1932 |
Edition établie d'après les documents laissés par le regretté Pierre Broué, résultats de travaux à la Houghton Library, pour les "Oeuvres" de Léon Trotsky en français. |
Cher Camarade Glotzer,
Merci beaucoup pour les documents que vous m'avez envoyés. En ce qui concerne votre lettre, je ne peux que regretter que, subissant une mauvaise influence, vous vouliez réduire cette question, qui sépare Shachtman des sections européennes les plus importantes, à cette autre : faut-il considérer Molinier ou Treint comme de bons dirigeants ? C'est ainsi que posent le problème les Rosmer, Naville, et autres petits-bourgeois, pour qui le marxisme et l'organisation révolutionnaire sont des choses insupportables, mais qui n'ont pas le courage de défendre ouvertement leur politique anarchisante. Vouloir résumer le combat interne de deux années en cette seule interrogation : "Molinier est-il de nature à faire un bon dirigeant ?", voilà qui est vraiment misérable et qui compromet irrémédiablement ceux qui se reconnaissent dans cette conception.
Weisbord a passé quelques semaines dans notre maison. Nous avons beaucoup discuté. Je lui ai fait part, avec toute la franchise et la sévérité nécessaires de mon opinion sur les positions et les façons d'agir de son groupe. Mais les discussions portaient sur des questions de principe et dans cette lettre privée je dois vous dire très franchement que je préfère cent fois la méthode de Weisbord à celle de Shachtman, car Shachtman s'amuse à manier les idées et à échafauder des intrigues, alors que Weisbord prend les choses fort au sérieux. Shachtman n'a jamais indiqué franchement et avec sérieux quelles sont ses idées, pourquoi et avec qui il combat. Il a donné le droit au groupe Juif de Paris de se réclamer de lui, ainsi qu'à Lacroix et à Nin. Il les a ainsi aidés à faire fausse route plus encore qu'auparavant, car tous supposaient que la League américaine en bloc était derrière Shachtman.
Après deux ans de manoeuvres de la part de Shachtman, après des douzaines de lettres d'avertissement de ma part qui n'ont eu pour réponse que des lettres évasives, mesquines, diplomatiques, toujours à la limite de l'intrigue, j'ai demandé à votre direction si elle soutient la politique internationale de Shachtman.
Je ne savais rien alors des divergences internes. Ma question ne cachait rien d'autre. Dans ses lettres doucereuses, Shachtman me faisait part de sa solidarité et en même temps, il écrivait à Barcelone que je commençais une campagne internationale contre lui. Entretemps, sans être au courant de tout cela, j'ai écrit à Shachtman et à la direction de la League américaine, que Shachtman devait reprendre sa démission, que son travail à un poste de direction était nécessaire, etc. Je me suis dit que peut être ma lettre avait été à l'origine de la démission de Shachtman et je me suis empressé de contrebalancer cet effet. Où y a-t-il ici la moindre campagne, a fortiori internationale, contre Shachtman ? Quel rapport entre tout cela et la question des capacités dé Molinier ? C'est bien des ”capacités” de Shachtman qu'il s'agit ici et après tout ce qui s'est passé, je ne peux hélas guère avoir confiance en elles. Je considère qu'il est de mon devoir de vous dire cela sans fard, pour ne pas donner lieu à des illusions entre nous.