14 décembre 1931
Heinz Guttfeld, Marin Sevenick, Arnold Lutz, Karl Osner,
Francfort/Main
Je vous remercie pour la confiance que vous me témoignez par votre lettre du 12 novembre. Je ne vois aucune raison de vous taxer de malhonnêteté et de trahison du front unique prolétarien, à cause de votre appartenance au SAP, comme vous le dites vous-mêmes. Je n’ai aucun doute sur le fait que vous consacriez avec grand sérieux à la révolution prolétarienne.
La critique que vous faites du parti communiste est juste. Mais ce que vous opposez aujourd’hui au parti communiste, ce n’est pas un autre parti révolutionnaire conséquent, mais votre propre idée sur un tel parti. L'idée peut bien être excellente (et elle n'est pas vraiment mauvaise), mais le parti dont vous parlez reste encore à être fondé. Mais le SAP se présente au public comme une organisation relativement confuse, avec une direction politiquement médiocre et totalement étrangère au marxisme révolutionnaire.
Vous vous nommez communistes et vous déclarez solidaires des idées que je défends. Vous vous fixez comme but de gagner le SAP au véritable communisme marxiste. Evidemment, je ne peux que m'en réjouir et tenter de vous soutenir de toutes mes forces dans cette voie. Pour ma part, je verrais plutôt les choses de la façon suivante : dans son état actuel, le SAP n'est pas un véritable parti mais plutôt une forme transitoire, un territoire sur lequel diverses tendances tentent de recruter pour elles-mêmes.
Vous, les éléments marxistes, communistes, constituez, dans le cadre de ce, « parti » de transition, une fraction qui présente une plateforme précisément délimitée, et qui mène un combat ouvert et énergique pour cette plate-forme.
Quant à l'idée complémentaire que vous soutenez, et selon laquelle tous les groupes communistes oppositionnels devraient rejoindre le SAP, je ne peux y souscrire.
D'abord, ces différentes organisations ont des tendances tout-à-fait différentes et, comme vous le dites à juste titre, ce ne sont pas des organisations de masse mais de cadres, mais des cadres n'ont de valeur que s'ils ont les idées claires et une claire conscience du but à atteindre. S'unir à des brandlériens, à des ultra-gauches antiparlementaires, etc. serait absurde.
Deuxièmement : le KPD a derrière lui des millions de travailleurs. De toute évidence, vous sous-estimez ce fait. Il est possible d'influencer ces travailleurs, particulièrement aujourd'hui où les événements posent les questions sous une forme des plus aigües. L'opposition communiste de gauche (Bolcheviks-léninistes), bien qu'exclue du parti, se considère comme partie intégrante du parti communiste, et cherche par tous les moyens à influer sur les membres prolétariens du parti.
Evidemment, l'Opposition de Gauche rendrait cette tâche beaucoup plus difficile à passant tout à coup au SAP. Non, il ne peut en être question. De même, il est exclu que l'Opposition Communiste de Gauche noue quelque lien que ce soit avec le SAP sans que le KPD participe.
Mais avec la fraction communiste du SAP, et sur la base d'une communauté d'idées, si celle-ci se vérifie vraiment, l'Opposition de Gauche peut nouer des contacts très étroits et amicaux, sans trop se presser de leur donner une expression organisationnelle.
Etes-vous de quelque façon en contact avec l'Opposition de Gauche ? Recevez-vous leur littérature ?
Je suivrai avec un grand intérêt le développement des choses, et je vous serais très reconnaissant de me tenir au courant.