1978
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"Le titre du livre synthétise ma position :
à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du
prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire
revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par
Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une
dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la
"démocratie socialiste" immédiatement."
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Nahuel Moreno
La dictature révolutionnaire du prolétariat
VIII. Qu'est-ce que la dictature du
prolétariat ?
5. Les nouveaux états ouvriers bureaucratisés.
Durant la post-guerre presque toutes les révolutions triomphantes
(Yougoslavie, Europe de l'Est, Chine, Corée, Vietnam) furent à l'origine
d'états ouvriers semblables à celui de l'URSS actuelle, et non à celui de
Lénine : monopole du pouvoir dans les mains d'un seul parti de
caractère réactionnaire, influence décisive de la bureaucratie et
technocratie, totalitarisme, absence totale de liberté et répression
implacable des opposants et des secteurs les plus exploités du prolétariat et
de la paysannerie. Seul notre mouvement mondial a pu résoudre d'une façon
satisfaisante ce nouveau problème théorique.
Trotsky disait dans le Programme de transition à propos du
mot d'ordre de "gouvernement ouvrier et paysan" : "D'avril à
septembre 1917, les bolchéviks réclamaient que les
socialistes-révolutionnaires et les menchéviks rompent leur liaison avec la
bourgeoisie libérale et prennent le pouvoir dans leurs propres mains. A cette
condition, les bolchéviks promettaient aux menchéviks et aux
socialistes-révolutionnaires, représentants petits-bourgeois des ouvriers et
des paysans, leur aide révolutionnaire contre la bourgeoisie, et refusant
cependant catégoriquement tant à entrer dans le gouvernement des menchéviks
et des socialistes-révolutionnaires qu'à prendre une responsabilité envers
lui. Si les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires avaient réellement
rompu avec les cadets (libéraux) et avec l'impérialisme étranger, le
"gouvemement ouvrier et paysan" créé par eux n'aurait pu qu'accélérer et
faciliter l'instauration de la dictature du prolétariat. Mais c'est
précisément pourquoi les sommets de la démocratie petite-bourgeoise
s'opposeront de toutes leurs forces à l'instauration de leur propre pouvoir.
L'expérience de la Russie démontra et l'expérience de l'Espagne et de la
France le confirme de nouveau, que, même dans des conditions très favorables
les partis de la démocratie petite-bourgeoise (socialistes-révolutionnaires,
social-démocrates, staliniens, anarchistes) sont incapables de créer un
gouvernement ouvrier et paysan, c'est-à-dire un gouvernement indépendant de
la bourgeoisie".
"Le mot d'ordre de "gouvernement ouvrier et paysan" est employé par nous
uniquement dans le sens qu'il avait en 1917 dans la bouche des bolchéviks,
c'est-à-dire comme un mot d'ordre antibourgeois et anti-capitaliste, mais, en
aucun cas, dans le sens "démocratique" que lui ont donné plus tard les
épigones, faisant de lui, alors qu'il était un pont vers la révolution
socialiste, la principale barrière dans cette voie.
"De tous les partis et organisations qui s'appuient sur
les ouvriers et les paysans et parlent en leur nom, nous demandons qu'il
rompent politiquement avec la bourgeoisie et entrent dans la voie de la lutte
pour le gouvernement des ouvriers et des paysans". "La création d'un tel
gouvernement par les organisations ouvrières traditionnelles est-elle
possible ? L'expérience antérieure nous montre, comme nous
l'avons déjà dit, que c'est pour le moins peu vraisemblable. Il est cependant
impossible de nier catégoriquement par avance la possibilité théorique de ce
que, sous l'influence d'une combinaison tout à fait exceptionnelle de
circonstances (guerre, défaite, krach financier, offensive révolutionnaire
des masses, etc.), des partis petits-bourgeois, y compris les staliniens,
puissent aller plus loin qu'ils ne le veulent eux-mêmes dans la voie de la
rupture avec la bourgeoisie. En tous cas, une chose est hors de doute ;
si même cette variante, peu vraisemblable, se réalisait quelque part,
et qu'un "gouvernement ouvrier et paysan" dans le sens indiqué plus haut,
s'établissait, en fait, il ne représenterait qu'un court épisode dans
la voie de la véritable dictature du prolétariat" (Trotsky, 1938) [4].
Cette variante, "hautement improbable" selon Trotsky, est la seule que
nous ayons vu se produire ces derniers trente cinq ans. Toutes les
révolutions ouvrières triomphantes se sont produites à travers des
"gouvernements ouvriers et paysans". En d'autres termes : des
partis petits-bourgeois et bureaucratiques staliniens, tels ceux de Mao,
Tito, Enver Hoxa, et Ho Chi-Minh, ou démocrates-nationalistes comme celui de
Fidel Castro et "Che" Guevara, rompirent
politiquement avec la bourgeoisie et l'impérialisme, prirent le pouvoir et
allèrent jusqu'à exproprier tous les exploiteurs.
A partir de 1949, Pablo, Hansen et Moreno approfondirent et élargirent
cette hypothèse "hautement improbable" de Trotsky d'un gouvernement ouvrier
et paysan qui se transforme en dictature du prolétariat et la combinèrent
avec celle très élaborée pour la Russie staliniste d'"état ouvrier dégénéré",
pour commencer à produire la nouvelle catégorie d'"état ouvrier déformé".
Le fait d'avoir accepté cette nouvelle catégorie sans grand bouleversement
représente un mérite impérissable de notre Internationale.
Après cela, le pays ou l'Etat devient ouvrier, et sa superstructure
étatique une dictature du prolétariat. La IVème Internationale a défini les
nouveaux pays ou Etats ouvriers comme étant déformés, parce que leur
caractère bureaucratique n'était pas la conséquence d'une expropriation
politique du prolétariat de la part de la bureaucratie, comme celle qui
produisit la dégénérescence de la Révolution d'Octobre, la bureaucratie et
les secteurs privilégiés des travailleurs ayant été dominants dès la victoire
même de la révolution. Mais l'analogie était évidente : un
gouvernement ouvrier et paysan qui donnait lieu à la formation d'un Etat
ouvrier bureaucratisé comme celui de l'U.R.S.S.
Ce bref interlude, de la rupture politique avec la bourgeoisie de la part
des partis réformistes à son expropriation économique se produisit également
lors de la Révolution russe.