Written: 1988
Published: 1988
Source: Politique Internationale No. 42, hiver 1988, pp. 165-184
Digitalisation: New York Public Library
Proof-reading: Vishnu Bachani
HTML: Vishnu Bachani
Hélène Da Costa[*] — Monsieur le Président, quels sont les principaux acquis de la Révolution [1]?
Mengistu Haïlé Mariam[**] — Avant la Révolution, l'Éthiopie ne disposait d'aucune structure, notamment dans le domaine politique. Depuis lors, nous avons créé un Parti des Travailleurs Éthiopiens qui dirige le pays, puis une République démocratique d'Éthiopie [2]. La Révolution démocratique a été le fruit des efforts conjugués des démocrates, des socialistes, des communistes, des nationalistes, des paysans, des travailleurs, des intellectuels, des militaires; elle a libéré notre peuple de l'oppression imposée par un système féodal [3]. Mais pour répondre de façon plus précise à votre question, je dirai que la mesure la plus importante prise dans le cadre de notre programme national-démocratique a été la réforme agraire [4]. Dans un pays où la population est composée à 90 % de paysans, nous avons résolu un problème primordial en donnant la terre à ceux qui la travaillent. Notre seconde grande victoire concerne l'analphabétisme, dont nous avons fait chuter le taux au sein de la population de 93 à 29 %. J'ajoute que bon nombre des personnes autrefois analphabètes sont aujourd'hui des professionnels qui ont fait leurs études à l'université. Pour compléter ce bilan, il faut également souligner les succès remportés sur les plans économique et social, en particulier dans la lutte contre les catastrophes naturelles, ou dans l'élimination des discriminations fondées sur le sexe ou la religion…
H. D. C. — Le neuvième plénum du Comité central du Parti des Travailleurs Éthiopiens, qui s'est tenu du 7 au 11 novembre 1988, s'est prononcé en faveur de réformes économiques. Est-ce à dire que certaines questions importantes n'ont pas encore trouvé de solution [5]?
M. H. M. — Je voudrais préciser tout d'abord que le Comité central se réunit tous les six mois pour suivre l'évolution des projets préalablement approuvés, mesurer les difficultés rencontrées et tenter de trouver, éventuellement, de meilleures formules. En fait, le plénum dont vous parlez était chargé de préparer les propositions qui seront présentées au prochain Congrès du PTE. Or, il se trouve que nous arrivons au terme de la première tranche de notre plan décennal, subdivisé en deux plans quinquennaux; le Comité central en a donc profité pour dresser également un bilan économique des cinq années écoulées, et pour définir les grandes orientations à suivre dans les cinq années à venir.
H. D. C. — Peut-on assimiler ce réexamen des réalisations passées à une « perestroïka à l'éthiopienne »?
M. H. M. — Non, pas vraiment, car nous n'avons fait que confirmer des options déjà incluses dans le programme de notre Parti. Cela dit, la perestroïka menée en Union soviétique par Mikhaïl Gorbatchev est incontestablement bénéfique à la Détente et au désarmement. De ce point de vue, elle suscite de notre part une grande admiration. Elle correspond à un stade d'évolution de l'URSS qui impose le changement comme une nécessité. Mais, bien entendu, la situation de nos deux pays n'est en rien comparable. La Révolution soviétique, porteuse de progrès sociaux énormes, a soixante-dix ans, tandis que la nôtre n'a qu'une quinzaine d'années. En outre, l'Union soviétique est l'un des pays les plus industrialisés de la planète, alors que l'Éthiopie appartient au tiers monde. Il nous faudra du temps pour obtenir des résultats similaires à ceux de l'URSS. D'ailleurs, les mots parlent d'eux-mêmes : la « perestroïka » n'est-elle pas une « reconstruction »? Pour notre part, nous n'en sommes encore qu'à la phase de construction…
H. D. C. — Lors de la réunion que nous évoquions il y a un instant, vous avez plaidé, devant le Comité central du PTE, pour une réhabilitation du secteur privé. Jusqu'où pensez-vous aller dans cette voie?
M. H. M. — Pour ce qui concerne l'économie, notre programme démocratique révolutionnaire distingue trois secteurs : celui des entreprises d'État; celui des entreprises mixtes et le secteur privé [6]. Ce dernier réalise 70 % de l'activité industrielle et commerciale et 90 % de l'activité agricole. Les fermes d'État, en effet, ne contribuent à la production que pour 4 %; pour les coopératives, ce pourcentage s'élève à 5 %. Si nous connaissons des difficultés, ce n'est donc pas, comme on le croit trop souvent en Occident, en raison d'une hypertrophie du secteur coopératif, mais plutôt, au contraire, en raison de son trop faible développement. Aussi, ne vous y trompez pas. Notre objectif n'est pas d'étendre le secteur privé au détriment des coopératives, mais d'obtenir de meilleurs résultats.
H. D. C. — Votre économie sera-t-elle ouverte sans restriction aux capitaux étrangers?
M. H. M. — Nous avons autorisé les investissements étrangers, juste après l'avènement de notre Révolution, dans le secteur des mines et dans l'industrie lourde. Or, le Comité central a décidé d'étendre les dispositions en vigueur et, à l'avenir, ces capitaux pourront sans doute se diriger vers d'autres domaines, par exemple : l'agriculture, les transports—en particulier les chemins de fer —, l'industrie légère et les services—surtout l'hôtellerie. Ces décisions sont actuellement à l'étude. Je suis convaincu qu'elles seront bénéfiques aux investisseurs étrangers comme à notre pays. Cette nouvelle réglementation entrera officiellement en vigueur en septembre 1989, ce qui ne signifie pas que rien ne sera fait avant…
H. D. C. — Autoriserez-vous les investisseurs étrangers à rapatrier librement leurs bénéfices?
M. H. M. — C'est l'une des questions en cours de réexamen. Les directives données par la dernière réunion du Comité central ne s'y opposent pas. Pour le moment, nous attendons les conclusions des experts.
H. D. C. — Dans le rapport que vous avez présenté devant ce plénum, vous envisagez la possibilité de nationaliser ces futures entreprises privées créées grâce aux capitaux étrangers. Ce n'est guère encourageant pour d'éventuels investisseurs…
M. H. M. — Sur ce point, je crois que mes propos ont été mal interprétés. Il faut avouer, aussi, que notre politique économique initiale n'était pas très claire sur ce sujet. Ce qui est certain, c'est que si l'on remet en cause un contrat, il faut prévoir des modalités d'indemnisation. Par ailleurs, on peut envisager des techniques de « nationalisation douce » : lors du retrait d'un actionnaire, par exemple, on peut imaginer que l'État ait priorité pour racheter les parts proposées à la vente.
H. D. C. — L'un de vos objectifs essentiels est d'accroître la production agricole afin de parvenir à l'autosuffisance alimentaire. Pour encourager les paysans à investir, pensez-vous libérer les prix?
M. H. M. — Nous avons discuté de ce problème dans des pays qui ont tenté de mettre en œuvre de telles réformes [7]. Jusqu'à présent, ils ne sont pas parvenus à un résultat satisfaisant. Ils nous ont dit très franchement qu'il était impossible de prévoir les conséquences de ces mesures. Dans ce domaine, je crois en la valeur de quelques principes simples : les prix doivent baisser lorsque la production augmente; ils doivent s'élever lorsque la récolte est mauvaise. Le paysan doit profiter de son travail mais les prix des produits agricoles doivent toutefois rester à la portée des travailleurs.
H. D. C. — La relance économique passe, pour votre pays, par la solution d'un certain nombre de déséquilibres. Le gouvernement éthiopien a annoncé que 2,7 millions de personnes, soit 600 000 familles dispersées, seront regroupées dans des villages. Avez-vous les moyens financiers de procéder à de telles opérations dans de bonnes conditions?
M. H. M. — Avant de vous répondre, je voudrais rappeler quelques données indispensables à la bonne compréhension de ce problème. Depuis des siècles, la population éthiopienne a lutté pour défendre l'intégrité territoriale et l'unité du pays. Pour mieux y parvenir, elle a été contrainte de se replier dans les montagnes et d'utiliser une superficie très limitée, ce qui a eu des conséquences néfastes sur l'équilibre écologique [8]. Comment s'étonner, dans ces conditions, qu'aujourd'hui le paysan ne soit pas vraiment productif? Pour ces raisons historiques, nous avons été victimes de la sécheresse et donc de la famine. Pourtant, l'Éthiopie compte au minimum 60 millions d'hectares de terres fertiles, propices à l'agriculture mécanisée et à l'irrigation. Cette difficulté était de surcroît aggravée par l'éparpillement des paysans. C'est pourquoi nous avons élaboré une politique de villagisation qui doit permettre à ces paysans d'utiliser les ressources naturelles et la terre de façon scientifique, d'avoir recours par exemple à des moulins électriques pour s'alimenter en eau potable. Je suis étonné que les gens s'interrogent tant sur la villagisation. Ce n'est pas un phénomène nouveau en Éthiopie, et d'autres pays y ont déjà fait appel. Les capitales les plus connues, telles Paris, Londres et New York n'étaient, il y a des centaines d'années, que des villes habitées par des paysans. Quant à l'aspect financier des choses, la construction d'un village n'exige de l'État qu'un investissement limité. Tout s'organise, en effet, à l'intérieur de ce village : il n'y a pas de problème de transport. L'État ne fournit qu'une aide technique; il prend en charge la construction des routes dans le cadre des programmes nationaux, offre des crédits à taux d'intérêt très réduit, qui seront remboursés par les paysans en fonction de leur récolte. Dans le cadre du dernier plan quinquennal, sur trois ans, nous avons ainsi villagisé 30 % des paysans, soit 15 millions de personnes. Aujourd'hui, notre objectif est d'obtenir les mêmes résultats, par étapes, dans les cinq ans qui viennent.
H. D. C — L'ambition de ce programme de villagisation est-elle strictement économique?
M. H. M. — Dans notre pays, nous ne faisons aucune différence entre le politique et l'économique. Ce qui est politique fait partie de l'économie et l'économie est étroitement liée au secteur politique.
H. D. C. — Certains excès commis dans le cadre de votre programme de réinstallation [9], en pleine famine, ont suscité un tollé dans les pays occidentaux, notamment en France. Entendez-vous néanmoins poursuivre cette politique?
M. H. M. — Oui, notre programme continue car il s'intègre dans une stratégie de développement. En 1988, nous n'avons procédé à aucune réinstallation; en revanche, cette année, nous avons l'intention de réinstaller 60 000 personnes. Cela dit, notre méthode a changé : désormais, nous prenons notre temps; nous préparons les personnes à leur départ en leur expliquant le bénéfice qu'elles en tireront. Nous donnons la priorité à ceux qui viennent de régions déshéritées, mais nous sélectionnons de préférence des gens jeunes et en bonne santé, capables de travailler la terre. Les vieillards et les enfants les rejoindront plus tard, une fois que l'endroit aura été bien aménagé.
H. D. C. — Mikhaïl Gorbatchev veut assainir l'économie soviétique et, en conséquence, réduire ses dépenses extérieures. L'Éthiopie ne craint-elle pas d'être affectée par ces restrictions, en dépit du traité d'amitié et de coopération qui la lie à l'URSS [10]?
M. H. M. — Je ne pense pas que nous aurons à souffrir de la reconstruction soviétique, qu'il s'agisse de notre économie ou de notre approvisionnement militaire—d'autant que, dans ce domaine, rien n'est donné sans contrepartie!
H. D. C. — L'Union soviétique n'a-t-elle pas, cependant, plafonné votre ligne de crédit [11]?
M. H. M. — Non.
H. D. C. — Vous êtes très dépendant à l'égard de l'URSS [12]. Souhaitez-vous sortir de cette situation, en trouvant notamment d'autres fournisseurs de matériel militaire?
M. H. M. — Les relations que nous entretenons avec l'Union soviétique ne sont pas des relations de marché. Et notre amitié pour ce pays ne nous permet pas d'envisager d'autres options.
H. D. C. — Qu'attendez-vous de l'Occident?
M. H. M. — L'Éthiopie n'est pas une terre inconnue pour les Occidentaux, en particulier pour les Européens. Mais le choix politique fait par l'Éthiopie pour sortir du sous-développement est à l'origine de quelques malentendus. Avec le temps, certains pays aujourd'hui mal informés, auront peut-être une vision plus juste des choses. Ce que je puis dire, c'est que nous voulons coopérer avec tout le monde. Encore faut-il que cette coopération ne soit pas une simple aumône. De toute façon, cette aide ne remplacera jamais l'effort personnel que nous fournissons. Nous attendons simplement de l'Ouest qu'il fasse preuve de bonne volonté, qu'il s'informe davantage et qu'il fasse, à notre sujet, des déclarations positives. Par ailleurs, sur le plan économique notre requête n'est guère différente de celle des autres pays du tiers monde.
H. D. C. — Vous avez envoyé à George Bush un message de félicitations particulièrement chaleureux lors de son élection à la présidence. Doit-on y voir le signe d'une amélioration prochaine de vos relations avec les États-Unis?
M. H. M. — Depuis fort longtemps, nous entretenons avec les États-Unis d'Amérique des relations d'amitié. Bien sûr, Washington n'a toujours pas accepté la révolution éthiopienne. Mais, avec le nouveau Président, nos relations devraient progresser. En ce qui nous concerne, nous ferons les efforts nécessaires pour cela. Nous devrions améliorer nos relations diplomatiques et essayer de définir, autour d'une table de négociation, les différends qui nous opposent. Mais pour l'instant, il n'existe rien de nouveau dans ce domaine. Cela dit, le sous-secrétaire d'État américain, M. Armacost, avait d'ailleurs émis le vœu d'effectuer prochainement une visite de travail en Éthiopie.
H. D. C. — Lors d'une conférence de presse, en mai 88, vous avez qualifié vos relations avec la France d'« exemplaires ». Qu'entendiez-vous par là?
M. H. M. — Le rôle joué par la France, tant dans le domaine de la culture que dans celui de l'organisation du monde moderne, n'est pas négligeable. Nous n'avons jamais eu de mauvaises relations avec la France. Elle ne nous a pas mis au ban des nations au moment de notre révolution car elle possède, elle aussi, des partis communiste et socialiste. Cette caractéristique lui permet de mieux accepter le changement dans d'autres pays. De surcroît, à l'échelle mondiale, la France est une puissance qui se suffit à elle-même. Pour toutes ces raisons, nous lui avons envoyé, juste après la Révolution, la première délégation éthiopienne de haut niveau, et les deux pays coopèrent dans le cadre d'une commission mixte [13].
H. D. C. — A la faveur de la politique de Mikhaïl Gorbatchev, on assiste, en particulier en Afrique, à un certain apaisement des conflits régionaux. Dans quelle mesure cette nouvelle donne internationale peut-elle influer sur la situation dans la Corne de l'Afrique?
M. H. M. — On ne peut plus parler de conflit régional dans la Corne de l'Afrique. Celui qui a opposé l'Éthiopie à la Somalie [14] trouvait son origine dans la colonisation et les ambitions irrédentistes de ce dernier pays. A cet égard, la Détente n'a en rien contribué à la conclusion de l'accord de paix du 3 avril 1988, qui est uniquement le résultat de relations directes entre nos deux pays, obtenu sans aucune intervention extérieure.
H. D. C. — Dans le cadre de cet accord, la Somalie a-t-elle pour autant reconnu formellement l'intégrité territoriale de l'Éthiopie, comme elle l'avait fait, en 1981, pour le Kenya [15]?
M. H. M. — Nous sommes convenus d'améliorer nos relations étape par étape. La première phase comprenait le retrait de nos troupes respectives présentes sur la frontière commune, la libération des prisonniers, la mise en sourdine de toute propagande hostile et le rétablissement des relations diplomatiques. Dans un second temps, nous avons mis sur pied un comité mixte, au niveau des ministres des Affaires étrangères, qui s'est déjà réuni à plusieurs reprises. La question des frontières n'a pas encore été discutée. Le comité conjoint doit se réunir prochainement à Addis-Abeba pour aborder ce problème mais, aussi, pour évoquer le progrès économique et social des deux peuples, liés par la culture et l'Histoire.
H. D. C. — Permettez-moi de revenir à ma question : la Somalie a-t-elle reconnu formellement l'intégrité territoriale de l'Éthiopie?
M. H. M. — C'est parce qu'il y avait consensus sur la question de l'intégrité territoriale des deux Parties que ce dialogue a été possible. Actuellement, la compréhension entre l'Éthiopie et la Somalie est réellement mutuelle.
H. D. C. — Le 26 mai 1988, la Somalie a accusé nommément l'Éthiopie de sympathiser avec le Mouvement national somalien [16], qui mène des opérations de guérilla dans le nord du territoire somalien. Faut-il en conclure que les négociations avec Mogadiscio ne se déroulent pas aussi bien que vous le souhaiteriez?
M. H. M. — Ces accusations ont été très exagérées par les médias. D'ailleurs, j'ai eu récemment l'occasion de rencontrer en tête-à-tête, à Nairobi, le président Siad Barré, lors de la célébration du 25e anniversaire de la République du Kenya et nous avons décidé de réunir très prochainement notre comité ministériel conjoint.
H. D. C. — Les relations entre le Soudan et l'Éthiopie restent tendues. Les autorités de Khartoum vous reprochent de soutenir l'Armée Populaire de Libération du Soudan [17]. Pour votre part, vous les accusez d'abriter les bases-arrière des mouvements de guérilla qui agissent au Nord de l'Éthiopie. Pensez-vous pouvoir régler ces deux problèmes parallèlement?
M. H. M. — Ils ne sont pas comparables. L'Armée Populaire de Libération du Soudan lutte pour les droits démocratiques du peuple soudanais dans son ensemble. En revanche, les rebelles sécessionnistes du Nord de l'Éthiopie [18], qui se sont réfugiés à l'intérieur même du Soudan, ont pour objectif la division de l'Éthiopie. Qui plus est, l'attitude des gouvernements est également différente : nous avons pris des initiatives pour faciliter les rencontres entre les autorités centrales de Khartoum et l'opposition soudanaise, à Addis-Abeba. Or les Soudanais, eux, n'ont jamais fait ce type de démarche en notre faveur. Quoi qu'il en soit, les deux pays veulent la paix et, pour tenter de la sceller enfin, nous avons établi un comité ministériel et un comité technique qui auront pour tâche d'examiner la situation. Encore faudra-t-il, pour progresser, que le Soudan renonce à la politique qu'il mène depuis 26 ans. Je me demande parfois si les Soudanais ont vraiment une idée très claire de l'ampleur de leurs problèmes internes.
H. D. C. — Les fronts tigréen et érythréen ont rejeté la structure administrative adoptée en septembre 1987 par l'Assemblée Nationale dans le cadre de la nouvelle Constitution—autonomie spéciale pour l'Érythrée; autonomie pour le Tigré et création de nouvelles régions administratives [19]. Face à cette impasse, que comptez-vous faire pour rétablir la paix au nord du pays?
M. H. M. — Les rebelles érythréens poursuivent une politique de sécession bien que les Éthiopiens consentent des efforts méritoires pour leur donner une authentique autonomie et se gagner ainsi la sympathie et le soutien de la population locale. La solution que nous préconisions dans le cadre de la nouvelle Constitution est l'aboutissement de dix ans de réflexion. Or les rebelles ont rejeté ce texte, pourtant adopté par le référendum et approuvé notamment par 87 % de la population érythréenne [20]. S'ils n'avaient repoussé que le nouveau système administratif, on aurait pu en imaginer un autre; le vrai problème est qu'ils rejettent la Constitution [21].
H. D. C. — Plus d'un an après l'adoption du nouveau découpage provincial du pays, on ne sait pas grand-chose du contenu de cette autonomie. Pourriez-vous nous en dire plus [22]?
M. H. M. — La région autonome d'Érythrée pourra promulguer des lois—une compétence qui, jusqu'à présent, n'appartenait qu'au Shengo national, notre Assemblée législative. Autant dire que le gouvernement autonome d'Érythrée disposera des pouvoirs d'un véritable gouvernement. Les seules limites à sa compétence ne concerneront que la défense, la politique étrangère et la possibilité de frapper monnaie.
H. D. C. — Cette guerre compromet le développement économique de votre pays. Ne vaudrait-il pas mieux y mettre fin, quitte à aller plus loin dans les concessions?
M. H. M. — La réponse doit être donnée directement par la population dans son ensemble. Personnellement, je me demande si nous pouvons encore trouver une autre solution. La nouvelle Constitution accorde en effet à l'Érythrée des droits plus importants que ceux dont elle disposait autrefois dans le cadre de la Fédération [23]. A cette époque, l'assemblée de l'Érythrée n'était pas souveraine, dans la mesure où ses décisions pouvaient être modifiées par un gouverneur élu et dépêché sur place par l'empereur; elle jouait seulement un rôle d'exécutant. Elle ne pouvait prendre aucune décision politique, économique ou sociale. En outre, les femmes ne pouvaient ni élire des représentants, ni être élues.
H. D. C. — Au cas où les fronts érythréens renonceraient à l'indépendance, que penseriez-vous d'une formule fédérale du type de celle préconisée par les Nations Unies en 1950 [24]? Ne pourrait-elle pas servir de base de réflexion?
M. H. M. — Comment cette formule de fédération pourrait-elle être applicable, puisque la majorité la refuse? Veut-on qu'on impose cette décision contre la volonté du peuple, comme les Nations Unies l'ont fait dans le passé [25]? Faut-il sacrifier la volonté d'une province uniquement parce que quelques rebelles, aidés financièrement par nos ennemis héréditaires, veulent faire prévaloir leur propre solution? Croyez-vous que les Érythréens soient prêts à donner le pouvoir à ceux qui ont massacré leurs familles? Je le répète : le monde extérieur n'a pas une idée juste de la situation actuelle; il oublie que la majorité des militaires qui combattent au Nord sont des Érythréens, et qu'ils sont eux-mêmes dirigés par des Érythréens. En fait, la vraie question doit être formulée ainsi : les rebelles sont-ils prêts à s'asseoir autour d'une table pour discuter? Nous n'avons cessé de leur faire des avances : ils ont été invités à participer à l'élaboration de la Constitution et à rejoindre le Parti lorsqu'il a été créé. Ils ont systématiquement refusé nos propositions. Mais ils n'offrent aucune solution de rechange. Nous leur avons demandé de discuter sans condition préalable. Ce n'est que parce qu'ils ont refusé que nous avons présenté la formule d'autonomie, ensuite approuvée par le peuple.
H. D. C. — La présence d'un intermédiaire pourrait-elle vous aider à dialoguer avec les fronts?
M. H. M. — Nous avons déjà exploré cette voie à plusieurs reprises. Ce ne sont pas les missionnaires de bons offices qui manquent! A notre demande, nous nous sommes rencontrés à Cologne, en Allemagne fédérale et au Yémen démocratique. Ces démarches ont avorté, faute d'entente sur la procédure et les conditions générales de la négociation.
H. D. C. — Seriez-vous favorable à une éventuelle médiation de pays européens tels que la Grande-Bretagne, l'Italie ou la France [26]?
M. H. M. — Les rebelles ont sans doute déjà contacté ces États, comme ils l'ont fait auparavant pour les États-Unis, le Soudan, la Libye. Nous n'en savons guère plus que ce qu'en a dit la presse étrangère. Mais n'oublions pas qu'un médiateur doit être accepté par les deux Parties, ce qui implique une rencontre préliminaire entre elles. De toute façon, une telle intervention extérieure n'est pas indispensable…
H. D. C. — Après la signature des accords de Genève sur l'Afghanistan, M. Diego Cordovez a été chargé d'une mission de bons offices pour tenter de trouver un terrain d'entente entre la Résistance et le gouvernement communiste de Kaboul. Une démarche identique pourrait-elle être envisagée pour l'Érythrée?
M. H. M. — La situation de l'Éthiopie ne peut pas être comparée à celle de l'Afghanistan. Chez nous, les rebelles ne veulent pas participer au gouvernement; ils n'exigent pas le retrait de troupes soviétiques. Ce qu'ils veulent, c'est le démantèlement de notre pays [27].
H. D. C. — A vous entendre, on a l'impression que la guerre est incontournable…
M. H. M. — Aucun peuple ne désire la guerre, et surtout pas le nôtre. Pour nous défendre, nous sommes obligés de mobiliser toutes les ressources matérielles et humaines disponibles. Mais nos ancêtres nous ont légué un pays qui a su préserver son indépendance pendant des millénaires [28]. Pour le rendre plus prospère et meilleur encore, aucun prix ne sera trop élevé. Nous avons choisi de maintenir l'unité de l'Éthiopie, de promouvoir l'égalité des populations et d'organiser la souveraineté régionale. Bien entendu, l'affrontement armé n'est pas une solution, au nord ou ailleurs. Nous devons trouver une issue pacifique, respectueuse de l'unité du pays. Nous y sommes prêts. Cependant, tant que les rebelles refusent nos propositions, nous n'avons pas d'autre choix que la guerre. Même s'ils parviennent à contrôler Asmara, la capitale de l'Érythrée, les 48 millions d'Éthiopiens n'accepteront pas cette défaite.
H. D. C. — La guerre est-elle également inévitable dans le Tigré, où les fronts ont rejeté l'autonomie proposée?
M. H. M.b> — La situation au Tigré n'est pas la même. Contrairement à l'Érythrée, qui a connu une évolution différente de celle de l'Éthiopie en raison de la pression étrangère, l'histoire du Tigré se confond avec celle de l'Éthiopie. Les rebelles tigréens ne peuvent donc pas justifier leurs revendications par des motifs historiques ou sociaux; ce sont des mercenaires engagés par les Érythréens. L'un de leurs dirigeants a d'ailleurs déclaré qu'il luttait pour libérer à la fois le Tigré et l'ensemble de la population érythréenne. Je crois donc que la paix ne reviendra au Tigré que si l'actuel gouvernement éthiopien tombe [29]!
H. D. C. — Monsieur le Président, à quel moment les nouvelles structures régionales adoptées par l'Assemblée nationale en septembre 1987 entreront-elles en vigueur?
M. H. M. — La mise en place complète de ces structures prendra deux ans. Cette année, nous avons l'intention de créer trois régions autonomes et quatorze régions administratives. La fin du projet sera réalisée l'année prochaine. En Érythrée et au Tigré, où règne l'insécurité, l'établissement de régions autonomes sera différé pour laisser aux rebelles une chance de discuter.
H. D. C. — Traditionnellement, l'Éthiopie se considère comme une forteresse assiégée par le monde arabe. Cette vision prévaut-elle toujours aujourd'hui?
M. H. M. — La position des Arabes vis-à-vis de l'Éthiopie n'est pas homogène. Nous entretenons de bonnes relations avec certains d'entre eux, tandis que nos rapports sont plutôt mauvais avec ceux qui adoptent à notre égard une attitude raciste, confortée par leurs pétro-dollars. Les rebelles érythréens n'ont pas été plus opprimés que les membres d'autres nationalités d'Éthiopie, mais ils se battent parce qu'ils sont aidés financièrement par les pays arabes. Si cette situation se pérennisait, elle pourrait provoquer un conflit entre pays arabes et pays africains, doublé d'une guerre de religion. Or, j'insiste, le problème érythréen est en grande partie responsable de l'arriération de notre pays. C'est pourquoi nous tentons actuellement d'entrer en contact avec les pays arabes modérés et ouverts afin qu'ils contribuent au rétablissement de la paix et qu'ils coopèrent avec nous.
H. D. C. — De quels États s'agit-il, précisément?
M. H. M. — Nous avons amélioré nos relations avec le Nord Yémen, le Yémen Démocratique, l'Égypte, la Syrie et l'Algérie. Et nous poursuivrons nos efforts en direction d'autres pays d'Afrique.
H. D. C. — Et l'Arabie saoudite?
M. H. M. — Elle peut être placée dans la catégorie des pays qui nous inquiètent, pour les raisons que je viens de vous exposer, de même que l'Irak. Nous n'en cherchons pas moins à nouer un meilleur dialogue avec eux.
H. D. C. — Le 15 novembre dernier, l'Organisation de Libération de la Palestine a proclamé unilatéralement un État palestinien. Officiellement, l'Éthiopie n'a pas réagi. Pourquoi ce silence?
M. H. M. — Nous soutenons depuis toujours la lutte des Palestiniens pour leur indépendance. D'ailleurs, l'OLP et le FPLP disposent de bureaux dans notre capitale [30]. Nous sommes, aussi, favorables à l'organisation d'une conférence internationale sur le Proche-Orient, réunissant les voisins de la Palestine et l'OLP. Sur cette question, la position éthiopienne n'a pas changé. Cela dit, les problèmes de l'OLP, en particulier, et du Moyen-Orient, en général, sont très complexes. Nous n'avons, pour le moment, reçu aucune explication quant à la déclaration d'Alger qui institue un État palestinien indépendant. Nous étudions donc la question en profondeur et nous ne sommes pas pressés de faire connaître officiellement notre position sur ce sujet.
H. D. C. — L'Éthiopie, héritière du Royaume de la reine de Saba et du roi Salomon, a toujours eu des affinités avec l'État d'Israël. Pourtant, vous n'entretenez pas avec lui de relations diplomatiques. Envisagez-vous de normaliser cette situation dans un avenir proche?
M. H. M. — Contrairement à certains pays arabes, Israël ne nous pose aucun problème direct. En 1967, cependant, nous avons rompu nos relations avec l'État hébreu pour protester contre le fait qu'il occupe une terre arabe : il s'agissait d'une prise de position africaine. A l'époque, c'était l'Égypte qui avait demandé à toute l'Afrique de soutenir la cause arabe. Les choses ont changé après la signature des accords de Camp David et, plus encore, après le sommet de la Ligue Arabe qui s'est tenu à Amman, en 1987, et qui a autorisé les pays arabes à renouer leurs relations avec l'Égypte. Yasser Arafat lui-même a annoncé que le nouvel État palestinien discuterait directement avec Israël sur les questions bilatérales. Dans ces conditions, certains pays—dont l'Éthiopie—pourront reconsidérer leurs positions passées.
H. D. C. — Le premier ministre israélien, M. Shamir, a déclaré que des négociations étaient en cours avec l'Éthiopie pour un nouveau transfert de Falashas [31]. Êtes-vous totalement hostile à ce projet?
M. H. M. — Tout d'abord, il faudrait définir le terme « Falasha ». Désigne-t-il une tribu, une secte religieuse? Personne ne connaît mieux les Falashas que nous, les Éthiopiens. Et nous croyons que le point de vue d'Israël sur ce sujet est erroné. Les Falashas ne diffèrent en rien des Éthiopiens. Nous ne souhaitons donc pas que ces départs se poursuivent. Je considère le fait même de demander que des Falashas quittent l'Éthiopie comme une ingérence d'Israël dans nos affaires intérieures.
H. D. C. — Une dernière question, Monsieur le Président. L'Éthiopie compte aussi une population musulmane [32]. Est-il exact que vous envisagez de rejoindre l'Organisation de la Conférence islamique?
M. H. M. — Par principe, nous reconnaissons l'Organisation des Nations Unies, l'Organisation de l'Unité Africaine, ainsi que le mouvement des Non-Alignés. Mais nous n'adhérons pas aux rassemblements fondés sur une identité religieuse ou culturelle. Est-il souhaitable, pour l'avenir de la paix, que le monde s'organise en fonction d'affinités religieuses? Je ne le crois pas.
[*] Journaliste à Radio France Internationale.
[**] Président de la République démocratique et populaire d'Éthiopie depuis sa fondation en septembre 1987. Secrétaire général du Parti des Travailleurs d'Éthiopie depuis 1984. Commandant en Chef des Forces armées. Vice-Président du Conseil militaire provisoire de 1974 à 1977. Président de ce même Conseil de 1977 à 1988.
[1] Le Négus a été destitué en 1974, à la suite d'une grande famine que son régime avait maladroitement tenté de dissimuler à la face du monde. Née d'un soulèvement de sous-officiers, la Révolution s'étendit rapidement à la population d'Addis-Abeba qui descendit dans la rue pour prendre part à une vague de manifestations sans précédent. Le mouvement ne tarda pas à être récupéré par un groupe de militaires marxistes constitué en « Comité des Égaux » (DERG). Mais les luttes d'influence au sein du pouvoir militaire, d'une part, et les rivalités entre celui-ci et la gauche civile, d'autre part, ont finalement débouché, au prix de milliers de morts, sur l'assujettissement de la société civile à l'aile marxiste de l'armée et sur la victoire de Mengistu Haïlé Mariam.
[2] Le Parti des Travailleurs d'Éthiopie a été créé en 1984. La République populaire et démocratique d'Éthiopie a, quant à elle, vu le jour le 12 septembre 1987, soit treize ans exactement après la déposition du Négus, le 12 septembre 1974.
[3] Traditionnellement, en Éthiopie, ce sont les paysans qui font vivre le reste de la population. Bien que les servitudes aient été théoriquement abolies en 1966, ils continuaient avant la Révolution à devoir travailler pour leur propriétaire, le monastère voisin ou le fonctionnaire local. Ils sont, en outre, écrasés d'impôts divers : tribut, dîme, impôt sur le revenu, impôt pour l'éducation, pour la santé, etc.
[4] La réforme agraire a été lancée le 4 mars 1975 avec la publication de la proclamation n° 31 qui institue la propriété publique de la terre. Aux termes de ce texte, aucun paysan ne peut « vendre, échanger, léguer, hypothéquer, louer ou transférer de quelque façon que ce soit » la terre qu'il travaille. Mais les droits d'exploitation peuvent, à sa mort, revenir à sa femme ou à ses enfants. Dans un deuxième temps, la proclamation n° 71, du 14 décembre 1975, a mis en place une agriculture « socialiste » et des coopératives de service et de production, véritables organisations politiques « chargées d'élever le niveau de conscience politique » des masses. La troisième phase de la transformation du secteur agricole s'est ouverte avec la « directive » du 25 juin 1979, qui définit l'objectif à atteindre : la collectivisation des terres, les paysans ne conservant que l'usage personnel de mille à deux mille mètres carrés et d'une ou deux têtes de bétail.
[5] Lors du 9e plénum du Comité central du Parti des Travailleurs d'Éthiopie, le président Mengistu a dressé un bilan catastrophique de l'économie éthiopienne : la production agricole a diminué de 0,4 % par an durant les cinq dernières années, alors que 23 % du budget national étaient consacrés à l'agriculture. Globalement, la croissance économique a été inférieure non seulement aux prévisions pour les années 1984-1988, mais également aux chiffres enregistrés pendant la période 1979-1983.
[6] Le 1er janvier 1975, ont été nationalisées trois banques, trois institutions financières, quatorze compagnies d'assurances, soixante-douze sociétés industrielles et commerciales, sans oublier les compagnies aériennes et les supermarchés.
[7] Le président Mengistu s'est notamment rendu en Chine en juin 1988. Lors de sa visite, Deng Xiao Ping lui a déclaré que le socialisme avait apporté vingt années de « grandes souffrances » au peuple chinois et que les pays du tiers monde ne devaient plus s'inspirer d'une telle idéologie. Deux mois plus tard, à la mi-août, Pékin a annoncé une libération générale des prix, étalée sur cinq ans. En octobre suivant, face à la flambée des prix provoquée par cette mesure, le plénum du Comité central du Parti communiste chinois a cependant décidé de ralentir le rythme des réformes. Le président Mengistu a également eu l'occasion de discuter des problèmes liés à une réforme des prix avec les responsables de l'économie hongroise (avril 1988) et soviétique (voyage à Moscou en juillet 1988).
[8] Sur les 60 millions d'hectares de terres arables dont dispose l'Éthiopie, seuls 10 millions d'hectares sont actuellement cultivés. Et sur 3 millions d'hectares de terres irrigables, 100 000 seulement sont effectivement irrigués.
[9] L'organisation humanitaire Médecins sans Frontières a été expulsée d'Éthiopie le 2 décembre 1985 pour avoir protesté contre le déplacement forcé des victimes de la famine du nord du pays vers les régions plus fertiles de l'ouest et du sud. Réalisée dans des conditions épouvantables, cette opération, orchestrée par le gouvernement, a causé des centaines de milliers de morts.
[10] L'Éthiopie et l'Union soviétique ont signé un « traité d'amitié et de coopération » le 20 novembre 1978.
[11] La dette militaire éthiopienne à l'égard de l'URSS s'élève, selon les estimations, à 6 milliards de dollars.
[12] L'URSS est le fournisseur d'armes presque exclusif du régime éthiopien.
[13] La France est le deuxième pays (après l'Italie) à avoir établi des relations diplomatiques avec l'Éthiopie, en 1896. Les relations actuelles ne reflètent plus la longue tradition d'amitié qui unissait autrefois les deux pays, ni l'influence culturelle qu'exerçait la France en Éthiopie jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. L'enveloppe annuelle de la coopération culturelle, scientifique et technique représente 48,5 millions de francs. Les deux tiers des quelque cent coopérants français présents en Éthiopie travaillent au lycée franco-éthiopien d'Addis-Abeba, fréquenté par 2 600 élèves. Les frais de fonctionnement de cet établissement absorbent la moitié de l'aide française à l'Éthiopie. La commission mixte franco-éthiopienne, qui ne s'était pas réunie depuis sept ans, a tenu une session en avril 1988. Sur le plan commercial, la France n'est que le septième fournisseur de l'Éthiopie.
[14] En 1977, la Somalie envahit la province d'Ogaden, peuplée de Somalis. Elle dut renoncer à son projet annexionniste en 1978 à l'issue d'une guerre dans laquelle l'Éthiopie a bénéficié du soutien actif de l'Union soviétique et de Cuba.
[15] Outre l'Ogaden éthiopien, la Somalie revendiquait également le Northern Frontier District, une région du Kenya. Elle a renoncé à ce territoire par un accord bilatéral signé avec Nairobi en 1981.
[16] Le Mouvement National Somalien, issu de l'ethnie Issaq, a lancé, fin mai 1988, soit près de deux mois après la signature de l'accord de paix somalo-éthiopien, une offensive sans précédent dans le nord de la Somalie. Cette action s'est soldée par une reprise progressive des villes par l'armée somalienne. Or l'accord conclu entre Mogadiscio et Addis-Abeba prévoyait l'arrêt du soutien militaire et logistique de l'Éthiopie aux maquisards. Ceux-ci ont-ils pris l'initiative par peur d'être sacrifiés à l'accord de paix? Le régime du président Mengistu avait-il prévu une offensive d'une telle envergure de la part de ses anciens protégés? A-t-il satisfait ses demandes pressantes en munitions? Autant de questions sans réponses…
[17] L'Armée Populaire de Libération du Soudan, fondée et dirigée par l'ancien colonel de l'armée soudanaise, John Garang, mène une lutte de guérilla au Sud-Soudan. Il s'oppose à la domination arabo-musulmane du nord, sans remettre en cause l'intégrité territoriale du pays. L'une des bases-arrière de l'APLS, le camp d'Itang, est situé sur le sol éthiopien. En janvier 1988, le Soudan avait accusé Addis-Abeba d'avoir fourni à la guérilla un appui d'artillerie lors de la prise de la ville de Kurmuk, dans la province du Nil Bleu.
[18] Allusion aux Fronts érythréens qui réclament le droit à l'autodétermination pour l'Érythrée.
[19] Le Shengo—le Parlement de la République démocratique populaire d'Éthiopie, proclamée le 10 septembre 1987—a renoncé à la division du pays en quatorze provinces pour créer cinq régions autonomes (Érythrée, Tigré, Assab, Dire Dawa et Ogaden) et vingt-quatre régions administratives. La nouvelle Constitution prévoit la mise en place d'assemblées populaires dans les régions autonomes et administratives. Ces assemblées déterminent leur propre budget et établissent leurs programmes économiques et sociaux. Mais elles doivent toutefois obtenir l'aval du Parlement national avant de décider de leur application. L'Érythrée, constituée en région autonome spéciale, composée de trois régions administratives, est la seule à pouvoir édicter des lois de plein droit, créer sa propre université et des entreprises—l'industrie lourde et la construction d'hôtels de première classe relevant d'ailleurs de la compétence des autorités centrales.
[20] La Constitution éthiopienne de 1987 a été approuvée par referendum par 81 % de la population. Il est probable qu'une grande partie des 19 % de votes négatifs ont été recueillis au sein de la population érythréenne.
[21]Cette Constitution mentionne le caractère unitaire de la nouvelle République éthiopienne et l'autonomie régionale, que rejettent précisément les Fronts.
[22] Cette réforme n'est pas encore mise en œuvre. Il reste notamment aux autorités à se prononcer sur la nature des ressources financières des régions autonomes ou administratives.
[23] Le 2 décembre 1950, sur décision de l'ONU, l'Érythrée devient une République autonome, dotée d'une Assemblée législative (élue au suffrage universel direct dans les villes d'Asmara et de Massawa et par des collèges électoraux dans les zones rurales) et d'un Exécutif (élu par l'Assemblée). Le représentant personnel de l'Empereur, installé à Asmara, n'avait que le pouvoir de promulguer la législation érythréenne et de prononcer le discours du Trône. Cette fédération, qui n'a jamais véritablement fonctionné, a disparu en novembre 1962, lorsque les députés érythréens, amenés manu militari sur les bancs de leur Assemblée, ne purent empêcher le Négus de faire proclamer l'intégration de l'Érythrée à l'Éthiopie.
[24] Colonie italienne de 1890 à 1941, l'Érythrée fut ensuite administrée par les Britanniques de 1941 à 1952. Pendant la guerre, la Grande-Bretagne s'était engagée auprès des Érythréens à lui accorder l'indépendance afin d'obtenir leur appui contre les Italiens. Pourtant, ce territoire limitrophe de la mer Rouge fut rattaché par l'ONU à l'empire éthiopien en 1952 en tant que territoire autonome. Une décision qui devait être remise en question dix ans plus tard par le Négus Haïlé Sélassié, qui décréta l'annexion pure et simple. A partir de 1961, un mouvement séparatiste soutenu par les États arabes se développe d'abord parmi les musulmans avant de s'étendre aux chrétiens. Le Front populaire de Libération de l'Érythrée a récemment gagné du terrain en s'emparant, le 19 mars 1988, de la ville d'Afabet, la principale base de l'armée située face à Nafka, le centre de la rébellion. Trois conseillers soviétiques, deux colonels et un lieutenant de l'Armée rouge ont été faits prisonniers.
[25] En 1950, sous la pression de l'ONU, l'Érythrée est devenue un État fédéré de l'Éthiopie.
[26] Selon La lettre de l'océan Indien (n° 347, 10 septembre 1988), le gouvernement soviétique aurait proposé à la France et à l'Italie de se joindre à lui pour tenter de favoriser le retour de la paix dans l'ensemble de la région.
[27] Les résistants afghans refusent de participer à un gouvernement aux côtés des communistes de Kaboul. Ils espèrent plutôt renverser le régime en place et instaurer une République islamique.
[28] L'Éthiopie a combattu, par deux fois, l'envahisseur européen—en l'occurrence italien. Elle en est sortie, par deux fois, victorieuse : la première à la fin du XIXe siècle; la seconde, au lendemain de la dernière guerre, lorsque les Italiens quittèrent le pays après une brève période d'occupation (1935-1941), abandonnant du même coup l'Érythrée, qu'ils possédaient depuis 1890.
[29] Le Front de Libération du Tigré réclame, en effet, le renversement de l'actuel régime éthiopien. Après leurs déboires militaires en mars 1988, en Érythrée, les autorités éthiopiennes ont lancé une offensive dans la province du Tigré, où le Front populaire de Libération du Tigré, créé en février 1975, demeure actif. En juin 1988, l'armée gouvernementale a repris les villes tombées sous leur contrôle.
[30] Front populaire de Libération de la Palestine de George Habache.
[31] Addis-Abeba et Jérusalem sont actuellement en pourparlers au sujet de l'éventuelle installation en Israël d'un nouveau contingent de Juifs éthiopiens. C'est ce qu'a révélé, le 16 octobre 1988, le premier ministre israélien, Itzhak Shamir, dans une déclaration au quotidien israélien Yédioth Aharonoth. Il a toutefois précisé qu'il n'était pas facile d'obtenir des promesses en ce domaine de la part du gouvernement éthiopien et, qu'en tout état de cause, il n'était pas certain que celles-ci se réalisent. Le ministère éthiopien des Affaires étrangères a catégoriquement démenti cette information le 18 octobre suivant. En novembre 1984, une importante opération « Moïse » avait permis à plus de 15 000 Juifs éthiopiens, établis dans le Gondar, une région du nord de l'Éthiopie ravagée par la famine, d'immigrer en Israël, via le Soudan.
[32] L'Éthiopie compte environ 40 % de musulmans.