1978

"Le titre du livre synthétise ma position : à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."


Nahuel Moreno

La dictature révolutionnaire du prolétariat


VI. Le rôle du Parti Révolutionnaire et de la IV° Internationale.


5. L'avenir du parti révolutionnaire et la lutte contre sa bureaucratisation.

Pour les camarades qui ont rédigé le document en question, pluripartisme est synonymie de démocratie, et parti unique de bureaucratie. Ce raisonnement infantile est une nouvelle manifestation de la capitulation de la majorité du SU face au raisonnement libéral bourgeois. Et c'est au fond directement le résultat de la manière idéaliste et institutionnaliste dont ils confrontent leurs soviets au parlement bourgeois, sans tenir compte du processus de la lutte de classes. Nous sommes opposés à ce mécanisme simpliste que défendent les camarades : un seul parti égale domination bureaucratique ; plusieurs partis égale règne de la démocratie la plus absolue. Nous pensons que le contraire peut se produire. Il peut y avoir, à un moment précis de la dictature révolutionnaire du prolétariat, un contrôle révolutionnaire de la part d'un seul parti, qui permette un développement de la démocratie directe et révolutionnaire plus important que ne le permettrait un régime pluraliste. Le caractère bureaucratique ou révolutionnaire de la dictature ouvrière dépendra fondamentalement, non pas du nombre de partis dans le soviet, mais de la mobilisation des masses, selon qu'elle est freinée ou se poursuit dans une dynamique permanente, et du parti qui la dirige. Pour cette raison éviter à tout moment la bureaucratisation du parti révolutionnaire est une tâche d'une importance vitale.

La lutte contre la cristallisation de ses cadres dans les postes dirigeants du parti, et plus tard dans ceux des nouvelles institutions que se donnera l'état ouvrier, est donc une exigence si nous voulons que le principal objectif du parti demeure à tout moment la mobilisation permanente des travailleurs. C'est pourquoi il sera nécessaire que le parti révolutionnaire soit toujours plus ouvrier, un véritable parti de masse au sein duquel la classe ouvrière industrielle pèse de manière spécifique, non seulement sur son organisation, mais aussi sur sa direction.

Nous savons que dans le processus de la construction du parti, les intellectuels, les fonctionnaires, les ouvriers privilégiés peuvent, surtout au début, jouer un rôle d'une très grande importance. Mais si le parti ne se prolétarise pas, si l'immense majorité de ses militants n'est pas formée par des ouvriers actifs, si sa direction n'est pas entre les mains des éléments les plus capables de la classe, il lui sera difficile de postuler avec succès à la direction du processus révolutionnaire qui doit mener les travailleurs au pouvoir, et il lui sera encore plus difficile de diriger de manière révolutionnaire la dictature du prolétariat. Tous ceux qui occupent des postes de direction sans provenir de la classe ouvrière et sans avoir été mis à l'épreuve en dirigeant ses luttes, devront se retirer de ces postes et laisser la place afin que ce soient les ouvriers industriels qui prennent la direction du parti et dominent par leur nombre et par leur orientation. Parce que ce sont les plus organisés, les plus concentrés, les plus riches en expérience de lutte, et sur lesquels retomberont les plus grandes responsabilités des grandes transformations économiques dans le nouvel état. Malgré cela, ce ne sera pas suffisant.

Après avoir pris le pouvoir, le parti révolutionnaire sera confronté à la nécessité de disposer de plusieurs dizaines de ses cadres dirigeants - ceux de confiance et ayant le plus de capacités - pour les postes clés du gouvernement, connue ce fut le cas pour le parti bolchévik pendant la révolution russe. Ceci comporte un danger, peut-être le plus grave une fois établie la dictature révolutionnaire du prolétariat. La solution à ce problème demeure un défi pour les partis trotskystes qui dirigeront les futurs processus révolutionnaires, comme le montre la bureaucratisation du plus grand parti de l'histoire, celui de Lénine et de Trotsky. Pourtant, de même que Lénine et Trotsky n'ont pas pu l'éviter, le parti révolutionnaire ne pourra éluder la responsabilité d'assumer les fonctions qu'exige le nouvel état ouvrier, sauf en trahissant la révolution elle-même. Le parti devra prendre la direction du processus révolutionnaire au niveau de l'appareil d'état comme des centres-mêmes de la production, par l'intermédiaire des organisations que se donneront les masses travailleuses pour exercer le pouvoir. Cela ne sera possible que dans la mesure où ses cadres resteront des ouvriers, liés au reste des travailleurs. Il leur faudra donc combiner en permanence leurs tâches de gouvernement, et le travail productif direct dont ils tireront notamment leur propre subsistance, en évitant dans la mesure du possible que leurs fonctions au sein de l'état soient rémunérées. La proportion dans laquelle leur activité dans la production se combinera avec leurs tâches dans l'institutions dépendra à chaque instant des circonstances concrètes ; cependant nous pouvons dire que cela sera facilité historiquement par la réduction de la journée de travail, qui permettra de disposer de plus de temps libre. Et ce sera précisément cette combinaison de tâches qui maintiendra le parti à l'écoute des masses travailleuses, sans jamais ignorer leurs véritables besoins, s'enrichissant constamment de leurs expériences et de leur mobilisation permanente.

Ainsi le parti révolutionnaire lui-même commencera à préparer sa disparition, "comme corollaire de la disparition des antagonismes de classe, de la politique, de toutes les formes de bureaucratisme, et fondamentalement, de la réduction des mesures coercitives dans les relations sociales". Ses militants s'incorporeront toujours plus aux tâches de production, où ils exerceront directement leur pouvoir comme n'importe quel autre producteur socialiste, jusqu'à se dissoudre complètement dans la société communiste, et où ils ne se distingueront des autres hommes et femmes que par leurs qualités qu'ils développeront librement.


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