1937

Le débat parmi les trotskystes américains sur la nature de l'URSS et de son Etat : un Etat ouvrier dégénéré ou un capitalisme d'Etat ?...


Léon Trotsky

DEFENSE DU MARXISME

L'U.R.S.S DANS LA GUERRE

Le pacte germano-soviétique et la nature de l'U.R.S.S.

Peut-on, après la signature du pacte germano-soviétique, reconnaître en l'U.R.S.S un Etat ouvrier ? La nature de l'Etat soviétique suscite à nouveau la discussion dans notre milieu. Ce n'est pas étonnant. Nous avons sous nos yeux la première expérience d'un Etat ouvrier dans l'histoire. Ce phénomène n'a encore jamais été nulle part étudié. Dans le problème de la nature de l'U.R.S.S les erreurs découlent, d'ordinaire, comme nous l'avons déjà écrit, de la substitution d'une norme programmatique au fait historique. Le fait concret s'est séparé de la norme. Cela ne signifie cependant pas qu'il ait renversé la norme; au contraire, d'un autre point de vue, il l'a confirmée. La dégénérescence du premier Etat ouvrier, dégénérescence que nous avons définie et expliquée ne fait qu'indiquer avec plus de force ce que doit être un Etat ouvrier et ce qu'il peut être et ce qu'il sera dans des conditions historiques données. La contradiction entre le fait historique et la norme nous a contraints non pas à nier la norme mais, au contraire, à lutter pour elle par la voie révolutionnaire. Le programme de la révolution en U.R.S.S. est défini d'un côté par notre appréciation de l'U.R.S.S. comme fait historique objectif et, de l'autre, par la norme que constitue l'Etat ouvrier. Nous ne disons pas "Tout est fichu, il faut tout recommencer à zéro !". Nous indiquons clairement quels sont les éléments de l'Etat ouvrier qui peuvent à un stade donné être préservés. maintenus et développés.

S'efforcer aujourd'hui de démontrer que le pacte germano-soviétique modifie notre appréciation de l'Etat soviétique c'est se placer au fond sur les positions mêmes de l'Internationale communiste ou plus exactement sur les positions qu'avait hier l'Internationale communiste. La lutte pour la démocratie impérialiste apparaît, conformément à cette logique, comme la mission historique du gouvernement ouvrier. La "trahison"des démocraties en faveur du fascisme prive alors l'U.R.S.S. du nom d'Etat ouvrier. En fait la signature d'un accord avec Hitler ne fait que mesurer une fois de plus le degré de décomposition de la bureaucratie soviétique et la profondeur de son mépris pour la classe ouvrière internationale, ainsi que pour l'Internationale communiste, mais elle ne donne aucune raison de réviser l'appréciation sociologique de l'U.R.S.S.

Divergences politiques ou terminologiques.

Commençons par poser le problème de la nature de l'Etat soviétique non pas sur le plan abstrait et sociologique, mais sur celui des tâches concrètes et politiques. Admettons un instant que la bureaucratie soit une nouvelle "classe" et que l'actuel régime de l'U.R.S.S. soit un système particulier d'exploitation de classe. Quelles nouvelles conclusions politiques découlent pour nous de ces analyses? La Quatrième Internationale a depuis longtemps reconnu la nécessité de renverser la bureaucratie par une insurrection révolutionnaire des travailleurs. Ceux qui déclarent que la bureaucratie est une "classe" exploiteuse ne proposent et ne peuvent rien proposer d'autre. L'objectif que le renversement de la bureaucratie doit permettre d'atteindre c'est le rétablissement du pouvoir des soviets d'où la bureaucratie actuelle sera chassée. [1] Nos critiques de gauche ne peuvent proposer et ne proposent rien d'autre [2]. L'aide à la révolution internationale et lai construction de la société socialiste, telles seront les tâches des soviets régénérés. Le renversement de la bureaucratie suppose donc que soient préservées la propriété de l'Etat et l'économie planifiée. Là est le noeud de tout le problème.

Bien entendu la répartition des forces productives entre les différentes branches de l'économie et tout le contenu du plan en général changeront profondément, lorsque le plan sera défini par les intérêts non point de la bureaucratie mais par ceux des producteurs eux-mêmes. Comme il s'agit toujours du renversement d'une oligarchie parasitaire accompagné du maintien de la propriété nationalisée (d'Etat) nous définissons la prochaine révolution comme une révolution politique. Certains de nos critiques (Ciliga [3], Bruno R... [4], etc.) veulent à toute force la définir comme une révolution sociale.

Acceptons cette définition. Que change-t-elle fondamentalement ? Elle n'ajoute rien de décisif aux tâches de la révolution, que nous avons énumérées.

Nos critiques, en règle générale, acceptent les faits tels que nous les avons depuis longtemps établis. Ils n'ont rien ajouté au fond de décisif à notre appréciation sur la situation de la bureaucratie dans la société soviétique et sur les relations entre elle et les travailleurs ou sur le rôle du Kremlin sur l'arène internationale. Sur toutes ces questions, non seulement ils ne discutent pas notre analyse; au contraire, ils S'appuient entièrement sur elle et se limitent même complètement à elle. Ils nous reprochent seulement de ne pas partager leurs "conclusions" inévitables. A l'examen, cependant, il apparaît que ces conclusions ont un caractère purement terminologique. Nos critiques se refusent à appeler Etat ouvrier l'Etat ouvrier dégénéré. Ils exigent que l'on qualifie la bureaucratie totalitaire de classe dirigeante.

Ils proposent de considérer la révolution contre cette bureaucratie comme une révolution sociale et non point politique. Si nous leur faisions ces concessions terminologiques, nous mettrions nos critiques dans une situation extrêmement délicate, car ils ne sauraient pas eux-mêmes que faire de leur victoire purement verbale.

Vérifions-nous une fois de plus.

Ce serait donc une absurdité monstrueuse que de faire scission avec des camarades qui ont un autre avis que nous sur la nature sociologique de l'U.R.S.S., pour autant qu'ils s'affirment solidaires de nous sur les problèmes politiques. Mais à l'inverse, ce serait pur aveuglement que d'ignorer des différences purement théoriques, même terminologiques, car dans le développement ultérieur elles peuvent prendre chair et sang et aboutir à des conclusions politiques tout à fait différentes. De même qu'une maîtresse de maison soigneuse ne laisse pas s'entasser les toiles d'araignées et la saleté, de même le parti révolutionnaire ne peut supporter les obscurités, la confusion, les équivoques. Il faut tenir sa maison propre!

Je rappellerai pour illustrer cette idée la question de Thermidor. Nous avons longtemps affirmé que Thermidor ne faisait que se préparer en U.R.S.S et ne s'était pas encore accompli. Puis, donnant à l'analogie avec Thermidor un caractère plus précis et plus réfléchi, nous en sommes arrivés à la conclusion que Thermidor était déjà derrière nous. Cette correction publique de notre propre erreur ne suscita pas dans nos rangs le moindre désarroi. Pourquoi? Parce que nous avions tous porté le même jugement sur l'essence des processus qu'avait connus l'Union soviétique en y suivant ensemble le développement de la réaction jour après jour. Il ne s'agissait pour nous que de préciser une analogie historique, rien de plus. J'espère qu'aujourd'hui encore, bien que quelques camarades tentent de tâter les divergences sur la question de la "défense de l'U.R.S.S." - et nous en discuterons plus loin- nous arriverons, tout simplement en précisant nos propres idées, à préserver notre unanimité sur le terrain du programme de la Quatrième Internationale.

Une tumeur ou un nouvel organe ?

Nos critiques ont plusieurs fois insisté sur le fait que la bureaucratie soviétique actuelle ressemble fort peu à la bureaucratie ouvrière ou à la bureaucratie bourgeoise de la société capitaliste et sur le fait qu'elle constitue, plus encore que la bureaucratie fasciste, une nouvelle formation sociale extrêmement puissante. Cela est parfaitement vrai et nous n'avons jamais fermé les yeux là-dessus. Mais si l'on qualifie la bureaucratie de "classe" il faut aussitôt déclarer que cette classe est tout à fait différente de toutes les classes possédantes que nous avons connues dans le passé: le profit est donc bien mince. Nous appelons souvent la bureaucratie soviétique une caste, soulignant par là le caractère fermé, le despotisme et la morgue de la couche dirigeante qui considère qu'elle seule descend des lèvres de Brahma alors que les masses populaires proviennent des parties beaucoup plus viles de son corps. Mais cette définition n'a pas, bien sûr, de caractère strictement scientifique. Son avantage relatif consiste en ce que le caractère figuré de cette dénomination est clair pour tous et qu'il ne vient à la tête de personne d'assimiler la bureaucratie de Moscou à la caste indienne des brahmanes. La vieille terminologie sociologique n'a pas préparé et ne pouvait pas préparer de dénomination pour un nouveau phénomène social en plein développement (la dégénérescence) et qui n'a pas pris de formes stables. Nous continuons cependant tous à qualifier la bureaucratie soviétique de bureaucratie sans oublier par ailleurs ses particularités historiques. Pour le moment, à notre avis, cela suffit.

Sur le plan scientifique et politique - et non pas purement terminologique - la question se pose ainsi: la bureaucratie constitue-t-elle une excroissance temporaire sur l'organisme social ou bien cette excroissance s'est-elle déjà transformée en un organe historiquement nécessaire? Une monstruosité sociale peut être le résultat d'une combinaison accidentelle (c'est-à-dire temporaire et exceptionnelle) de circonstances historiques. Un organe social (et c'est ainsi que se présente chaque classe, y compris une classe exploiteuse) ne peut se constituer que comme produit (résultat) des exigences internes profondes de la production elle-même. Si nous n'apportons pas de réponse à cette question, alors toute la discussion se transforme en jeu stérile sur les mots.

Le début de la décomposition de la bureaucratie.

La justification historique de toute classe a toujours consisté en ce que le système d'exploitation dirigé par elle hissait à un degré supérieur le développement des forces productives. Il est indubitable que le régime soviétique a donné une impulsion puissante à l'économie. Mais la source de cette impulsion ce furent la nationalisation des moyens de production et le principe du plan et pas du tout 1 usurpation par la bureaucratie de la gestion de l'économie. Au contraire la bureaucratie, comme système, est devenue le pure des freins au développement technique et culturel du pays Le fait que l'économie soviétique s'est occupée pendant des décennies a transférer et assimiler la technique et l'organisation de la production des pays capitalistes avancés a masqué ce fait pendant un certain temps. La période des emprunts et des imitations s'est plus ou moins bien accommodée de l'automatisme bureaucratique, qui étouffait l'esprit d'initiative et la création. Mais plus l'économie s'est développée, plus ses exigences sont devenues complexes et plus le régime bureaucratique est apparu comme un obstacle insupportable. La contradiction croissante entre eux mène à des convulsions politiques permanentes, à l'extermination systématique des éléments créateurs les plus éminents dans tous les domaines d'activité. Ainsi avant même de pouvoir arriver à se transformer en "classe dirigeante" la bureaucratie est entrée irrémédiablement en contradiction avec les exigences du développement. Cela s'explique précisément parce que la bureaucratie ne se présente pas comme la porteuse d'un nouveau système d'économie, qui lui serait propre et qui serait impossible sans elle, mais comme une excroissance parasitaire sur le corps de l'Etat ouvrier.

Les conditions de la puissance et de la chute de la bureaucratie.

L'oligarchie soviétique a tous les défauts des vieilles classes dirigeantes sans avoir leur mission historique. Dans la dégénérescence bureaucratique de l'Etat soviétique ce ne sont pas les lois générales de la société contemporaine, du capitalisme au socialisme, qui trouvent leur expression, niais une rupture particulière, exceptionnelle et temporaire de ces lois dans les conditions définies par l'arriération d'un pays révolutionnaire et par l'encerclement capitaliste. La pénurie de produits de consommation et la lutte générale pour leur possession engendrent le gendarme qui prend sur lui d'assurer les fonctions de répartition. La pression hostile exercée de l'extérieur attribue au gendarme le rôle de "défenseur" du pays, ce qui lui donne une autorité nationale et lui permet ainsi de piller le pays deux fois plus.

Les conditions qui fondent la puissance de la bureaucratie (l'arriération du pays et l'encerclement capitaliste) ont, cependant, un caractère temporaire, transitoire et doivent disparaître avec la victoire de la révolution internationale. Les économistes bourgeois eux-mêmes ont calculé que, dans le cadre d'une économie planifiée, on pourrait rapidement élever le revenu national des U.S.A. à deux cents milliards de dollars par an et garantir ainsi à toute la population non seulement la satisfaction de ses besoins fondamentaux mais encore un véritable confort. D'un autre côté la révolution internationale marquerait la fin du danger venu de l'extérieur, cause complémentaire de la bureaucratisation. La disparition de la nécessité de dépenser une part énorme du revenu national pour l'armement élèverait plus encore le niveau de vie et le niveau culturel des masses. Dans ces conditions la nécessité du gendarme répartiteur disparaîtrait d'elle-même. L'administration d'une coopération gigantesque remplacerait très vite la puissance gouvernementale. Il n'y aurait pas de place pour une nouvelle classe dirigeante ni pour un nouveau régime d'exploitation situé entre le capitalisme et le socialisme.

Et si la révolution socialiste ne s'accomplit pas ?

Le déclin du capitalisme atteint des limites extrêmes, tout comme le déclin de la vieille classe dirigeante. Ce système ne peut plus survivre. Les forces productives doivent être organisées dans le cadre de la planification. Mais qui accomplira ce travail? Le prolétariat ou une nouvelle classe dirigeante de "commissaires", politiciens, administrateurs et techniciens? L'expérience historique témoigne, à en croire certains, qu'il est impossible de compter sur le prolétariat qui s'est révélé "incapable" d'empêcher la précédente guerre impérialiste, bien que les prémices matérielles de la révolution socialiste fussent déjà mûres. Les succès du fascisme après la guerre sont apparus de nouveau comme le produit de "l'incapacité" du prolétariat à sortir la société capitaliste de l'impasse. La bureaucratisation de la société soviétique est apparue, à son tour, comme le résultat de "l'incapacité" du prolétariat à régir lui-même la société d'une façon démocratique. La révolution espagnole a été écrasée par les bureaucraties fascistes et staliniennes sous les yeux du prolétariat mondial. Enfin le dernier maillon de cette chaîne: l'approche de la nouvelle guerre impérialiste dont la préparation s'est déroulée à ciel ouvert, devant un prolétariat réduit à une totale impuissance. Si l'on accepte cette analyse, c'est-à-dire si l'on admet que le prolétariat n'a pas la force d'accomplir la révolution socialiste, c'est quelqu'un d'autre qui réalisera la tâche urgente que représente l'étatisation des forces productives. Et qui précisément? Une nouvelle bureaucratie qui remplacera la bourgeoisie pourrissante en qualité de nouvelle classe dirigeante à l'échelle du monde. C'est ainsi que ceux des critiques de "gauche" qui ne se contentent pas de querelle de mots commencent à poser la question.

La guerre actuelle et le destin de la société contemporaine.

Le cours même des choses pose aujourd'hui le problème sous des formes très concrètes. La seconde guerre mondiale a commencé. Elle représente une confirmation implacable du fait que la société ne peut plus continuer à vivre sur les bases du capitalisme. Par là elle soumet le prolétariat à une nouvelle épreuve, peut-être décisive.

Si cette guerre provoque, comme nous le croyons fermement, la révolution prolétarienne, elle entraînera inévitablement le renversement de la bureaucratie en U.R.S.S. et la résurrection de la démocratie soviétique, sur des bases économiques et culturelles infiniment plus hautes qu'en 1918. Dans ce cas la question de savoir si la bureaucratie stalinienne est une "classe" ou une excroissance sur l'Etat ouvrier se résoudra d'elle-même. Il sera clair alors que dans le processus du développement de la révolution internationale la bureaucratie soviétique ne représentait qu'une rechute épisodique.

Si l'on considère, au contraire, que la guerre actuelle provoquera non point la révolution mais la déchéance du prolétariat, il n'existe alors qu'une autre issue à l'alternative: la décomposition ultérieure du capitalisme monopoliste, sa fusion ultérieure avec l'Etat et la disparition de la démocratie, là où elle s'est encore maintenue, au profit d'un régime totalitaire. L'incapacité du prolétariat à prendre en mains la direction de la société pourrait effectivement dans ces conditions mener à l'émergence d'une nouvelle classe exploiteuse issue de la bureaucratie bonapartiste et fasciste. Ce serait, selon toute vraisemblance, un régime de décadence, qui signifierait le crépuscule de la civilisation.

On aboutirait à un résultat analogue dans le cas, aussi, où le prolétariat des pays capitalistes avancés, ayant conquis le pouvoir, apparaîtrait incapable de le conserver et l'abandonnerait, comme en U.R.S.S., à une bureaucratie privilégiée. Nous serions alors contraints d'admettre que la rechute bureaucratique n'a pas été due à l'arriération du pays et à l'encerclement capitaliste mais à l'incapacité organique du prolétariat à devenir une classe dirigeante. Il faudrait alors établir rétrospectivement que dans ses traits fondamentaux l'U.R.S.S. actuelle est le précurseur d'un nouveau régime d'exploitation à l'échelle internationale.

Nous nous sommes fort éloignés des disputes terminologiques sur la dénomination de l'Etat soviétique. Mais que nos critiques ne protestent pas: ce n'est qu'en se plaçant à la distance historique nécessaire que l'on peut établir un jugement correct sur un problème tel que le remplacement d'un régime social par un autre. L'alternative historique élaborée jusqu'à son terme se présente ainsi: ou bien le régime stalinien n'est qu'une rechute exécrable dans le processus de la transformation de la société bourgeoise en société socialiste ou bien le régime stalinien est la première étape d'une nouvelle société d'exploitation. Si le deuxième pronostic se révèle juste, alors, bien entendu, la bureaucratie deviendra une nouvelle classe exploiteuse. Cette seconde perspective aurait beau paraître fort lourde, Si le prolétariat mondial apparaissait effectivement incapable de remplir la mission que le cours du développement place sur ses épaules, il ne resterait alors rien d'autre à faire que de reconnaître ouvertement que le programme socialiste, construit sur les contradictions internes de la société capitaliste, s'est avéré une pure utopie. Il faudrait alors, évidemment, élaborer un nouveau programme "minimum" pour défendre les intérêts des esclaves de la société bureaucratique totalitaire.

Existe-t-il, toutefois, des données objectives à ce point inébranlables ou, du moins, assez convaincantes pour nous contraindre aujourd'hui à refuser les perspectives de la révolution socialiste? Là est la question.

La théorie du collectivisme bureaucratique.

Peu après l'arrivée de Hitler au pouvoir, le "communiste de gauche" allemand Hugo Urbahns arriva à la conclusion qu'une ère nouvelle, celle du "capitalisme d'Etat", allait remplacer l'ère du capitalisme. L'Italie, l'U.R.S.S., l'Allemagne représentaient les premiers modèles de ce régime, Urbahns n'a cependant pas tiré les conséquences politiques de sa théorie. Tout dernièrement, le "communiste de gauche" Bruno R., ancien membre de la Quatrième Internationale, parvint à la conclusion que le collectivisme bureaucratique remplacerait le capitalisme. La nouvelle bureaucratie est une classe, ses relations avec les travailleurs sont définies par l'exploitation collective, les prolétaires se sont transformés en esclaves de l'exploiteur totalitaire.

Bruno R. met sur le même plan l'économie planifiée de l'U.R.S.S., le fascisme, le national-socialisme et le "New Deal" de Roosevelt. Tous ces régimes ont, c'est indubitable, des traits communs qui, en fin de compte, se définissent par les tendances collectivistes de l'économie contemporaine. Dès avant la Révolution d'Octobre, Lénine formulait ainsi les caractéristiques principales du capitalisme impérialiste: concentration gigantesque des forces productives, fusion du capital monopoliste avec l'Etat, tendance organique à la dictature comme résultat de cette fusion. La centralisation et la collectivisation caractérisent aussi bien la politique de la révolution que celle de la contre-révolution [5]. Mais cela ne signifie pas du tout qu'entre la révolution, Thermidor, le fascisme et le "réformisme" américain, on puisse mettre un signe égal. Bruno R. a saisi le fait que les tendances à la collectivisation prennent, à cause de la prostration politique de la classe ouvrière, la forme du "collectivisme bureaucratique". Le phénomène est en lui-même indiscutable. Mais où sont ses limites et quel est son poids historique? Ce qui nous apparaît comme une déformation d'une période transitoire, comme le résultat du développement inégal des divers facteurs du processus social, Bruno R. le considère comme une formation sociale autonome dans laquelle la bureaucratie est une classe dirigeante. Bruno R. a, en tout état de cause, l'avantage de tenter de déplacer la question du cercle vicieux des spéculations terminologiques sur le terrain des grandes généralisations historiques. Il n'en est que plus aisé de mettre son erreur en lumière.

Comme beaucoup d'ultra-gauches, Bruno R. identifie fondamentalement le stalinisme et le fascisme. D'un côté la bureaucratie soviétique s'est assimilée les méthodes politiques du fascisme; de l'autre la bureaucratie fasciste, qui, pour le moment s'en tient à des mesures "partielles" d'intervention gouvernementale, tend vers l'étatisation de l'économie et elle y parviendra bientôt. La première affirmation est parfaitement juste. Mais il est faux d'affirmer, comme Bruno R., que "l'anti-capitalisme" fasciste est capable d'aller jusqu'à l'expropriation de la bourgeoisie. Les mesures "partielles" d'intervention de l'Etat et de nationalisation diffèrent, en réalité, de l'économie étatisée et planifiée, comme les réformes diffèrent de la révolution. Mussolini et Hitler ne font que "coordonner" les intérêts des propriétaires et "régulariser" l'économie capitaliste, et cela, pour l'essentiel à des fins militaires. L'oligarchie du Kremlin, c'est autre chose: elle a la possibilité de diriger l'économie comme an tout et cela grâce au fait que la classe ouvrière russe a accompli la plus grande révolution des rapports de propriété de toute l'histoire. On ne peut laisser cette différence de côté.

Mais même si l'on admet qu'issus de points de départ différents le stalinisme et le fascisme aboutissent, à un moment donné, au même type de société d'exploitation (le "collectivisme bureaucratique", selon la terminologie de Bruno R.) cela ne sort encore pas du tout la société de l'impasse. La crise du système capitaliste est suscitée non seulement par le rôle réactionnaire de la propriété privée mais aussi par le rôle non moins réactionnaire de l'Etat national.

Même si les divers gouvernements fascistes réussissaient à établir chez eux un système d'économie planifiée, alors, à part l'éventualité, à la longue, d'inévitables mouvements révolutionnaires du prolétariat qu'aucun plan ne saurait prévoir, la lutte entre les Etats totalitaires pour la domination mondiale continuerait et même s'intensifierait de façon erronée. Des guerres dévoreraient les fruits de l'économie planifiée et détruiraient les fondements de la civilisation. Bertrand Russel croit, il est vrai, qu'un Etat victorieux pourrait, en conclusion de la guerre, unifier le monde entier dans un étau totalitaire [6]. Mais même si une telle hypothèse se vérifiait, ce qui est plus que douteux, une "unification" militaire ne serait pas plus stable que la paix de Versailles. Les soulèvements nationaux et les pacifications qui s'ensuivraient déboucheraient sur une nouvelle guerre mondiale, qui pourrait creuser le tombeau de la civilisation. Ce ne sont pas nos voeux subjectifs, mais la réalité objective qui indique que la seule issue pour l'humanité est la révolution socialiste mondiale. L'alternative, c'est la rechute dans la barbarie.

Le prolétariat et sa direction.

Nous consacrerons un second article particulier au problème des relations entre la classe et sa direction. Nous nous en tiendrons ici au strict nécessaire. Seuls des "marxistes" vulgaires qui supposent que la politique est le reflet direct et immédiat de l'économie peuvent penser que la direction reflète de façon directe et immédiate la classe. En réalité la direction, s'élevant au-dessus de la classe exploitée, tombe inévitablement sous la pression de la classe dirigeante. La direction des syndicats américains, par exemple, "reflète" moins le prolétariat que la bourgeoisie. La sélection et l'éducation d'une direction vraiment révolutionnaire, capable de s'opposer à la pression de la bourgeoisie est une tâche exceptionnellement difficile. La dialectique du processus historique s'est reflétée avec une vigueur particulière dans le fait que le prolétariat du pays le plus arriéré, la Russie, a produit dans des circonstances historiques données la direction la plus perspicace et la plus audacieuse. Au contraire c'est dans le pays qui possède la plus vieille culture capitaliste, la Grande-Bretagne, que l'on trouve aujourd'hui la direction la plus obtuse et la plus servile.

La crise de la société capitaliste, qui a éclaté au grand jour en juillet 1914, a suscité dès les premiers jours de la guerre une crise aiguë de la direction prolétarienne. Pendant les vingt-cinq années qui se sont écoulées depuis ce moment, le prolétariat des pays capitalistes avancés n'a pas encore créé une direction à la hauteur des tâches de notre époque. L'expérience de la Russie témoigne cependant qu'une telle direction peut voir le jour (cela ne signifie pas, bien sûr, qu'elle sera garantie contre la dégénérescence). La question se pose donc ainsi: la nécessité historique objective ouvre-t-elle en fin de compte la voie à la constitution d'une avant-garde de la classe ouvrière, c'est-à-dire une véritable direction révolutionnaire capable de mener le prolétariat à la conquête du pouvoir se constituera-t-elle dans le processus de cette guerre et des ébranlements profonds qui doivent s'en suivre ?

La Quatrième internationale a répondu de façon affirmative à cette question non seulement par le texte de son programme, mais aussi par le fait même de son existence. Au contraire toutes les variétés de représentants désenchantés et apeurés du pseudo-marxisme partent du point de vue que la banqueroute de la direction ne fait que refléter "l'incapacité" du prolétariat à remplir sa mission révolutionnaire. Tous nos adversaires n'expriment pas clairement cette idée, mais tous, ultra-gauches, centristes, anarchistes, sans parler même des staliniens et des sociaux-démocrates - se déchargent de la responsabilité de la défaite sur le dos du prolétariat. Aucun d'eux n'indique dans quelles conditions précisément le prolétariat s'avérera capable de réaliser la révolution socialiste.

Si l'on admet que les qualités socialistes du prolétariat lui-même constituent la cause des défaites, il faut alors considérer comme sans espoir la situation de la société contemporaine. Dans les conditions du capitalisme pourrissant, le prolétariat ne se développera ni sur le plan du nombre, ni sur celui de la culture. Il n'y aurait donc aucun motif d'espérer qu'il se hisse jamais au niveau des tâches qu'impose la révolution. L'affaire se présente sous un tout autre jour pour qui a explicité l'antagonisme très vigoureux qui existe entre la profonde aspiration organique et indéfinie des masses à s'arracher au chaos sanglant du capitalisme et le caractère conservateur, patriotique, entièrement bourgeois, de la direction qui se survit. Il faut choisir entre ces deux conceptions inconciliables.

La dictature totalitaire : un état de crise aiguë et non un régime stable.

La Révolution d'Octobre n'est pas un hasard. Elle avait été prévue depuis longtemps. Les événements confirmèrent la prévision. La dégénérescence ne réfute pas la prévision, car jamais les marxistes n'ont pensé que l'Etat ouvrier en Russie pouvait tenir indéfiniment. Nous prévoyions, il est vrai, l'écroulement de l'Etat ouvrier plutôt que sa dégénérescence, ou plus exactement nous ne distinguions pas nettement ces deux possibilités. Mais elles ne se contredisent absolument pas l'une l'autre. La dégénérescence doit inévitablement s'achever, à une certaine étape, par la destruction.

Le régime totalitaire, de type stalinien ou fasciste, ne peut être, de par sa nature, qu'un régime temporaire, transitoire.

Dans l'histoire la dictature a en général été le résultat et le signe d'une crise sociale particulièrement aiguë et absolument pas un régime stable. Une situation de crise aiguë ne peut constituer l'état permanent d'une société. L'Etat totalitaire peut, pendant un certain temps, étouffer les contradictions sociales, mais il est incapable de se perpétuer. Les purges monstrueuses on U.R.S.S. sont le témoignage le plus convaincant que la société soviétique tend, de façon organique, à rejeter la bureaucratie de son sein.

Il est vraiment étonnant que Bruno R. voie justement dans les purges staliniennes la preuve que la bureaucratie est devenue une classe dirigeante car seule une classe dirigeante est capable, à son avis, de prendre des mesures d'une ampleur aussi vaste [7]. Il oublie cependant que le tsarisme qui n'était pas une "classe" s'est permis d'assez vastes mesures dans le domaine de l'épuration et précisément dans la période où il approchait de sa perte. Par leur ampleur et leur caractère monstrueusement mensonger, les purges de Staline ne témoignent que de l'incapacité de la bureaucratie à se transformer on une classe dominante stable et elles apparaissent comme les symptômes de son agonie prochaine Ne nous trouverions-nous pas dans une situation ridicule si nous donnions à l'oligarchie bonapartiste le nom de nouvelle classe dirigeante quelques années ou même quelques mois avant sa chute honteuse? La seule clarté dans la définition de la question doit, à notre sens, maintenir les camarades à l'écart des expérimentations terminologiques et des généralisations trop hâtives.

L'orientation vers la révolution internationale et la régénération de l'U.R.S.S.

Un délai d'un quart de siècle s'est révélé trop court pour le réarmement révolutionnaire de l'avant-garde prolétarienne internationale et trop long pour préserver le système soviétique dans un pays arriéré isolé. L'humanité en paie le prix aujourd'hui par une nouvelle guerre impérialiste. Mais la tâche essentielle de notre époque n'a pas changé pour cette simple raison qu'elle n'est pas résolue. Un acquis colossal dans le dernier quart de siècle et un gage inappréciable pour l'avenir voilà ce que représente le fait que l'un des détachements du prolétariat mondial à été capable de démontrer dans l'action comment la tâche peut être résolue.

La deuxième guerre impérialiste place la tâche encore non résolue à une étape historique encore plus haute. Elle met à l'épreuve une fois de plus non seulement la stabilité des régimes existants mais aussi la capacité du prolétariat de les remplacer. Les résultats de cette épreuve auront sans aucun doute une signification décisive pour notre appréciation de l'époque contemporaine en tant qu'époque de la révolution prolétarienne. Si, contrairement à toutes les probabilités. la Révolution d'Octobre ne trouve pas, au cours de la présente guerre, ou immédiatement après, son prolongement dans l'un ou l'autre des pays avancés; et si, au contraire, le prolétariat est rejeté en arrière partout et sur tous les fronts -alors nous aurions à coup sûr à poser la question d'une révision de notre conception de la présente époque et de ses forces motrices, il ne s'agirait pas de savoir quelle étiquette coller sur l'U.R.S.S. ou la clique stalinienne mais d'une réévaluation des perspectives historiques mondiales pour les décennies, Si ce n'est les siècles, à venir: sommes-nous entrés dans l'époque de la révolution sociale et de là société socialiste, ou au contraire dans l'époque de la société décadente de la bureaucratie totalitaire?

Les schématiques dans le genre d'Hugo Urbahns et de Bruno R. commettent une double erreur: premièrement ils proclament que ce régime est déjà définitivement en place; ensuite ils le définissent comme un long état transitoire de la société entre le capitalisme et le socialisme. Cependant il est tout à fait évident que si le bilan à tirer de l'expérience de notre époque entière et de là nouvelle guerre en cours c'était que le prolétariat se révèle incapable de devenir le maître de la société, cela signifierait l'effondrement de tous les espoirs en la révolution socialiste car on ne saurait certainement attendre des conditions plus favorables pour la révolution; en tout état de cause personne ne peut ni les prévoir ni les définir.

Les marxistes n'ont pas le moindre droit (à moins de considérer le désenchantement et la lassitude comme un "droit") de tirer la conclusion que le prolétariat a épuisé ses possibilités révolutionnaires et doit abandonner ses prétentions à parvenir au pouvoir dans la toute prochaine période. Sur les balances de l'histoire vingt-cinq années correspondent à une heure de la vie d'une homme quand de très profonds changements des systèmes économiques et culturels sont en jeu. A quoi est bon un homme qui, pour quelques échecs empiriques qu'il subit pendant une heure ou une journée, abandonne le but qu'il s'était fixé à partir de l'expérience et de l'étude de toute sa vie antérieure? Dans les années sombres de la réaction russe (1907-1917) nous partions des possibilités qu'avait révélées le prolétariat russe en 1905. En ces années de réaction mondiale nous devons aussi partir des possibilités qu'a révélées le prolétariat russe en 1917. La Quatrième Internationale ne s'est pas désignée par hasard comme le parti mondial de la révolution socialiste. Notre voie est immuable. Notre orientation c'est celle qui mène à la révolution internationale et, par là-même, à la régénération de l'U.R.S.S. comme Etat ouvrier.

La politique extérieure est le prolongement de la politique intérieure.

Que défendons-nous en U.R.S.S.? Pas ce en quoi elle ressemble aux pays capitalistes, mais ce en quoi elle se distingue d'eux. En Allemagne, nous prêchons aussi l'insurrection contre la bureaucratie dirigeante, mais cela pour anéantir immédiatement la propriété capitaliste. En U.R.S.S. le renversement de la bureaucratie est indispensable pour préserver la propriété d'Etat. C'est seulement en ce sens que nous sommes partisans de la défense de l'U.R.S.S.

Personne dans nos rangs ne met en doute que les travailleurs soviétiques doivent défendre la propriété d'Etat non seulement contre le parasitisme de la bureaucratie, mais aussi contre les tendances qui poussent vers la propriété privée, par exemple dans les rangs de l'aristocratie kolkhozienne. Mais la politique extérieure est le prolongement de la politique intérieure. Si en politique intérieure nous lions la défense des conquêtes de la Révolution d'Octobre à une lutte intransigeante contre la bureaucratie, nous devons avoir la même attitude en politique extérieure. Bruno R., il est vrai, partant du point de vue que le "collectivisme bureaucratique" a déjà triomphé sur toute la ligne, nous assure que personne ne menace la propriété d'Etat car Hitler (et Chamberlain [8] ?) y est aussi intéressé que Staline. Malheureusement les assurances de Bruno R. sont bien légères. En cas de victoire, Hitler commencera vraisemblablement par demander le retour aux capitalistes allemands de toutes leurs propriétés, jadis expropriées; il garantira ensuite la même restauration de la propriété privée aux Anglais, aux Français et aux Belges, afin de parvenir à un accord avec eux aux dépens de l'U.R.S.S.; finalement il fera de l'Allemagne le commanditaire des entreprises d'Etat soviétiques les plus importantes au profit de la machine militaire allemande. Pour le moment Hitler est l'allié et l'ami de Staline. Mais si, avec l'aide de Staline, il remportait la victoire sur le front occidental, il tournerait le lendemain ses armes contre l'U.R.S.S. Dans des circonstances semblables, Chamberlain n'agirait pas autrement qu'Hitler.

La défense de l'U.R.S.S. et la lutte des classes.

Les erreurs sur le problème de la défense de l'U.R.S.S. découlent le plus souvent d'une compréhension incorrecte des méthodes de "défense". "Défense de l'U.R.S.S." ne signifie pas le moins du monde un rapprochement avec la bureaucratie du Kremlin, l'acceptation de sa politique ou la conciliation avec la politique de ses alliés. Sur ce point comme sur tous les autres nous demeurons entièrement sur le terrain de la lutte des classes internationale.

La petite revue française Que faire ? [9] a écrit il n'y a guère : "les trotskystes" en étant défaitistes par rapport à la France et à l'Angleterre, sont, en conséquence, défaitistes par rapport à l'U.R.S.S.". En d'autres termes: si vous voulez défendre l'U.R.S.S., vous devez cesser d'être défaitiste vis-à-vis de ses alliés impérialistes. En écrivant ces lignes, Que faire ? supputait que les alliés de l'U.R.S.S. seraient les "démocraties". Ce que ces malins vont dire aujourd'hui reste obscur. Mais cela importe peu, car c'est leur méthode même qui est vicieuse. Renoncer au défaitisme par rapport au camp impérialiste auquel l'U.R.S.S. adhère aujourd'hui ou pourrait adhérer demain c'est rejeter les travailleurs du camp adverse aux côtés de leur gouvernement, c'est renoncer au défaitisme en général. La renonciation au défaitisme dans les conditions de la guerre impérialiste équivaut à rejeter la révolution socialiste. Rejeter la révolution au nom de la "défense de l'U.R.S.S.", ce serait condamner l'U.R.S.S. à la décomposition finale et à la ruine.

La "Défense de l'U.R.S.S." telle qu'elle est interprétée par l'Internationale communiste, de même que la "lutte contre le fascisme" d'hier, se fonde sur la renonciation à une politique de classe indépendante. Le prolétariat est transformé, pour des raisons variées dans des circonstances diverses, mais toujours et invariablement, en force auxiliaire d'un camp bourgeois contre l'autre.

Pour faire contrepoids à cela certains camarades affirment : "étant donné que nous ne voulons pas nous transformer en instruments de Staline et de ses alliés, nous renonçons à la défense de l'U.R.S.S." [Paraphrase des positions de Burnham et Shachtman.]. Et pourtant par là ils montrent seulement que leur conception de la "défense" correspond dans son fond à la conception qu'en ont les opportunistes: ils n'ont pas en tête une politique indépendante du prolétariat. En réalité nous défendons l'U.R.S.S. comme nous défendons les pays colonisés, comme nous réglons toutes les tâches que nous nous fixons, non pas en soutenant certains gouvernements impérialistes contre d'autres, mais par la méthode de la lutte des classes internationale dans les colonies comme dans les métropoles.

Nous ne sommes pas un parti gouvernemental, nous sommes un parti d'opposition inflexible, non seulement dans les pays capitalistes mais aussi en U.R.S.S. Nous ne réalisons pas nos tâches - et parmi elles la "défense de l'U.R.S.S."- par l'intermédiaire des gouvernements bourgeois ni par l'intermédiaire du gouvernement de l'U.R.S.S., mais exclusivement par l'éducation des masses, par l'agitation, en expliquant aux travailleurs ce qu'il faut défendre et ce qu'il faut jeter bas. Une telle "défense" ne peut pas donner des résultats immédiats mirobolants. Mais nous n'y prétendons pas. Nous ne sommes pour le moment qu'une minorité révolutionnaire. Notre travail doit viser à ce que les travailleurs sur lesquels nous avons de l'influence jugent correctement les événements, ne se laissent pas prendre au dépourvu et préparent l'opinion publique de leur propre classe au règlement révolutionnaire des tâches qui nous attendent.

La défense de l'U.R.S.S. se confond pour nous avec la préparation de la révolution internationale. Ne sont admissibles que les méthodes qui ne sont pas contradictoires avec les intérêts de la révolution. La défense de l'U.R.S.S. a, avec la révolution socialiste internationale, le rapport qui lie une tâche tactique à une tâche stratégique. La tactique est subordonnée à l'objectif stratégique et ne peut en aucun cas s'opposer à lui.

Le problème des territoires occupés.

Au moment où j'écris ces lignes, le sort des territoires occupés par l'Armée rouge reste toujours obscur. Les dépêches se contredisent, car les deux parties mentent à l'envi. Mais les rapports de force sur le terrain sont sans aucun doute toujours fort incertains. Une partie des territoires occupés sera indubitablement incorporée à l'U.R.S.S. Sous quelle forme. précisément?

Supposons un instant que, conformément au pacte conclu avec Hitler, le gouvernement de Moscou conserve intacts les droits de la propriété privée dans les territoires occupés et se borne au "contrôle" sur le modèle fasciste. Une telle concession revêtirait sur le plan des principes une très grande importance et pourrait constituer le point de départ d'un nouveau chapitre de l'histoire du régime soviétique et donc d'une nouvelle appréciation, de notre point de vue, de la nature de l'Etat soviétique.

Il est plus vraisemblable, cependant, que dans les territoires qui doivent être incorporés à l'U.R.S.S., le gouvernement de Moscou procédera à l'expropriation des grands propriétaires et à l'étatisation des moyens de production. Cette orientation est plus probable non parce que la bureaucratie reste fidèle au programme socialiste, mais parce qu'elle ne veut ni ne peut partager le pouvoir et les privilèges qui en découlent avec les anciennes classes dirigeantes dans les territoires occupés. Ici une analogie se présente d'elle-même. Le premier Bonaparte arrêta la révolution au moyen d'une dictature militaire. Toutefois, lorsque les troupes françaises envahirent la Pologne, Napoléon signa un décret stipulant: "Le servage est aboli". Cette mesure n'était dictée ni par les sympathies de Napoléon pour les paysans, ni par des principes démocratiques, mais par le fait que la dictature bonapartiste s'appuyait sur les rapports de propriété bourgeois et non féodaux. Etant donné que la dictature bonapartiste de Staline s'appuie sur la propriété d'Etat et non sur la propriété privée, l'invasion de la Pologne par l'Armée rouge doit, dans ces conditions, entraîner l'abolition de la propriété privée capitaliste, afin d'aligner le régime des territoires occupés sur celui de l'U.R.S.S.

Mesure révolutionnaire par sa nature "l'expropriation des expropriateurs s'effectue dans ce cas de manière militaro-bureaucratique. Tout appel a une action indépendante des masses - mais sans un tel appel, fût il très prudent, il est impossible d'établir un nouveau régime- sera sans nul doute étouffé le lendemain même par d'impitoyables mesures de police, afin d'assurer la prépondérance de la bureaucratie sur les masses révolutionnaires en éveil. C'est là un aspect de la question. Mais il y en a un autre. Pour avoir la possibilité d'occuper la Pologne au moyen d'une alliance militaire avec Hitler, le Kremlin a depuis longtemps trompé et continue de tromper les masses en U.R.S.S. et dans le monde entier et a, de ce fait, provoqué la décomposition complète des rangs de sa propre Internationale communiste. Le critère politique essentiel pour nous n'est pas la transformation des rapports de propriété dans cette région ou une autre, si importants qu'ils puissent être par eux-mêmes, mais le changement à opérer dans la conscience et l'organisation du prolétariat mondial, l'accroissement de sa capacité à défendre les conquêtes antérieures et à en réaliser de nouvelles. De ce seul point de vue décisif, la politique de Moscou considérée globalement, conserve entièrement son caractère réactionnaire et demeure le principal obstacle sur la voie de la révolution internationale.

Notre appréciation générale du Kremlin et de l'Internationale communiste ne modifie pas cependant le fait particulier que l'étatisation des formes de la propriété dans les territoires occupés constitue en soi une mesure progressiste. Il faut le reconnaître ouvertement. Si Hitler lançait demain ses armées à l'assaut de l'Est afin de rétablir "l'ordre" dans la Pologne orientale, les travailleurs d'avant-garde défendraient contre Hitler ces nouvelles formes de propriété établies par la bureaucratie bonapartiste soviétique.

Nous ne changeons pas d'orientation.

L'étatisation des moyens de production constitue, nous l'avons dit, une mesure progressiste. Mais son caractère progressiste est relatif; son poids spécifique dépend de la somme de tous les autres facteurs. Nous devons donc, avant tout, admettre que l'extension des territoires dominés par l'autocratie bureaucratique et parasitaire, sous la couverture de mesures "socialistes", peut augmenter le prestige du Kremlin, engendrer des illusions sur la possibilité de remplacer la révolution prolétarienne par des manoeuvres bureaucratiques. Ce mal l'emporte de loin sur le contenu progressiste des réformes staliniennes en Pologne. Pour que la nationalisation de la propriété dans les territoires occupés, comme en U.R.S.S. même, devienne une base de développement progressiste, c'est-à-dire socialiste, il faut renverser la bureaucratie de Moscou. Notre programme conserve, par conséquent, toute sa force. Les événements ne nous ont pas pris au dépourvu. Il faut seulement les interpréter correctement. Il faut bien comprendre que la nature de l'U.R.S.S. et sa situation internationale renferment des contradictions aiguës. On ne peut échapper à ces contradictions à l'aide de tours de passe-passe terminologiques ( "Etat ouvrier". "Etat non-ouvrier"). Il faut prendre les faits tels qu'ils sont. Il faut définir une politique en partant des rapports et des contradictions réels.

Nous ne confions au Kremlin aucune mission historique. Nous étions et nous restons opposés à l'annexion de nouveaux territoires par le Kremlin. Nous sommes pour l'indépendance de l'Ukraine soviétique, et si les biélorusses eux-mêmes le veulent, pour l'indépendance de la Biélorussie soviétique [10]. En même temps, dans les parties de la Pologne occupées par l'Armée rouge, les partisans de la Quatrième Internationale prennent part de la manière la plus décidée à l'expropriation des grands propriétaires fonciers et des capitalistes, au partagé de la terre entré les paysans, à la création de soviets et de comités ouvriers, etc. Ce faisant, ils préservent leur indépendance politique, ils luttent au cours des élections aux soviets et aux comités d'usines pour la complète indépendance de ces derniers vis-à-vis de la bureaucratie et ils mènent une propagande révolutionnaire dans un esprit de défiance à l'égard du Kremlin et de ses agents locaux.

Mais supposons qu'Hitler tourne ses armes contre l'Est et qu'il envahisse des territoires occupés par l'Armée rouge. Dans ces conditions, les partisans de la Quatrième Internationale, sans changer en quoi que ce soit leur attitude à l'égard de l'oligarchie du Kremlin, mettront au premier plan comme la tâché la plus urgente du moment, la résistance militaire à Hitler. Les ouvriers diront: "Nous ne pouvons laisser à Hitler le soin de renverser Staline; c'est notre tâche". Pendant la lutté armée contre Hitler, les ouvriers révolutionnaires s'efforceront de nouer des contacts fraternels aussi étroits que possible avec les simples soldats de l'Armée rouge. Tandis que les armés à la main, ils porteront des coups à Hitler, les bolcheviks-léninistes mèneront en même temps une propagande révolutionnaire contre Staline, afin de préparer son renversement à l'étape suivante et peut-être même prochaine.

Ce type de "défense de l'U.R.S.S." différera naturellement comme le ciel et la terre de la défense officielle qui se mène aujourd'hui sous le mot d'ordre "pour la patrie! Pour Staline". Notre défense de l'U.R.S.S. se mène sous le mot d'ordre "Pour le socialisme! Pour la révolution mondiale! Contre Staline!". Afin que ces deux aspects de "défense de l'U.R.S.S." ne créent pas de confusion dans la conscience des masses, il faut savoir formuler de façon claire et précise les mots d'ordre qui correspondent à la situation concrète. Mais avant tout, il faut établir clairement ce que nous défendons précisément, comment nous le défendons, contre qui nous le défendons. Nos mots d'ordre ne créeront pas de confusion dans les masses à la seule condition que nous ayons nous-mêmes une conception claire de nos tâches.

Conclusions

Nous n'avons aujourd'hui aucune raison de modifier notre position de principe à l'égard de l'U.R.S.S.

La guerre accélère les divers processus politiques. Elle peut accélérer le processus de la renaissance révolutionnaire de l'U.R.S.S. Mais elle peut aussi accélérer le processus de sa dégénérescence définitive. Il est donc nécessaire de suivre avec attention et sans préjugés les modifications que la guerre peut apporter dans la vie intérieure de l'U.R.S.S. pour nous en rendre compte à temps.

Nos tâches dans les territoires occupés demeurent fondamentalement les mêmes qu'en U.R.S.S. même. Mais comme les événements les posent sous une forme particulièrement aiguë, ils nous aident à mieux élucider nos tâches générales vis-à-vis de l'Union soviétique.

Nous devons formuler nos mots d'ordre de manière que les travailleurs voient clairement ce que nous défendons précisément en U.R.S.S. (la propriété d'Etat et l'économie planifiée, et contre qui nous luttons sans merci (la bureaucratie parasitaire et son Internationale communiste).

Nous ne devons pas perdre de vue un instant le fait que la question du renversement de la bureaucratie soviétique est pour nous subordonnée à la question de la préservation de la propriété étatique des moyens de production en U.R.S.S. et que la préservation de la propriété étatique des moyens de production en U.R.S.S. est subordonnée pour nous à la révolution prolétarienne internationale.

Coyoacan, le 25 septembre 1939.


Notes

[1] Voici la façon dont le Programme de transition pose le problème de l'expulsion de la bureaucratie hors des soviets et de la régénération de la démocratie soviétique: "S'il n'est pas possible de nier par avance la possibilité, dans des cas strictement déterminés, d'un "front unique" avec la partie thermidorienne de la bureaucratie contre l'offensive ouverte de la contre-révolution capitaliste, la principale tâche politique en U.R.S.S. reste, malgré tout, le RENVERSEMENT DE LA BUREAUCRATIE THERMIDORIENNE ELLE-MEME. Le prolongement de sa domination ébranle chaque jour davantage les éléments socialistes de l'économie et accroît les chances de restauration capitaliste. C'est dans le même sens qu'agit aussi l'Internationale communiste, agent et complice de la clique stalinienne dans l'étranglement de la révolution espagnole et dans la démoralisation du prolétariat international.

De même que dans les pays fascistes, la principale force de la bureaucratie n'est pas en elle-même, mais dans le découragement des masses, dans leur manque d'une perspective nouvelle. De même que dans les pays fascistes, dont l'appareil politique de Staline ne se distingue en rien, sinon par une plus grande frénésie, seul un travail préparatoire de propagande est actuellement possible en U.R.S.S. De même que dans les pays fascistes, ce sont les événements extérieurs qui donneront vraisemblablement l'impulsion au mouvement révolutionnaire des ouvriers soviétiques. La lutte contre l'I.C. sur l'arène mondiale est actuellement la plus importante partie de la lutte contre la dictature stalinienne. Bien des choses permettent de croire que la désagrégation de l'I.C., qui n'a pas d'appui direct dans la Guépéou, précédera la chute de la clique bonapartiste et de toute la bureaucratie thermidorienne en général.

La nouvelle montée de la révolution en U.R.S.S. commencera, sans aucun doute, sous le drapeau de la LUTTE CONTRE L'INEGALITE SOCIALE ET L'OPPRESSION POLITIQUE. A bas les privilèges de la bureaucratie! A bas le stakhanovisme! A bas l'aristocratie soviétique avec ses grades et ses décorations! Plus d'égalité dans le salaire de toutes les formes de travail!

La lutte pour la liberté des syndicats et des comités d'usine, pour la liberté de réunion et de la presse, se développera en lutte pour la reconnaissance et l'épanouissement de la DÉMOCRATIE SOVIÉTIQUE.

La bureaucratie a remplacé les soviets, en tant qu'organes de classe, par la fiction du suffrage universel, dans le style de Hitler-Goebbels. Il faut rendre aux soviets, non seulement leur libre forme démocratique, mais aussi leur contenu de classe. De même qu'auparavant la bourgeoisie et les koulaks n'étaient pas admis dans les soviets, de même maintenant LA BUREAUCRATIE ET LA NOUVELLE ARISTOCRATIE DOIVENT ETRE CHASSEES DES SOVIETS. Dans les soviets, Il n'y a place que pour les représentants des ouvriers, des travailleurs des kolkhozes, des paysans et des soldats rouges.

La démocratisation des soviets est inconcevable sans la LÉGALISATION DES PARTIS SOVIETIQUES. Les ouvriers et les paysans eux-mêmes, par leurs libres suffrages, montreront quels partis sont soviétiques" (Programme de transition, Paris, La Vérité, 1969, pp. 32-33.).

 

[2] Rappelons que certains des camarades enclins à voir dans la bureaucratie une nouvelle classe se sont élevés en même temps contre son exclusion des soviets. (L.T.)

Trotsky fait ici allusion a une discussion qu'il eut avec John Carter le militant américain qui avait, en décembre 1937, présenté avec Burnham un texte mettant en question la définition de l'U.R.S.S. comme "Etat ouvrier". Après la publication du projet de Programme de transition, John Carter écrivit à Trotsky une lettre où il contestait la justesse du mot d'ordre: "La bureaucratie et la nouvelle aristocratie doivent être chassées des Soviets". Trotsky résume les arguments de cette lettre dans l'article qu'il écrivit le 4 juillet 1938 pour y répondre (Writings of Leon Trotsky, 1938-1939, New York, Merit Publishers, 1970, pp. 53-54) et qui fut publié dans le Bulletin intérieur du S.W.P.

 

[3] Anton Ciliga : Militant Socialiste Croate, adhéra au mouvement communiste de Yougoslavie en 1919. Devint en 1925 membre du Bureau politique du Parti communiste de Yougoslavie, en 1926 devint membre du bureau balkanique de l'Internationale communiste. En décembre 1926 assista au plenum élargi du Comité exécutif de l'Internationale communiste. Appartenant à la fraction gauche du parti communiste yougoslave, Ciliga se trouva au nombre des militants yougoslaves qui, réunis à Moscou en février 1929, condamnèrent la "couardise" de la direction de l'Internationale et de ses émissaires yougoslaves lors du coup d'Etat fasciste de la "main blanche". Il se rallia alors à l'opposition de gauche. Arrêté en mai 1930 et déporté en Sibérie, il fut libéré en décembre 1935 et fut expulsé. Il publia en 1939 un ouvrage intitulé : Au pays du mensonge déconcertant, où il affirmait : "Dans la Russie actuelle l'exploitation capitaliste, l'oppression politique et même l'esclavage se marient à un progrès économique certain." Il y raconte les discussions menées dans la prison l'"isolateur politique" de Verkhné-Ouralsk, en 1931-1932 au sein des groupes de déportés de l'opposition de gauche ou voisins. Une minorité "trotskyste" à laquelle Ciliga appartient se prononce pour la révision de la nature de classe de l'U.R.S.S.:

"La première question discutée fut celle du caractère de l'Etat soviétique. Est-ce un Etat ouvrier et socialiste ? Sinon quelle classe représente-t-il ? La discussion dura plus de six mois. Nous avions encore une arrière-pensée qui nous déconseillait toute hâte: nous espérions qu'entre temps Trotsky passerait le Rubicon et nierait le caractère ouvrier de l'Etat stalinien. Beaucoup d'entre nous étaient déjà persuadés qu'il n'y avait pas trace de "dictature du prolétariat" en U.R.S.S. (...) Les "négateurs" de la dictature du prolétariat en U.R.S.S. présentèrent deux résolutions distinctes. Les uns trouvaient qu'il n'y avait plus de dictature prolétarienne en U.R.S.S., mais que les "fondements économiques de la Révolution d'Octobre subsistaient". Ils en concluaient qu'il fallait faire une "révolution politique" doublée d'une "profonde réforme de l'économie". Les autres "négateurs" dont j'étais croyaient que non seulement l'ordre politique, mais aussi l'ordre social et économique étaient étrangers et hostiles au prolétariat. Aussi envisagions-nous une révolution non seulement politique, mais aussi sociale qui ouvrirait la voie au développement du socialisme. Selon nous la bureaucratie était une vraie classe et une classe hostile au prolétariat" (p. 187-188). En conclusion dit Ciliga : "Trotsky est, au fond, le théoricien d'un régime dont Staline est le réalisateur" (p. 198).

[4] B. Rizzi : cf. lettres de P.Naville et Draper, in annexes à "Defense du marxisme", éditions EDI

[5] L'Impérialisme stade suprême du capitalisme, écrit en 1916.

[6] Bertrand Russel (1872-1970). Philosophe et mathématicien britannique, publia au lendemain de la Révolution d'Octobre une série d'ouvrages hostiles au bolchevisme. Prix Nobel de la paix.

[7] A la vérité, Bruno R., dans la dernière partie de son ouvrage, réfute très consciemment et très intelligiblement sa propre théorie du "collectivisme bureaucratique" exposée dans la première partie et déclare que le stalinisme, le fascisme et le nazisme sont des formations transitoires et parasitaires et représentent le châtiment historique de l'impuissance du prolétariat. En d'autres termes, Bruno R. commence par réfuter avec une extrême vigueur les thèses de la Quatrième Internationale pour y revenir par surprise, mais cela seulement pour s'engager dans une nouvelle série d'erreurs. Nous n'avons pas la moindre raison de marcher sur les traces d'un écrivain, manifestement en perte d'équilibre. Ce qui nous intéresse ce sont les arguments qu'il utilise pour tenter de justifier sa définition de la bureaucratie présentée comme une classe. (L. T.)

[8] Neville Chamberlain (1869-1940), premier ministre britannique de 1937 à 1939, dirigeant du parti conservateur, chercha obstinément l'alliance avec les pays fascistes, fut la cheville ouvrière de l'accord de Munich, qui sanctionna le démembrement de la Tchécoslovaquie, dans le cadre d'une tentative d'Union sacrée contre l'U.R.S.S.

[9] Que faire ? Revue fondée en 1934 par un groupe d'opposants du parti communiste français, dirigés par A. Ferrat, Kagan et Lenoir.

[10] Au moment où Trotsky écrivait, l'Ukraine orientale constituait la République socialiste soviétique d'Ukraine, l'Ukraine occidentale (Ruthénie) appartenait à la Pologne, d'autres Ukrainiens vivaient dans les provinces roumaines de Bessarabie et de Bukovine du Nord, l'Ukraine subcarpatique, enfin, appartenait à la Tchécoslovaquie.

En avril 1939 Trotsky écrivait en réponse aux questions posées par les trotskystes ukrainiens, alors nombreux au Canada. "Ecartelée entre quatre Etats, l'Ukraine occupe a présent, dans les destinées de l'Europe, la même position qu'autrefois la Pologne, avec cette différence que les relations internationales sont maintenant plus tendues et que le rythme des événements s'accélère.

Selon la conception du vieux parti bolchévique, l'Ukraine soviétique était destinée à devenir un axe puissant autour duquel les autres sections du peuple ukrainien s'uniraient. Il est incontestable que, durant la première période de son existence, l'Ukraine soviétique exerça une puissante force attractive, du point de vue national également, et éveilla à la lutte les ouvriers, les paysans et l'intelligentsia révolutionnaire de l'Ukraine occidentale, asservie à la Pologne. Mais au cours des années de la réaction thermidorienne, la situation de l'Ukraine soviétique et, en même temps, la manière de poser la question ukrainienne dans son ensemble se modifièrent profondément. Plus grands avaient été les espoirs suscités, plus profonde fut la désillusion. En Grande-Russie aussi, la bureaucratie a étranglé et pillé le peuple. Mais en Ukraine les choses se compliquèrent encore par l'anéantissement des espoirs nationaux. Nulle part, les restrictions, les épurations, les répressions et en général toutes les formes de brigandage bureaucratique ne prirent une envergure aussi meurtrière qu'en Ukraine, dans la lutte contre les aspirations puissantes, profondément enracinées, des masses ukrainiennes pour plus de liberté et d'indépendance. Pour la bureaucratie totalitaire. l'Ukraine soviétique devint une section administrative d'une entité économique et une base militaire de l'U.R.S.S.". Samizdat I, Paris, La Vérité, Le Seuil, 1969, pp. 491-493.


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