1865 |
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Dans le premier volume nous avons analysé les phénomènes que présente le procès de production capitaliste pris isolément et abstraction faite de toutes les circonstances secondaires qui lui sont étrangères. Ce procès n'occupe pas toute l’existence du capital ; il est complété par le procès de circulation dont les phénomènes ont été étudiés dans le volume II. Cette étude, surtout dans la troisième section qui traite du procès de circulation comme intermédiaire de la reproduction sociale, a démontré que l'ensemble du procès de production capitaliste comprend les phénomènes de production et de circulation. Le troisième volume que nous publions maintenant n'a pas pour objet de développer des réflexions générales sur ce point; il se propose de rechercher et de caractériser les formes concrètes qui surgissent du mouvement du capital considéré dans son entier. Les formes concrètes, que les capitaux revêtent dans la production et dans la circulation, ne correspondent qu'a des cas spéciaux; celles que nous analyserons dans ce volume se rapprochent graduellement de ce qui se présente dans la société, sous l'influence de la concurrence et par l'action des capitaux les uns sur les autres, ainsi que dans la conscience même des agents de la production.
En régime capitaliste, la valeur de toute marchandise s'exprime par la formule : M = c + v + pl . Si nous retranchons de cette expression la plus-value pl , il reste la valeur qui remplace le capital c + v dépensé dans la production.
Si, par exemple, la fabrication d'un objet demande un capital de 500 £, soit 20 £ pour l'usure des moyens de travail, 380 £ pour les matières de production et 100 £ pour la force de travail, et si le taux de la plus-value est de 100 %, la valeur du produit sera 400 ( c ) + 100 ( v ) + 100 ( pl ) = 600 £.
Si nous retranchons de cette somme les 100 £ qui représentent la plus-value, il nous reste une valeur de 500 £ qui remplace simplement le capital dépensé. Cette partie de la valeur de la marchandise, qui équivaut au prix des moyens de production et de la force de travail, exprime ce que la marchandise coûte au capitaliste et représente le prix de revient. Elle diffère absolument de ce que coûte la production de la marchandise en elle-même. En effet, la plus-value faisant partie de la valeur de la marchandise ne coûte rien au capitaliste, pour la bonne raison qu'elle représente du travail non payé à l’ouvrier. Mais en régime capitaliste, l'ouvrier, dès qu'il est entré dans le procès de production, constitue un élément du capital productif en fonction, et comme le capitaliste, propriétaire de ce capital productif, est le véritable producteur de la marchandise, le prix de revient de celle-ci lui apparaît nécessairement comme son coût réel. Si nous désignons par K, le prix de revient, la formule M = c + v + pl devient M = K + pl , c'est-à-dire : valeur de la marchandise = prix de revient + plus-value.
Cette juxtaposition, dans l'expression du prix de revient, des différents éléments de la valeur de la marchandise qui remplacent la valeur du capital dépensé, caractérise la production capitaliste. Alors que la marchandise a comme coût réel la dépense de travail qui a été nécessaire pour la produire, son coût capitaliste se mesure d'après la dépense de capital qui a été faite pour. elle. Le prix de revient capitaliste diffère donc quantitativement du prix de revient réel; il est plus petit que la valeur de la marchandise, car de ce que M = K + pl , il résulte que K = M - pl . Le prix de revient ne se rencontre pas seulement dans la comptabilité capitaliste. Au cours de la production il se dégage continuellement du reste de la valeur de la marchandise; il reprend, par l'intermédiaire de la circulation, la forme de capital productif et sert au rachat des éléments qui ont été absorbés par la production.
Par contre, le prix de revient n'a rien à voir dans la création de la valeur de la marchandise, ni dans la mise en valeur du capital. Quand je sais que, dans une marchandise d'une valeur de 600 £, les 5/6 de cette valeur représentent les 500 £ de capital qui ont été dépensées pour la produire et qui sont nécessaires pour racheter les éléments qui la constituent, j'ignore absolument de quelle manière ces représentant le prix de revient et le dernier représentant la plus-value ont été produits. L'analyse montre cependant qu'en régime capitaliste le prix de revient acquiert l'apparence d'une catégorie de la production de la valeur.
Reprenons notre exemple et supposons que la valeur qu'un ouvrier produit pendant une journée sociale moyenne de travail s'exprime par une somme d'argent de 6 sh. La valeur du capital avancé, 500 £ = 400 ( c ) + 100 ( v ) est dans ce cas le produit de 1 666 ⅔ journées de travail de 10 heures, dont 1333 ⅓ journées sont cristallisées dans 400 ( c ) valeur des moyens de production, et 333 ⅓ journées dans 100 ( v ), valeur de la force de travail. Le taux de la plus-value étant de 100 %, la production de la nouvelle marchandise coûte une dépense de force de travail égale à 100 ( v ) + 100 ( pl ) = 666 ⅔ journées de travail de 10 heures.
Nous savons (vol. I, chap. IX, p. 94) que la valeur du nouveau produit de 600 £ se compose de la valeur du capital constant dépensé pour les moyens de production, soit 400 £, et d'une nouvelle valeur de 200 £. Le prix de revient de la marchandise (500 £) comprend ainsi les 400 ( c ), qui réapparaissent et la moitié (100 v ) de la nouvelle valeur de 200 £, c'est-à-dire deux éléments d'origines absolument différentes.
Grâce à son caractère d'utilité, le travail accompli pendant les 666 ⅔ journées de 10 heures transfère au produit la valeur des moyens de production consommés (400 £), valeur qui réapparaît dans le produit, non parce qu'elle a pris naissance au cours de la production, mais parce qu'elle existait dans le capital avancé. Le capital constant dépensé est donc reconstitué par la partie de la valeur de la marchandise qu'il y a ajoutée lui-même, ce qui fait que cet élément du prix de revient a un double rôle : d'une part, il fait partie du prix de revient, parce qu'il représente la partie de la valeur de la marchandise qui reconstitue le capital dépensé ; d'autre part, il fait partie de la valeur de la marchandise, parce qu'il est la valeur d'un capital dépensé, le prix des moyens de production.
Il en est tout autrement de l'autre élément du prix de revient. Le travail dépensé pendant les 666 ⅔ journées de la production crée une nouvelle valeur de 200 £; mais une partie seulement de cette valeur reconstitue le capital variable avancé de 100 £, c'est-à-dire le prix de la force de travail employée, et ce capital n'est pour rien dans la création de la nouvelle valeur. Car, si dans le capital avancé la force de travail figure comme valeur, c'est dans le procès de production qu'elle se manifeste comme créatrice de valeur.
La différence entre les deux éléments du prix de revient saute aux yeux au moindre changement de la valeur du capital constant ou du capital variable. Supposons que le prix des moyens de production (le capital constant) passe de 400 à 600 £ ou descende à 200 £. Dans le premier cas, non seulement le prix de revient passe de 500 £ à 600 ( c ) +100 ( v ) = 700 £, mais la valeur de la marchandise s'élève également de 600 £ à 600 ( c ) + 100 ( v ) + 100 ( pl ) = 800 £ ; dans le second cas, il y a à la fois chute du prix de revient, qui tombe de 500 £ à 200 ( c ) + 100 ( v ) = 300 £, et baisse de la valeur de la marchandise, qui de 600 £ descend à 200 ( c ) + 100 ( v ) + 100 ( pl ) = 400 £. Toute hausse ou toute baisse du capital constant détermine, toutes autres circonstances égales, une variation correspondante de la valeur du produit. Supposons maintenant que le prix de la force de travail monte de 100 à 150 £ ou tombe à 50 £. Il en résultera que le prix de revient montera de 500 £ à 400 ( c ) + 150 ( v ) = 550 £, ou tombera de 500 £ à 400 ( c ) + 50 ( v ) = 450 £ ; mais il ne s'en suivra aucune variation de la valeur de la marchandise : celle-ci continuera à être de 600 £, ayant pour expression, dans le premier cas, 400 ( c ) + 150 ( v ) + 50 ( pl ) et, dans le second, 400 ( c ) + 50 ( v ) + 150 ( pl ). Le capital variable ne transfère pas sa valeur au produit ; dans celui-ci apparaît une nouvelle valeur créée par le travail. Une modification quantitative de la valeur du capital variable, déterminée exclusivement par une variation du prix de la force de travail, n'a aucune répercussion sur la nouvelle valeur créée par le travail ni, par conséquent, sur la valeur de la marchandise. Elle n'affecte que le rapport des deux parties de la nouvelle valeur, dont l'une représente la plus-value et dont l'autre renouvelle le capital variable, et entre à ce titre dans le prix de revient.
Les deux éléments du prix de revient (400 ( c ) + 100 ( v ) dans notre exemple) n'ont que ce point de commun, qu'ils reconstituent tous les deux le capital qui a été avancé.
Les choses apparaissent nécessairement d'une manière inverse, quand on les considère au point de vue de la production capitaliste. Celle-ci diffère entre autres de la production par esclaves, en ce que la valeur (le prix) de la force de travail s'y présente comme valeur (prix) du travail c'est-à-dire comme salaire (vol. I, chap. XVI), et que la partie variable du capital avancé y apparaît comme un capital dépensé en salaire, payant la valeur (le prix) de tout le travail accompli. Si, par ex., une journée moyenne de travail de 10 heures est exprimée par une somme de 6 sh., un capital variable de 100 £ sera l'expression monétaire de la valeur produite par 333 ⅓ journées de 10 heures. Cependant la valeur de la force de travail qui figure dans le capital avancé ne fait pas partie du capital qui fonctionne réellement ; sa place est prise dans le procès de production par la force de travail elle-même. Si cette dernière est exploitée, comme dans notre exemple, à 100 %, elle ajoute au produit, lorsqu'elle est dépensée pendant 666 ⅔ journées de 10 heures, une nouvelle valeur de 200 £. Or dans le capital avancé, c'est la partie variable de 100 £ qui se présente comme capital dépensé pour le salaire ou comme prix du travail accompli pendant les 666 ⅔ journées de 10 heures; en divisant ces 100 £ par 666 ⅔, nous obtenons 3 sh, le prix de la journée de 10 heures, la valeur produite par un travail de 5 heures.
Si nous comparons le capital avancé et la valeur de la marchandise, nous trouvons que :
Dans ces expressions, le capital avancé pour le travail diffère de celui avancé pour les moyens de production de coton ou les charbons par ex.), uniquement parce qu'il sert à payer un élément de production d'une nature différente et nullement parce qu'il jouerait un rôle différent dans la création de la valeur et dans la mise en valeur du capital. Les moyens de production étant consommés utilement, leur prix réapparaît dans le prix de revient tel qu'il a figuré dans le capital avancé, et il en est de même des 666 ⅔ journées de travail. Les éléments du capital avancé qui concourent à la formation de la valeur du produit sont donc des valeurs toutes faites, achevées, qui ne créent aucune valeur nouvelle; à ce point de vue, toute distinction de capital constant et capital variable disparaît entre eux. Il en résulte que le prix de revient de 500 £ acquiert un double sens : d'une part, il est la fraction de la valeur (600 £) de la marchandise qui reconstitue le capital dépensé dans la production; d'autre part, il ne fait partie du prix de la marchandise que parce qu'il existait déjà comme coût des éléments de production (moyens de production et de travail), c'est-à-dire comme capital avancé. La valeur-capital réapparaît donc dans le prix de revient dans la mesure où elle a été dépensée comme valeur-capital.
De ce que les diverses fractions du capital ont été dépensées pour les divers éléments de la production, pour des moyens de travail, des matières premières et auxiliaires et du travail, il résulte simplement que le prix de revient de la marchandise doit racheter ces éléments de production; quant à sa constitution, elle n'est influencée que par la distinction entre le capital fixe et le capital circulant. Dans notre exemple, nous avons admis que 20 £ représentent l'usure des moyens de travail (400 ( c ) = 20 £ pour l'usure des moyens de travail + 380 £ pour les matières de production). Si les moyens de travail ont une valeur de 1200 £, la production fera passer 20 £ dans la valeur de la marchandise et laissera 1200 - 20 = 1180 £ aux mains du capitaliste, non comme capital-marchandise, mais comme capital productif. Au contraire, les matières de production et le salaire seront entièrement dépensés et leur valeur sera incorporée entièrement au produit. Nous avons vu comment ces divers composants du capital acquièrent, dans la rotation, les formes de capital fixe et de capital circulant.
L’avance de capital est donc de 1680 £ = 1200 £ ( c ) + 480 £ de capital circulant (380 £ en matières de production plus 100 £ en salaire).
Le coût de production de la marchandise, par contre, n’est que de 500 £ (20 £ pour l’usure du capital fixe, 480 £ pour le capital circulant).
Mais cette différence qui existe entre le coût de production et l’avance de capital ne fait que confirmer ceci : le coût de production de la marchandise est constitué exclusivement par le capital dépensé réellement pour sa production.
On utilise, dans la production, des moyens de travail d’une valeur de 1 200 £, mais, de tout ce capital avancé, la production n’absorbe que 20 £. Le capital fixe employé n’entrera donc que partiellement dans le coût de production de la marchandise, parce qu’il n’est dépensé qu’en partie dans sa production. Le capital circulant utilisé entre, lui, en totalité, dans le coût de production de la marchandise parce qu’il est dépensé en totalité dans la production de celle-ci. Mais qu’est-ce que cela prouve, sinon que les fractions de capital fixe et circulant dépensées entrent de la même manière dans le prix de revient de la marchandise au prorata de leur grandeur de valeur et que cette composante de la valeur de la marchandise provient uniquement du capital dépensé pour sa production ? S’il n’en était pas ainsi, on ne verrait pas pourquoi le capital fixe de 1200 £ qui a été avancé, n’ajouterait pas à la valeur du produit, au lieu des seules 20 £ qu’il perd dans le procès de production, les 1 180 £ aussi, qu’il n’y perd pas.
Cette différence entre capital fixe et circulant, par rapport au calcul du coût de production, ne fait que confirmer ceci : le coût de production semble résulter de la valeur-capital dépensée ou du prix que coûtent au capitaliste lui-même les éléments de production qu’il dépense, travail compris. D’autre part, la fraction de capital variable investie en force de travail et qui, par rapport à la création de valeur, figure ici sous la rubrique de capital circulant est expressément identifiée au capital constant (fraction de capital existant en matières de production). Ainsi est accomplie la mystification du procès de mise en valeur du capital [1] .
Jusqu’ici nous n’avons considéré qu’un seul élément de la valeur de la marchandise : le coût de production. Il nous faut maintenant tourner nos regards vers son autre composante : la fraction excédant le coût de production ou plus-value. D’abord la plus-value est donc une part de la valeur de la marchandise excédant le coût de production. Mais, le coût de production étant égal à la valeur du capital dépensé qui d’ailleurs prend sans cesse de nouveau la forme des éléments matériels de ce capital, cet excédent de valeur est une addition à la valeur du capital qui a été dépensé pour la production de la marchandise et qui au terme de la circulation de celle-ci revient à son point de départ.
Nous avons déjà vu plus haut que si la plus-value pl ne provient que d’une modification de la valeur du capital variable v , et si elle n’est donc, à l’origine, qu’un accroissement interne du capital variable, elle n’en constitue pas moins, à la fin du procès de production, une augmentation de valeur qui s’ajoute à la totalité du capital dépensé c + v . La formule c + ( v + pl ) indiquant que pl est produit par la transformation en une grandeur fluide de la valeur-capital déterminée v , dont l’avance a été faite en force de travail, donc par la transformation d’une grandeur constante en une grandeur variable, cette formule peut s’écrire aussi bien ( c + v ) + pl . Nous avions, avant la production, un capital de 500 £. Après la production, nous avons ce capital de 500 £, plus un accroissement de 100 £ [2] .
Toutefois, la plus-value constitue un accroissement non seulement de la portion de capital avancé qui entre dans le procès de mise en valeur mais aussi de celle qui n’y entre pas ; donc un accroissement de valeur non seulement du capital dépensé que remplace le coût de production de la marchandise, mais aussi de tout le capital en général, utilisé dans la production. Avant le procès de production, nous avions un capital de 1 680 £ : 1 200 £ de capital fixe dépensé en moyens de travail sur lequel 20 £ seulement entrent dans la valeur de la marchandise pour l’user de ces moyens de travail, plus 480 £ de capital circulant, investi en matières de production et salaire. Après le procès de production, nous avons 1 180 £, élément de valeur du capital productif, plus un capital-marchandise de 600 £. Additionnons ces deux sommes : le capitaliste possède maintenant une valeur de 1 780 £. S’il en soustrait tout le capital qu’il a avancé, soit 1 680 £, il reste un accroissement de valeur de 100 £. Donc ces 100 £ de plus-value constituent une augmentation de valeur aussi bien du capital de 1 680 £ utilisé, que de la fraction de celui-ci (500 £), dépensée pendant la production.
Le capitaliste voit bien que cet accroissement de valeur, qui ne fait son apparition qu'après la production, résulte de l'action productive à laquelle le capital a été soumis, c'est-à-dire du capital lui-même. Si l'on se place au point de vue du capital dépensé, la plus-value semble jaillir indistinctement de toutes ses parties constituantes, des moyens de production comme du travail. Ces deux éléments concourent, en effet, à la constitution du prix de revient; ils ajoutent, l'un et l'autre, leur valeur (qui existe dans le capital avancé) à la valeur du produit, et ne se différencient pas du point de vue de la variabilité ou de la constance. Il suffit pour s'en convaincre de supposer que le capital dépensé soit représenté exclusivement ou par le salaire ou par les moyens de production. Dans le premier cas, la valeur de la marchandise sera exprimée, non par 400 ( c ) + 100 ( v ) + 100 ( pl ), mais par 500 ( v ) + 100 ( pl ), expression dans laquelle le capital de 500 £, avancé pour le salaire, représente la valeur de tout le travail qui a été accompli pour produire une marchandise d'une valeur de 640 £, et constitue, par conséquent, le prix de revient de tout le produit. De ce qui constitue la valeur de la marchandise, nous ne connaissons que ce prix de revient, qui n'est que la valeur du capital qui a été dépensé ; d'où proviennent les 100 £ de plus-value ? Nous l'ignorons. Il en est de même, si nous considérons la seconde hypothèse qui assigne à la marchandise une valeur de 500 ( c ) + 100 ( pl ). Dans les deux cas, la plus-value ne peut provenir que d'une valeur qui a été avancée sous forme de capital productif, soit pour le travail, soit pour les moyens de production. Et cependant le capital avancé ne peut pas produire de la plus-value par ce seul fait qu'il a été dépensé et qu'il constitue le prix de revient de la marchandise ; car dans ce prix, il ne fait que reconstituer l’équivalent du capital dépensé. Par conséquent, si le capital crée de la plus-value, il le fait, non pas en sa qualité de capital dépensé, mais en sa qualité de capital avancé et engagé. La plus-value provient de la partie fixe comme de la partie circulante du capital avancé, de ce qui n'entre pas comme de ce, qui entre dans le prix de revient. Au point de vue matériel, c'est le capital tout entier, les moyens de travail au même titre que les matières de production et le travail, qui crée le produit et fonctionne dans le procès réel de travail. Mais une fraction seulement participe à la création de la valeur, et c'est peut-être pour cette raison que le capital n'intervient que partiellement dans la constitution du prix de revient alors que c'est son ensemble qui détermine la plus-value. Quoi qu'il en soit, il reste acquis que la plus-value jaillit indistinctement de toutes les parties du capital engagé dans la production, conclusion à laquelle Malthus arrive directement lorsqu'avec autant de brutalité que de simplicité, il écrit : « Le capitaliste attend un profit égal de toutes les fractions de capital qu'il a avancées [3] ».
Lorsqu'on la considère comme le produit de l'ensemble du capital avancé, la plus-value prend la forme de profit. Par conséquent, une valeur est capital lorsqu'elle est avancée dans le but d'engendrer un profit [4] , ou inversement le profit prend naissance lorsqu'une valeur est appliquée comme capital. Si nous désignons le profit par p , la formule M = c + v + pl = K + pl , se change en M = K + p ou valeur de la marchandise = prix de revient + profit.
Le profit, tel qu'il nous apparaît en ce moment, est donc la plus-value, mais sous une forme mystérieuse inhérente au régime capitaliste. Comme la constitution apparente du prix de revient ne fait constater aucune différence entre le capital constant et le capital variable, la cause de la modification de valeur qui se manifeste pendant la production est attribuée, non au capital variable, mais au capital entier, et de même qu'à l'un des pôles la valeur de la force de travail apparaît sous forme de salaire, de même la plus-value s'affirme à l'autre sous forme de profit.
Nous avons vu que le prix de revient est plus petit que la valeur de la marchandise : M = K + pl , d'où K = M - pl . La formule M = K + pl ne devient M = K (valeur de la marchandise égale au prix de revient) que lorsque pl = 0, ce qui n’arrive jamais en régime capitaliste, bien que le prix de vente puisse descendre dans certains cas jusqu'au prix de revient et même en-dessous.
Lorsque la marchandise se vend à sa valeur, le profit est égal à l'excédent de celle-ci sur le prix de revient, c'est-à-dire à toute la plus-value. Lorsqu'elle est vendue à un prix inférieur à sa valeur, elle peut laisser néanmoins un profit, ce qui a lieu aussi longtemps que le prix de vente, tout en étant inférieur à la valeur, reste supérieur au prix de revient. Dans notre exemple, la marchandise a une valeur de 600 £ pour un prix de revient de 500 £. Elle peut être vendue à 510, 520, 530, 560, 590 £, c'est-à-dire à un prix inférieur de 90, 80, 70, 40, 10 £ à sa valeur et rapporter néanmoins un profit de 10, 20, 30, 60, 90 £. Toute une série de prix de vente peut donc être intercalée entre la valeur et le prix de revient, et l'écart réservé à cette série est d'autant plus grand que la plus-value est plus considérable. Par là s'expliquent certains faits qui se manifestent journellement dans la concurrence, comme la vente en-dessous du prix (underselling) et les baisses anormales dans certaines industries [5] . C'est également sur cette différence entre la valeur et le prix de revient (qui permet de réaliser un profit sur une marchandise vendue en dessous de sa valeur) que repose la loi fondamentale de la concurrence capitaliste, qui détermine le taux général du profit et ce que l'on appelle le prix de production, loi que l'Economie politique n'a pas encore comprise.
Le prix de vente a comme limite inférieure le prix de revient. S'il tombe en-dessous de ce dernier il devient insuffisant pour permettre la reconstitution de tous les éléments du capital productif, et celui-ci doit nécessairement disparaître si cet état de choses se prolonge. C'est là déjà une première considération qui amène le capitaliste à considérer le prix de revient comme la valeur intrinsèque de la marchandise, puisque c'est lui qui détermine le prix qui est indispensable pour la simple conservation du capital. Mais le prix de revient représente également le prix que le capitaliste a payé pour produire la marchandise. Il est donc naturel que l'excédent de valeur (la plus-value) résultant de la vente soit considéré par lui comme une différence, non entre la valeur et le prix de revient, mais entre le prix de vente et la valeur, et qu'à ses yeux la plus-value soit produite et non réalisée par la vente. Dans notre vol. I, chap. V (Contradictions de la formule générale) nous avons déjà mis en lumière cette illusion ; nous y revenons un instant pour la réfuter sous la forme que lui ont donnée Torrens et d'autres, croyant être en progrès sur l'économie politique de Ricardo.
« Le prix naturel, qui est le coût de production ou, en d'autres termes, le capital avancé pour la production ou la fabrication d'une marchandise, ne peut aucunement comprendre le profit.... Lorsqu'un fermier avance pour la culture de ses champs 100 quarters de grains et en récolte 120, l'excédent du produit sur l'avance, 20 quarters, constitue son profit ; mais il serait absurde d'appeler cet excédent ou profit une partie de son avance.... Le fabricant avance une certaine quantité de matières premières, d'instruments et de subsistances, et reçoit en échange une quantité de marchandises toutes faites. Ces marchandises doivent posséder une valeur d'échange supérieure à celle des matières premières, instruments et subsistances, qui furent avancés pour les acquérir. »
Torrens en conclut que
« l'excédent du prix de vente sur le prix de revient, c’est-à-dire le profit provient de ce que les consommateurs donnent, par l'échange immédiat ou médiat (circuitous ) une partie de l'ensemble des éléments du capital, qui est supérieure à celle que coûte la production [6] ».
En effet, de même que ce qui excède une grandeur déterminée ne peut pas en constituer une partie, de même le profit, l'excédent de la valeur de la marchandise sur l'avance du capitaliste, ne petit pas constituer une fraction de cette dernière. Si la valeur avancée par le capitaliste est le seul élément qui concourt à la création de la valeur de la marchandise, il est impossible que la production fournisse une valeur supérieure à celle qui y a été engagée, à moins qu'on n'admette que quelque chose se forme de rien. Torrens n'échappe à la difficulté de cette hypothèse qu'en la transportant de la sphère de la production dans celle de la circulation. Le profit ne peut pas provenir de la production, dit-il, car il serait déjà contenu dans le coût de production et ne représenterait pas un excédent par rapport à celui-ci. Mais, lui répond Ramsay, il ne peut pas non plus provenir de l'échange des marchandises, à moins qu'il n'existe déjà avant cet échange ; car celui-ci ne modifie en rien la somme des valeurs des produits échangés, qui est la même après comme avant. (Remarquons en passant que Malthus s’appuie pour cette question expressément sur l'autorité de Torrens [7] , bien que lui-même explique autrement on plutôt n'explique pas du tout pourquoi les marchandises sont vendues au-dessus de leur valeur ; ses arguments, comme les autres, se ramènent en cette matière au « poids négatif du plilogistique » si célèbre en son temps).
Dans une société capitaliste, tout producteur, même s'il n'est pas producteur capitaliste, est dominé par les idées de l'organisation sociale au sein de laquelle il vit. Balzac, qui se distingue par une observation pénétrante de la vie réelle, montre avec une grande vérité, dans son dernier roman « Les Paysans », que pour s'assurer la bienveillance de l’usurier, le petit paysan lui rend gratuitement quantité de services, se figurant qu'il ne lui donne rien, parce que son travail ne représente pour lui aucune dépense d'argent. L'usurier fait ainsi d'une pierre deux coups : il réalise une économie de salaire et il se rend maitre du paysan, qui se ruine de plus en plus à mesure qu'il ne travaille plus sur son propre champ, et qui s'empêtre tous les jours davantage dans la toile de l'araignée qui le guette.
Avec sa charlatanerie habituelle et son semblant de science, Proudhon a publié à, son de trompe, comme une découverte tout à fait nouvelle du socialisme, la théorie superficielle et absurde qui fait du prix de revient la valeur réelle de la marchandise, et qui considère la plus-value comme résultant de la différence entre le prix de vente et la valeur (les marchandises se vendant à leur valeur lorsque le prix de vente coïncide avec le prix de revient) ; il en a fait la base de sa banque populaire. Nous avons développé précédemment (vol. I, chap. IX 2, p. 94) que les différentes parties de la valeur d'un produit peuvent être exprimées en fonction du produit lui-même. Si, par ex. la valeur de 20 livres de fil est de 30 sh, dont 24 pour les moyens de production, 3 pour la force de travail et 3 pour la plus-value, cette dernière peut-être exprimée par 1/10 du produit soit 2 livres de fil. Si les 20 livres de fil sont vendues à leur prix de revient, soit 27 sh, l'acheteur reçoit 2 livres gratuitement, la vente de la marchandise se faisant à 1/10 au-dessous de la valeur ; mais l'ouvrier n'en aura pas moins accompli son surtravail, non pas au profit du capitaliste fabricant du fil, mais au profit de l’acheteur. Il serait absolument faux d'admettre que si toutes les marchandises se vendaient à leur prix de revient, le résultat serait le même que si elles étaient vendues à leur valeur, c'est-à-dire au-dessus de leur prix de revient, car si même la valeur de la force de travail, la durée de la journée de travail et le degré d'exploitation étaient égaux partout, les différentes marchandises contiendraient, suivant la composition organique des capitaux qui les ont produites, des quantités, inégales de plus-value [8] .
Notes
[1]
Dans le livre I, chap. VII, 3**, nous avons montré par l’exemple de N.W. Senior quelle confusion ceci peut faire naître dans
la tête des économistes.
[2]
Nous savons déjà que la plus-value
est une simple conséquence du changement de valeur
qui affecte v
(la partie du capital transformée en force de travail), que par conséquent v
+ pl
= v
+ Δv
(v
plus un incrément de v
). Mais le caractère réel de ce changement de valeur
[et la proportion dans laquelle elle change] ne sont pas évidents à première vue; cela provient de ce que, par suite de l’accroissement
de son élément variable, le total du capital avancé
s’accroît aussi. Il était de 500 et il passe à 590. (Livre I, chap. VII, p. 175).
[3]
Malthus, Principles of Pol. Econ., 2° ed.,London, 1836, p. 267, 268.
[4]
« Capital; that which is expended with a view to profit » (le Capital, c’est ce qu’on dépense pour obtenir un profit.) Malthus,
Definitions in Pol. Econ., London, 1827, p. 86.
[5]
Comp. vol. I, chap. XIX.
[6]
R. Torrens, An Essay on the Production of Wealth, London 1821, pp. 51-53, 70-71.
[7]
MaIthus, Definitions in Pol. Econ., London 1853, pp. 70, 71.
[8]
« La valeur de la force de travail et le degré de son exploitation étant supposés égaux dans différentes entreprises, les
masses de plus-value produites sont en raison directe de la grandeur des parties variables des capitaux employés, c'est-à-dire
en raison directe de leurs parties converties en force de travail » (vol. I, chap. XI, p. 132, 133).
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