant la masse des travailleurs, l'ensemble des problèmes qui décident de leur sort, c'est-à-dire avant tout, les questions politiques ; mais il devait le faire progressivement.
Cependant, le courant révolutionnaire qui fit ses premiers pas dans la deuxième moitié de l'année 1947, ne put se développer jusqu'au bout. Le tournant des chefs staliniens vers la gauche ressuscita les illusions des membres de base du P.C.F., qui provoqua, par sa politique aventuriste, un affaiblissement considérable de la classe ouvrière par rapport à cette période.
Cependant, dans l'essentiel de notre travail, nous surmontâmes toutes les difficultés. Malgré sa non reconnaissance légale, le S.D.R. réussit à mener une action sérieuse. Sur ce terrain, malgré leur démagogie et leurs tournants (mieux vaudrait dire contorsions), les dirigeants de la C.G.T. n'ont pas réussi à reprendre leurs positions. La lutte revendicative contre l'exploitation patronale est l'activité la plus naturelle et la plus proche des travailleurs et ils ont très bien vu ce qu'était le S.D.R. ! C'est ainsi que ce dernier put imposer à la direction sa "représentativité" (reconnaissance légale) et obtenir 1.311 voix aux élections de juin 1949.
Si ces deux tâches capitales à ce moment-là, et que nous dûmes accomplir avec des forces numériques restreintes, ont justifié la disparition de La Lutte, qu'est-ce qui motive aujourd'hui sa reparution ? Y a-t-il actuellement un courant révolutionnaire en développement parmi les travailleurs ? A une telle question, répondre par oui ou par non serait une réponse trop simple, donc bornée. Il est évident qu'un tel courant n'existe pas encore. Mais l'évolution politique internationale et nationale est arrivée à un point où elle doit commencer à susciter une réplique véritablement communiste – trotskyste – de la part des travailleurs, sinon les travailleurs se condamneraient eux-mêmes au totalitarisme et à l'anéantissement atomique, comme ils se seraient condamnés eux-mêmes à la misère complète, s'ils n'avaient pas réagi par les grèves contre le blocage des salaires.
La tâche de la nouvelle Lutte, c'est d'aider au regroupement des travailleurs qui prennent conscience du fait que les efforts revendicatifs ne sont pas suffisants pour assurer leur bien-être et qu'il faut qu'ils soient complétés par une lutte conséquente sur tous les terrains de la société capitaliste en vue de son renversement. Mais elle doit aussi montrer aux militants honnêtes du P.C.F. et du P.S. où est le véritable communisme et socialisme.
Le pourrons-nous avec un aussi modeste format ? Quand il s'agit de la défense des exploités contre les exploiteurs, du communisme contre le capitalisme et contre ses falsificateurs, la réussite ne dépend pas d'emblée de la quantité de moyens mis en oeuvre à telle ou telle étape de la lutte. Elle dépend de notre savoir faire au service de la Révolution, d'un côté, de la volonté des travailleurs à s'émanciper, de l'autre côté. Il y a un commencement à tout. Dans l'état actuel de dispersion des groupes et des individus se réclamant d'un socialisme authentique – dispersion due en partie à leur manque de véritable conviction révolutionnaire et en partie à l'incompréhension relative des travailleurs qui tardent à prendre conscience de leurs intérêts – nous devons nous résigner à ce qui nous est possible. Mais nous avons la ferme conviction qu'un redressement se produira, tôt ou tard. Alors, nos moyens deviendront beaucoup plus grands, comme cela s'est déjà produit en 1947, après la grève Renault. En tout cas, la défense des masses contre leurs oppresseurs est toujours réaliste quelle que soit la petitesse des moyens mis en oeuvre.
La distribution gratuite suppléera, en partie, à l'exiguïté du format et donnera une plus grande efficacité à notre propagande. Mais cela demande, en contre-partie, un soutien matériel sérieux et sans défaillance de la part des camarades et des sympathisants. Ces derniers surtout peuvent, par leur nombre, assurer la parution régulière, hebdomadaire, de La Lutte. Nous pensons avoir quelque droit à leur confiance et nous les appelons à ne pas nous ménager leur appui.
A. MATHIEU
Rédaction et Administration : écrire à J. Ramboz
7, impasse du Rouet,Paris (14ème)