1922 |
Source : Bulletin communiste n° 19 (troisième
année), 4 mai 1922. |
A quand le Congrès ouvrier international ?
Le Congrès ouvrier international aura lieu, c'est certain. Mais quand ? L'offensive du capital, déclenchée dans tous les pays, s'attaquant aux intérêts vitaux de tous ou de presque tous les travailleurs d'Europe et d'Amérique, exige péremptoirement la concentration de toutes les forces du prolétariat international.
Le Congrès ouvrier mondial sera sans contredit une étape dans la voie de la formation du front unique international. L'idée de ce Congrès a déjà gagné les cœurs des masses ouvrières. Il ne s'agit plus que de savoir si la résistance des dirigeants de la 2e Internationale qui sabotent le front unique sera brisée ou si elle réussira à différer le Congrès et à faciliter d'autant la tâche d'une offensive capitaliste déclenchée sur toute l'étendue du front des classes.
L'I. C. a résolu d'exiger, lors de la réunion de la prochaine Commission des Neuf constituée par la Conférence de Berlin, réunion qui doit avoir lieu le 23 mai, une réponse à cette question.
Il n'y a pas si longtemps que l'I. C. est entrée en pourparlers avec les Internationales 2 et 2½, mais ce peu de temps nous a déjà valu d'intéressantes leçons. Dès aujourd'hui, tout prolétaire prenant la peine d'y réfléchir doit savoir de quel côté sont ceux qui s'opposent à l'unité du mouvement ouvrier et rompent le front prolétarien. Tout ouvrier tant soit peu conscient ne manquera pas de tirer du fait suivant les enseignements qu'il comporte : à Berlin, quand les dirigeants de la 2° Internationale se refusèrent démonstrativement à accepter le mot d'ordre de révision du traité de Versailles, les hommes de l'Internationale 2½ n'eurent pour leurs frères de Londres qu'un geste d'amicale condescendance. Tout ouvrier sincèrement attaché à la cause du front unique doit comprendre, quel que soit le parti auquel il appartient, que si la 2e Internationale s'est évertuée à remettre de plusieurs semaines la seule réunion de la Commission des Neuf — et cela justement pendant que siégeait la Conférence de Gènes — cela suffit à prouver que les chefs de la 2e Internationale sont disposés à obéir, comme par le passé, aux directives de la bourgeoisie.
Il est grand temps de dresser le bilan des résultats de la première phase de la lutte pour l'unité du front prolétarien. Aussi posons-nous, aux dirigeants des Internationales de Londres et de Vienne, cette question directe et bien nette : « Etes-vous enfin décidés à convoquer à bref délai le Congrès ouvrier international qui doit permettre la concentration des forces prolétariennes contre le capital ? Si vous vous y refusez, nous n'avons plus rien à faire dans la Commission des Neuf ; bnus nous en retirons et nous continuons, en dépit de votre attitude, nous continuons, malgré vous, l'action pour le front unique. Nous n'entendons pas qu'on abrite derrière nous des fictions. Nous ne permettrons pas que vous fassiez du travail des Neuf une vaine comédie. »
L'existence de la Commission des Neuf n'est politiquement justifiable qu'à la condition que les Internationales de Londres et de Vienne soient disposées à convoquer sans délai le Congrès ouvrier mondial. Telle est la tâche assignée à la Commission des Neuf, et l'I. C. n'en a jamais conçu d'autre. Nos amis communistes de France se trompent grandement quand ils expriment l'appréhension que la Commission des Neuf n'ait à rechercher un lien organique entra l'I. C. et les Internationales de Londres et de Vienne. Entre communistes et réformistes, il ne peut jamais être question de liaison organique. Mais cela ne doit pas nous empêcher de vouloir le front unique avec les ouvriers qui suivent encore les Internationales 2 et 2½, comme avec les organisations libertaires, syndicalistes, chrétiennes même, ou avec les travailleurs apolitiques — pourvu qu'ils soient prêts à combattre le Capital.
L'I. C. a ouvert la campagne pour cette concentration des forces ouvrières et ne la cessera que lorsqu'elle aura été couronnée de succès. Ce qui ne veut pas dire qu'elle doive laisser inconditionnellement ses représentants à la Commission des Neuf et tolérer que leur présence n'y serve qu'à couvrir le sabotage exercé par la 2e Internationale.
Le sort des Neuf est entre vos mains ! disons-nous sans ambages aux Exécutifs de Londres et de Vienne. L'I. C. n'admettra pas que le Congrès ouvrier mondial soit encore différé. Êtes-vous, oui ou non, disposés à prêter votre appui à la convocation de de Congrès pour la constitution du front prolétarien unique ? Nous n'admettons de réponse que par oui ou non. Si c'est non, la Commission des Neuf a vécu — et vous aurez à supporter toutes les responsabilités de sa fin.
Tel est le langage de l'I. C.
De son côté, le Parti Communiste de Russie ajoute ce qui suit :
Un des paragraphes de la plate-forme commune arrêtée à Berlin par les trois Internationales concerne la défense de la Russie des Soviets. Nous ne savons que trop bien que les dirigeants des Internationales 2 et 2½ n'ont accepté ce mot d'ordre que très à contre-cœur et parce que les masses ouvrières qui sont derrière eux sympathisent honnêtement avec la Russie des Soviets. Nous déclarons aux citoyens Vandervelde, Scheidemann et MacDonald que nous n'avons nullement le dessein de les prendre au mot. Nous sommes tout disposés à laisser biffer de la plate-forme commune le passage relatif à la défense et à l'appui de la Russie des Soviets, de sorte qu'il n'y resterait plus que les revendications de lutte pour la journée de 8 heures, contre le chômage, contre l'offensive patronale, etc. La Russie des Soviets tiendra sans le « concours » de MM. Vandervelde, Wels et Scheidemann, voire même des citoyens Adler et Bauer. Ne la sauvez pas, ne nous sauvez pas ! La Russie des Soviets se passera de votre aide ! Bornez-vous à défendre les prolétaires que vous avez la prétention de « représenter » vous-mêmes ! Ou, tout au moins, ne les empêchez pas de se défendre eux-mêmes contre le capital !
La tactique du front unique n'est pas dictée par les intérêts d'un seul pays, serait-ce la première République prolétarienne ! Elle s'inspire des intérêts généraux des grandes masses prolétariennes de tous les pays, et c'est pourquoi nous sommes prêts à nous contenter d'une plate-forme où il ne sera question que de la défense des 8 heures et d'autres postulats de cet ordre. Nous ne déchirerons pas la convention de Berlin si les leaders des Internationales de Londres et de Vienne reprennent leur promesse d'appui à la Russie des Soviets. Cette promesse, nous ne l'avons jamais prise au sérieux. Mais nous déchirerons le lien qui nous rattache à la Commission des Neuf et nous en appellerons directement aux travailleurs affiliés aux deux Internationales socialistes si, après tant de subterfuges et de manœuvres dilatoires, celles-ci prétendent remettre aux calendes grecques la convocation du Congrès ouvrier mondial.
Si la Commission des Neuf était, demain, brusquement dissoute, en pourrait-on conclure que la tactique du front unique était erronée ? Le penser serait faire preuve, en politique, d'une bien grande ingénuité. Dans l'action du front unique, la Conférence de Berlin n'est qu'un épisode, et sa Commission des Neuf, née de cet épisode, peut-être incapable, d'ailleurs, de tout travail sérieux, n'est qu'un détail transitoire de l'action. Sa disparition, au lieu d'affaiblir notre campagne, la renforcerait. Notre énergie, ensuite, serait triplée lorsqu'il s'agirait de démasquer les dirigeants des Internationales 2 et 2½, et décuplée quand nous appellerions les travailleurs de ces Internationales socialistes à former, malgré leurs chefs, le front unique avec nous. L'évolution ultérieure de la lutte des classes, qui s'accentua tous les jours, nous justifiera devant les masses ouvrières qu'elle porte, malgré toutes les manœuvres des chefs social-démocrates, irrémédiablement vers le front unique.
Sur les opinions personnelles des dirigeants des Internationales 2 et 2½, nous ne nous sommes jamais fait d'illusions.
Il n'y a que les politiciens les plus naïfs et les plus malhonnêtes qui aient pu affirmer que le front unique équivalait à une sorte de fraternisation entre l'I. C. et les dirigeants des Internationales 2 et 2½. Et les camarades français qui sont allés si loin qu'ils ont cru voir dans le front unique quelque chose de voisin du ministérialisme (au vieux sens millerandiste du mot), rougiront, croyons-nous, à présent de leur légèreté — soit dit en toute discrétion ! Jamais nous n'avons douté que les chefs de la 2e Internationale continueraient de fusiller les travailleurs réclamant à la bourgeoisie du pain et du travail. Les brutalités dont les ouvriers des services municipaux de Berlin ont récemment été victimes nous muniront une fois de plus ce que nous devons attendre des social-démocrates. Et l'assassinat de Viktor Kingissep par le gouvernement de l'Estonie démocratique, que des liens si étroits relient aux mencheviks et à la 2e Internationale, jette de nouveau une lumière crue sur la véritable politique des dirigeants de la 2e Internationale.
Nous tenons cependant à l'affirmer malgré tout : pour faciliter la concentration des travailleurs Communistes et de leurs frères ouvriers qui suivent encore les social-démocrates, pour les rapprocher et les unir dans la défense de leur pain quotidien contre un patronat arrogant résolu à mater la classe ouvrière, nous sommes prêts a traiter, même avec des chefs de lu 2e Internationale.
L'I. C. exige des Internationales 2 et 2½ une réponse à cette question : Entendent-elles s'opposer encore à la convocation du Congrès ouvrier international ?
« À cette question maudite nous attendons une réponse nette et précise. »
Si vous entendez continuer le sabotage du front unique, vous aurez à en supporter les responsabilités.
Mais le front unique du prolétariat se réalisera pourtant, et sans conditions. Et le Congrès ouvrier mondial aura lieu quoi qu'on fasse !