1947 |
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! – LA LUTTE de CLASSES – Organe de l'Union Communiste (Trotskyste) n° 85 – 5ème année – bimensuel (B.I.) le n° 3 francs |
LA LUTTE DE CLASSES nº 85
1er mars 1947
La grève générale d'avertissement des fonctionnaires, le 21 février, a mis en émoi tous ceux qui règlent le sort des travailleurs au profit de la bourgeoisie. En leur nom, Paul Ramadier, chef du gouvernement, qui avait mis comme en-tête de son programme gouvernemental "fermeté brutale", et Vincent Auriol, président de la République "socialiste", se sont mis à discourir sur "l'autorité de l'Etat".
Ramadier affirme que les grévistes qui "croyaient défendre leurs traitements, salaires, statuts", ont mis en danger la République. Vincent Auriol prétend que les grévistes, en affaiblissant l'autorité de l'Etat, ont commis "un acte contre la patrie" (souligné par lui).
En conséquence le gouvernement s'apprête à déposer un projet de loi "limitant", en réalité SUPPRIMANT, le droit de grève des fonctionnaires. Rappelons pour mémoire que Maurice Thorez, au nom duquel ce projet sera également présenté, avait reconnu, dans le statut de la fonction publique, qu'il avait lui-même élaboré, quelques mois auparavant, le droit de grève des fonctionnaires comme leur droit démocratique le plus élémentaire.
Cette mesure et le langage qui la justifie sont de nature totalitaire.
L'ETAT Y EST IDENTIFIE A LA NATION ET SON AUTORITE SANCTIFIEE.
N'est-ce pas là le premier principe de Pétain et de De Gaulle ? Vincent Auriol, ne pouvant ignorer que la "Déclaration des droits de l'homme" proclame au contraire le droit des citoyens de "résister à l'oppression" (de l'Etat), prouve par là que la République qu'il préside est une "monarchie sans roi" et non pas une République démocratique.
Mais si l'Etat tolérait l'insubordination, ne serait-ce pas se nier lui-même ? Bien entendu, aucun Etat, quel qu'il soit, ne peut tolérer l'insubordination. Mais la nature totalitaire du langage d'Auriol et de Ramadier, c'est qu'ils assimilent N'IMPORTE QUEL MOUVEMENT à l'insubordination. "Parler traitements, salaires, statuts", c'est pour Ramadier un acte qui pose aussitôt le problème de l'existence ou de la non-existence de la République ! Or, c'est précisément le caractère de l'Etat totalitaire de ne faire aucune différence entre l'origine et le but des mouvements qui surgissent d'en bas. Les travailleurs en ont fait amplement l'expérience depuis septembre 1939, sous Daladier et sous Pétain.
Vis-à-vis de l'Etat bureaucratique, le droit de grève des fonctionnaires est un droit élémentaire dont dépendent les droits de toutes les autres couches travailleuses. La soumission aveugle et la perte du droit de grève pour les fonctionnaires est, en effet, le premier pas du gouvernement bureaucratique pour contraindre à la "discipline" et à la perte des droits toutes les autres couches travailleuses.
Ramadier proclame ouvertement, dans le domaine de la politique extérieure également, les principes totalitaires. Les phrases ambiguës, c'est une justice à lui rendre, ne sont pas son fait. Parlant de "l'Union française", il pose comme principe... L'ESPACE VITAL : "C'est un fait, dit-il, qu'au milieu de ce XXème siècle, une Nation de la taille traditionnelle n'a plus de vie propre et qu'elle est condamnée à n'être plus qu'un satellite, à moins qu'elle ne devienne le centre d'une nébuleuse. Les unités politiques dans le monde ne sont plus de la dimension réduite, de la taille même des Nations du XIXe siècle. C'était déjà certain au début de ce siècle ; c'est devenu maintenant une réalité évidente et définitive."
C'était précisément le but de Hitler de faire de l'Allemagne "le centre d'une nébuleuse", appelée Europe. Bien entendu, la bourgeoisie française n'avait pas attendu, pour engager le peuple français, depuis des dizaines d'années, dans des conquêtes impérialistes et pour faire dans les colonies le travail de Hitler, que celui-ci vînt au monde. Mais le changement de son ancien langage "démocratique" en un langage hitlérien montre à quel point la bourgeoisie française a besoin de submerger rapidement le peuple sous le poids de l'Etat fort et de l'idéologie impérialiste pour pouvoir poursuivre sa politique de rapines internationales, comme en Indochine.
C'est pourquoi, ce n'est pas par hasard que Ramadier demande aux travailleurs de "savoir souffrir et peiner", d'"accepter l'épreuve d'aujourd'hui dans le silence et la discipline, comme ils ont accepté l'épreuve quand nous étions sous la servitude. Nous saurons franchir l'espace qui nous sépare du retour à la prospérité...". Autrement dit, accepter la servitude d'aujourd'hui pour un bonheur futur. C'est exactement le langage que Hitler avait tenu au peuple allemand.
"Etat fort" et "espace vital" présideront à notre destin tant que la bourgeoisie détiendra le pouvoir politique et économique. Et quel peut être ce destin ? Souvenons-nous de celui de l'Allemagne.
Le conflit de la presse
A l'heure où nous écrivons, les travailleurs de la presse continuent à tenir bon. Leurs piquets de grève sont prêts à défendre avec acharnement les lieux de travail.
Ceci explique aussi pourquoi le gouvernement n'a pas fait intervenir la police, comme il l'avait fait pour la grève des rotativistes. Cette fois, il risque une collision qui pourrait mettre le feu aux poudres dans toute la région parisienne.
Ne pouvant briser la grève par la force, il reste neutre... en déclarant que la politique gouvernementale interdit toute hausse des salaires !
On comprend que le gouvernement interdise aux patrons des journaux l'augmentation des salaires ; car, en réalité, dans ce conflit, il ne s'agit pas seulement des ouvriers de la Presse, D'UNE catégorie de salariés. Le fond de la lutte n'est pas entre les catégories de salariés et leurs patrons respectifs, mais entre la classe laborieuse et la politique gouvernementale de blocage des salaires.
Pour obtenir gain de cause, les grévistes doivent donc faire capituler le gouvernement, briser sa politique de blocage des salaires. Car il y a une opposition irréductible entre l'objectif de la lutte (l'augmentation du salaire horaire, l'atténuation de l'exploitation patronale, voulues par toute la classe ouvrière), et la politique gouvernementale qui veut sauvegarder intacte l'exploitation patronale. C'est pour cela que l'enjeu des grèves, briser la politique gouvernementale de blocage des salaires en faveur du patronat, concerne, au-dessus des catégories et des corporations, toute la classe ouvrière, tous les salariés.
Les dirigeants du Syndicat du Livre le savent : un essai d'étendre le mouvement, tout au moins aux ouvriers des imprimeries du Labeur, a été fait par un tract non officiel. Mais il fut suivi aussitôt par un autre appel, publié par le "Syndicat général du Livre et des industries connexes de la région parisienne", qui s'adresse ainsi à tous les ouvriers imprimeurs : "...Pour le moment, restez calmes et disciplinés, attendez les mots d'ordre de vos organisations syndicales... Courage et confiance".
Cet appel au calme et à la discipline équivaut pratiquement à isoler la grève des ouvriers de la Presse, à les laisser seuls dans leur mouvement. D'où vient cette scission d'un mouvement qui englobe les travailleurs d'une même industrie ?
Des discussions avec les représentants syndicaux, il ressort que personne ne se fait d'illusions sur la portée des grèves fractionnées, et que les revendications de telle ou telle catégorie, qui sont en réalité celles de toute la classe ouvrière, ne peuvent recevoir une solution qu'en opposant au bloc gouvernemental la force unie de toute la classe ouvrière.
Les responsables syndicaux préfèrent cependant faire la politique de l'autruche, en essayant de consoler les ouvriers avec des formules : "Nous nous débrouillerons dans notre catégorie..." "La position de la C.G.T. c'est grignoter peu à peu chacun pour soi..." Les ouvriers connaissent les résultats obtenus jusqu'à présent par cette méthode : ce sont leurs salaires qui ont été grignotés par l'Etat. Et devant le décalage croissant entre les salaires et le coût de la vie, le "débrouillage" ne fait que camoufler ce déca-lage, et non l'atténuer.
C'est parce que les responsables syndicaux capitulent qu'ils sont obligés de donner des prétextes corporatistes aux ouvriers et de disperser ainsi leurs forces. Et c'est dans ces conditions que les responsables syndicaux du Livre, qui se targuent de leur indépendance vis-à-vis des partis, ont recommandé, sous la pression personnelle de Hénaff, le "calme" aux autres corporations du Livre qui auraient pu se solidariser avec les ouvriers de la Presse.
Les raisons qu'ils donnent : "Les métallurgistes ne nous suivraient pas, ils sont derrière Hénaff", "la C.G.T. est contre nous", ne sont que des prétextes dûs à leurs conceptions étroites. Car en réalité, comme le prouve l'exemple de l'attitude des travailleurs de chez Citroën ou Renault vis-à-vis des bureaucrates staliniens, ou l'attitude des ouvriers grévistes de la Presse vis-à-vis du "vénérable Cachin", ce ne sont pas les travailleurs du rang qui se laissent aujourd'hui intimider par les Hénaff.
Les prétextes donnés par les dirigeants syndicaux du Livre révèlent en réalité qu'ils n'ont pas le courage de mener la lutte que la situation d'aujourd'hui exige, parce que celle-ci implique une rupture complète avec leurs traditions de routine syndicale. Et comme on peut multiplier cet exemple par cent et par mille, on comprend pourquoi l'effort de millions d'ouvriers, depuis 1934, n'a pas abouti à un résultat définitif pour la classe ouvrière.
A. MATHIEU.
MM. Ramadier et Philip, dans leurs discours sur la "deuxième vague de baisse", insistent sur les faibles marges bénéficiaires des capitalistes, à tel point que, dans certains cas, "la baisse mordra sur les prix de revient". Pour toute une série de produits, ils sont même contraints (!) de renoncer à la baisse.
Mais il faudrait que MM. Ramadier et Philip nous révèlent d'abord ce qu'est au juste cette marge bénéficiaire, comment elle est calculée.
En ce qui concerne les revenus des salariés, par exemple, les choses sont simples : sur le salaire nominal de l'ouvrier, le patron commence par prélever un premier tribut d'impôts et les Assurances Sociales ; ce que le patron appelle le salaire de l'ouvrier n'est donc tout d'abord qu'un salaire nominal qu'il ne touche jamais ; avec ce qui lui reste, l'ouvrier doit satisfaire à nouveau aux exigences toujours croissantes du percepteur (impôts sur le revenu (!), sur le loyer) ; après quoi, il devra pourvoir à son entretien et à celui de sa famille, se nourrir, se vêtir, payer son loyer ; aucune fantaisie ne lui est permise, au point que les statistiques nous disent combien de fois par mois les ouvriers peuvent aller au cinéma, quelle quantité de littérature ou de journaux ils peuvent acheter, etc...
Mais l'arithmétique du patron varie du tout au tout, quand il s'agit du calcul de ses propres intérêts. En effet, comment se présente le bilan d'une entreprise capitaliste, qu'il accuse des pertes ou qu'il accuse une marge bénéficiaire ?
Sur le revenu que le travail productif des ouvriers a procuré aux capitalistes dans l'année, sont déduits : les impôts versés à l'Etat par l'entreprise, l'amortissement des machines et des matières premières, les hauts salaires des directeurs et administrateurs, plus le pourcentage qui leur est alloué sur le chiffre d'affaires, plus leurs jetons de présence, puis les tantièmes, le capital de réserve, la distribution camouflée de bénéfices sous forme d'actions gratuites (ce que font beaucoup de Sociétés, en ce moment, en distribuant par exemple deux actions gratuites nouvelles pour une ancienne), les augmentations de capital sous forme d'investissements, le paiement des dividendes sur le capital que portent les actions, alors que celui-ci a déjà depuis longtemps était restitué aux actionnaires. Après déduction de tous ces frais et faux-frais, ressort le bénéfice net ; et c'est ce bénéfice nominal calculé d'une manière aussi spéciale qu'ils nous présentent comme le revenu réel de l'entreprise.
C'est par ce système que la S.N.C.F., le Métro, les Sociétés "nationalisées", se trouvent en déficit, tandis que les actionnaires, obligataires, etc., reçoivent leurs bénéfices, et quels bénéfices !
S'ils ne disposaient pas de ce système spécial, on aurait pu se demander où sont passés les énormes bénéfices que les capitalistes ont fait pendant les années de guerre, en travaillant d'abord pour l'armée française, ensuite pour les "autorités occupantes", où sont passés les dizaines de milliards de "profits illicites" de la spéculation, les centaines de milliards sortis de la planche à billets de l'Etat, qui, personne ne l'ignore, sont allés enrichir la poignée de capitalistes possesseurs de toutes les richesses du pays.
Le comportement des magnats industriels et bancaires pendant la guerre et sous l'occupation avait déjà révélé que la classe capitaliste était étrangère et hostile à la masse de la nation, et qu'elle se nourrissait de son sang. Il aura fallu que des ministres "socialistes" et "communistes" viennent nous tenir un langage pétainiste de "communauté de sacrifices", pour qu'il soit question, au lieu de confiscation des bénéfices de guerre et des biens des monopoleurs, de lamentations sur leurs "faibles marges bénéficiaires".
Aucun contrôle économique exercé par les hauts fonctionnaires bourgeois n'est en mesure de contrôler les prix de revient ou les opérations financières des gros monopoleurs qui ont tous les leviers de commande entre leurs mains, de surveiller leurs relations avec les banques internationales qu'ils utilisent pour déplacer des fonds d'un pays à l'autre, exporter des capitaux, etc...
C'est pourquoi les marges bénéficiaires des capitalistes peuvent apparaître faibles, tout en se soldant par milliards dans la réalité. Et l'Etat, charitable, accourt à leur service par des subventions, telle encore la nouvelle subvention de 60 milliards qui a été accordée aux gros capitalistes pour réaliser la manoeuvre politique de la baisse, et qui se soldera donc par une augmentation de l'inflation, encore et toujours au bénéfice des capitalistes.
La classe ouvrière organisée est seule en mesure de démasquer la démagogie gouvernementale des "faibles bénéfices" du Grand Capital, de dévoiler le véritable rôle parasitaire du patronat dans la production et la part que celui-ci s'approprie dans le revenu national. Il n'y a pour cela qu'un moyen : lutter pour l'abolition du secret commercial et l'ouverture des livres de compte des capitalistes qui, d'un côté, gaspillent d'immenses revenus et, d'un autre côté, prétendent ne pas pouvoir satisfaire aux revendications des travailleurs.
– Il paraît que vous allez vous mettre en grève le 27...
Premier délégué. – Ce n'est pas tout à fait cela. Comme nos camarades de la Presse, nous avons posé la revendication des 25%. Les patrons nous ont demandé un délai jusqu'au 27 février. Nous connaîtrons donc le 27 leurs propositions.
– Après, vous vous mettrez en grève ?
Le même. – Je n'en sais rien. Il se peut qu'on obtienne satisfaction.
– Comment pouvez-vous espérer une telle chose, puisque les ouvriers de la Presse n'ont rien obtenu jusqu'à présent ?
Le même. – Oui, mais nous, nos salaires n'ont jamais été homologués à l'Officiel ; on essaie d'obtenir un accord en ne s'occupant pas du gouvernement et des décrets.
– Comment peux-tu dire une chose pareille, puisque tu sais que le gouvernement a interdit toute augmentation sous peine de sanctions. Les patrons se retranchent derrière le gouvernement pour ne rien donner.
Le même. – Ce n'est pas seulement ma position que je te dis là. C'est l'avis de tout le Syndicat. La position de la C.G.T., maintenant, c'est de grignoter peu à peu, chacun pour soi.
Un autre. – Chez nous, le patron était décidé, dès le déclenchement de la grève de la Presse, à nous donner satisfaction. C'est le gouvernement qui ne veut pas. Ce qu'il faudrait, c'est un mouvement général dans toutes les boîtes, pas seulement dans le livre, pour obliger le gouvernement à céder.
– La grève générale... Il faudrait ne pas se cantonner dans des mouvements partiels ou des revendications particulières, puisque, en somme, il s'agit d'une seule et même revendication, le minimum vital.
Un troisième. – La métallurgie ne marcherait pas. On nous calomnie, on parle de nos hauts salaires, ils sont dressés contre nous.
– Qui vous empêche de lutter contre cela ? Vous êtes une corporation qui dispose justement de moyens de diffusion. Qui vous empêche de renseigner les ouvriers de la métallurgie, de faire appel à leur solidarité ?
Le même. – C'est vrai, rien n'a été fait. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, c'est la direction qui est pourrie. Ainsi, il aurait dû être tiré une feuille commune. Cela n'a pas été fait.
– Le Comité de grève a proposé que le Peuple paraisse. Le Bureau Confédéral a refusé. Par solidarité pour qui ? Cela ne s'est jamais vu que dans une grève, on ne fasse pas paraître les organes de défense des ouvriers.
Un autre. – Oui, mais le Peuple n'aurait pas eu de papier. C'est la S.N.E.P. qui détient le papier, elle aurait refusé de le livrer.
Le premier. – Le Peuple aurait pu paraître trois ou quatre jours au plus.
– Cela aurait permis de mettre les choses au point et de démasquer la S.N.E.P. Mais vous auriez trouvé le papier. Le Comité de grève a bien fait appel aux ouvriers des Messageries pour refuser de diffuser les journaux étrangers. Il aurait de la même manière pu faire appel aux ouvriers du papier pour qu'ils le livrent.
Le premier. – Mais alors, c'est la prise du pouvoir...
– Il ne s'agit pas de savoir si c'est ou non la prise du pouvoir. Il s'agit de faire ce qu'il est nécessaire de faire pour que le mouvement triomphe. Tout le monde est d'accord pour souhaiter la grève générale. Alors, pourquoi ne faites-vous pas appel dans ce sens ?
Tous se trouvent d'accord pour la grève générale, mais un délégué objecte :
– Ce qu'il aurait fallu, c'est que la métallurgie se mette en mouvement en premier ; nous, on n'a pas les reins assez solides pour tenir longtemps une grève. Mais les métallurgistes ne voient que par leur Syndicat. Hénaff a dit qu'ils ont tous les ouvriers derrière eux. Nous avons peut-être tort de nous retrancher dans notre tour d'ivoire ; mais au moins, cela nous a permis de rester indépendants, de nous soustraire à l'emprise de la direction inféodée au P.C.
– D'abord, dans la métallurgie, la situation n'est plus la même. Avant, les ouvriers avaient peur de la direction syndicale qui fait du mouchardage... Maintenant, ils ne se laissent plus intimider. Mais vous devriez justement profiter de votre situation privilégiée, du fait que vous êtes indépendants en tant qu'organisation, pour lancer un appel aux ouvriers métallurgistes. Dans la métallurgie aussi, on souhaite la grève générale. Mais, parce que la direction les trahit, ils n'osent pas prendre l'initiative de déclencher cette grève. Ils attendent que quelqu'un en donne l'ordre. Or, vous savez bien que dans toutes les grèves générales précédentes, ce n'est jamais la C.G.T. qui a donné l'ordre. Elle a toujours été débordée par le mouvement. A vous de commencer le mouvement.
Le premier délégué. – Oui, mais il y a les classes moyennes qui croient à la baisse, si les ouvriers n'y croient pas. Et alors, on les dressera contre les ouvriers. C'est le fascisme.
– Et vous voulez éviter cela en ne faisant pas la grève générale. Mais justement parce que les ouvriers voient que la baisse est une illusion, vous savez bien qu'ils continueront à faire grève, corporation par corporation. Et c'est alors que le gouvernement pourra les rendre responsables, aux yeux des petites gens, de l'anarchie. Les ouvriers se feront battre séparément, chacun dans son coin, jusqu'à ce que vienne l'homme providentiel pour rétablir l'ordre. La grève générale, quel qu'en soit le prix, sera de toute façon moins coûteuse pour la classe ouvrière. Et ce n'est qu'en démasquant la vérité sur les 5% qu'on pourra renverser l'attitude des classes moyennes. Vous engagez un combat, mais vous ne voulez pas vous servir des armes qui vous assureraient la victoire.
Un très grand mécontentement règne parmi la classe ouvrière. Chez Renault, il s'exprime par des protestations et quelques débrayages partiels. Certains secteurs réclament une meilleure répartition de la prime au rendement (Collas), d'autres protestent contre l'insuffisance du boni, les ouvriers de l'entretien, eux, réclament une augmentation en fonction de la production générale. Pour différentes qu'elles soient, ces revendications se ramènent à une seule : l'augmentation des salaires. Car il s'avère qu'avec nos payes misérables, il est absolument impossible de vivre et que tout en travaillant dix heures par jour, une grosse partie d'entre nous est réduite à la misère.
Notre salaire devait augmenter avec la production. A la Régie, en décembre 1945, le salaire moyen d'un ouvrier était de 6.410 francs par mois alors que nous faisions 45 heures par semaine. La production moyenne journalière est passée de 66,5 en décembre 45 à 166 en novembre 1946. Si notre salaire avait été augmenté en fonction de la production, compte tenu de l'augmentation du personnel, c'est entre 15.000 et 16.000 francs que devrait être situé le salaire moyen d'un ouvrier. Au lieu de cela, y compris la dérisoire prime de 2 francs de l'heure, il ne dépasse guère 8.000 francs alors que nous faisons au minimum 48 heures. En nous invitant à produire, on nous a donc trompés pour mieux nous voler.
Pour arriver à joindre les deus bouts, nous avons été obligés d'augmenter le nombre d'heures de travail et notre cadence. Mais aujourd'hui que nous avons atteint à peu près le maximum tant au point de vue cadence (puisque de 118 et 120% nous sommes passés à 130 et 135%) qu'au point de vue durée du travail (puisque de 45 heures nous arrivons à 54 heures, 60 heures et plus), notre salaire se révèle malgré tout insuffisant et nous n'avons plus aucun moyen de l'augmenter.
C'est pourquoi le mécontentement grandit, c'est pourquoi, en absence d'une revendication générale, puisque le minimum vital ne vient jamais, chacun cherche une combine pour augmenter son salaire en réclamant tantôt une prime, tantôt une augmentation de boni, tantôt la révision d'un chronométrage, tantôt le passage dans une catégorie supérieure.
Dans son bulletin nº 21, M. Lefaucheux nous prévient qu'il ne pourra pas nous augmenter, car "nos prix de revient n'équilibrent que de justesse nos prix de vente", dit-il. Mais alors à quoi cela sert-il de travailler si, par notre travail, nous l'obtenons pas un salaire qui nous permette de vivre. Comme le disait un ouvrier : "La Juvaquatre ou la 4 CV, ce n'est pas le but de ma vie, car je sais que je ne pourrai jamais m'en payer. Si je construis des voitures, c'est pour gagner ma vie. Si mon travail ne me permet pas de vivre, au diable les automobiles ! "
Mais ce n'est pas l'avis de M. Lefaucheux et des actionnaires qui voudraient nous voir mourir pour que vive la 4 CV. Donc, malgré les plaintes de M. Lefaucheux, les ouvriers revendiquent des augmentations à l'encontre de la C.G.T. qui fait tout pour paralyser les mouvements. Mais chacun bataille séparément pour des revendications temporaires le plus souvent dérisoires. Il est même des ouvriers qui pensent qu'on a plus de chance d'obtenir quelque chose si on agit isolément, car le patron cédera plus facilement à des revendications isolées qu'à une revendication générale.
Serions-nous tombés si bas que l'on puisse fouler au pied tout sentiment de solidarité ? Et puis, que peut-on obtenir par le "débrouillage" ? Une prime de 20 sous ? Est-ce cela qui améliorera notre situation quand ce sont des dizaines de francs qu'il nous manque ?
C'est d'ailleurs justement ce que le patronat, appuyé par la C.G.T., voudrait nous faire admettre : nous payer avec des primes qu'on peut supprimer à tout instant, nous donner quelques "avantages" pour éviter de satisfaire à nos revendications de salaires.
On nous présente souvent les "avantages" des oeuvres sociales (cantines et autres). Mais les oeuvres ne sont-elles pas une forme de charité ? N'est-il pas scandaleux que des ouvriers qui travaillent 10 heures par jour soient obligés de prendre leurs repas à ces soupes populaires qu'on nomme cantines d'usines ?
Sous prétexte qu'on nous sert un repas à bon marché, on nous achète notre force de travail trois fois moins cher qu'en 1938.
Nous devons unifier notre lutte autour de la revendication que la C.G.T. a été obligée de mettre en avant sous la pression des ouvriers, mais qu'elle sabote dans la réalité : le salaire minimum vital. Car même si la direction pourrie de la C.G.T. a fixé ce salaire à 7.000 francs, alors qu'elle reconnaît que 9.000 francs est le minimum qu'un ouvrier devrait toucher pour ne pas tomber malade, le principe du salaire minimum vital doit être notre revendication principale.
La bourgeoisie ne veut pas nous donner ce salaire minimum vital, car elle veut garder la possibilité de toujours diminuer notre standard de vie. Quand les ouvriers les plus mal payés revendiquent, le gouvernement répond : il faut sauvegarder la hiérarchie des salaires. Quand ce sont les mieux payés qui revendiquent, la réponse du gouvernement est : nous ne pouvons qu'augmenter les salaires anormalement bas. Or, les anormalement bas représentent actuellement la grosse majorité de la classe ouvrière. La bourgeoisie et son Etat sont pratiquement incapables d'assurer un salaire vital aux ouvriers, car le seul moyen serait qu'ils se frappent eux-mêmes en réduisant leurs bénéfices. Ce qu'ils ne feront jamais.
C'est pourquoi nous devons exiger par l'action un salaire vital. Si le but d'un Lefaucheux c'est d'assurer le triomphe de la 4 CV ; si le but de l'Etat c'est de fabriquer des produits qui se vendent à l'étranger, en un mot, si le but des capitalistes est de faire trimer les travailleurs pour s'assurer des bénéfices, notre but à nous c'est de vivre. Revendiquer le salaire minimum vital, c'est, d'une part, nous assurer une existence matérielle décente et, d'autre part, imposer le respect aux patrons qui vivent de notre travail.
VAUQUELIN
L'économie mondiale, entièrement désorganisée par la guerre, n'arrive pas à se relever. Dans chaque pays, les capitalistes présentent le relèvement économique comme étant lié directement aux efforts et aux sacrifices des masses : efforts et sacrifices que les capitalistes "vainqueurs" "demandent", sous forme de devoir envers la patrie, à leur propre peuple et qu'ils exigent, à titre de réparations, c'est-à-dire de revanche, de la part des peuples "vaincus".
De cette façon, pour ménager leurs intérêts égoïstes de classe, ils posent exactement le problème la tête en bas. Car la production dépend de "la combinaison des facteurs mécaniques et des facteurs humains et ces derniers sont les plus importants", selon l'expression de M. Will Lawther, trade-unioniste anglais, au sujet de la crise charbonnière. Or, si la crise du charbon sévit actuellement en Angleterre, cela est dû, en grande partie, à une mauvaise gestion des capitalistes qui ont laissé volontairement s'épuiser les stocks, mais surtout aux conditions de travail terribles qui règnent dans les mines, véritables geôles pénitentiaires. Et "on n'attirera pas les travailleurs à la mine avec des discours, de la musique ou de la philosophie : il faut simplement améliorer les conditions de ces hommes", tel est "simplement" le remède que donne à la crise charbonnière actuelle en Angleterre (pays riche en mines) le même M. Lawther.
Ce qui est vrai pour le prolétariat d'Angleterre (l'une des nations "victorieuses" dans la dernière guerre), l'est à plus forte raison pour le prolétariat de tous les autres pays d'Europe victimes de la guerre, en particulier le prolétariat allemand. Or, la plupart des mineurs de la Ruhr vivent dans des caves, tels des troglodytes en plein XXe siècle dans le pays le plus fortement industrialisé d'Europe en 39, se nourrissant de soupe aux pommes de terre et aux choux et sont vêtus de lambeaux. C'est de ces hommes, vivant dans la misère la plus sordide, la plus débilitante que l'on exige des journées de travail de 10 heures et plus. On comprend que la main-d'oeuvre fasse défaut (les maladies, la mort devant la décimer à une cadence très forte) et que la production de ce charbon, que tous réclament, soit faible.
DAN
Extrait du Socialist Appeal, organe du R.C.P. anglais (IVème Internationale) Chers camarades, De retour de la Ruhr, je veux essayer de vous donner une impression de la vie là-bas, aujourd'hui. Je dis "essayer", car il est presque impossible d'imaginer la ruine et la misère qu'il y a, sans la voir réellement. Tout d'abord, je dois réfuter la suggestion faite dans certains journaux (par exemple dans le Daily Worker) disant que les reportages alarmants de la presse capitaliste sont exagérés. Au contraire, les conditions dans la zone britannique aujourd'hui, 18 mois après la fin de la guerre, sont absolument effrayantes et vont de pire en pire. Naturellement, ce sont les travailleurs qui supportent le pire (comme toujours), car, contrairement aux riches, ils sont incapables de se procurer la nourriture, les vêtements, etc..., aux sources du marché noir, à des prix stupéfiants. Par exemple, une livre de beurre coûte 4 à 5 fois ce que gagne en moyenne un ouvrier par semaine. La ration nominale de 1.550 calories est à peine obtenue et tout le monde est affamé, particulièrement les enfants. Les repas sont très misérables, consistant surtout en une soupe aux choux et pommes de terre avec un morceau de pain sec, si on a pu en obtenir un peu, ce qui n'est pas souvent possible. Récemment, au cours d'une crise grave, j'ai connu des femmes faisant 160 et 225 km. pour s'approvisionner en pain et en farine plutôt que de se geler dans les queues interminables durant 10 heures par jour pour rien. Evidemment, de toutes façons, la majorité ne pouvait faire cela et était obligée de se passer d'une bonne partie de leurs misérables rations type Belsen. Un de mes amis, survivant à 2 années de camp de concentration d'Hitler, exprimait cela ainsi : "Quand finirons-nous de recevoir des calories et recevrons-nous en échange quelque chose à manger ?" Avec la dévastation terrible des bombardements, le logement, au sens civilisé de ce mot, existe à peine. Un grand nombre de gens vivent dans des taudis horribles et malsains, dans des caves, des abris en plein air ou des hangars construits avec les débris des bombes. Il est courant de trouver 8 à 9 personnes n'ayant qu'une pièce pour vivre. En face de cette misère, les évictions au bénéfice des femmes du B.A.O.R. sont amèrement ressenties par les Allemands et vues avec une grande indignation par la plupart des soldats britanniques. L'habillement, en particulier les chaussures, même pour les plus chanceux, atteint sa limite d'usage, et ne peut être remplacé, car les personnes adultes n'ont pas de bons et même les enfants avec des certificats d'urgence pour raisons médicales sont classés dans une longue liste d'attente. La majorité des enfants ne porte que des mauvaises chaussures et il est très difficile de les réparer étant donné le peu de matériel. Un grand nombre n'a pas de chaussures du tout. Il est impossible aux mères d'obtenir les articles élémentaires tels que les couches pour leurs bébés, et le don d'un morceau de savon anglais est reçu avec une vive reconnaissance, car la ration est très maigre et la qualité particulièrement mauvaise pour la peau tendre des jeunes bébés. Pour le combustible, personne n'est approvisionné chez ces habitants d'un pays le plus riche en terrains houillers, et vraiment il est même rare de voir une cheminée d'usine fumant. Bref, le seul contraste existant dans ce tableau de désolation est la condition du personnel britannique, dans les établissements duquel il y a abondance de tout : nourriture, réception, habillement, lumière et chaleur. ET DES BALLES ! Car la mitrailleuse est la réponse que le gouvernement "socialiste" de Sa Majesté se prépare à donner aux travailleurs allemands qui demanderont du pain pour le simple droit humain à la vie. Mais la classe ouvrière anglaise doit demander la fin de cette infâme politique impérialiste qui est appliquée par les cyniques bureaucrates du Parti Travailliste au nom des travailleurs anglais. Nous ne devons pas permettre que l'on utilise les travailleurs anglais pour maintenir dans l'asservissement leurs frères de classe allemands. Nous devons demander le retrait immédiat des troupes d'occupation, afin que les travailleurs allemands puissent déterminer leur propre destinée. En dépit des longues années de trahison et de direction erronée des sociaux-démocrates et des staliniens, en dépit du régime de terreur d'Hitler, les travailleurs allemands possèdent encore cette puissante volonté révolutionnaire pour le socialisme qui leur donna la force d'écrire des chapitres si épiques et si tragiques dans l'histoire de la lutte de classes après la première guerre mondiale ; et, libérés de l'asservissement des Alliés, ils se joindront à nous dans cette "dernière lutte" de l'"Internationale" --la lutte pour les Etats unis socialistes d'Europe et du Monde. |
CHEZ CITROEN
Les usines Citroën sont connues pour leurs conditions de travail particulièrement mauvaises, leurs salaires très bas et leurs temps poussés au maximum (plus haut que dans aucune autre usine). Malgré cette exploitation intense de la main-d'oeuvre, la carence du syndicat est complète, comme partout ailleurs.
Dans la deuxième semaine de février, les ouvriers de Citroën-Saint-Ouen ont débrayé pour obtenir une augmentation de 5 francs de l'heure et l'amélioration des conditions de travail.
En apprenant ce mouvement de grève de leurs camarades, les ouvriers de Citroën-Grenelle se sont solidarisés. Le patron a essayé de mettre fin au conflit en promettant une augmentation de 3,20 frs. et les délégués cégétistes, qui étaient contre la grève dès le début, sont tombés facilement d'accord pour que les ouvriers acceptent les 3,20 frs. et reprennent le travail. Mais les ouvriers ne l'entendaient pas du tout ainsi et ils ont continué la grève sous forme de grève perlée (1/2 heure par heure).
Le secrétaire syndical convoqua, malgré tout, une assemblée générale pour essayer de convaincre les ouvriers qu'une augmentation plus forte était impossible (!) et que le plus sage était de reprendre le travail. Mais les ouvriers, persuadés du contraire, accueillirent toutes ses paroles par des huées, si bien que le "responsable", excédé, finit par s'écrier : "Ceux qui sont si malins n'ont qu'à venir avec moi à la Direction !" (croyant sans doute que les ouvriers avaient sa propre mentalité de chien battu, il s'imagina leur lancer un défi par cette proposition qu'il aurait dû, en réalité, leur faire dès le début). "On y va", répondirent, sur le champ, plusieurs ouvriers et une nombreuse délégation alla trouver le patron. La pression des ouvriers obligea la direction à céder, en leur accordant une augmentation de 4, 80 frs. de l'heure ainsi que certains avantages dans les conditions de travail.
Cependant le secrétaire général n'ayant pas réussi à "calmer" les esprits, ce fut Hénaff, l'extincteur patronal d'incendies grévistes, qui arriva, le lendemain, avec trois autres bonzes syndicaux, en auto, dans la cour de l'usine de Grenelle. Les ouvriers, devinant sans peine les raisons de cette visite, exprimèrent leur méfiance : "Si l'auto du syndicat peut entrer dans l'usine, c'est qu'ils sont tous d'accord avec le patron. Ce sont des traîtres !" Hénaff, qui voulait débiter son discours, ne put pas dire une phrase sans être interrompu. Des ouvriers, qui avaient assez des discours, voulurent se faire entendre un peu à leur tour. Ils s'avancèrent vers le micro pour prendre la parole. C'en était trop pour les bonzes, qui leur arrachèrent le micro. Ce geste ignoble provoqua l'indignation générale et de violentes protestations : "C'est ça, la démocratie !", etc... L'exaspération était telle que quelques ouvriers s'approchèrent de la voiture pour la renverser. Hénaff s'affola : "Camarades, vous ne pouvez pas faire cela. C'est vous qui l'avez faite, cette voiture. Vous ne pouvez pas la démolir"... (nombreux éclats de rire et injures)...
En attendant, Hénaff qui n'a pas pu se faire entendre, aura bien été obligé de s'apercevoir que les ouvriers ne veulent plus se rendre aux raisons de ces gardes-chiourme qui s'appellent à tort des "responsables syndicaux".
CHEZ RENAULT
Depuis le début de février, le mécontentement des ouvriers au sujet de l'attribution d'une prime à la production, remplaçant l'ancienne participation aux bénéfices, était général dans l'usine Renault. De nombreux incidents avaient eu lieu entre ouvriers et délégués syndicaux, ces derniers refusant de prendre en considération les protestations des ouvriers. Et un certain nombre d'ouvriers n'attendaient que la prochaine réunion syndicale pour pouvoir intervenir et obliger les délégués à prendre position.
La réunion eut lieu le 13 février. Le responsable local commença par prendre la parole pour justifier la faillite de toutes les revendications jusqu'à ce jour. Ce qui provoqua aussitôt l'intervention de plusieurs ouvriers en contradiction qui en profitèrent pour donner leur point de vue, à eux, sur la prime et sur les salaires. A un moment donné, alors qu'un ouvrier était en train de parler, le citoyen Plaisance, secrétaire général de la C.G.T. chez Renault (qui se trouvait dans la salle) se leva brusquement pour intervenir dans le débat. Des ouvriers protestèrent : "La parole est au camarade, il faut laisser parler le camarade." Mais Plaisance voulut dominer leurs protestations et commença : "Il apparaît qu'ici on veut empêcher de parler la C.G.T. (la C.G.T. c'est donc lui). Ici, il apparaît qu'on fait de la démagogie..." A ce mot démagogie, un ouvrier se lève en disant : "On a compris. Camarades, la séance est levée."
C'est alors que la plus grande partie des ouvriers s'en allèrent, laissant Monsieur Plaisance s'expliquer devant un auditoire de 13 personnes dont une bonne moitié était écoeurée de l'attitude du petit dictateur. Il dut terminer son exposé devant huit auditeurs.
M. Plaisance est de ces bureaucrates qui s'imaginent toujours pouvoir traiter les ouvriers comme de petits garçons. Mais ceux-ci ont montré qu'ils n'étaient pas décidés à s'en laisser imposer en répondant à ses insultes par le plus grand mépris.
Depuis le début de février, le mécontentement des ouvriers au sujet de l'attribution d'une prime à la production, remplaçant l'ancienne participation aux bénéfices, était général dans l'usine Renault. De nombreux incidents avaient eu lieu entre ouvriers et délégués syndicaux, ces derniers refusant de prendre en considération les protestations des ouvriers. Et un certain nombre d'ouvriers n'attendaient que la prochaine réunion syndicale pour pouvoir intervenir et obliger les délégués à prendre position.
La réunion eut lieu le 13 février. Le responsable local commença par prendre la parole pour justifier la faillite de toutes les revendications jusqu'à ce jour. Ce qui provoqua aussitôt l'intervention de plusieurs ouvriers en contradiction qui en profitèrent pour donner leur point de vue, à eux, sur la prime et sur les salaires. A un moment donné, alors qu'un ouvrier était en train de parler, le citoyen Plaisance, secrétaire général de la C.G.T. chez Renault (qui se trouvait dans la salle) se leva brusquement pour intervenir dans le débat. Des ouvriers protestèrent : "La parole est au camarade, il faut laisser parler le camarade." Mais Plaisance voulut dominer leurs protestations et commença : "Il apparaît qu'ici on veut empêcher de parler la C.G.T. (la C.G.T. c'est donc lui). Ici, il apparaît qu'on fait de la démagogie..." A ce mot démagogie, un ouvrier se lève en disant : "On a compris. Camarades, la séance est levée."
C'est alors que la plus grande partie des ouvriers s'en allèrent, laissant Monsieur Plaisance s'expliquer devant un auditoire de 13 personnes dont une bonne moitié était écoeurée de l'attitude du petit dictateur. Il dut terminer son exposé devant huit auditeurs.
M. Plaisance est de ces bureaucrates qui s'imaginent toujours pouvoir traiter les ouvriers comme de petits garçons. Mais ceux-ci ont montré qu'ils n'étaient pas décidés à s'en laisser imposer en répondant à ses insultes par le plus grand mépris.
MANIERE DE CALCULER
Les ouvriers de l'entretien ont débrayé pour demander que leurs salaires soient majorés en fonction de la production.
Un ouvrier dit: "Vous réclamez une augmentation basée sur la production, c'est de la blague, il faut réclamer une augmentation sur le taux de base. Moi, je ne connais qu'une chose : officiellement l'indice des prix de 1938 est multiplié par 8, pratiquement c'est par 12 et 13. Il n'y a pas de raison que notre salaire ne soit pas augmenté dans les mêmes proportions.
– Ces prix-là sont les prix du marché noir et les prix taxés sont augmentés dans de moins fortes proportions.
– Il n'y a pas de marché noir. Le marché noir, c'est le marché légal et on a taxé quelques prix pour nous donner l'illusion que la vie n'est pas aussi chère qu'on veut bien le dire et nous empêcher de revendiquer.
– Mais le pain, les transports ?
– Si le pain et les transports ainsi que d'autres produits sont moins chers, c'est qu'ils reçoivent des subventions de l'Etat, et en fait l'argent que nous ne donnons pas au boulanger, nous le donnons à l'Etat sous forme d'impôts ; en fin de compte, c'est toujours nous qui payons.