1867 |
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Le Capital - Livre premier
Le développement de la production capitaliste
V° section : Recherches ultérieures sur la production de la plus-value
Nous avons
vu que le rapport de grandeur entre la plus-value et le prix de la force de
travail est déterminé par trois facteurs :
1. la durée du travail ou sa grandeur extensive;
2. son degré d'intensité, suivant lequel différentes quantités de
travail sont dépensées dans le même temps;
3. son degré de productivité, suivant lequel la même quantité de travail rend dans le
même temps différentes quantités de produits.
Des combinaisons très diverses auront évidemment lieu selon que l'un de ces trois facteurs est constant (ne change pas de grandeur) et les deux autres variables (changent de grandeur), ou que deux facteurs sont constants et un seul variable, ou enfin que tous les trois sont variables à la fois. Ces combinaisons seront encore multipliées, si le changement simultané dans la grandeur de différents facteurs ne se fait pas dans le même sens ‑ l'un peut augmenter tandis que l'autre diminue ‑ ou pas dans la même mesure l'un peut augmenter plus vite que l'autre, etc. Nous n'examinerons ici que les combinaisons principales.
Ces conditions admises, nous obtenons les trois lois suivantes :
1. La journée de travail d'une grandeur donnée produit toujours la même valeur, quelles que soient les variations dans la productivité du travail.
Si une heure de travail d'intensité normale produit une valeur d'un demi‑franc, une journée de douze heures ne produira jamais qu'une valeur de six francs [1]. Si la productivité du travail augmente ou diminue, la même journée fournira plus ou moins de produits et la valeur de six francs se distribuera ainsi sur plus ou moins de marchandises.
2. La plus-value et la valeur de la force de travail varient en sens inverse l'une de l'autre. La plus-value varie dans le même sens que la productivité du travail, mais la valeur de la force de travail en sens opposé.
Il est évident que des deux parties d'une grandeur constante aucune ne peut augmenter sans que l'autre diminue, et aucune diminuer sans que l'autre augmente. Or, la journée de douze heures produit toujours la même valeur, six francs par exemple, dont la plus-value forme une partie, et l'équivalent de la force de travail l'autre, mettons trois francs pour la première et trois francs pour la seconde. Il est clair que la force de travail ne peut pas atteindre un prix de quatre francs sans que la plus-value soit réduite à deux francs, et que la plus-value ne peut monter à quatre francs, sans que la valeur de la force de travail tombe à deux. Dans ces circonstances chaque variation dans la grandeur absolue, soit de la plus-value, soit de l'équivalent de la force ouvrière, présuppose donc une variation de leurs grandeurs relatives ou proportionnelles. Il est impossible qu'elles augmentent ou diminuent toutes les deux simultanément.
Toute variation dans la productivité du travail amène une variation en sens inverse dans la valeur de la force de travail. Si le surcroît de productivité permet de fournir en quatre heures la même masse de subsistances qui coûtait auparavant six heures, alors la valeur de la force ouvrière va tomber de trois francs à deux; mais elle va s'élever de trois francs à quatre, si une diminution de productivité exige huit heures de travail où il n'en fallait auparavant que six.
Enfin, comme valeur de la force de travail et plus-value changent de grandeur en sens inverse l'une de l'autre, il s'ensuit que l'augmentation de productivité, en diminuant la valeur de la force de travail, doit augmenter la plus-value, et que la diminution de productivité, en augmentant la valeur de la force de travail, doit diminuer la plus-value.
En formulant cette loi, Ricardo a négligé un point important. Quoique la plus-value ‑ ou le surtravail ‑ et la valeur de la force de travail ‑ ou le travail nécessaire ‑ ne puissent changer de grandeur qu'en sens inverse, il ne s'ensuit pas qu'ils changent dans la même proportion. Si la valeur de la force de travail était de quatre francs ou le temps de travail nécessaire de huit heures, la plus-value de deux francs ou le surtravail de quatre heures, et que, par suite d'une augmentation de productivité, la valeur de la force de travail tombe à trois francs ou le travail nécessaire à six heures, alors la plus-value montera à trois francs ou le surtravail à six heures. Cette même quantité de deux heures ou d'un franc, qui est ajoutée à une partie et retranchée de l'autre, n'affecte pas la grandeur de chacune dans la même proportion. En même temps que la valeur de la force de travail ne tombe que de quatre francs à trois, c'est‑à‑dire d'un quart ou de vingt-cinq pour cent, la plus-value s'élève de deux francs à trois, c'est‑à‑dire de moitié ou de cinquante pour cent.
En général : donné la longueur de la journée ainsi que sa division en deux parts, celle du travail nécessaire et celle du surtravail l'accroissement proportionnel de la plus-value, dû à une augmentation de productivité, sera d'autant plus grand, que la part du surtravail était primitivement plus petite, et le décroissement proportionnel de la plus-value, dû à une diminution de productivité, sera d'autant plus petit, que la part du surtravail était primitivement plus grande.
3. L'augmentation ou la diminution de la plus-value est toujours l'effet et jamais la cause de la diminution ou de l'augmentation parallèles de la valeur de la force de travail [2].
La journée de travail est de grandeur constante et rend constamment la même valeur, qui se divise en équivalent de la force de travail et en plus-value; chaque changement dans la grandeur de la plus-value est accompagné d'un changement inverse dans la valeur de la force de travail, et cette valeur, enfin, ne peut changer de grandeur qu'en conséquence d'une variation survenue dans la productivité du travail. Dans ces données, il est clair que c'est la variation de la productivité du travail qui, en premier lieu, fait augmenter ou diminuer la valeur de la force de travail, tandis que le mouvement ascendant ou descendant de celle-ci entraîne de son côté le mouvement de la plus-value en sens inverse. Tout changement dans le rapport de grandeur entre la plus-value et la valeur de la force de travail, provient donc toujours d'un changement dans la grandeur absolue de celle-ci.
Nous avons supposé que la journée de douze heures produit une valeur totale de six francs, qui se divise en quatre francs, valeur de la force de travail, et en une plus-value de deux francs. En d'autres termes, il y a huit heures de travail nécessaire et quatre de surtravail. Que la productivité du travail vienne à doubler, alors l'ouvrier n'aura plus besoin que de la moitié du temps qu'il lui fallait jusque‑là pour produire l'équivalent de sa subsistance quotidienne. Son travail nécessaire tombera de huit heures à quatre, et par là son surtravail s'élèvera de quatre heures à huit; de même la valeur de sa force tombera de quatre francs à deux, et cette baisse fera monter la plus-value de deux francs à quatre.
Néanmoins, cette loi, d'après laquelle le prix de la force de travail est toujours réduit à sa valeur, peut rencontrer des obstacles qui ne lui permettent de se réaliser que jusqu'à certaines limites. Le prix de la force de travail ne peut descendre qu'à trois francs quatre-vingt centimes, trois francs quarante centimes, trois francs vingt centimes, etc., de sorte que la plus-value ne monte qu'à deux francs vingt centimes, deux francs soixante centimes, deux francs quatre-vingt centimes, etc. Le degré de la baisse, dont la limite minima est deux francs, nouvelle valeur de la force de travail, dépend du poids relatif que la pression du capital d'une part, la résistance de l'ouvrier de l'autre, jettent dans la balance.
La valeur de la force de travail est déterminée par la valeur des subsistances nécessaires à l'entretien de l'ouvrier, lesquelles changent de valeur suivant le degré de productivité du travail. Dans notre exemple, si, malgré le doublement de la productivité du travail, la division de la journée en travail nécessaire et surtravail restait la même, l'ouvrier recevrait toujours quatre francs et le capitaliste deux; mais chacune de ces sommes achèterait deux fois plus de subsistances qu'auparavant. Bien que le prix de la force de travail fût resté invariable, il se serait élevé au‑dessus de sa valeur. S'il tombait, non à la limite minima de sa nouvelle valeur de deux francs, mais à trois francs quatre-vingt centimes, trois francs quarante centimes, trois francs vingt centimes, etc., ce prix décroissant représenterait cependant une masse supérieure de subsistances. Avec un accroissement continuel dans la productivité du travail, le prix de la force de travail pourrait ainsi tomber de plus en plus, en même temps que les subsistances à la disposition de l'ouvrier continueraient à augmenter. Mais, même dans ce cas, la baisse continuelle dans le prix de la force de travail, en amenant une hausse continuelle de la plus-value, élargirait l'abîme entre les conditions de vie du travailleur et du capitaliste [3].
Les trois lois que nous venons de développer ont été rigoureusement formulées, pour la première fois, par Ricardo; mais il commet l'erreur de faire des conditions particulières dans lesquelles elles sont vraies, les conditions générales et exclusives de la production capitaliste. Pour lui, la journée de travail ne change jamais de grandeur ni le travail d'intensité, de sorte que la productivité du travail reste le seul facteur variable.
Ce n'est pas tout. A l'instar de tous les autres économistes, il n'est jamais parvenu à analyser la plus-value en général, indépendamment de ses formes particulières, profit, rente foncière, etc. Il confond le taux de la plus-value avec le taux du profit, et traite, par conséquent, celui-ci comme s'il exprimait directement le degré d'exploitation du travail. Nous avons déjà indiqué [4] que le taux du profit est la proportion de la plus-value avec le total du capital avancé, tandis que le taux de la plus-value est la proportion de la plus-value avec la partie variable du capital avancé. Supposez qu'un capital de cinq cents livres sterling (C) se décompose en matières premières, instruments, etc., d'une valeur de quatre cents livres sterling (c), et en cent livres sterling payés aux ouvriers (v), qu'en outre la plus-value (p) est de cent livres sterling; alors le taux de la plus-value,
p/v = 100 livres sterling / 100 livres sterling = 100 pour 100;
mais le taux du profit = p/C = 100 livres sterling / 500 livres sterling = 20 pour 100.
A part cette différence de grandeur, il est évident que le taux du profit peut être affecté par des circonstances tout à fait étrangères au taux de la plus-value. Je démontrerai plus tard, dans le troisième livre, que donné le taux de la plus-value, le taux du profit peut varier indéfiniment, et que donné le taux du profit, il peut correspondre aux taux de plus-value les plus divers.
Si sa productivité augmente, le travail rend dans le même temps plus de produits, mais non plus de valeur. Si son intensité croît, il rend dans le même temps non seulement plus de produits, mais aussi plus de valeur, parce que l'excédent de produits provient alors d'un excédent de travail.
Sa durée et sa productivité étant données, le travail se réalise donc en d'autant plus de valeur que son degré d'intensité dépasse celui de la moyenne sociale. Comme la valeur produite durant une journée de douze heures, par exemple, cesse ainsi d'être constante et devient variable, il s'ensuit que plus-value et valeur de la force de travail peuvent varier dans le même sens, l'une à côté de l'autre, en proportion égale ou inégale. La même journée produit‑elle huit francs au lieu de six, alors la part de l'ouvrier et celle du capitaliste peuvent évidemment s'élever à la fois de trois francs à quatre.
Une pareille hausse dans le prix de la force de travail n'implique pas qu'elle est payée au‑dessus de sa valeur. La hausse de prix peut au contraire être accompagnée d'une baisse de valeur. Cela arrive toujours quand l'élévation du prix ne suffit pas pour compenser le surcroît d'usure de la force de travail. On sait que les seuls changements de productivité qui influent sur la valeur de la force ouvrière sont ceux qui affectent des industries dont les produits entrent dans la consommation ordinaire de l'ouvrier. Toute variation dans la grandeur, extensive ou intensive, du travail affecte au contraire la valeur de la force ouvrière, dès qu'elle en accélère l'usure.
Si le travail atteignait simultanément dans toutes les industries d'un pays le même degré supérieur d'intensité, cela deviendrait désormais le degré d'intensité ordinaire du travail national et cesserait d'entrer en ligne de compte. Cependant, même dans ce cas, les degrés de l'intensité moyenne du travail resteraient différents chez diverses nations et modifieraient ainsi la loi de la valeur dans son application internationale, la journée de travail plus intense d'une nation créant plus de valeur et s'exprimant en plus d'argent que la journée moins intense d'une autre [5].
Sous le rapport de la durée, le travail peut varier en deux sens, être raccourci ou prolongé. Nous obtenons dans nos données nouvelles les lois que voici :
1° La journée de travail se réalise, en raison directe de sa durée, en une valeur plus ou moins grande ‑ variable donc et non constante.
2° Toute variation dans le rapport de grandeur entre la plus-value et la valeur de la force de travail provient d'un changement dans la grandeur absolue du surtravail, et, par conséquent, de la plus-value.
3° La valeur absolue de la force de travail ne peut changer que par la réaction que le prolongement du surtravail exerce sur le degré d'usure de cette force. Tout mouvement dans sa valeur absolue est donc l'effet, et jamais la cause, d'un mouvement dans la grandeur de la plus-value.
Nous supposerons toujours dans ce chapitre, comme dans la suite, que la journée de travail comptant originairement douze heures, ‑ six heures de travail nécessaire et six heures de surtravail ‑ produit une valeur de six francs, dont une moitié échoit à l'ouvrier et l'autre au capitaliste.
Commençons par le raccourcissement de la journée, soit de douze heures à dix. Dès lors elle ne rend plus qu'une valeur de cinq francs. Le surtravail étant réduit de six heures à quatre, la plus-value tombe de trois francs à deux. Cette diminution dans sa grandeur absolue entraîne une diminution dans sa grandeur relative. Elle était à la valeur de la force de travail comme trois est à trois, et elle n'est plus que comme deux est à trois. Par contrecoup, la valeur de la force de travail, tout en restant la même, gagne en grandeur relative; elle est maintenant à la plus-value comme trois est à deux au lieu d'être comme trois est à trois.
Le capitaliste ne pourrait se rattraper qu'en payant la force de travail au‑dessous de sa valeur.
Au fond des harangues habituelles contre la réduction des heures de travail se trouve l'hypothèse que le phénomène se passe dans les conditions ici admises; c'est‑à‑dire qu'on suppose stationnaires la productivité et l'intensité du travail, dont, en fait, l'augmentation suit toujours de près le raccourcissement de la journée, si elle ne l'a pas déjà précédé [6].
S'il y a prolongation de la journée, soit de douze heures à quatorze, et que les heures additionnelles soient annexées au surtravail, la plus-value s'élève de trois francs à quatre. Elle grandit absolument et relativement, tandis que la force de travail, bien que sa valeur nominale reste la même, perd en valeur relative. Elle n'est plus à la plus-value que dans la raison de trois à quatre.
Comme, dans nos données, la somme de valeur quotidiennement produite augmente avec la durée du travail quotidien, les deux parties de cette somme croissante ‑ la plus-value et l'équivalent de la force de travail ‑ peuvent croître simultanément d'une quantité égale ou inégale, de même que dans le cas où le travail devient plus intense.
Avec une journée prolongée, la force de travail peut tomber au‑dessous de sa valeur, bien que son prix reste invariable ou s'élève même. Dans une certaine mesure, une plus grande recette peut compenser la plus grande dépense en force vitale que le travail prolongé impose à l'ouvrier [7]. Mais il arrive toujours un point où toute prolongation ultérieure de sa journée raccourcit la période moyenne de sa vie, en bouleversant les conditions normales de sa reproduction et de son activité. Dès lors le prix de la force de travail et son degré d'exploitation cessent d'être des grandeurs commensurables entre elles.
La coïncidence de changements dans la durée, la productivité et l'intensité du travail donnent lieu à un grand nombre de combinaisons, et, par conséquent, de problèmes qu'on peut cependant toujours facilement résoudre en traitant tour à tour chacun des trois facteurs comme variable, et les deux autres comme constants, ou en calculant le produit des trois facteurs qui subissent des variations. Nous ne nous arrêterons ici qu'à deux cas d'un intérêt particulier.
Mettons que par suite d'un décroissement dans la fertilité du sol, la même quantité de travail produit moins de denrées ordinaires, dont la valeur augmentée renchérit l'entretien journalier de l'ouvrier, de sorte qu'il coûte désormais quatre francs au lieu de trois. Le temps nécessaire pour reproduire la valeur quotidienne de la force de travail s'élèvera de six heures à huit, ou absorbera deux tiers de la journée au lieu de la moitié. Le surtravail tombera, par conséquent, de six heures à quatre et la plus-value de trois francs à deux.
Que, dans ces circonstances, la journée soit prolongée à quatorze heures et les deux heures additionnelles annexées au surtravail : comme celui-ci compte de nouveau six heures, la plus-value va remonter à sa grandeur originaire de trois francs, mais sa grandeur proportionnelle a néanmoins diminué, car ayant été à la valeur de la force de travail comme trois est à trois, elle n'est plus que dans la raison de trois à quatre.
Si la journée est prolongée à seize heures ou le surtravail à huit, la plus-value s'élèvera à quatre francs et sera à la valeur de la force de travail comme quatre est à quatre, c'est‑à‑dire dans la même raison qu'avant le décroissement survenu dans la productivité du travail, car 4 à 4 = 3 à 3. Néanmoins, bien que sa grandeur proportionnelle soit ainsi simplement rétablie, sa grandeur absolue a augmenté d'un tiers, de trois francs à quatre.
Quand une diminution dans la productivité du travail est accompagnée d'une prolongation de sa durée, la grandeur absolue de la plus-value peut donc rester invariable, tandis que sa grandeur proportionnelle diminue; sa grandeur proportionnelle peut rester invariable, tandis que sa grandeur absolue augmente, et, si l'on pousse la prolongation assez loin, toutes deux peuvent augmenter à la fois.
Les mêmes résultats s'obtiennent plus vite, si l'intensité du travail croît en même temps que sa durée.
En Angleterre, dans la période de 1799 à 1815, l'enchérissement progressif des vivres amena une hausse des salaires nominaux, bien que le salaire réel tombât. De ce phénomène West et Ricardo inféraient que la diminution de productivité du travail agricole avait causé une baisse dans le taux de la plus-value, et cette donnée tout imaginaire leur servait de point de départ pour des. recherches importantes sur le rapport de grandeur entre le salaire, le profit et la rente foncière; mais en réalité, la plus-value s'était élevée absolument et relativement, grâce à l'intensité accrue et à la prolongation forcée du travail [8]. Ce qui caractérise cette période, c'est précisément le progrès accéléré et du capital et du paupérisme [9].
L'augmentation de la productivité du travail et de son intensité multiplie la masse des marchandises obtenues dans un temps donné, et par là raccourcit la partie de la journée où l'ouvrier ne fait que produire un équivalent de ses subsistances. Cette partie nécessaire, mais contractile, de la journée de travail en forme la limite absolue, qu'il est impossible d'atteindre sous le régime capitaliste. Celui-ci supprimé, le travail disparaîtrait et la journée tout entière pourrait être réduite au travail nécessaire. Cependant, il ne faut pas oublier qu'une partie du surtravail actuel, celle qui est consacrée à la formation d'un fonds de réserve et d'accumulation, compterait alors comme travail nécessaire, et que la grandeur actuelle du travail nécessaire est limitée seulement par les frais d'entretien d'une classe de salariés, destinée à produire la richesse de ses maîtres.
Plus le travail gagne en force productive, plus sa durée peut diminuer, et plus sa durée est raccourcie, plus son intensité peut croître. Considéré au point de vue social, on augmente aussi la productivité du travail en l'économisant, c'est‑à‑dire en supprimant toute dépense inutile, soit en moyens de production, soit en force vitale. Le système capitaliste, il est vrai, impose l'économie des moyens de production à chaque établissement pris à part; mais il ne fait pas seulement de la folle dépense de la force ouvrière un moyen d'économie pour l'exploiteur, il nécessite aussi, par son système de concurrence anarchique, la dilapidation la plus effrénée du travail productif et des moyens de production sociaux, sans parler de la multitude de fonctions parasites qu'il engendre et qu'il rend plus ou moins indispensables.
Etant donné l'intensité et la productivité du travail, le temps que la société doit consacrer à la production matérielle est d'autant plus court, et le temps disponible pour le libre développement des individus d'autant plus grand, que le travail est distribué plus également entre tous les membres de la société, et qu'une couche sociale a moins le pouvoir de se décharger sur une autre de cette nécessité imposée par la nature. Dans ce sens le raccourcissement de la journée trouve sa dernière limite dans la généralisation du travail manuel.
La société capitaliste achète le loisir d'une seule classe par la transformation de la vie entière des masses en temps de travail.
Notes
[1] Nous supposons toujours que la valeur de l'argent reste invariable.
[2] Mac Culloch a commis l'absurdité de compléter cette loi à sa façon, en ajoutant que la plus-value peut s'élever sans que la force de travail baisse, si on supprime les impôts que le capitaliste avait à payer auparavant. La suppression de semblables impôts ne change absolument rien à la quantité de surtravail que le capitaliste industriel extorque en première main à l'ouvrier. Elle ne change que la proportion suivant laquelle il empoche la plus-value ou la partage avec des tiers. Elle ne change par conséquent rien au rapport qui existe entre la plus-value et la valeur de la force de travail. L' « exception » de Mac Culloch prouve tout simplement qu'il n'a pas compris la règle, malheur qui lui arrive assez souvent lorsqu'il s'avise de vulgariser Ricardo, ainsi qu'à J. B. Say, quand ce dernier vulgarise Adam Smith.
[3] « Quand une altération a lieu dans la productivité de l'industrie, et qu'une quantité donnée de travail et de capital fournit soit plus, soit moins de produits, la proportion des salaires peut sensiblement varier, tandis que la quantité que cette proportion représente reste la même, ou la quantité peut varier tandis que la proportion ne change pas. »(Outlines of Political Economy, etc., p. 67.)
[4] Voy. p. 93.
[5] « A conditions égales, le manufacturier anglais peut dans un temps donné exécuter une bien relus grande somme de travail que le manufacturier étranger, au point de contrebalancer la différence des journées de travail, la semaine comptant ici soixante heures, mais ailleurs soixante-douze ou quatre-vingt. » (Reports of lnsp. of Fact. for 31 st. oct. 1855, p. 65.)
[6] « Il y a des circonstances compensatrices... que l'opération de la loi des dix heures a mises au jour. » (Reports of Insp. of Fact for 1 st. dec. 1848, p. 7.)
[7] « On peut estimer approximativement la somme de travail qu'un homme a subie dans le cours de vingt-quatre heures, en examinant les modifications chimiques qui ont eu lieu dans son corps; le changement de forme dans la matière indique l'exercice antérieur de la force dynamique. » (Grove : On the correlation of physical forces.)
[8] « Pain et travail marchent rarement tout à fait de front; mais il est évidemment une limite au‑delà de laquelle ils ne peuvent être séparés. Quant aux efforts extraordinaires faits par les classes ouvrières dans les époques de cherté qui entraînent la baisse des salaires dont il a été question (notamment devant le Comité parlementaire d'enquête de 1814‑1815), ils sont assurément très méritoires de la part des individus et favorisent l'accroissement du capital. Mais quel est l'homme ayant quelque humanité qui voudrait les voir se prolonger indéfiniment ? Ils sont un admirable secours pour un temps donné; mais s'ils étaient constamment en action, il en résulterait les mêmes effets que si la population d'un pays était réduite aux limites extrêmes de son alimentation. » (Malthus : Inquiry into the Nature and Progress of Rent. Lond., 1815, p. 48, note.) C'est l'honneur de Malthus d'avoir constaté la prolongation de la journée de travail, sur laquelle il attire directement l'attention dans d'autres passages de son pamphlet, tandis que Ricardo et d'autres, en face des faits les plus criants, basaient toutes leurs recherches sur cette donnée que la journée de travail est une grandeur constante. Mais les intérêts conservateurs dont Malthus était l'humble valet, l'empêchèrent de voir que la prolongation démesurée de la journée de travail, jointe au développement extraordinaire du machinisme et à l'exploitation croissante du travail des femmes et des enfants, devait rendre « surnuméraire » une grande partie de la classe ouvrière, une fois la guerre terminée et le monopole du marché universel enlevé à l'Angleterre. Il était naturellement bien plus commode et bien plus conforme aux intérêts des classes régnantes, que Malthus encense en vrai prêtre qu'il est, d'expliquer cette « surpopulation » par les lois éternelles de la nature que par les lois historiques de la production capitaliste.
[9] « Une des causes principales de l'accroissement du capital pendant la guerre provenait des efforts plus grands, et peut‑être des plus grandes privations de la classe ouvrière, la plus nombreuse dans toute société. Un plus grand nombre de femmes et d'enfants étaient contraints par la nécessité des circonstances de se livrer à des travaux pénibles, et pour la même cause, les ouvriers mâles étaient obligés de consacrer une plus grande portion de leur temps à l'accroissement de la production. » (Essays on Political Econ. in which are illustrated the Principal Causes of the present National Distress. London, 1830, p. 248.)