1978
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"Le titre du livre synthétise ma position :
à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."
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Nahuel Moreno
La dictature révolutionnaire du prolétariat
VIII. Qu'est-ce que la dictature du
prolétariat ?
2. L'U.R.S.S. et la Chine sont-elles des dictatures
prolétariennes ?
On parle dans plusieurs parties du document des Etats ouvriers
bureaucratisés. Mais si l'on s'en tient à la définition claire et catégorique
que nous venons de citer, il apparaît une conclusion insolite : aucun
de ces pays n'est une dictature prolétarienne. Il n'est pas très
difficile de voir que les formes de gouvernement existant en U.R.S.S., en
Chine, à Cuba etc., ne remplissent même pas une seule des conditions requises
par la majorité pour les dictatures prolétariennes. Cette conclusion
inattendue prend une certaine importance si nous nous rappelons que le SU
affirme que la Chine maoïste ou le Vietnam n'ont pas élargi la démocratie
prolétarienne après la révolution.
Cette "lacune" (l'ignorance des seules dictatures du prolétariat
existantes) suffit pour cataloguer toutes les thèses comme se trouvant en
dehors de la réalité et du marxisme. N'importe quel jeune ouvrier ou étudiant
qui lirait ces thèses se poserait la question élémentaire : existe-t-il ou
non dans ces pays des dictatures prolétariennes ? S'il applique la
définition du SU, il se dira que non. Et si ce lecteur possède quelque
connaissance de l'analyse traditionnelle de Trotsky, il se trouvera confronté
à un dilemne insoluble : il ressort de tout le document qu'il n'existe pas,
aujourd'hui, une seule dictature prolétarienne ; et il ressort de l'analyse
de - Trotsky et des trotskystes (par exemple, de nombreux travaux de
quelques-uns des auteurs des thèses), qu'il y a plusieurs dictatures
prolétariennes, bien que bureaucratiques, dégénérées et déformées. Qui a
raison ?
Supposons que la majorité du SU, avec la même méthode, ait écrit un
document sur les syndicats contemporains. Ils pourraient commencer par une
première thèse intitulée "Que sont les syndicats ?" et dans laquelle ils
diraient que ceux-ci "sont les organisations composées par les ouvriers qui
veulent défendre leur salaire et leur niveau de vie, dans lesquelles tous les
délégués et dirigeants sont élus par la base, sont l'objet d'une rotation
régulière, gagnent la même chose qu'un ouvrier qualifié et sont révocables
immédiatement si les ouvriers qui les ont élus le désirent...". Et ils
résumeraient : "les syndicats ne sont donc rien d'autre que la
démocratie syndicale". Cette définition possède plusieurs avantages.
Ainsi elle précise clairement ce que nous, trotskystes, voulons que soient
les syndicats, et plaît assurément aux ouvriers syndiqués. Mais ses défauts
sont beaucoup plus importants : elle ne définit pas les
quatre-vingt-dix-neuf pour cent de syndicats existants, et ne peut donc armer
personne pour y intervenir avec une politique. Synthétiquement : elle ne sert
à rien.
En tant que marxistes et militants révolutionnaires, nous n'avons d'autre
possibilité que de dire que les syndicats sont les organisations de défense
économique des ouvriers, bien qu'étant dans leur très grande majorité dirigés
par des bureaucraties corrompues et contre-révolutionnaires, et que nous
luttions contre celles-ci, pour la démocratie syndicale.
C'est la même chose avec la définition de la dictature du prolétariat. Que
nous luttons de toutes nos forces pour transformer les actuelles dictatures
du prolétariat qui sont bureaucratiques signifie bien autre chose que de
remplacer nos désirs par la réalité. C'est a dire que nous devons commencer
par définir celles qui existent et non pas nous contenter de présenter notre
formule idéale et encore moins répéter mécaniquement ce qu'on dit Lénine et
Trotsky avant 1917.