1933

Brochure rééditée par les éditions Spartacus. Ci-dessous une note biographique due à Mika Etchebehere, et deux lettres de J. Rustico à "un militant argentin"

Hyppolyte Etchebehere
(Juan Rustico)

La tragédie du prolétariat allemand
Défaite sans combat, victoire sans péril

1933

Hippolyte Etchebehere dit Juan Rustico

Hippolyte Etchebehere avait 36 ans quand il fut tué au combat à Atienza (près de Guadalajara) le 16 août 1936, tout au début de la guerre civile espagnole. Il avançait suivi du groupe qu’il avait entraîné au lancement de grenades, essayant d’approcher le château-fort qu’il fallait prendre à tout prix, quand une balle de mitrailleuse arrêta son cœur.

Des 36 ans que comptait Hippolyte Etchebehere le jour où il tomba à Atienza, 17 furent totalement consacrés à cette lutte révolutionnaire qu’il choisit un jour de janvier 1919, en voyant du balcon de chez lui la police à cheval traîner, attachés à leurs montures, des Juifs à barbe blanche tirés du ghetto de Buenos Aires.

En Argentine, à cette époque, on appelait les Juifs des Russes. Être russe voulait dire être bolchevique, révolutionnaire, responsable de la lutte que menaient en ce moment les ouvriers d’une des plus grandes usines du pays dans une grève qui, par son envergure et sa fermeté, faisait trembler la bourgeoisie.

Pendant cette « semaine tragique » de janvier qui resta dans l’histoire de la répression argentine comme un jalon sanglant, Hippolyte Etchebehere est entré en révolution comme d’autres entrent en religion, pour toujours, jusqu’au dernier battement de son cœur, pénétré d’une haine lucide et raisonnée, toujours vigilante, aiguisée à chaque instant, tendue comme la corde d’un arc prêt à tirer contre cet ordre social absurde, assassin, rapace.

Ses premiers pas de militant, il les a faits dans l’anarchisme. Pendant les jours qui suivirent la « semaine tragique », il écrivit fiévreusement une brochure dont le titre était Écoute la Vérité et s’en alla dans les rues de la ville la distribuer aux agents de police. Quelques heures après il était en prison, accusé de délit contre la sécurité de l’État.

Parce qu’il appartenait à une famille bien vue et aussi parce qu’étudiant à l’université, il ne fut pas envoyé au sinistre bagne d’Ushuaia, dans l’extrême sud argentin.

La liberté retrouvée, il quitta la maison familiale pour ne pas créer de difficultés aux siens, et avec une poignée d’étudiants organisa le groupe universitaire « Insurrexit », petite formation révolutionnaire si ardente, si combative, qu’en deux ans d’existence elle marqua de son sceau toute une génération, non seulement argentine mais de toute l’Amérique du Sud.

Le marxisme et la révolution russe le conduisirent dans les rangs du parti communiste où il se fit remarquer aussitôt par l’étendue de ses connaissances et ses qualités d’orateur politique, à tel point que le comité central essaya par tous les moyens de se l’annexer.

Quand dans le parti communiste de l’Union soviétique commença la lutte contre Trotsky, Etchebehere, admirateur fervent du chef de l’Armée rouge, se rallia à sa cause. Et sa dimension révolutionnaire était si grande, si intègre son comportement de militant, qu’en l’excluant du parti, en 1925, le comité central n’avait pas osé le salir, comme il était d’usage à l’époque, par des accusations « d’agent provocateur payé par la police » ou autres injures de ce genre, retenant contre lui uniquement son trotskisme, son travail fractionnel et son anti-bolchevisme.

Sa santé fragile – une menace de tuberculose – très éprouvée par les années de privations et d’une activité démesurée, exigeait une période de repos dont il profita pour approfondir ses études marxistes… et militaires : j’ai retrouvé dans ses cahiers une série de dessins illustrant la formation de guérillas, la description d’une mitrailleuse aérienne, un plan pour la formation accélérée d’officiers…

Vinrent ensuite nos années patagonnes, la plus forte tentation de notre vie, une folle envie de nous fixer sur ces terres solitaires, balayées par les vents au bord de l’Atlantique, adoucies dans les paysages de la pré-cordillère et la cordillère des Andes. Ces régions étaient encore terres d’aventures offrant une fortune facile au bout de trois ou quatre années de travail, et une vie matérielle large, sans les contraintes de la ville, auprès d’êtres qui paraissaient sortis des livres de Jack London.

Tentation, dis-je, et très forte, mais les vœux prononcés dans l’extrême jeunesse nous l’interdisaient. Et avec l’argent gagné pendant une saison de travail acharné nous sommes partis pour l’Europe à la recherche de la lutte que nous jugions plus proche dans ces pays aux solides organisations ouvrières.

Nous avons débarqué en Espagne deux mois après l’instauration de la République. Dans les rues de Madrid nous avons marché dans les manifestations tumultueuses qui réclamaient la séparation de l’Église et de l’État, constatant jour après jour que la garde d’assaut républicaine savait déjà se servir de la matraque avec autant de violence que la vieille garde civile. Trois mois plus tard nous sommes partis pour Paris.

Installés dans un minuscule logement de la rue Claude Bernard, libres de soucis matériels, nous passions le plus clair de notre temps à la bibliothèque Sainte Geneviève pour y lire les œuvres que nous jugions indispensables à notre formation de militants révolutionnaires. Nos premiers camarades français, nous les avons trouvés dans le groupe des « Amis de Monde ».

Au mois d’octobre 1932, sûrs de trouver en Allemagne une terre fertile pour la lutte décisive, nous sommes arrivés à Berlin. Dans l’intention de parfaire notre connaissance de la langue et de nous lier à des ouvriers allemands, nous nous sommes inscrits à l’École marxiste du Parti communiste allemand, qui était aussi une école tout court avec des cours pour adultes, et qui a été l’école où nous apprîmes à juger la politique paralysante, néfaste, de l’Internationale communiste, fidèlement appliquée par les chefs du Parti communiste allemand.

Il n’y eut pas de bataille révolutionnaire en Allemagne. Dans les deux articles parus dans la revue Masses publiée par René Lefeuvre à Paris et qui sont reproduits dans cette brochure, Rustico raconte les événements que nous avons vécus pendant les journées qui précédèrent l’arrivée d’Hitler au pouvoir.

De retour à Paris, nous nous mîmes de nouveau à attendre, mais non les bras croisés. Avec le camarade Kurt Landau, le magnifique militant révolutionnaire autrichien assassiné en 1937 par les staliniens à Barcelone, nous avons commencé un lent travail pour renouer les contacts avec le groupe d’opposition communiste appelé de « Wedding », que Landau avait dirigé à Berlin.

Quand en Espagne éclata la révolte des mineurs des Asturies [1], nous avons mis à jour nos passeports pour y aller. La répression sanglante de ce mouvement exemplaire, si proche de la Commune de Paris par ses motivations et son déroulement, coupa notre élan. Rustico écrivit sur la lutte asturienne des pages magnifiques qui malheureusement disparurent à Barcelone quand les staliniens pillèrent les bureaux du POUM pendant les journées de mai 1937.

Fondateur avec le camarade Landau et quelques militants français et étrangers de la revue Que Faire [2], Etchebehere continuait à vivre, malgré ses graves problèmes de santé, uniquement pour sa mission de révolutionnaire.

Quand les examens médicaux révélèrent qu’il portait des lésions tuberculeuses aux deux poumons, il dut accepter un séjour en sanatorium, seul moyen de se faire soigner efficacement à l’époque, et de s’offrir en même temps une pause dans son travail. Pendant ses six mois de sana il élargit sa culture littéraire : tout Flaubert, tout Stendhal, les classiques français et espagnols, tout ce qui paraissait sur le nazisme, et il remplissait des cahiers avec ses notes de lecture.

Quand il quitta le sana, en bien meilleure santé, ses médecins conseillèrent un changement de climat. Madrid fut choisie non seulement à cause de son soleil et son air sec, mais aussi parce que les luttes ouvrières grandissaient de jour en jour en Espagne. Il s’y rendit dans le courant du mois de mai 1936. Je devais le rejoindre deux mois plus tard, exactement le 12 juillet, bien décidée à réaliser notre rêve de vacances à pied à travers la terre des Asturies.

Nous n’avions pas terminé de nous raconter notre séparation quand le soulèvement des généraux fascistes éclata comme un coup de tonnerre qui effaça le passé et fit naître l’espérance.

Tout l’après-midi de ce même 18 juillet nous avons marché à la recherche d’armes et d’engagements, d’un syndicat UGT à un autre CNT, parmi des jeunes, presque des enfants, et d’hommes déjà vieux, la tête bourdonnante de rumeurs et de discours, de chansons et de mots d’ordre, submergés dans la marée qui montait en grosses vagues de tous les quartiers de Madrid vers la Puerta del Sol. La nuit du lendemain nous avons trouvé enfin une place de combat parmi les camarades du POUM, l’organisation politique la plus proche de notre groupe d’opposition.

Notre colonne, forte de cent vingt miliciens, partit à la guerre sous la désignation de « Colonne motorisée du POUM » justifiée par nos trois camions et autant de voitures de tourisme. Son commandant ou responsable, comme on disait alors, était Hippolyte Etchebehere. Pour lui, le combat ne dura que 26 jours, les plus radieux, les plus riches d’espoir, les plus heureux de sa vie.

Il est mort le 16 août 1936, les armes à la main, quand la révolution était encore belle…

Mika Etchebehere

Notes

[1] En octobre 1934.

[2] Parmi les militants fondateurs du groupe « Que Faire » citons également André Ferrat, Kagan, Victor Fay.


Première lettre à un camarade argentin

Berlin, le 31 janvier 1933 dans la matinée,

Cher vieux,

Je t’écris à chaud. Je venais de finir une lettre – qui part par bateau – dans laquelle je t’exposais notre appréciation de la situation allemande, quand les faits se sont précipités dans le sens que nous craignions.

Hier dans l’après-midi Hitler a pris le pouvoir. Il a pour lui le ministère de l’Intérieur de la Prusse et celui du Reich. Cela veut dire que dans ses mains se trouvent la police (très puissante ici) et l’appareil de l’État.

Tu as lu certainement dans la presse argentine le récit de la marche triomphale aux flambeaux des nazis sous la Porte de Brandebourg (Hitler, comme Mussolini, avait déclaré que ses hommes entreraient dans Berlin « conquis » par cette porte, une espèce d’arc de triomphe). Les choses ont été encore moins « héroïques » et plus grotesques que pour le fascisme italien, mais non moins décisives pour la classe ouvrière.

Mais tu ne sais pas ce qui suit : cette nuit même nous avons pu connaître, dans l’anxiété que tu peux imaginer, l’état d’esprit des ouvriers, membres du Parti communiste, nos camarades de classe dans l’École marxiste, à qui nous avons demandé ce qu’ils comptaient faire dans les circonstances actuelles, comment ils envisageaient la lutte contre Hitler, quels étaient les mots d’ordre du Parti.

Nous n’oublierons jamais le découragement, le désarroi, la méfiance totale en eux-mêmes et dans le Parti qu’ils ont manifestés devant nos questions. Ils étaient là accablés, vides, incapables de donner la moindre réponse.

Vieux, nous étions très, très prévenus. Nous savions les ravages causés dans le prolétariat par la politique et le régime de l’Internationale communiste. Mais il faut sentir, chez les meilleurs éléments de ce prolétariat, à l’heure décisive, et dans le premier parti de l’IC, un parti qui récolte six millions de voix, la solitude, l’impuissance, l’amertume exprimées de façon crue et rageuse, comme nous l’avons entendue, pour comprendre le crime inexpiable des misérables qui détiennent l’Internationale communiste.

Les bras nous en sont tombés.

Et ceux qui se montraient un peu optimistes avaient une idée si fantasque, mais si fantasque… par exemple : Hitler au pouvoir ne tiendra même pas un mois, ou : « d’ailleurs, il nous sera plus facile de gagner les ouvriers qu’il trompe » ; ou : « nous gagnerons des atouts parce qu’avec lui la situation internationale deviendra plus tendue rendant plus proche la révolution » ; ou : « Hitler n’osera pas interdire le Parti » ; et aussi : « non, le Parti ne peut pas appeler à la grève car cela serait un prétexte pour le jeter dans l’illégalité. » Bref, le néant ou les slogans ineptes répandus par le PC.

Vieux : nous sommes vaincus. Et vaincus ignominieusement. Fini notre espoir en l’Allemagne. Il y aura des batailles isolées car ici les ouvriers antifascistes ont des armes, sont organisés par quartiers, gardent même des mitrailleuses dont les pièces sont réparties entre les locataires de l’immeuble. Il y aura une terreur sanglante dans les mois qui suivront. Les meilleurs tomberont… À côté d’un dévouement et d’un courage individuels admirables, une paralysie et une désorientation énormes en tant que classe.

Quelle farce affreuse ! Quelle bluff l’Internationale communiste post-Lénine ! Quelle baudruche gonflée !…

Et la gauche ! La fraction de Trotsky en ce moment précis est divisée en deux et il ne reste que quinze camarades actifs dans tout Berlin. Les autres, les chefs depuis des années, entrent au Parti justement maintenant, en déclarant fausses les perspectives de Trotsky pour la Russie et l’Allemagne. L’autre fraction, celle de Landau, fait paraître une feuille bi-mensuelle et se trouve tout à fait en retard sur l’événement. Bref, l’influence de cette petite gauche est si minime qu’elle ne peut rien décider à l’heure présente.

Le Parti social-démocrate mérite une lettre à part. La mentalité d’un social-démocrate allemand endurci est seulement comparable à celle d’un autre social-démocrate allemand. Nous en avons connu quelques-uns, que le bon Dieu le pardonne. Mais en passant, n’oublions pas qu’avec notre mouvement s’écroule aussi un mouvement social vieux de plus de soixante ans, le mouvement social-démocrate.

Le SAP (une gauche séparée du SPD) est un groupe de militants jeunes, déchiré par de permanentes crises internes, dont l’influence est presque nulle.

Le Parti social-démocrate et le Parti communiste sont les deux organisations décisives. Les réformistes ont la haute main sur les syndicats et sur la majorité des ouvriers qui gardent encore leur travail. Le PC s’est isolé des masses. Or, l’initiative de la lutte extra-parlementaire ne peut partir que du PC. La bourgeoisie craint la grève générale comme le plus grand des malheurs. Mais cette grève générale, le PC ne peut pas la déclencher. Tu viens de voir ce qu’il est. Je dirai presque ce qu’il était. Car le prix que le PC allemand et l’IC de nos jours devraient payer un pareil mensonge c’est leur disparition de la confiance et du cœur des masses. À bas la clique d’aventuriers et de bureaucrates mille fois criminels qui nous ont préparé cette nouvelle et immense défaite. En avant pour le nouveau labeur.

Courage pour nous tous et pour que nous ayons la force de mettre sur pied quelque chose de mieux dans les heures noires qui viennent.

J.H.


Seconde lettre à un camarade argentin


Paris, le 1er juin 1933

Cher Vieux,

Nous voici de retour après avoir vécu en Allemagne des mois qui nous brûlaient comme du plomb fondu. Oh ! ces jours atroces ! Ils nous ont broyé les nerfs à tel point que la moindre discussion, même avec des camarades d’ici, nous met dans un état de fureur démesurée.

Se voir réduits à accompagner jour après jour au cimetière les ouvriers abattus par les fascistes, sans avoir devant soi aucune perspective de combat, sans trouver la bataille qui nous aurait permis de recracher tant de rage, de haine et d’amertume récoltées !

Auprès de spartakistes qui gardent leur arme comme un reliquaire sacré, nous avons brûlé à petit feu, dévorés d’impuissance, voyant tomber une à une toutes les positions sans combat ; sentant le mépris de l’ennemi enhardi partout devant le manque de résistance, devenant de plus en plus insolent : « Où sont les communistes ?… Dans les caves ! ». Voici la rengaine que chantent les nazis dans toutes les rues d’Allemagne… Et ils obligent les militants à frotter le sol des casernes SA avec leurs drapeaux rouges à faucille et marteau…

Je ne continue pas car je crève.

L’image que nous gardons de la classe ouvrière allemande sous Hitler, la voici : quelques jours avant de partir, après le 1er Mai fasciste, nous sommes allés au cimetière de Friedrichfelde où sont enterrés les combattants révolutionnaires de janvier 1919 avec Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg. Nous y allions surtout pour mettre des fleurs sur la tombe du cher vieux Mehring qui nous parut maladroitement oublié par le Parti le jour anniversaire de Spartakus. Le cimetière se trouve dans un village des environs de Berlin : des maisons ouvrières et des cheminées d’usine. Au fond, quelques tilleuls et marronniers, et plus loin, tout au fond de tout, cette poignée de tombes à nous, auxquelles s’ajoutent d’autres plus récentes…

En arrivant plus près nous constatons que les nazis sont aussi passés par là ; l’immense étoile de bronze avec la faucille et le marteau qui se trouvaient sur le monument en briques rouges ont été arrachés. Ils ont enlevé les couronnes et les fleurs de toutes les tombes. À l’entrée, une pancarte : « Fermé » et un treillis de planches entrecroisées pour obstruer le passage. Les dalles nues ; au milieu, de face, celles de Rosa et de Karl. Tu peux imaginer l’angoisse qui nous serrait la gorge.

À quelques pas se trouve un gardien qui parle avec un ouvrier.

— Est-ce qu’il est défendu de mettre des fleurs sur ces tombes ? demandons-nous.

— Ah, non ! Nous n’en sommes pas encore là… répondent les hommes très vite. Et l’on sent dans leur voix une nuance de reconnaissance et d’encouragement.

Une femme arrive avec son cabas à provisions. Elle est venue visiblement jusque-là entre deux courses. Dès qu’elle franchit le barrage elle se met à pleurer. Émus nous aussi jusqu’aux larmes, nous mettons sur la tombe du vieux Mehring les fleurs que nous lui apportions et partons en chercher d’autres, mais cette fois quelque chose pour les deux chefs de Spartakus, fondateurs du Parti communiste allemand. Au bout de presque une demi-heure de marche nous trouvons des tulipes rouges, très rouges. Nous revenons au cimetière. La femme y est encore et elle pleure toujours.

En disposant ces fleurs fraîches dans des boîtes remplies d’eau que nous mettons auprès de ces deux noms si chers, nous pensons aussi que ce geste fera du bien à la femme et aux ouvriers qui passent… Des fleurs fraîches, des fleurs rouges sur les tombeaux de Rosa et Karl comme on les appelle ici.

Tu nous comprends, en pleurant nous aussi nous assistions à la douloureuse persévérance de cette ouvrière – la classe ouvrière allemande – qui s’arrêtait devant chaque tombe en lisant d’une façon appliquée les noms de ses héros tombés. Elle les visita tous en restant un long moment devant chaque dalle. Son pèlerinage dura plus d’une heure et demie.

À cent mètres de là, les premières tombes nazies dans le cimetière ouvrier, croulant sous les couronnes et les rubans.

Sur l’Allemagne, nos conclusions sont les suivantes : contrairement à la conception du communisme officiel, nous croyons que la situation se développera dans un prochain avenir vers un renforcement de la terreur et de la dictature fasciste. Justement, les contradictions et les difficultés que les staliniens signalent comme les causes de la chute prochaine d’Hitler, sont celles qui ont amené le fascisme : parce que la crise du capitalisme était très aiguë, parce que pour affronter la lutte avec les capitalistes étrangers la classe capitaliste allemande a besoin dans son pays d’une classe ouvrière soumise et docile, parce qu’elle aura besoin de diminuer les salaires et d’aggraver les conditions de travail et de vie, d’enrôler les chômeurs dans le « service de travail obligatoire » et de supprimer ainsi l’allocation au chômage ; parce qu’elle devra exploiter encore davantage la petite bourgeoisie et arriver à l’inflation, justement à cause de tout cela le fascisme existe en Allemagne. À cause de cela la bourgeoisie a dû renoncer à la social-démocratie, après à Brüning, ensuite à Papen et ensuite à une dictature purement militaire : Schleicher.

Croire qu’avec la prise du pouvoir ce développement va s’interrompre immédiatement et mettre par terre le fascisme c’est ne rien comprendre. Sur la base de ces mêmes terribles difficultés Hitler triomphera encore d’Hugenberg, du Parti national allemand, de casques d’acier rebelles, du Centre et installera complètement la dictature exclusive des nationaux-socialistes.

C’est cela la perspective dans le futur immédiat, un futur qui peut durer des années. Le problème du pouvoir est résolu en faveur du fascisme. La révolution prolétarienne est vaincue.

Des forces révolutionnaires, voici ce qu’il reste :
1 – la plus grande partie, enfoncée dans la démoralisation et la terreur, a abandonné la lutte. Une partie importante est passée au fascisme. Il y a des cas très douloureux.
2 – une partie minime du PC a repris la lutte après les premiers mois d’écrasement total, mais avec les vieilles perspectives, les vieilles conceptions : « le fascisme ne pourra pas résoudre les problèmes qui lui sont posés, tenir les promesses avancées et il s’écroulera dans un bref délai ». Quand ils devront constater que ces conceptions sont fausses, une partie d’entre eux, fatigués, abandonneront aussi. Le PC ne se renforcera pas dans l’illégalité. Abandonné à lui-même, sa marche ne sera pas progressive, mais au contraire, il ira à la désagrégation.
3 – Les différents groupes d’opposition. Voilà le point d’appui essentiel pour l’action future : opposition de gauche. SAP (Parti socialiste ouvrier allemand). Opposition Brandler-Talheimer. Ces groupes poursuivent l’action.

Quelles possibilités d’action ? Écartant l’illusion d’intéresser la masse à une action politique contre le gouvernement, que personne ne prend ni prendrait au sérieux dans l’Allemagne actuelle, il nous paraît évident que l’activité de classe des ouvriers s’exercera ici et là sur le terrain économique : défense des conditions de vie, salaires, journée de travail, etc. La tâche essentielle à l’heure présente est de chercher l’unification des forces de l’opposition en Allemagne. On y va. Ici en France le travail est très avancé : les trois groupes de la gauche, à part la « Ligue communiste » encore en désaccord, sont à la veille de s’unir. On pense après à une espèce de nouveau Zimmerwald qui, sur le désastre allemand, la défection sans combat de l’IC, chercherait un rapprochement et un terrain d’action commune des forces de l’opposition. Le travail de l’opposition à l’heure présente en Allemagne est singulièrement facilité (nous ne parlons pas des énormes difficultés de l’illégalité). Son action sur les militants du Parti s’exerce plus efficacement. Tous les moyens du Parti, son appareil, sa presse, tous moyens d’influence et de coercition, sont extraordinairement amoindris. La base a une plus grande indépendance et se trouve souvent livrée à sa propre initiative. La lutte de tendances entre l’opposition et la centrale bureaucratique est moins inégale. Si nous ajoutons que les éléments oppositionnels n’ont pas été surpris ni déroutés par les événements tu auras un tableau juste des conditions actuelles du travail.

Or, nous ne devons pas nous tromper dans l’analyse. Hitler prend le pouvoir en 1933 et non en 1922 comme Mussolini. En pleine crise capitaliste, non pas au début de la stabilité relative. En Allemagne, non pas en Italie. Cela veut dire que ses tâches sont énormément plus difficiles et sa stabilité plus précaire. Nous te faisons remarquer ceci : les contradictions qui menacent Hitler à l’intérieur, elles toutes seules, ne décident rien pour longtemps. Hitler domine totalement. En face de lui il n’a aucune force organisée capable tant soit peu de lui résister. Il les a toutes défaites. Un détail : dans le pâté de maisons où nous habitions il y avait, avant la prise du pouvoir par Hitler, un seul local nazi ; quand nous sommes partis il y en avait trois, chacun tenu par une troupe d’assaut. Ainsi dans tous les centres ouvriers, dans toutes les rues, spécialement communistes. Pour contenter tout le monde Hitler possède maintenant toute la police, sa milice particulière qu’il fait payer par l’État, tout l’appareil de celui-ci d’où il a délogé les sociaux-démocrates, ceux du Parti du centre et même les Allemands nationaux, ses compagnons de gouvernement ; il a dans ses mains l’appareil des syndicats qu’il a arraché aux réformistes ; il a les camps de concentration où, pour garder les prisonniers politiques, il y a autant d’hommes d’assaut que de détenus ; il a les camps de travail obligatoire, et les cellules nazies viennent de recevoir l’ordre de faire place dans les usines à cinq mille membres du Parti national-socialiste (en chassant les ouvriers marxistes).

Avec ces atouts, Hitler a ce qu’il faut pour retenir ceux qui songeraient à l’abandonner. Les mécontents sont isolés et démoralisés. Le climat en Allemagne est d’écrasement, de peur ; nous avons parlé avec plusieurs ouvriers qui ont été battus jusqu’au sang. Ce qui les préoccupe, la première chose qu’ils te demandent, c’est de n’en parler à personne, de ne rien dire de leur cas, car les nazis les ont menacés de les torturer à mort s’ils racontaient quoi que ce soit. La terreur fait taire pour le moment la haine et la rage.

Dans le fond de la scène ont lieu les luttes entre les fascistes et une partie des casques d’acier, et entre des membres du gouvernement, des luttes qui, si elles ne menacent pas Hitler, comme tu peux voir par ce qui précède, facilitent par contre le travail de propagande révolutionnaire.

À l’extérieur les choses sont moins faciles. Mussolini a pu se payer le luxe d’une politique étrangère bruyante, de pur prestige. Sa force, dans ce sens, était conditionnée par sa faiblesse en tant que puissance. L’Italie ne menace pas sérieusement en tant que concurrente dans le marché mondial l’Angleterre, les États-Unis, etc. À peine la France et encore seulement dans le domaine militaire. On comprend ainsi que Mussolini puisse prononcer ses « terribles » discours menaçant le monde avec l’Italie nouvelle, l’Italie rajeunie ; qu’il fasse défiler ses avions en formation de combat, etc. L’impérialisme anglo-américain peut l’écouter en souriant. Cette politique de prestige nationaliste à l’extérieur est une des principales ressources du fascisme pour distraire et enflammer l’attention de ses partisans, de la petite bourgeoisie, des jeunesses universitaires, pour écraser l’esprit de lutte de classe par le mythe de l’unité nationale, de la patrie.

Est-ce qu’Hitler peut se payer ce luxe ? Tu as vu comment le ton de ses discours a changé. L’immense puissance industrielle qu’est l’Allemagne ne peut pas se permettre les plaisanteries. Les Français ont déjà perdu le sommeil, et les Anglais aussi. Avide de marchés, chaque impérialisme a cinquante pour cent de ses forces productives inemployées, et juste en ce moment le capitalisme allemand s’apprête à les devancer en se préparant, à l’intérieur, à profiter du plus minime changement de la conjoncture. Tout ce qu’Hitler peut leur offrir pour les calmer est ceci : je vous laisse tranquilles à l’ouest, à condition que vous me laissiez les mains libres à l’est. Nous avons besoin de pousser et c’est aux dépens de la Russie que nous pousserons (je t’enverrai quelques paragraphes du livre d’Hitler, dans lequel le programme d’une guerre avec la Russie est exposé de façon explicite). Bien entendu, cette offre n’est pas à négliger. C’est pour la présenter que Rosenberg est allé à Londres. Dans les cercles de Deterding – le vieux rêve du pétrole de Bakou – il a été reçu avec enthousiasme. Mais les autres, appuyant la France, se sont montrés franchement hostiles.

Je ne m’étendrai plus là-dessus. Le jeu d’Hitler est très difficile, sa marge de manœuvre est très étroite, au milieu de la terrible crise du monde capitaliste actuel. Cela ne permet pas de lui assigner un développement tranquille portant sur des décennies comme c’est le cas pour Mussolini.

Passons à autre chose. Pour bien préciser notre situation, il faut comprendre et prouver que ce qui a échoué en Allemagne n’est pas seulement le PC allemand ; c’est la politique de toute l’Internationale communiste, la même qu’elle est en train de mener dans le reste du monde et qui nous conduit dans chaque pays à une répétition du désastre allemand.

Les staliniens disent maintenant :

1° – « En Allemagne il n’y a pas eu défaite. Le PC garde toutes ses forces et poursuit le combat ». À cela tu trouveras la réponse dans ce qui précède et dans l’article que nous avons publié en France.

2° Toute la faute revient à la social-démocratie qui, en freinant la classe ouvrière, en empêchant la lutte, a fait le jeu du fascisme. Oui, c’est vrai. Mais cet argument pouvait être valable avant la fondation de l’Internationale communiste. Car pourquoi a-t-elle été créée ? Mais justement parce que la trahison de la Deuxième Internationale en 1914 avait prouvé aux révolutionnaires quel était son rôle : livrer la classe ouvrière les mains liées à la bourgeoisie. Pour éviter cela, pour soustraire les masses à son influence, pour les conquérir et les mener à la victoire ont été fondés les partis communistes. Qu’un communiste vienne nous dire maintenant, pour absoudre le Parti : « la social-démocratie a trahi une deuxième fois en Allemagne », cela veut dire quoi ? Qu’il gardait encore des illusions à son sujet ? La social-démocratie a été en tout cas conséquente avec elle-même, et il faut ajouter que son ineptie, sa lâcheté, ont été telles, que croyant pouvoir s’adapter au fascisme et survivre, elle a été détruite par lui.

Mais le fait qu’elle ait pu « empêcher la lutte » montre que les masses décisives étaient avec elle. Et que signifie ceci, après toutes ses trahisons, après la crise formidable qui poussait les masses à l’action, sinon que le PC a fait banqueroute ? Pendant tout le mois de février nous avons vécu des heures noires en Allemagne : les révolutionnaires, isolés, coupés des masses, sans aucun pouvoir réel, dans l’impuissance totale, sans même pouvoir déclencher une grève locale (!), dans l’attente, à la remorque des chefs socialistes. Pendant le mois de février le PC disparut de la scène allemande. Enfoncé dans une démoralisation totale, on ne le trouvait pas dans la rue ni nulle part ailleurs.

Même les « manœuvres » de front unique tombèrent entre les mains de la social-démocratie. Elle organisa encore un meeting important dans le quartier ouvrier de Neukölln un jour de février, la veille de l’incendie du Reichstag. Et quand nous avons demandé à un communiste pourquoi le PC n’était pas capable de faire la même chose il nous a répondu : « Les sociaux-démocrates tiennent mieux que nous leurs masses en main » (!). Tout cela s’est reflété – et nous l’avions prédit à des camarades communistes – dans les élections du 5 mars 1933. À l’heure décisive de la lutte, le « Parti de l’action révolutionnaire » est abandonné, c’est-à-dire perd une énorme masse de voix. La social-démocratie, le parti du « réformisme et de la trahison » garde presque toutes ses voix.

3° – « Le PC a fait tout ce qu’il a pu, les masses ne voulaient pas la lutte, et le PC isolé ne pouvait pas se faire massacrer. Lénine a dit « l’avant-garde toute seule ne peut pas obtenir la victoire »… D’où la capitulation sans combat. Celle-ci est la plus misérable des excuses. Jeter la responsabilité sur la masse !… Mais depuis 1928, le Parti n’a-t-il pas proclamé sur tous les tons la radicalisation des masses, sa volonté de lutter ? N’a-t-il pas expliqué même la chute de Papen par l’offensive du prolétariat ? D’autre part, le PC était devenu depuis le 6 novembre 1932 le premier parti de Berlin avec 800 000 voix. Près de 6 000 000 dans toute l’Allemagne. Comment se fait-il qu’il ne pouvait pas arrêter une usine ni mobiliser ses propres masses comme il le démontra le 20 janvier 1933, quand les nazis osèrent défiler en manifestation devant la Maison Karl Liebknecht, siège du Parti communiste ?

« Le PC a fait tout ce qu’il a pu ». Lancer un appel à la grève générale à la dernière minute est-ce toute la mission de l’avant-garde révolutionnaire, du PC ? Et cela suffit pour l’absoudre ? Par exemple, le 20 juillet, quand von Papen supprima le gouvernement de la Prusse socialiste, Braun-Severing, par un coup d’État, le PC appela à la grève générale. Il a fait tout ce qu’il pouvait. Voyons cela de plus près : quand les nazis organisèrent un plébiscite pour renverser ce gouvernement, avant le coup de von Papen, les communistes ont voté avec eux contre Braun-Severing. Quand von Papen renverse ce même gouvernement, que le PC qualifie de fasciste, ce même PC appelle à la grève générale. Les masses n’ont pas bougé. Tout commentaire serait de trop.

Le Parti, deux ans avant la montée d’Hitler au pouvoir, par la bouche de Münzenberg, dit : « Immédiatement après le fascisme, ce sera nous ». Quelque temps après, en plein Reichstag, par la bouche de Remmele, député communiste : « Un gouvernement fasciste ne nous fait pas peur. Il tombera plus vite que n’importe quel autre. Ensuite ce sera notre tour ». Pendant des années le PC sème cet esprit de défaite et de fatalisme dans le Parti et dans les masses : « Le fascisme est une expérience inévitable ». Après, les masses viendront vers nous.

Pendant que le fascisme grandit et menace, la thèse du PC est : « L’ennemi principal est la social-démocratie. Nos coups les plus décisifs, nous devons les porter contre elle. Sans la vaincre nous ne pourrons pas combattre le fascisme » (thèse de Thälman).

Pour lui, tous les partis, tous les gouvernements sont fascistes : Severing, Brüning, Papen, Schleicher… Un des chefs déclara un jour : « Hitler ne pourra faire plus que ce que fait Brüning. »

Politique syndicale : il crée des syndicats indépendants, abandonne les syndicats aux réformistes. Guidé par sa conception du fascisme il fait élire des ouvriers nazis dans les comités de grève. Résultat permanent : ceux-ci déclenchent les grèves, après ils les brisent et font congédier les meilleurs éléments en faisant engager des ouvriers nazis à leur place.

Le PC renonce à la conception marxiste et copie le programme des nazis, espérant copier ainsi son succès. Pendant les élections du 6 novembre 1932, dans les grands manifestes collés sur les colonnes d’affiches de Berlin, figurait comme premier point du programme du PC dans la lutte contre la crise et la misère : « Lutte contre le traité de Versailles ». Ce qui équivalait à expliquer et dénoncer comme cause principale d’une crise profonde du régime capitaliste qui se traduisait par douze millions de chômeurs en Amérique du Nord, pays vainqueur s’il y en a, le fait que l’Allemagne était une victime, vaincue et humiliée, du traité de Versailles. Ce qui était, justement, la thèse des nazis et de la bourgeoisie impérialiste allemande.

Le PC adopte la conception de la « révolution populaire » et de la « libération nationale et sociale », deux mots d’ordre nazis, renonçant à la conception de la « dictature du prolétariat » et à la conception « internationaliste de la révolution sociale ». Deux crimes énormes qui à eux seuls suffisent à tuer un parti de classe. C’est Engels qui dit dans la La guerre des paysans qu’un chef révolutionnaire – dans notre cas le PC – qui lance des mots d’ordre qui ne sont pas de sa classe est irrémédiablement condamné.

Tout cela, c’est ce qu’a fait le Parti communiste allemand, ou plutôt l’IC. Et ce qu’il a omis de faire ?

Dire, après qu’un parti a travaillé par sa politique et son régime, pendant des années, à confondre, désorienter, égarer la conscience de ses militants et de sa classe, à anéantir sa volonté de combattre, à désarmer sa vigilance, à ronger sa confiance, dire après tout cela que le « Parti a fait tout ce qu’il a pu » signifie simplement qu’il a fait tout ce qu’il a pu pour préparer la défaite de la classe ouvrière.
En plus, accuser les masses de passivité !!

La question de la passivité des masses est presque la même que celle de l’inaptitude et de la banqueroute des partis communiste et socialiste. Une classe ouvrière qui pendant un demi-siècle exprime sa conscience et son indépendance politique à travers le parti ouvrier – appelons le ainsi – le plus vieux et puissant du monde ; qui est organisée dans des syndicats très forts, dans des grandes formations de combat anti-fasciste : les révolutionnaires dans le « Rot Front » (Front rouge) et « Antifabund », les réformistes dans le « Eiseme Front » (Front de fer) et « Reichsbanner » (Drapeaux du Reich) ; qui a en plus la plus puissante section de l’IC ; qui a des habitudes et une tradition de discipline et d’organisation comme aucune autre classe ouvrière ; accuser, alors que tous, Parti social-démocrate, syndicats et Parti communiste se livrent sans combattre, s’écroulent, accuser les masses de passivité, espérer que dans l’énorme écrasement et la désorientation les masses improvisent, créent encore une résistance hors des cadres de leur action traditionnelle, c’est ne comprendre rien à rien, c’est se moquer de tout.

Et pour conclure : si nous croyons avec Lénine – contrairement à ceux qui placent leur espérance dans la spontanéité de masses – que le parti est un élément décisif, essentiel pour le triomphe de la classe ouvrière, nous devons ajouter maintenant, explicitement, qu’il est un élément non moins décisif pour sa défaite. Le parti prépare aussi efficacement l’un que l’autre. Il faut comprendre bien à fond ceci après le désastre allemand, et en présence de la politique et de l’action identiques de l’Internationale communiste dans les autres pays.

FIN

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