1943 |
Document dactylographié, 3 pages Avril 1943 |
document dactylographié avril 1943
Rapport de mi-avril 1943
I. La situation militaire
Le passage à l'offensive des Anglo-Américains coïncide avec un affaiblissement considérable de l'Allemagne et de ses alliés européens. Cet affaiblissement est la conséquence directe de l'avance de l'Armée Rouge pendant l'offensive d'hiver, avance facilitée elle-même par la lutte menée en Europe par la classe ouvrière et les masses populaires contre l'impérialisme. Mais cette lutte révolutionnaire a été et est constamment détournée par les organisations ouvrières et par les impérialistes alliés vers des buts non-révolutionnaires, impérialistes.
Dans ces circonstances, le développement futur de la guerre, en absence de tout changement politique révolutionnaire sur le globe entier, mène non seulement à un écroulement militaire des puissances de l'Axe, mais ouvre aussi la possibilité d'une victoire impérialiste anglo-saxonne. L'offensive alliée a été déclenchée après que l'État-major allemand eut contenu l'offensive soviétique d'hiver et même repris Kharkov. Les alliés veulent vaincre non pas avec l'URSS, mais contre l'URSS; ils seront les "alliés" de celle-ci tant que ce sera néccessaire pou leurs plans militaires. De toute façon, suivant leurs plans, l'URSS ne doit pas sortir fortifiée des luttes gigantesques qu'elle a mené et mène contre l'impérialisme allemand.
II. La propagande alliée et la guerre
Du point de vue militaire la guerre est arrivée à son point critique. L'Axe vient de subir des revers considérables et les perspectives d'avenir sont pleines de dangers. Ainsi se crée une situation de plus en plus favorable pour la lutte pratique contre la machine de guerre de l'impérialisme allemand et italien. Cette lutte doit être constamment renforcée sous tous ses aspects. Mais idéologiquement le danger que nous n'avons pas cessé de combattre en premier lieu, est la propagande alliée qui sème des illusions au sein des masses exploitées par l'impérialisme allemand.
Le rôle de la propagande impérialiste alliée c'est de maintenir les masses dans le sillage des armées de "libération", leur faire consentir des sacrifices toujours plus grands au nom de cette "libération"; mais en fait ces armées poursuivent un double but, d'égale importance : vaincre leurs adversaires impérialistes et étouffer la révolution prolétarienne qui pourrait surgir à l'occasion de l'écroulement militaire des puissances de l'Axe. Le changement du programme wilsonien (droits des nations, etc.) de la Charte de l'Atlantique en un programme versaillais (occupation des pays vaincus, sphères d'influence, etc.) éclaire parfaitement les plans impérialistes des bourgeoisies anglaise et américaine, auxquelles sont assujettis les "gouvernements" dits nationaux des différents pays européens, réfugiés à Londres.
III. L'URSS et l’Internationale "Communiste"
Ayant rompu avec l'internationalisme de Lénine depuis le pacte Staline-Laval (Mai 1935) la bureaucratie dirigeante de l'URSS a mis la 3e Internationale à la remorque de la bourgeoisie des pays "alliés" à l'URSS. Ainsi la classe ouvrière se trouva-t-elle dans la présente guerre sans direction révolutionnaire, tout comme dans la première guerre impérialiste. Le rôle de la 3e Internationale dans la présente guerre a été prévu et expliqué longtemps à l'avance par les partisans de la 4e Internationale (thèses sur la guerre, 1934). Il faut cependant apporter une légère correction à une hypothèse de Trotsky sur la manière dont l'I[nternationale] C[ommuniste (IC)] se mettrait au service de la bourgeoisie impérialiste au cours du deuxième conflit impérialiste mondial. Trotsky pensait que "les P[artis] C[ommunistes] de tous les pays soutiendront leur propre pays comme le fit la social-démocratie dans la dernière guerre" (1937). La guerre a montré que la 3e Internationale dégénérée ne se transforma pas en une série de partis nationaux reliés directement à la bourgeoisie, resta un parti non pas inter-nationaliste, mais supra-national lié à l'existence de la bureaucratie soviétique. L'importance de l'existence de l'URSS en tant qu'économie planifiée doit être clairement comprise par l'avant-garde ouvrière. Non seulement au point de vue économique 1/6 du globe échappe au contrôle de l'impérialisme, ce qui a pour conséquence son affaiblissement et l'exacerbation des contradictions inter-impérialistes. Du point de vue politique les contradictions entre la bourgeoisie mondiale et la bureaucratie soviétique (en tant que cette dernière est dépendante de l'économie planifiée) obligent les différentes sections de l'IC à une attitude de louvoiement entre la classe ouvrière et la bourgeoisie, qui peut ouvrir certaines possibilités à l'avant-garde révolutionnaire.
IV. Le mouvement ouvrier en Europe
Toutes les ressources humaines et matérielles de l'Europe étant subordonnées à la machine de guerre italo-allemande, les possibilités révolutionnaires du mouvement ouvrier doivent être considérées sur un plan européen. Dès Novembre 1940 nous avons insisté sur cet aspect de la lutte ouvrière en Europe dans le présent conflit. Prendre le mouvement ouvrier européen comme un tout signifie que ce qui constitue, à un moment donné, un moins pour la classe ouvrière d'un pays peut constituer un plus pour l'ensemble du mouvement. Ainsi, la déportation en Allemagne a privé la classe ouvrière des pays occupés de ses éléments les plus jeunes et les plus actifs. En revanche, 8 millions de ces éléments transportés en Allemagne sous la pression des nécessités militaires, ont créé dans ce pays une situation sans précédent pour la lutte révolutionnaire. En cas de conflit ouvert entre la bourgeoisie et le prolétariat en Allemagne, à la faveur d'une crise militaire par exemple, les ouvriers déportés se trouveront tout naturellement soudés à la lutte menée par les ouvriers allemands contre leur bourgeoisie. Un nombre considérable de prisonniers de tous les pays se trouvant dans les camps allemands se rallieront à la lutte des ouvriers qui les auront libéré. Ainsi, l'union des ouvriers de tous les pays dans une lutte commune peut être facilitée par les mesures mêmes qui doivent l'anéantir.
Il ne faut donc aucunement attendre passivement que le mouvement ouvrier commence ailleurs (Allemagne, Balkans, etc.) parce qu'en France la classe ouvrière a été décimée par les déportations: l'Europe est un immense dépôt de poudre où il suffit d'une étincelle révolutionnaire sur n'importe quel point du continent pour que la révolution prolétarienne s'étende aux endroits les plus favorables à cette lutte. Toute notre activité doit donc tendre non seulement à un travail de préparation mais doit embrasser toutes les formes de l'activité révolutionnaire dans le but d'une liaison rapide avec les masses ouvrières, en vue de la lutte.
V. Perspectives et tâches
La nécessité d'une rapide liaison avec les masses exploitées découle du point critique atteint par le 2e conflit impérialiste mondial. En étendue et en profondeur la guerre a tout absorbé, hommes et richesses. C'est en Europe que cet état de choses se fait le plus durement sentir, c'est en Europe que le bouleversement apporté par la guerre a été le plus grand, c'est en Europe que relativement la chute du niveau de vie a été le plus sensible. Quoique la tâche principale reste la formation de cadres dans le plus bref délai, il faut par conséquent intensifier l'activité de nos liaisons vers les masses, notamment celle des sympathisants, qui auront ainsi un stimulant pour leurs études théoriques.
L'orientation vers les masses implique tout d'abord l'habitude de l'agitation politique : celle-ci consiste non pas en la diffusion de notre programme, mais en l'utilisation des faits, des déclarations, des mesures de la bourgeoisie dans les pays alliés ou de l'Axe dans le but de dévoiler la véritable nature de l'impérialisme et de tracer une ligne de défense prolétarienne. Il faut en second lieu apprendre à faire la liaison entre les masses ouvrières et les différents organismes de l'organisation, pour que l'activité dirigée de notre groupe corresponde aux nécessités des luttes ouvrières. Notamment, il faut obtenir pour le journal des renseignements capables d'orienter celui-ci. Une partie importante de la jeunesse ouvrière française se trouvant en Allemagne, il faut obtenir des renseignements précis sur son activité et sur la situation de là-bas. Il faut questionner là-dessus, en absence de correspondants directs, tous les ouvriers qui reviennent d'Allemagne et établir des liaisons avec ceux qui y partent ou y repartent, Il faut s'habituer dès maintenant à mobiliser les masses pour des tâches partielles en commençant par la mobilisation de toutes nos liaisons dans les masses pour la solidarité (soutien financier du journal, aide aux emprisonnés, aide aux ouvriers traqués, etc.).
Dans l'exécution de ces tâches tirer en temps utile toutes les leçons qui peuvent servir à l'éducation de l'organisation. De l'expérience accumulée dans ce domaine il se dégagera ainsi dans la prochaine période une expérience théorique et pratique accrue, qui permettra à l'organisation d'étendre considérablement le champ encore très restreint de son activité.