1939 |
Lettre à G. Rosenthal (9827), dictée en français, avec la permission de là Houghton Library. |
Œuvres - avril 1939
Le voyage de Siéva
Cher Camarade Gérard [1],
Nous avons reçu votre communication télégraphique par Roberts [2] et nous vous avons répondu par télégramme à l'adresse de Roberts. Nous avons reçu hier vos lettres à Van du 22 et 24 mars. Il n'est pas nécessaire de vous dire toute notre reconnaissance, à vous comme à Marguerite [3] et à tous les amis qui nous ont aidés dans cette affaire si importante.
Je suis un peu inquiet des menaces de Molinier [4]. Il y a des traits de gangstérisme dans ce groupe et dans son chef. Vous devez personnellement prendre vos précautions. De même pour le garçonnet avant qu'il ne quitte le pays.
Marguerite serait naturellement la meilleure accompagnatrice. Mais quand pourrait‑elle le faire ? Chaque semaine de retard est dangereuse. Dans ces conditions, la meilleure solution serait le voyage de Natalia [5] en France. Elle pourrait personnellement approcher le garçonnet [6] avant qu'il n'entre dans une nouvelle maison. Je ne crois pas que l'opposition des autorités françaises soit sérieuse. Natalia aurait un passeport mexicain et pourrait rentrer à n'importe quel moment. Il ne s'agit que d'un séjour très court, qui n'a naturellement aucun objectif politique. Je crois que votre intervention énergique au Quai d'Orsay, service des étrangers, pourrait être décisive et réglerait la question.
Je vous écrirai demain sur les archives.
Notes
[1] Gérard Rosenthal venait de prévenir Trotsky que son petit‑fils disparu, Siéva, était retrouvé.
[2] Roberts était le pseudonyme de l'américain Harold R. Isaacs (né en 1910) ancien journaliste en Chine qui y avait rompu avec le stalinisme et rejoint le trotskysme. Il était le relais postal de Trotsky à New York avec l'Europe.
[3] Marguerite Thévenet (1879‑1962) était la compagne d'Alfred Rosmer personnellement liée aux Trotsky depuis 1915. Elle avait joué un rôle décisif dans l'affaire qui préoccupe ici Trotsky.
[4] Raymond Molinier (né en 1904) avait longtemps joui de la confiance de Trotsky dont il avait été l'homme de confiance de la tête de la section française. Mais la rupture avait été consommée entre eux en 1935 avec l'affaire de La Commune. Il était exclu de la IV° Internationale et dirigeait le P.C.I. Trotsky le soupçonnait d'avoir inspiré l'enlèvement de son petit‑fils Siéva par Jeanne Martin qui était sa femme légitime et la compagne de Sedov (voir Œuvres, 19).
[5] Natalia Sedova (1882‑1962) était la compagne de Trotsky.
[6] Le « garçonnet » était Vsiévolod P. Volkov, dit Siéva (né en 1926). Fils de Zinaïda, fille aînée de Trotsky qui s'était suicidée à Berlin en 1933, et de Platon I. Volkov, enseignant, déporté comme « trotskyste », il avait été élevé ensuite par son oncle Léon et la compagne de celui-ci, Jeanne Martin des Pallières, épouse de Raymond Molinier. Pour empêcher Trotsky de prendre l'enfant avec lui au Mexique, Jeanne Molinier avait fait disparaître ce dernier en le plaçant sous une fausse identité dans un pensionnat religieux des Vosges. Gérard Rosenthal avait retrouvé sa trace et Marguerite Rosmer était allée le chercher. Il restait maintenant à régler la question du voyage au Mexique qu'il ne pouvait faire seul.