1932

Allemagne, 1932 : la situation du prolétariat, trahi par ses dirigeants est quasi-désespérée. Trotsky analyse la situation et en déduit les tâches de l'avant garde dans une étude magistrale.


Œuvres - janvier 1932

Léon Trotsky

La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne

13. La stratégie des grèves

Dans la question syndicale, la direction communiste a définitivement embrouillé le parti. Le cours général de la "troisième période" visait à créer des syndicats parallèles. On partait de l'hypothèse que le mouvement de masse déborderait les anciennes organisations et que les organes du RGO (l'Opposition Syndicale Révolutionnaire) deviendraient les comités d'initiative pour la lutte économique. Pour réaliser ce plan, il ne manquait qu'un tout petit détail : le mouvement de masse. Pendant les crues de printemps, l'eau entraîne un grand nombre de palissades. Essayons d'enlever la palissade, décida Lozovsky, peut-être que les eaux de printemps se mettront à couler.

Les syndicats réformistes ont résisté. Le Parti communiste s'est exclu lui-même des usines. A la suite de quoi, il fut décidé d'apporter à la politique syndicale des corrections partielles. Le Parti communiste refusa d'appeler les ouvriers inorganisés à entrer dans les syndicats réformistes. Mais il se prononça également contre la sortie des syndicats. Tout en créant des organisations parallèles, il a redonné vie au mot d'ordre de lutte au sein des organisations réformistes pour y gagner de l'influence. La mécanique dans l'ensemble est un modèle d'auto-sabotage.

Le Rote Fahne se plaint que beaucoup de communistes considèrent comme inutile de participer aux syndicats réformistes. "A quoi bon redonner vie à cette boutique ?" déclarent-ils. Et en effet : dans quel but ? S'il s'agit de lutter sérieusement pour s'emparer des anciens syndicats, il faut alors appeler les inorganisés à y entrer : ce sont les couches nouvelles qui peuvent créer une base pour une aile gauche. Mais dans ce cas, il ne faut pas créer des syndicats parallèles, c'est-à-dire une agence concurrente pour recruter les travailleurs.

La direction dans sa politique à l'égard des syndicats réformistes atteint les mêmes sommets de confusion que dans les autres questions. Le Rote Fahne du 28 janvier critiquait les militants communistes du syndicat des métallos de Düsseldorf pour avoir mis en avant le mot d'ordre de "lutte impitoyable contre la participation des dirigeants syndicaux" au soutien du gouvernement Brüning. Ces revendications opportunistes sont inacceptables, car elles présupposent (!) que les réformistes sont susceptibles de renoncer à soutenir Brüning et ses lois d'exception. A vrai dire, cela a tout l'air d'une mauvaise plaisanterie ! Le Rote Fahne estime qu'il est suffisant de couvrir d'injures les dirigeants, mais inacceptable de les soumettre à l'épreuve politique des masses.

Or, actuellement les syndicats réformistes offrent un champ d'action extraordinairement favorable. Le parti social-démocrate a encore la possibilité de tromper les ouvriers avec son tapage politique; par contre, l'impasse du capitalisme se dresse devant les syndicats comme un mur de prison. Les 200 ou 300000 ouvriers organisés dans les syndicats rouges indépendants peuvent devenir un précieux ferment à l'intérieur des syndicats réformistes.

Fin janvier, une conférence communiste des comités d'entreprise de tout le pays s'est tenue à Berlin. Le Rote Fahne. en donne le compte rendu suivant : "Les comités d'entreprise forgent le front ouvrier rouge" (2 février). On y chercherait en vain des renseignements sur la composition de la conférence, sur le nombre d'ouvriers et d'entreprises représentés. A la différence des bolcheviks qui notaient soigneusement et publiquement toute modification du rapport de forces au sein de la classe ouvrière, les staliniens allemands, imitant en cela ceux de Russie, jouent à cache-cache. Ils ne veulent pas reconnaître que les comités d'entreprise communistes ne représentent que 4 % du total contre 84 % aux sociaux-démocrates ! Le bilan de la politique de la "troisième période" est contenu dans ce rapport. Le fait de baptiser " front unique rouge " l'isolement des communistes dans les entreprises, fera-t-il avancer les choses ?

La crise prolongée du capitalisme trace à l'intérieur du prolétariat la ligne de partage la plus douloureuse et la plus dangereuse : entre ceux qui travaillent et les chômeurs. Le fait que les réformistes soient prépondérants dans les entreprises, et les communistes parmi les chômeurs, paralyse les deux parties du prolétariat. Ceux qui ont du travail peuvent attendre plus longtemps. Les chômeurs sont plus impatients. Aujourd'hui, leur impatience a un caractère révolutionnaire. Mais, si le Parti communiste ne réussit pas à trouver les formes et les mots d'ordre de lutte qui, unissant les chômeurs et ceux qui travaillent, ouvriront la perspective d'une issue révolutionnaire, l'impatience des chômeurs se retournera immanquablement contre le Parti communiste.

En 1917, malgré la politique correcte du parti bolchevique et le rapide développement de la révolution, les couches les plus défavorisées et les plus impatientes du prolétariat commençaient même à Petrograd, dès septembre-octobre, à détourner leurs regards du bolchevisme et à se tourner vers les syndicalistes et les anarchistes. Si la Révolution d'octobre n'avait pas éclatée à temps, la désagrégation du prolétariat aurait pris un caractère aigu et aurait amené le pourrissement de la révolution. En Allemagne, les anarchistes sont inutiles : les nationaux-socialistes peuvent occuper leur place, combinant la démagogie anarchiste avec leurs objectifs ouvertement réactionnaires.

Les ouvriers ne sont nullement immunisés une fois pour toutes contre l'influence des fascistes. Le prolétariat et la petite bourgeoisie se présentent comme des vases communicants, surtout dans les conditions présentes, lorsque l'armée de réserve du prolétariat ne peut pas ne pas fournir des petits commerçants, des colporteurs, etc., et la petite bourgeoisie enragée, des prolétaires et des lumpen-prolétaires.

Les employés, les personnels techniques et administratifs, certaines couches de fonctionnaires constituaient dans le passé un des supports importants de la social-démocratie. Aujourd'hui, ces éléments sont passés ou passent aux nationaux-socialistes. Ils peuvent entraîner à leur suite, s'ils n'ont pas déjà commencé à le faire, l'aristocratie ouvrière. Selon cette ligne le national-socialisme pénètre par en haut dans le prolétariat.

Toutefois, sa pénétration éventuelle par en bas, c'est-à-dire par les chômeurs, est beaucoup plus dangereuse. Aucune classe ne peut vivre longtemps sans perspective et sans espérance. Les chômeurs ne sont pas une classe mais ils constituent déjà une couche sociale très compacte et très stable, qui cherche en vain à s'arracher à des conditions de vie insupportables. S'il est vrai, en général, que seule la révolution prolétarienne peut sauver l'Allemagne du pourrissement et de la désagrégation, cela est vrai en premier lieu pour les millions de chômeurs.

Etant donné la faiblesse du Parti communiste dans les entreprises et les syndicats, sa croissance numérique ne résout rien. Dans une nation ébranlée par la crise, minée par ses contradictions, un parti d'extrême-gauche peut trouver des dizaines de milliers de nouveaux partisans, surtout si tout l'appareil du parti est, dans un but de "compétition", exclusivement tourné vers le recrutement individuel. Ce qui est décisif, ce sont les rapports entre le parti et la classe. Un ouvrier communiste élu à un comité d'usine ou à la direction de son syndicat a plus d'importance que des milliers de nouveaux membres, recrutés ici et là, entrant aujourd'hui dans le parti pour le quitter demain.

Mais cet afflux individuel de nouveaux membres ne durera pas éternellement. S'il persiste à repousser la lutte jusqu'au moment où il aura définitivement évincé les réformistes, le Parti communiste comprendra vite qu'à partir d'un certain moment la social-démocratie cesse de perdre de l'influence au profit du Parti communiste et que, par contre, les fascistes commencent à démoraliser les chômeurs, principale base du Parti communiste. Un parti politique ne peut impunément s'abstenir de mobiliser ses forces pour les tâches qui découlent de la situation. Le Parti communiste s'efforce de déclencher des grèves sectorielles pour frayer la voie à une lutte de masse. Les succès dans ce domaine sont maigres. Comme toujours les staliniens s'occupent d'autocritique : "Nous ne savons pas encore organiser... ", "nous ne savons pas encore entraîner... ", de plus "nous" signifie toujours "vous". La théorie de triste mémoire des journées de mars 1921 fait sa réapparition ; "électriser" le prolétariat par des actions offensives minoritaires. Mais les ouvriers n'ont nul besoin d'être "électrisés". Ils veulent qu'on leur donne des perspectives claires et qu'on les aide à créer les prémisses d'un mouvement de masse.

Dans la stratégie des grèves, il est clair que le Parti communiste s'appuie sur des citations isolées de Lénine dans l'interprétation qu'en donnent Lozovsky et Manouilsky. Certes, il y eut des périodes où les mencheviks luttaient contre la "grévomanie", alors que les bolcheviks prenaient la tête de chaque nouvelle grève, entraînant dans le mouvement des masses toujours plus importantes. Cela correspondait à une période d'éveil de nouvelles couches de la classe. Telle fut la tactique des bolcheviks en 1905, dans la période d'essor industriel qui précéda la guerre, dans les premiers mois de la révolution de février.

Mais dans la période précédant directement Octobre, à partir du conflit de juillet 1917, la tactique des bolcheviks fut différente : ils ne poussaient pas aux grèves, ils les freinaient car chaque grande grève avait tendance à se transformer en un affrontement décisif, alors que les prémisses politiques n'étaient pas encore mûres.

Ce qui ne les empêcha pas, au cours de ces mois, de prendre la tête de toutes les grèves qui éclataient malgré leurs mises en garde, essentiellement dans les secteurs les plus retardataires de l'industrie (textiles, cuirs, etc.).

Si, dans certaines conditions, les bolcheviks déclenchaient hardiment des grèves dans l'intérêt de la révolution, dans d'autres conditions, toujours dans l'intérêt de la révolution, ils retenaient les ouvriers d'entrer en grève. Dans ce domaine comme dans tous les autres, il n'y a pas de recette toute prête. La tactique des grèves pour chaque période s'intégrait toujours dans une stratégie globale et le lien entre la partie et le tout était clair pour les travailleurs d'avant-garde.

Qu'en est-il actuellement en Allemagne ? Les ouvriers qui ont du travail n'opposent pas de résistance à la baisse des salaires, parce qu'ils ont peur des chômeurs. Il n'y a là rien d'étonnant : lorsqu'il existe plusieurs millions de chômeurs, la grève traditionnelle, organisée par les syndicats, est une lutte sans espoir. Elle est doublement condamnée quand il existe un antagonisme politique entre les chômeurs et ceux qui ont un emploi. Ce qui n'exclut pas les grèves sectorielles, particulièrement dans les secteurs les plus retardataires de l'industrie. Par contre, ce sont les ouvriers des secteurs les plus importants, qui, dans une telle situation, sont le plus portés, à écouter la voix des dirigeants réformistes. Les tentatives du Parti communiste pour déclencher une grève, sans que la situation générale au sein du prolétariat ne soit modifiée, se réduisent à de petites opérations de partisans qui, même en cas de succès, n'ont pas de suite.

D'après les récits des ouvriers communistes (cf. ne serait-ce que Der rote Aufbau), beaucoup d'ouvriers dans les entreprises déclarent que les grèves sectorielles n'ont actuellement aucun sens, que seule la grève générale peut arracher les ouvriers à la misère. "Grève générale" signifie ici "perspectives de lutte ". Les ouvriers sont d'autant moins enthousiasmés par les grèves sectorielles qu'ils sont directement confrontés au pouvoir d'Etat : le capital monopoliste parle aux ouvriers le langage des lois d'exception de Brüning [1].

A l'aube du mouvement ouvrier, les agitateurs se sont souvent abstenus de développer des perspectives révolutionnaires et socialistes pour ne pas effrayer les ouvriers qu'ils cherchaient à entraîner dans une grève. Aujourd'hui la situation se présente de façon totalement opposée. Les couches dirigeantes des ouvriers allemands ne peuvent décider de participer à une lutte économique que si les perspectives générales de la lutte à venir leur sont claires. Ces perspectives, elles ne les trouvent pas auprès de la direction communiste.

A propos de la tactique des journées de mars 1921 en Allemagne ("électriser" la minorité du prolétariat au lieu d'en gagner la majorité), l'auteur de ces lignes déclarait au IIIe Congrès : "Lorsque la majorité écrasante de la classe ouvrière ne se retrouve pas dans le mouvement, ne sympathise pas avec lui ou encore doute de son succès, lorsque la minorité, par contre, se rue en avant et s'efforce mécaniquement de pousser les ouvriers à la grève, dans ce cas cette minorité, impatiente peut, en la personne du parti, entrer en conflit avec la classe ouvrière et s'y briser la tête. "

Faut-il donc renoncer à la grève comme forme de lutte? Non, non pas y renoncer mais créer les prémisses politiques et organisationnelles indispensables. Le rétablissement de l'unité syndicale en est un. La bureaucratie réformiste n'en veut pas, naturellement. Jusqu'à présent la scission lui a assuré la meilleure position possible. Mais la menace directe du fascisme modifie la situation dans les syndicats au grand désavantage de la bureaucratie. L'aspiration à l'unité grandit. La clique de Leipart peut toujours essayer, dans la situation actuelle, de refuser de rétablir l'unité : cela multipliera par deux ou par trois l'influence des communistes à l'intérieur des syndicats. Si l'unité se réalise, tant mieux, un large champ d'activité s'ouvrira devant les communistes. Il ne faut pas de demi-mesures mais un tournant radical !

Sans une large campagne contre la vie chère, pour la réduction de la semaine de travail, contre la diminution des salaires, sans la participation des chômeurs à cette lutte, sans l'application de la politique de front unique, les petites grèves improvisées ne feront jamais déboucher le mouvement sur une lutte d'ensemble.


Les sociaux-démocrates de gauche parlent de la nécessité, "en cas d'arrivée au pouvoir des fascistes", de recourir à la grève générale. Il est fort possible que Leipart lui-même affiche de telles menaces lorsqu'il est entre quatre murs. Le Rote Fahne parle à ce sujet de luxemburgisme. C'est calomnier la grande révolutionnaire. Si Rosa Luxemburg a surestimé l'importance propre de la grève générale dans la question du pouvoir, elle a très bien compris qu'il ne faut pas appeler arbitrairement à la grève générale, qu'elle est préparée par tout l'itinéraire antérieur du mouvement ouvrier, par la politique du parti et des syndicats. Dans la bouche des sociaux-démocrates de gauche, la grève générale est avant tout un mythe consolant qui leur permet de s'évader de la triste réalité.

Pendant de longues années les sociaux-démocrates français ont promis de recourir à la grève générale en cas de guerre. Le Congrès de Bâle de 1912 promettait même de recourir au soulèvement révolutionnaire. Mais la menace de grève et de soulèvement n'était dans ces deux cas qu'un coup de tonnerre d'opérette. Il ne s'agit nullement de l'opposition entre grève et soulèvement mais d'une attitude abstraite, formelle, purement verbale tant à l'égard de la grève que du soulèvement. Le social-démocrate bebelien d'avant-guerre était un réformiste, armé du concept abstrait de révolution ; le réformiste d'après-guerre, brandissant la menace de grève générale, est déjà une véritable caricature.

L'attitude de la direction communiste à l'égard de la grève générale est, évidemment, beaucoup plus sérieuse. Mais la clarté lui fait défaut, même dans cette question. Pourtant la clarté est nécessaire. La grève générale est un moyen de lutte très important mais il n'est pas un remède universel. Il y a des situations où la grève générale risque d'affaiblir plus les ouvriers que leur ennemi direct. La grève doit être un élément important du calcul stratégique, mais non une panacée dans laquelle se noie toute stratégie.

De façon générale la grève générale est l'instrument de lutte du plus faible contre le plus fort, ou, plus exactement, de celui qui, au début de la lutte, se sent le plus faible contre celui qu'il considère comme le plus fort : quand personnellement je ne peux pas utiliser un instrument important, j'essaie du moins d'éviter que l'ennemi ne s'en serve ; si je ne peux pas tirer avec un canon, je lui retirerai au mois son percuteur. Telle est l'"idée" de la grève générale.

La grève générale est toujours apparue comme un instrument de lutte contre un pouvoir d'Etat établi qui dispose des chemins de fer, du télégraphe, de forces militaires et policières, etc. En paralysant l'appareil d'Etat la grève générale, soit "effrayait" le pouvoir, soit créait les prémisses à une solution révolutionnaire de la question du pouvoir.

La grève générale s'avère être un moyen de lutte particulièrement efficace, quand seul l'enthousiasme révolutionnaire unit les masses travailleuses, l'absence d'organisation et d'un état-major de combat ne leur permettant ni d'apprécier à l'avance le rapport des forces ni d'élaborer le plan des opérations. On peut penser que la révolution antifasciste en Italie, dont le début sera marqué par un certain nombre de conflits localisés, passera inévitablement par le stade de la grève générale. Ce n'est que par cette voie que la classe ouvrière d'Italie, aujourd'hui atomisée, aura de nouveau conscience de former une seule classe et mesurera la force de résistance de l'ennemi qu'elle doit renverser.

La grève générale serait une forme appropriée de lutte contre le fascisme en Allemagne, seulement si ce dernier était déjà au pouvoir et tenait fermement l'appareil d'Etat. Mais le mot d'ordre de grève générale n'est qu'une formule creuse s'il s'agit d'écraser le fascisme dans sa tentative pour s'emparer du pouvoir.

Lors de la marche de Kornilov sur Petrograd, ni les bolcheviks ni les Soviets dans leur ensemble ne songeaient à déclencher une grève générale. Dans les chemins de fer les ouvriers luttaient pour transporter les troupes révolutionnaires et retenir les convois de Kornilov. Les usines ne s'arrêtaient que dans la mesure où les ouvriers devaient partir au front. Les entreprises qui travaillaient pour le front révolutionnaire redoublaient d'activité.

Il ne fut pas question de la grève générale pendant la Révolution d'octobre. A la veille de la révolution, les usines et les régiments dans leur immense majorité s'étaient déjà ralliés à la direction du Soviet bolchevique. Appeler les usines à la grève générale dans ces conditions signifiait s'affaiblir soi-même et non affaiblir l'adversaire. Dans les chemins de fer, les ouvriers s'efforçaient d'aider le soulèvement ; les employés, tout en affectant un air de neutralité, aidaient la contre-révolution. La grève générale des chemins de fer n'avait aucun sens ; la question fut résolue quand les ouvriers prirent le dessus.

Si, en Allemagne, la lutte éclate à partir de conflits localisés, dus à une provocation des fascistes, il est peu probable qu'un appel à la grève générale réponde aux exigences de la situation. La grève générale signifierait avant tout : couper une ville d'une autre, un quartier d'un autre et même une usine d'une autre. Il serait plus difficile de trouver et de rassembler les chômeurs. Dans ces conditions les fascistes qui ne manquent pas d'état-major, peuvent gagner une certaine supériorité, grâce à leur direction centralisée. Certes, leurs troupes sont à ce point atomisées que même alors, la tentative des fascistes peut être repoussée. Mais c'est déjà un autre aspect du problème.

La question des communications ferroviaires doit être abordée non du point de vue du "prestige" de la grève générale qui implique que tous fassent grève, mais du point de vue de son utilité dans le combat : pour qui et contre qui les voies de communications serviront-elles pendant l'affrontement ?

En conséquence, il faut se préparer non à la grève générale mais à résister aux fascistes. Cela implique : créer partout des bases de résistance, des détachements de choc, des réserves, des états-majors locaux et des centres de direction, une liaison effective, des plans très simples de mobilisation.

Ce qu'ont fait les organisations locales dans un coin de province, à Bruchsal ou à Klingental, où les communistes avec la SAP et les syndicats ont créé une organisation de défense, malgré le boycott de la part du sommet réformiste, est un exemple pour tout le pays, en dépit de ses dimensions modestes. O chefs puissants, ô stratèges sept fois sages, avons-nous envie de leur crier, prenez une leçon auprès des ouvriers de Bruchsal et de Klingental, imitez-les, élargissez leur expérience, prenez une leçon auprès des ouvriers de Bruchsal et de Klingental !

La classe ouvrière allemande dispose de puissantes organisations politiques, économiques et sportives. C'est cela qui fait la différence entre le "régime de Brüning" et le "régime d'Hitler". Brüning n'y a aucun mérite : la faiblesse bureaucratique n'est pas un mérite. Mais il faut regarder les choses en face. Le fait principal, capital, fondamental est que la classe ouvrière en Allemagne est encore en pleine possession de ses organisations. Une utilisation incorrecte de sa force est l'unique raison de sa faiblesse. Il suffit d'étendre à tout le pays l'expérience de Bruchsal et de Klingental, et l'Allemagne présentera un tout autre visage. Dans ces conditions, la classe ouvrière pourra recourir à des formes de lutte contre les fascistes beaucoup plus efficaces et directes que la grève générale. Si l'évolution de la situation rendait nécessaire l'utilisation de la grève générale (une telle situation pourrait naître d'un certain type de rapports entre les fascistes et les organes de l'Etat), le système des comités de défense constitués sur la base du front unique garantirait à l'avance le succès de la grève de masse.

La lutte ne s'arrêterait pas à cette étape. En effet, qu'est-ce dans le fond l'organisation de Bruchsal et de Klingental? Il faut savoir discerner ce qui est important dans des événements apparemment mineurs : ce comité local de défense est en fait le comité local des députés ouvriers ; il ne s'appelle pas ainsi et il n'en a pas conscience, car il s'agit d'un petit coin de province. Ici aussi, la quantité détermine la qualité. Transportez cette expérience à Berlin et vous aurez le Soviet des députés ouvriers de Berlin !


Notes

[1] Certains ultra-gauches (par exemple le groupe italien des Bordighistes estiment que le front unique n'est acceptable que pour les luttes économiques. Aujourd'hui encore plus que dans le passé il est impossible de séparer les luttes économiques des luttes politiques. L'exemple de l'Allemagne où les conventions tarifaires sont supprimées, où les salaires sont diminués par des décrets gouvernementaux devrait faire comprendre cette vérité même à des enfants en bas âge. Remarquons en passant qu'à l'heure actuelle, les staliniens redonnent vie à bon nombre des anciens préjugés des bordighistes. Il n'y a rien d'étonnant à ce que le groupe " Prométéo ", qui n'apprend rien et n'a pas progressé d'un pouce, soit aujourd'hui, à l'heure des zigzags ultra-gauches de l'Internationale communiste, beaucoup plus proche des staliniens que de nous.


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