1948 |
Rapport d'organisation, publié sous la signature de « LA VOIX DES TRAVAILLEURS » |
Rapport sur la situation internationale
Ier octobre 1948
Brusquement, la situation internationale s'est aggravée à l'extrême et domine d'une manière directe la politique intérieure de tous les pays.
Quelles étaient, après l'écroulement de l'Allemagne en 1945, nos perspectives au sujet de la guerre et de la paix ? Nous démontrions, d'une part, que la fin du conflit en Europe n'était pas encore la fin de la guerre, puisque celle d'Extrême Orient englobait encore un milliard d'hommes, et d'autre part, que les antagonismes entre les « alliés » eux-mêmes empêcheraient la conclusion d'une paix « même versaillaise ». Si l'effondrement du Japon est survenu plus vite que nous le pensions – et pour des raisons que nous avons analysées dans la « Lutte des Classes » – par contre cet effondrement n'a que d'autant mieux démontré la justesse de notre point de vue au sujet de la paix. Normalement, la cessation du conflit à l'échelle mondiale rendait indispensable la conclusion d'un traité de paix ou plutôt de plusieurs traités de paix. Mais loin de procéder à une démobilisation véritable, à l'arrêt de la course aux armements et à la fixation des frontières (comme après la paix impérialiste de Versailles en 1919), les anciens alliés contre l'Axe sont restés face à face, baïonnettes au canon, prêts à s'affronter sur le vaste front qui va du Japon, à travers toute l'Asie et l'Europe, jusqu'au Pôle.
Il y a eu cependant 3 années de répit. Car dans tous les pays les masses étaient fatiguées de la guerre, elles avaient vu dans la victoire alliée la fin du cauchemar qui les tourmentait depuis 6 ans. Comment les entraîner à nouveau dans un conflit contre les alliés de la veille, sans une préparation préalable sérieuse, en exploitant les actes que l'adversaire ne manquerait pas de commettre ? C'est ainsi que les cercles dirigeants des U.S.A., malgré leur désir de profiter de la supériorité momentanée que leur offrait la bombe atomique, furent obligés à un semblant de démobilisation, et c'est ainsi qu'en URSS le gouvernement fut contraint, contrairement à ses habitudes, de s'occuper un peu du bien-être des masses et pourvoir à sa satisfaction partielle.
C'est la « crise de Berlin » qui a permis aux alliés et aux Russes de jeter le masque de l'unité des « Nations-Unies » et d'inviter les peuples, en jetant la faute sur l'adversaire, à soutenir leur politique de paix, c'est à dire la politique au nom de laquelle ils feront la guerre.
La crise de Berlin est insoluble dans la mesure où derrière les « difficultés techniques » il y a un conflit politique. En effet, la nécessité pour les Russes d'une part et pour les « Occidentaux » de l'autre d'intégrer leurs zones respectives dans leur économie de guerre fait de la lutte pour Berlin une lutte pour l'Allemagne entière. Mais l'Allemagne décide de l'Europe et, étant donné la situation en Asie – notamment les succès « soviétiques » en Chine – l'Europe décide du monde entier.
Il en a été de même en 1939, à propos du « couloir de Dantzig ». C'est pour supprimer ce couloir, créé par le traité de Versailles, qui coupait l'Allemagne en deux, que Hitler déclara la guerre à la Pologne, à laquelle ce couloir donnait accès à la mer Baltique. Mais l'Allemagne avait déjà occupé l'Autriche en Février 1938 et récupéré les Sudètes (allemands « accordés » par le même traité aux Tchèques) à Munich ; la guerre à la Pologne avec la complicité de Staline (pacte germano-soviétique) était un coup décisif à la domination franco-anglaise sur le continent et l'établissement de celle de l'Allemagne. La guerre éclata donc et l'effondrement de la France en Juin 40, en rendant Hitler maître de l'Europe, déclencha sous peu (attaque de juin 41 contre l'URSS) la deuxième guerre mondiale.
C'est ainsi du reste que nous voyions le développement des événements dès novembre 1940 (voir Brochure « La lutte contre la 2ème guerre impérialiste mondiale » ).
Est-ce à dire que c'est de gaieté de cœur que les classes dirigeantes se laissent aller à ce nouveau conflit ? Tout au contraire. Comme en 1939, elles redoutent le déclenchement de la guerre. Mais si la crainte ouvertement exprimée par Hitler à Coulondre en 1939 que le seul gagnant d'un conflit pouvait être Trotsky (voir le Livre Jaune) n'a pas été capable de le détourner de ses plans, aujourd'hui, la certitude d'une destruction atomique du monde ne fera pas davantage reculer les classes dirigeantes qui n'ont après tout le choix qu'entre deux genres de mort.
En effet, en supposant que Hitler ait reculé devant la guerre en 1939, il serait tombé aussitôt. Il était arrivé au pouvoir pour reprendre à la France et à l'Angleterre les colonies nécessaires au capitalisme allemand, chose qu'il n'aurait en aucun cas obtenu par des négociations, ces colonies étant aussi vitales pour l'impérialisme français et anglais. Sans cela, le capitalisme allemand aurait étouffé dans ses frontières en l'espace de quelques mois et tout le régime aurait été rejeté par un soulèvement général. La guerre pour Hitler et les rapaces impérialistes allemands représentait une chance de s'en tirer et en tout cas un sursis.
Il en est de même aujourd'hui : la course aux armements fournit aux capitalistes américains un dérivatif à leurs contradictions internes, car le militarisme et la préparation à la guerre sont devenus le mode normal d'existence du capitalisme. Ce qui provoque d'autre part la guerre, ce sont les constants et brusques changements dans le rapport de forces entre les grandes puissances.
Or, actuellement, le partage du monde entre les « grands rapaces» réalisé par l'accord de Postdam et mis en application après la défaite de l'Allemagne et du Japon est entièrement remis en question.
En Chine, les armées dites rouges, aux ordres de Moscou, avancent au cœur de la Chine pas tellement par leurs propres vertus mais en raison de la décomposition du régime de Tchang-Kaï-Chek et du pourrissement du capitalisme chinois incapable d'opposer une résistance tant soit peu sérieuse malgré l'aide américaine. C'est ce qui oblige les Américains à se replier et à faire du Japon leur bastion en Extrême-Orient et à procéder au relèvement du capitalisme japonais de même qu'ils procèdent au relèvement du capitalisme occidental allemand. En Europe aussi, le pourrissement du capitalisme a transformé l'Italie et la France notamment en territoires tout à fait vulnérables à l'emprise de Moscou par l'intermédiaire des Partis dits communistes. Les soulèvements coloniaux eux aussi touchent uniquement les puissances occidentales, car elles seules possèdent des colonies, et, là aussi, à l'aide du Kominform, Moscou modifia à son avantage le rapport de forces en prenant pied en Indochine, aux Indes, en Palestine, etc...
Si bien que même si sur le terrain diplomatique l'U.R.S.S. était disposée à conclure un compromis, comme elle en a conclu en 1939 avec Hitler (donnant-donnant), le monde occidental sous l'impulsion du capitalisme américain ne peut pas et ne fera pas marche en arrière. Ils ont besoin que Moscou mette un terme à ses avances indirectes aussi bien que directes.
Des événements comme la rupture de la Yougoslavie avec Moscou ne sont pas de nature à rétablir l'équilibre.
Mais Moscou veut la même chose des Anglo-Américains qui dominent les 3/4 du monde.
En fin de compte, il ne reste plus, comme en 1914 et en 1939, d'autre issue que la guerre pour empêcher l'adversaire de prendre le dessus.
Devons-nous envisager la guerre comme une perspective plus ou moins éloignée, bien qu'inévitable ?
La démarche des Occidentaux auprès de l'O.N.U. ne fait pas que transposer le conflit local de Berlin entre les quatre occupants en un conflit général entre Occidentaux et URSS. Elle a été accompagnée de mesures de guerre (création de l'armée occidentale, etc...) qui rendent celle-ci inévitable à bref délai. Par ces mesures, l'économie des pays occidentaux redevient essentiellement une économie de guerre, à tel point que, par exemple l'Angleterre qui avait réussi à rétablir son équilibre économique, vient à nouveau de le perdre. On peut être certain, malgré la discrétion de Moscou qui a pris le masque du pacifisme, qu'il en est de même derrière le rideau de fer. Or aucun pays ne peut vivre indéfiniment en économie de guerre. (La mobilisation n'est pas la guerre, disaient les classes dirigeantes en 1914, pour tromper les peuples. Mais la mobilisation a été la guerre).
Peut-on s'attendre à ce que la révolution puisse prévenir la guerre ?
La guerre en 1939 avait éclaté sur les décombres du mouvement ouvrier européen, notamment en Allemagne, en France et en Espagne, défaites venant à la suite de l'échec de la révolution dans les Balkans et en Italie.
Par contre, depuis 1945, les soulèvements des peuples coloniaux ne font que se renforcer et peuvent même embraser l'Asie et l'Afrique entières.
D'autre part, la classe ouvrière d'Italie, de France, d'Angleterre, de Belgique et partiellement d'Allemagne, continue à se manifester.
Mais le mouvement ouvrier et colonial sans parti révolutionnaire, en proie au parti stalinien, à la social-démocratie ou au nationalisme, est tout à fait incapable de se dresser d'une façon efficace contre la guerre. Cependant leur existence à la veille d'un nouveau conflit, contrairement à ce qui était en 1939, rend certain ce qui ne s'est pas réalisé en 1939 : le soulèvement des masses en même temps que les premières grandes batailles du conflit. On peut affirmer avec certitude que le nouveau conflit s'accompagnera dès le début de vastes guerres civiles et soulèvements des peuples qui offriront des possibilités immenses au travail révolutionnaire.
La Voix Des Travailleurs