1867

Une publication réalisée en collaboration avec le site le.capital.free.fr.


Le Capital - Livre premier

Le développement de la production capitaliste

Karl MARX

IV° section : la production de la plus-value relative

Chapitre XV : Machinisme et grande industrie


III. - Réaction immédiate de l’industrie mécanique sur le travailleur

Il a été démontré que le point de départ de la grande industrie est le moyen de travail qui une fois révolutionné revêt sa forme la plus développée dans le système mécanique de la fabrique. Avant d'examiner de quelle façon le matériel humain y est incorporé, il convient d'étudier les effets rétroactifs les plus immédiats de cette révolution sur l'ouvrier.

A. Appropriation des forces de travail supplémentaires. Travail des femmes et des enfants.

En rendant superflue la force musculaire, la machine permet d'employer des ouvriers sans grande force musculaire, mais dont les membres sont d'autant plus souples qu'ils sont moins développés. Quand le capital s'empara de la machine, son cri fut : du travail de femmes, du travail d'enfants ! Ce moyen puissant de diminuer les labeurs de l'homme, se changea aussitôt en moyen d'augmenter le nombre des salariés; il courba tous les membres de la famille, sans distinction d'âge et de sexe, sous le bâton du capital. Le travail forcé pour le capital usurpa la place des jeux de l'enfance et du travail libre pour l'entretien de la famille; et le support économique des mœurs de famille était ce travail domestique [1].

La valeur de la force de travail était déterminée par les frais d'entretien de l'ouvrier et de sa famille. En jetant la famille sur le marché, en distribuant ainsi sur plusieurs forces la valeur d'une seule, la machine la déprécie. Il se peut que les quatre forces, par exemple, qu'une famille ouvrière vend maintenant, lui rapportent plus que jadis la seule force de son chef; mais aussi quatre journées de travail en ont remplacé une seule, et leur prix a baissé en proportion de l'excès du surtravail de quatre sur le surtravail d'un seul. Il faut maintenant que quatre personnes fournissent non seulement du travail, mais encore du travail extra au capital, afin qu'une seule famille vive. C'est ainsi que la machine, en augmentant la matière humaine exploitable, élève en même temps le degré d'exploitation [2].

L'emploi capitaliste du machinisme altère foncièrement le contrat, dont la première condition était que capitaliste et ouvrier devaient se présenter en face l'un de l'autre comme personnes libres, marchands tous deux, l'un possesseur d'argent ou de moyens de production, l'autre possesseur de force de travail. Tout cela est renversé dès que le capital achète des mineurs. Jadis, l'ouvrier vendait sa propre force de travail dont il pouvait librement disposer, maintenant il vend femme et enfants; il devient marchand d'esclaves [3]. Et en fait, la demande du travail des enfants ressemble souvent, même pour la forme, à la demande d'esclaves nègres telle qu'on la rencontra dans les journaux américains. « Mon attention, dit un inspecteur de fabrique anglais, fut attirée par une annonce de la feuille locale d'une des plus importantes villes manufacturières de mon district, annonce dont voici le texte : « On demande de douze à vingt jeunes garçons, pas plus jeunes que ce qui peut passer pour treize ans. Salaire, quatre shillings par semaine. S'adresser, etc. [4] » Le passage souligné se rapporte à un article du Factory Act, déclarant que les enfants au-dessous de treize ans ne doivent travailler que six heures. Un médecin ad hoc (certifying surgeon) est chargé de vérifier l'âge. Le fabricant demande donc des jeunes garçons qui aient l'air d'avoir déjà treize ans. La statistique anglaise des vingt dernières années a témoigné parfois d'une diminution subite dans le nombre des enfants au-dessous de cet âge employés dans les fabriques. D'après les dépositions des inspecteurs, cette diminution était en grande partie l’œuvre du trafic sordide des parents protégés par les médecins vérificateurs (certifying surgeons) qui exagéraient l'âge des enfants pour satisfaire l'avidité d'exploitation des capitalistes. Dans le district de Bethnal Green, le plus malfamé de Londres, se tient tous les lundis et mardis matin un marché public où des enfants des deux sexes, à partir de neuf ans, se vendent eux-mêmes aux fabricants de soie. « Les conditions ordinaires sont de un shilling huit pence par semaine (qui appartiennent aux parents), plus deux pence pour moi, avec le thé », dit un enfant dans sa disposition. Les contrats ne sont valables que pour la semaine. Pendant toute la durée du marché, on assiste à des scènes et on entend un langage qui révolte [5]. Il arrive encore en Angleterre que des grippe-sous femelles prennent des enfants dans les workhouses et les louent à n'importe quel acheteur pour deux shillings six pence par semaine [6]. Malgré la législation, le nombre des petits garçons vendus par leurs propres parents pour servir de machines à ramoner les cheminées (bien qu'il existe des machines pour les remplacer) atteint le chiffre d'au moins deux mille [7].

Le machinisme bouleversa tellement le rapport juridique entre l'acheteur et le vendeur de la force de travail, que la transaction entière perdit même l'apparence d'un contrat entre personnes libres. C'est ce qui fournit plus tard au Parlement anglais le prétexte juridique pour l'intervention de l'Etat dans le régime des fabriques. Toutes les fois que la loi impose la limite de dix heures pour le travail des enfants dans les branches d'industrie non réglementées, on entend retentir de nouveau les plaintes des fabricants. Nombre de parents, disent-ils, retirent leurs enfants des industries dès qu'elles sont soumises à la loi, pour les vendre à celles où règne encore « la Liberté du travail », c'est-à-dire où les enfants au-dessous de treize ans sont forcés de travailler comme des adultes et se vendent plus cher. Mais comme le capital est de sa nature niveleur, il exige, au nom de son Droit inné, que dans toutes les sphères de production les conditions de l'exploitation du travail soient égales pour tous. La limitation légale du travail des enfants dans une branche d'industrie entraîne donc sa limitation dans une autre.

Nous avons déjà signalé la détérioration physique des enfants et des jeunes personnes, ainsi que des femmes d'ouvriers que la machine soumet d'abord directement à l'exploitation du capital dans les fabriques dont elle est la base, et ensuite indirectement dans toutes les autres branches d'industrie. Nous nous contenterons ici d'insister sur un seul point, l'énorme mortalité des enfants des travailleurs dans les premières années de leur vie. Il y a en Angleterre seize districts d'enregistrement ou sur cent mille enfants vivants, il n'y a en moyenne que neuf mille cas de mort par année (dans un district sept mille quarante-sept seulement); dans vingt-quatre districts on constate dix à onze mille cas de mort, dans trente-neuf districts onze à douze mille, dans quarante-huit districts douze à treize mille, dans vingt-deux districts plus de vingt mille, dans vingt-cinq districts plus de vingt et un mille, dans dix-sept plus de vingt-deux mille, dans onze plus de vingt-trois mille, dans ceux de Hoo, Wolverhampton, Ashton-under-Lyne et Preston plus de vingt-quatre mille, dans ceux de Nottingham, Stockport et Bradford plus de vingt-cinq mille, dans celui de Wisbeach vingt-six mille, et à Manchester vingt-six mille cent vingt-cinq [8]. Une enquête médicale officielle de 1861 a démontré qu'abstraction faite de circonstances locales, les chiffres les plus élevés de mortalité sont dus principalement à l'occupation des mères hors de chez elles. Il en résulte, en effet, que les enfants sont négligés, maltraités, mal nourris ou insuffisamment, parfois alimentés avec des opiats, délaissés par leurs mères qui en arrivent à éprouver pour eux une aversion contre nature. Trop souvent ils sont les victimes de la faim ou du poison [9]. Dans les districts agricoles, « où le nombre des femmes ainsi occupées est à son minimum, le chiffre de la mortalité est aussi le plus bas [10] ». La commission d'enquête de 1861 fournit cependant ce résultat inattendu que dans quelques districts purement agricoles des bords de la mer du Nord le chiffre de mortalité des enfants au-dessous d'un an, atteint presque celui des districts de fabrique les plus malfamés. Le docteur Julian Hunter fut chargé d'étudier ce phénomène sur les lieux. Ses conclusions sont enregistrées dans le VI° Rapport sur la Santé publique [11]. On avait supposé jusqu'alors que la malaria et d'autres fièvres particulières à ces contrées basses et marécageuses décimaient les enfants. L'enquête démontra le contraire, à savoir « que la même cause qui avait chassé la malaria, c'est-à-dire la transformation de ce sol, marais en hiver et lande stérile en été, en féconde terre à froment, était précisément la cause de cette mortalité extraordinaire [12] ». Les soixante-dix médecins de ces districts, dont le docteur Hunter recueillit les dépositions, furent « merveilleusement d'accord sur ce point ». La révolution dans la culture du sol y avait en effet introduit le système industriel.

« Des femmes mariées travaillant par bandes avec des jeunes filles et des jeunes garçons sont mises à la disposition d'un fermier pour une certaine somme par un homme qui porte le nom chef de bande (gangmaster) et qui ne vend les bandes qu'entières. Le champ de travail de ces bandes ambulantes est souvent situé à plusieurs lieues de leurs villages. On les trouve matin et soir sur les routes publiques, les femmes vêtues de cotillons courts et de jupes à l'avenant, avec des bottes et parfois des pantalons, fortes et saines, mais corrompues par leur libertinage habituel, et n'ayant nul souci des suites funestes que leur goût pour ce genre de vie actif et nomade entraîne pour leur progéniture qui reste seule à la maison et y dépérit [13]. »

Tous les phénomènes observés dans les districts de fabrique, entre autres l’'infanticide dissimulé et le traitement des enfants avec des opiats, se reproduisent ici à un degré bien supérieur [14].

« Ce que je sais là-dessus, dit le docteur Simon, fonctionnaire du Privy Council et rédacteur en chef des rapports sur la Santé publique, doit excuser l'horreur profonde que j'éprouve toutes les fois qu'il est question d'occupation industrielle, dans le sens emphatique du mot, des femmes adultes [15]. »
« Ce sera, s'écrie l’inspecteur R. Baker dans un rapport officiel, ce sera un grand bonheur pour les districts manufacturiers de l'Angleterre, quand il sera interdit à toute femme mariée et chargée de famille de travailler dans n'importe quelle fabrique [16]. »

Fr. Engels, dans son ouvrage sur la Situation des classes ouvrières en Angleterre, et d'autres écrivains ont dépeint si complètement la détérioration morale qu'amène l'exploitation capitaliste du travail des femmes et des enfants, qu'il me suffit ici d'en faire mention. Mais le vide intellectuel produit artifi­ciellement par la métamorphose d'adolescents en voie de for­mation en simples machines à fabriquer de la plus-value, et qu'il faut bien distinguer de cette ignorance naïve qui laisse l'esprit en friche sans attaquer sa faculté de développement, sa fertilité naturelle, ce vide fatal, le Parlement anglais se crut enfin forcé d'y remédier en faisant de l'instruction élémentaire la condition légale de la consommation productive des enfants au-dessous de quatorze ans dans toutes les industries soumises aux lois de fabrique. L'esprit de la production capitaliste éclate dans la rédaction frivole des articles de ces lois concernant cette soi­-disant instruction, dans le défaut de toute inspection adminis­trative qui rend illusoire en grande partie l'enseignement forcé, l'opposition des fabricants à cette loi, et dans leurs subterfuges et faux-fuyants pour l'éluder dans la pratique.

« La législation seule est à blâmer, parce qu'elle a promulgué une loi menteuse qui, sous l'apparence de prendre soin de l'éducation des enfants, ne contient en réalité aucun article de nature à assurer la réalisation de ce prétendu but. Elle ne détermine rien, sinon que les enfants devront être renfermés un certain nombre d’heures (trois heures) par jour entre les quatre murs d'un local appelé école, et que ceux qui les emploient auront à en obtenir le certificat chaque semaine d'une personne qui le signera à titre de maître ou de maîtresse d'école [17]. »

Avant la promulgation de la loi de fabrique révisée de 1844, une foule de ces certificats d'école signés d'une croix prouvaient que les instituteurs ou institutrices ne savaient pas écrire.

« Dans une visite que je fis à une école semblable, je fus tellement choqué de l'ignorance du maître que je lui dis : « Pardon, Monsieur, mais savez­-vous lire? - lh jeh summat. » telle fut sa réponse; mais pour se justifier, il ajouta : « Dans tous les cas, je surveille les écoliers. »

Pendant la préparation de la loi de 1844, les inspecteurs de fabrique dénoncèrent l'état piteux des prétendues écoles dont ils devaient déclarer les certificats irréprochables au point de vue légal. Tout ce qu'ils obtinrent, c'est qu'à partir de 1844, les chiffres inscrits sur les certificats, ainsi que les noms et prénoms des instituteurs, devaient être écrits de la propre main de ces derniers [18]. Sir John Kincaid, inspecteur de fabrique de l'Écosse, cite maints faits du même genre.

« La première école que nous visitâmes était tenue par une certaine Mrs. Ann Killin. Invitée par moi à épeler son nom, elle commit tout d'abord une bévue en commençant par la lettre C; mais elle se corrigea aussitôt, et dit que son nom commençait par un K. En examinant sa signature dans les livres de certificats, je remarquai cependant qu'elle l'épelait de diverses manières et que son écriture ne laissait aucun doute sur son incapacité. Elle avoua elle-même qu'elle ne savait pas tenir son registre... Dans une seconde école je trouvai une salle longue de quinze pieds et large de dix, où je comptai soixante-quinze écoliers qui piaillaient un baragouin inintelligible [19]. »

Et ce n'est pas seulement dans ces taudis piteux que les enfants obtiennent des certificats mais non de l'instruction; il y a beaucoup d'écoles où le maître est compétent; mais ses efforts échouent presque complètement contre le fouillis inextricable d'enfants de tout âge au-dessus de trois ans.

« Ses appointements, dans le meilleur cas, misérables, dépendent du nombre de pence qu'il reçoit, de la quantité d'enfants qu'il lui est possible de fourrer dans une chambre. Et pour comble, un misérable ameublement, un manque de livres et de tout autre matériel d'enseignement, et l'influence pernicieuse d'un air humide et vicié sur les pauvres enfants. Je me suis trouvé dans beaucoup d'écoles semblables où je voyais des rangées d'enfants qui ne faisaient absolument rien; et c'est là ce qu'on appelle fréquenter l'école, et ce sont de tels enfants qui figurent comme éduqués (educated) dans la statistique officielle [20]. »

En Ecosse, les fabricants cherchent à se passer le plus possible des enfants qui sont obligés de fréquenter l'école.

« Cela suffit pour démontrer la grande aversion que leur inspirent les articles de la loi à ce sujet [21]

Tout cela devient d'un grotesque effroyable dans les imprimeries sur coton, laine, etc., qui sont réglées par une loi spéciale. D'après les arrêtés de la loi, chaque enfant avant d'entrer dans une fabrique de ce genre doit avoir fréquenté l'école au moins trente jours et pas moins de cent cinquante heures pendant les six mois qui précèdent le premier jour de son emploi. Une fois au travail, il doit également fréquenter l'école trente jours et cent cinquante heures dans le courant d'un des deux semestres de l'année.

Son séjour à l'école doit avoir lieu entre 8 heures du matin et 6 heures du soir. Aucune leçon de moins de deux heures et demie ou de plus de cinq heures dans le même jour ne doit être comptée comme faisant partie des cent cinquante heures.

« Dans les circonstances ordinaires les enfants vont à l'école avant et après midi pendant trente jours, cinq heures par jour, et après ces trente jours quand la somme des cent cinquante heures est atteinte, quand, pour parler leur propre langue, ils ont fini leur livre, ils retournent à la fabrique où ils restent six mois jusqu'à l'échéance d'un nouveau terme, et alors ils retournent à l'école jusqu'à ce que leur livre soit de nouveau fini, et ainsi de suite... Beaucoup de garçons qui ont fréquenté l'école pendant les cent cinquante heures prescrites ne sont pas plus avancés au bout des six mois de leur séjour dans la fabrique qu'auparavant; ils ont naturellement oublié tout ce qu'ils avaient appris. Dans d'autres imprimeries sur coton, la fréquentation de l'école dépend absolument des exigences du travail dans la fabrique. Le nombre d'heures de rigueur y est acquitté dans chaque période de six mois par des acomptes de trois à quatre heures à la fois disséminées sur tout le semestre. L'enfant par exemple se rend à l'école un jour de 8 à 11 heures du matin, un autre jour de 1 à 4 heures de l'après-midi, puis il s'en absente pendant toute une série de jours pour y revenir ensuite de 3 à 6 heures de l'après-midi pendant trois ou quatre jours de suite ou pendant une semaine. Il disparaît de nouveau trois semaines ou un mois, puis revient pour quelques heures, dans certains jours de chômage, quand par hasard ceux qui l'emploient n'ont pas besoin de lui. L'enfant est ainsi ballotté (buffeted) de l'école à la fabrique et de la fabrique à l'école, jusqu'à ce que la somme des cent cinquante heures soit acquittée [22]. »

Par l'annexion au personnel de travail combiné d'une masse prépondérante d'enfants et de femmes, la machine réussit enfin à briser la résistance que le travailleur mâle opposait encore dans la manufacture au despotisme du capital [23].

B. Prolongation de la journée de travail.

Si la machine est le moyen le plus puissant d'accroître la productivité du travail, c'est-à-dire de raccourcir le temps nécessaire à la production des marchandises, elle devient comme support du capital, dans les branches d'industrie dont elle s'empare d'abord, le moyen le plus puissant de prolonger la journée de travail au-delà de toute limite naturelle. Elle crée et des conditions nouvelles qui permettent au capital de lâcher bride à cette tendance constante qui le caractérise, et des motifs nouveaux qui intensifient sa soif du travail d'autrui.

Et tout d'abord le mouvement et l'activité du moyen de travail devenu machine se dressent indépendants devant le travailleur. Le moyen de travail est dès lors un perpetuum mobile industriel qui produirait indéfiniment, s'il ne rencontrait une barrière naturelle dans ses auxiliaires humains, dans la faiblesse de leur corps et la force de leur volonté. L'automate, en sa qualité de capital, est fait homme dans la personne du capitaliste. Une passion l'anime : il veut tendre l'élasticité humaine et broyer toutes ses résistances [24].

La facilité apparente du travail à la machine et l'élément plus maniable et plus docile des femmes et des enfants l'aident dans cette œuvre d'asservissement [25].

La productivité de la machine est, comme nous l'avons vu, en raison inverse de la part de valeur qu'elle transmet au produit. Plus est longue la période pendant laquelle elle fonctionne, plus grande est la masse de produits sur laquelle se distribue la valeur qu'elle ajoute et moindre est la part qui en revient à chaque marchandise. Or la période de vie active de la machine est évidemment déterminée par la longueur de la journée de travail ou par la durée du procès de travail journalier multipliée par le nombre de jours pendant lesquels ce procès se répète.

L'usure des machines ne correspond pas avec une exactitude mathématique au temps pendant lequel elles servent. Et cela même supposé, une machine qui sert seize heures par jour pendant sept ans et demi embrasse une période de production aussi grande et n'ajoute pas plus de valeur au produit total que la même machine qui pendant quinze ans ne sert que huit heures par jour. Mais dans le premier cas la valeur de la machine se serait reproduite deux fois plus vite que dans le dernier, et le capitaliste aurait absorbé par son entremise autant de surtravail en sept ans et demi qu'autrement en quinze.

L'usure matérielle des machines se présente sous un double aspect. Elles s'usent d'une part en raison de leur emploi, comme les pièces de monnaie par la circulation, d'autre pari par leur inaction, comme une épée se rouille dans le fourreau. Dans ce dernier cas elles deviennent la proie des éléments. Le premier genre d'usure est plus ou moins en raison directe, le dernier est jusqu'à un certain point en raison inverse de leur usage [26].

La machine est en outre sujette à ce qu'on pourrait appeler son usure morale. Elle perd de sa valeur d'échange à mesure que des machines de la même construction sont reproduites à meilleur marché, ou à mesure que des machines perfectionnées viennent lui faire concurrence [27]. Dans les deux cas, si jeune et si vivace qu'elle puisse être, sa valeur n'est plus déterminée par le temps de travail réalisé en elle, mais par celui qu'exige sa reproduction ou la reproduction des machines perfectionnées. Elle se trouve en conséquence plus ou moins dépréciée. Le danger de son usure morale est d'autant moindre que la période où sa valeur totale se reproduit est plus courte, et cette période est d'autant plus courte que la journée de travail est plus longue. Dès la première introduction d'une machine dans une branche de production quelconque, on voit se succéder coup sur coup des méthodes nouvelles pour la reproduire à meilleur marché [28], puis viennent des améliorations qui n'atteignent pas seulement des parties ou des appareils isolés, mais sa construction entière. Aussi bien est-ce là le motif qui fait de sa première période de vie, période aiguë de la prolongation du travail [29].

La journée de travail étant donnée et toutes circonstances restant les mêmes, l'exploitation d'un nombre double d'ouvriers exige une avance double de capital constant en bâtiments, machines, matières premières, matières auxiliaires, etc. Mais la prolongation de la journée permet d'agrandir l'échelle de la production sans augmenter la portion de capital fixée en bâtiments et en machine [30]. Non seulement donc la plus-value augmente, mais les dépenses nécessaires pour l'obtenir diminuent. Il est vrai que cela a lieu plus ou moins toutes les fois qu'il y a prolongation de la journée; mais c'est ici d'une tout autre Importance, parce que la partie du capital avancé en moyens de travail pèse davantage dans la balance [31]. Le développement de la production mécanique fixe en effet une partie toujours croissante du capital sous une forme où il peut d'une part être constamment mis en valeur, et perd d'autre part valeur d'usage et valeur d'échange dès que son contact avec le travail vivant est interrompu. « Si un laboureur », dit M. Ashworth, un des cotton lords d'Angleterre, faisant la leçon au professeur Nassau W. Senior, « si un laboureur dépose sa pioche, il rend inutile pour tout ce temps un capital de douze pence (1 franc 25 centimes). Quand un de nos hommes abandonne la fabrique, il rend inutile un capital qui a coûté cent mille livres sterling (2 500 000 francs) [32]. » Il suffit d'y penser ! rendre inutile, ne fût-ce que pour une seconde, un capital de cent mille livres sterling ! C'est à demander vengeance au ciel quand un de nos hommes se permet de quitter la fabrique ! Et le susdit Senior renseigné par Ashworth finit par reconnaître que la proportion toujours croissante du capital fixé en machines rend une prolongation croissante de la journée de travail tout à fait « désirable [33] ».

La machine produit une plus-value relative, non seulement en dépréciant directement la force de travail et en la rendant indirectement meilleur marché par la baisse de prix qu'elle occasionne dans les marchandises d'usage commun, mais en ce sens que pendant la période de sa première introduction sporadique, elle transforme le travail employé par le possesseur de machines en travail puissancié dont le produit, doué d'une valeur sociale supérieure à sa valeur individuelle, permet au capitaliste de remplacer la valeur journalière de la force de travail par une moindre portion du rendement journalier. Pendant cette période de transition où l'industrie mécanique reste une espèce de monopole, les bénéfices sont par conséquent extraordinaires et le capitaliste cherche à exploiter à fond cette lune de miel au moyen de la plus grande prolongation possible de la journée. La grandeur du gain aiguise l'appétit.

A mesure que les machines se généralisent dans une même branche de production, la valeur sociale du produit mécanique descend à sa valeur individuelle. Ainsi se vérifie la loi d'après laquelle la plus-value provient non des forces de travail que le capitaliste remplace par la machine, mais au contraire de celles qu'il y occupe. La plus-value ne provient que de la partie variable du capital, et la somme de la plus-value est déterminée par deux facteurs : son taux et le nombre des ouvriers occupés simultanément. Si la longueur de la journée est donnée, sa division proportionnelle en surtravail et travail nécessaire détermine le taux de la plus-value, mais le nombre des ouvriers occupés dépend du rapport du capital variable au capital constant. Quelle que soit la proportion suivant laquelle, par l'accroissement des forces productives, l'industrie mécanique augmente le surtravail aux dépens du travail nécessaire, il est clair qu'elle n'obtient cependant ce résultat qu'en diminuant le nombre des ouvriers occupés, par un capital donné. Elle transforme en machines, en élément constant qui ne rend point de plus-value, une partie du capital qui était variable auparavant, c'est-à-dire se convertissait en force de travail vivante. Il est impossible par exemple d'obtenir de deux ouvriers autant de plus-value que de vingt-quatre. Si chacun des vingt-quatre ouvriers ne fournit sur douze heures qu’une heure de surtravail, ils fourniront tous ensemble vingt-quatre heures de surtravail, tandis que le travail total des deux ouvriers n'est jamais que de vingt-quatre heures, les limites de la journée étant fixées à douze heures. L'emploi des machines dans le but d'accroître la plus-value recèle donc une contradiction, puisque des deux facteurs de la plus-value produite par un capital de grandeur donnée, il n'augmente l'un, le taux de la plus-value, qu'en diminuant l'autre, le nombre des ouvriers. Cette contradiction intime éclate, dès qu'avec la généralisation des machines dans une branche d'industrie la valeur du produit mécanique règle la valeur sociale de toutes les marchandises de même espèce, et c'est cette contradiction qui entraîne instinctivement [34] le capitaliste à prolonger la journée de travail avec la plus extrême violence, pour compenser le décroissement du nombre proportionnel des ouvriers exploités par l'accroissement non seulement du surtravail relatif, mais encore du surtravail absolu.

La machine entre les mains du capital crée donc des motifs nouveaux et puissants pour prolonger sans mesure la journée de travail; elle transforme le mode de travail et le caractère social du travailleur collectif, de manière à briser tout obstacle qui s'oppose à cette tendance; enfin, en enrôlant sous le capital des couches de la classe ouvrière jusqu'alors inaccessibles, et en mettant en disponibilité les ouvriers déplacés par la machine, elle produit une population ouvrière surabondante [35] qui est forcée de se laisser dicter la loi. De là ce phénomène merveilleux dans l'histoire de l'industrie moderne, que la machine renverse toutes les limites morales et naturelles de la journée de travail. De là ce paradoxe économique, que le moyen le plus puissant de raccourcir le temps de travail devient par un revirement étrange le moyen le plus infaillible de transformer la vie entière du travailleur et de sa famille en temps disponible pour la mise en valeur du capital. « Si chaque outil », tel était le rêve d'Aristote, le plus grand penseur de l'antiquité, « si chaque outil pouvait exécuter sur sommation, ou bien de lui-même, sa fonction propre, comme les chefs-d’œuvre de Dédale se mouvaient d'eux-mêmes, ou comme les trépieds de Vulcain se mettaient spontanément à leur travail sacré; si, par exemple, les navettes des tisserands tissaient d'elles-mêmes, le chef d'atelier n'aurait plus besoin d'aides, ni le maître d'esclaves [36]. » Et Antiparos, un poète grec du temps de Cicéron, saluait l'invention du moulin à eau pour la mouture des grains, cette forme élémentaire de tout machinisme productif, comme l'aurore de l'émancipation des femmes esclaves et le retour de l'âge d'or [37] ! Ah ces païens ! Maître Bastiat, après son maître Mac Culloch, a découvert qu'ils n'avaient aucune idée de l'économie politique ni du christianisme. Ils ne comprenaient point, par exemple, qu'il n'y a rien comme la machine pour faire prolonger la journée de travail. Ils excusaient l'esclavage des uns parce qu'elle était la condition du développement intégral des autres; mais pour prêcher l'esclavage des 'masses afin d'élever au rang d' « éminents filateurs », de « grands banquiers » et d' « influents marchands de cirage perfectionné », quelques parvenus grossiers ou à demi décrottés, la bosse de la charité chrétienne leur manquait.

C. Intensification du travail [38].

La prolongation démesurée du travail quotidien produite par la machine entre des mains capitalistes finit par amener une réaction de la société qui, se sentant menacée jusque dans la racine de sa vie, décrète des limites légales à la journée : dès lors l'intensification du travail, phénomène que nous avons déjà rencontré, devient prépondérante.

L'analyse de la plus-value absolue avait trait à la durée du travail, tandis qu'un degré moyen de son intensité était sous-entendu. Nous allons maintenant examiner la conversion d'un genre de grandeur dans l'autre, de l'extension en intensité.

Il est évident qu'avec le progrès mécanique et l'expérience accumulée d'une classe spéciale d'ouvriers consacrée à la machine, la rapidité et par cela même l'intensité du travail s'augmentent naturellement. C'est ainsi que dans les fabriques anglaises la prolongation de la journée et l'accroissement dans l'intensité du travail marchent de front pendant un demi-siècle.

On comprend cependant que là où il ne s'agit pas d'une activité spasmodique, mais uniforme, régulière et quotidienne, on arrive fatalement à un point où l'extension et l'intensité du travail s'excluent l'une l'autre, si bien qu'une prolongation de la journée n'est plus compatible qu'avec un degré d'intensité moindre, et inversement un degré d'intensité supérieure qu'avec une journée raccourcie.

Dès que la révolte grandissante de la classe ouvrière força l'État à imposer une journée normale, en premier lieu à la fabrique proprement dite, c'est-à-dire à partir du moment où il interdit la méthode d'accroître la production de plus-value par la multiplication progressive des heures de travail, le capital se jeta avec toute son énergie et en pleine conscience sur la production de la plus-value relative au moyen du développement accéléré du système mécanique.

En même temps ce genre de plus-value subit un changement de caractère. En général la plus-value relative est gagnée par une augmentation de la fertilité du travail qui permet à l'ouvrier de produire davantage dans le même temps avec la même dépense de force. Le même temps de travail continue alors à rendre la même valeur d'échange, bien que celle-ci se réalise en plus de produits dont chacun, pris séparément, est par conséquent d'un prix moindre.

Mais cela change avec le raccourcissement légal de la journée. L'énorme impulsion qu'il donne au développement du système mécanique et à l'économie des frais contraint l'ouvrier aussi à dépenser, au moyen d'une tension supérieure, plus d'activité dans le même temps, à resserrer les pores de sa journée, et à condenser ainsi le travail à un degré qu'il ne saurait atteindre sans ce raccourcissement.

Dès lors on commence à évaluer la grandeur du travail doublement, d'après sa durée ou son extension, et d'après son degré d'intensité, c'est-à-dire la masse qui en est comprimée dans un espace de temps donné, une heure par exemple [39]. L'heure plus dense de la journée de dix heures contient autant ou plus de travail, plus de dépense en force vitale, que l'heure plus poreuse de la journée de douze heures. Une heure de celle-là produit par conséquent autant ou plus de valeur qu'une heure et un cinquième de celle-ci. Trois heures et un tiers de surtravail sur six heures et deux tiers de travail nécessaire fournissent donc au capitaliste au moins la même masse de plus-value relative qu'auparavant quatre heures de surtravail sur huit heures de travail nécessaire.

Comment le travail est-il rendu plus intense ?

Le premier effet du raccourcissement de la journée procède de cette loi évidente que la capacité d'action de toute force animale est en raison inverse du temps pendant lequel elle agit. Dans certaines limites, on gagne en efficacité ce qu'on perd en durée.

Dans les manufactures, telles que la poterie par exemple, où le machinisme ne joue aucun rôle ou un rôle insignifiant, l'introduction des lois de fabrique a démontré d'une manière frappante qu'il suffit de raccourcir la journée pour augmenter merveilleusement la régularité, l'uniformité, l'ordre, la continuité et l'énergie du travail [40]. Ce résultat paraissait cependant douteux dans la fabrique proprement dite, parce que la subordination de l'ouvrier au mouvement continu et uniforme de la machine y avait créé depuis longtemps la discipline la plus sévère. Lors donc qu'il fut question en 1844 de réduire la journée au-dessous de douze heures, les fabricants déclarèrent presque unanimement « que leurs contremaîtres veillaient dans les diverses salles à ce que leurs bras ne perdissent pas de temps », « que le degré de vigilance et d'assiduité déjà obtenu était à peine susceptible d'élévation », et que toutes les autres circonstances, telles que marche des machines, etc., restant les mêmes, « c'était une absurdité d'attendre dans des fabriques bien dirigées le moindre résultat d'une augmentation de la vigilance, etc., des ouvriers [41] ». Cette assertion réfutée par les faits. M. R. Gardner fit travailler dans ses deux grandes fabriques à Preston, à partir du 20 avril 1844, onze heures au lieu de douze par jour. L'expérience d'un an environ, démontra que

« le même quantum de produit était obtenu aux mêmes frais et qu'en onze heures les ouvriers ne gagnaient pas un salaire moindre qu'auparavant en douze heures [42] ».

Je ne mentionne pas les expériences faites dans les salles de filage et de cardage, attendu que la vitesse des machines y avait été augmentée de deux pour cent. Dans le département du tissage au contraire, où l'on fabriquait diverses sortes d'articles de fantaisie et à ramage, les conditions matérielles de la production n'avaient subi aucun changement. Le résultat fut celui-ci :

« Du 6 janvier au 20 avril 1844, la journée de travail étant de douze heures, chaque ouvrier reçut par semaine un salaire moyen dix shillings un penny et demi, et du 20 avril au 29 juin, la journée de travail étant de onze heures, un salaire moyen dix shillings trois pence et demi par semaine [43]. »

En onze heures il fut donc produit plus qu'auparavant en douze, et cela était dû exclusivement à l'activité plus soutenue et plus uniforme des ouvriers ainsi qu'à l'économie de leur temps. Tandis qu'ils obtenaient le même salaire et gagnaient une heure de liberté, le capitaliste de son côté obtenait la même masse de produits et une économie d'une heure sur sa consommation de gaz, de charbon, etc. Des expériences semblables furent faites avec le même succès dans les fabriques de MM. Horrocks et Jacson [44].

Dès que la loi abrège la journée de travail, la machine se transforme aussitôt entre les mains du capitaliste en moyen systématique d'extorquer à chaque moment plus de labeur. Mais pour que le machinisme exerce cette pression supérieure sur ses servants humains, il faut le perfectionner, sans compter que le raccourcissement de la journée force le capitaliste à tendre tous les ressorts de la production et à en économiser les frais.

En perfectionnant l'engin à vapeur on réussit à augmenter le nombre de ses coups de piston par minute et, grâce à une savante économie de force, à chasser par un moteur du même volume un mécanisme plus considérable sans augmenter cependant la consommation du charbon. En diminuant le frottement des organes de transmission, en réduisant le diamètre et le poids des grands et petits arbres moteurs, des roues, des tambours, etc., à un minimum toujours décroissant, on arrive à faire transmettre avec plus de rapidité la force d'impulsion accrue du moteur à toutes les branches du mécanisme d'opération. Ce mécanisme lui-même est amélioré. Les dimensions des machines-outils sont réduites tandis que leur mobilité et leur efficacité sont augmentées, comme dans le métier à tisser moderne; ou bien leurs charpentes sont agrandies avec la dimension et le nombre des outils qu'elles mènent, comme dans la machine à filer. Enfin ces outils subissent d'incessantes modifications de détail comme celles qui, il y a environ quinze ans, accrurent d'un cinquième la vélocité des broches de la mule automatique.

La réduction de la journée de travail à douze heures date en Angleterre de 1833. Or, un fabricant anglais déclarait déjà en 1836 :

« Comparé à celui d'autrefois le travail à exécuter dans les fabriques est aujourd'hui considérablement accru, par suite de l'attention et de l'activité supérieures que la vitesse très augmentée des machines exige du travailleur [45]. »

En 1844 Lord Ashley, aujourd'hui comte Shaftesbury, dans son discours sur le bill de dix heures, communiqua a la Chambre des communes les faits suivants :

« Le travail des ouvriers employés dans les opérations de fabrique est aujourd'hui trois fois aussi grand qu'il l'était au moment où ce genre d'opérations a été établi. Le système mécanique a sans aucun doute accompli une œuvre qui demanderait les tendons et les muscles de plusieurs millions d'hommes; mais il a aussi prodigieusement (prodigiously) augmenté le travail de ceux qui sont soumis à son mouvement terrible. Le travail qui consiste à suivre une paire de mules, aller et retour, pendant douze heures, pour filer des filés n° 40, exigeait en 1815 un parcours de huit milles; en 1832 la distance à parcourir était de vingt milles et souvent plus considérable [46]. En 1825 le fileur avait à faire dans l'espace de douze heures huit cent vingt stretches pour chaque mule ce qui pour la paire donnait une somme de 1640. En 1832 il en faisait deux mille deux cents pour chaque mule ou quatre mille quatre cents par jour; en 1844, deux mille quatre cents pour chaque mule, ensemble quatre mille huit cents; et dans quelques cas la somme de travail (amount of labour) exigé est encore plus considérable. En estimant les fatigues d'une journée de travail il faut encore prendre en considération la nécessité de retourner quatre ou cinq mille fois le corps dans une direction opposée [47] aussi bien que les efforts continuels d'inclinaison et d'érection... J'ai ici dans les mains un autre document daté de 1842, qui prouve que le travail augmente progressivement, non seulement parce que la distance à parcourir est plus grande, mais parce que la quantité des marchandises produites s'accroît tandis qu'on diminue en proportion le nombre des bras, et que le coton filé est de qualité inférieure, ce qui rend le travail plus pénible... Dans le cardage le travail a subi également un grand surcroît. Une personne fait aujourd'hui la besogne que deux se partageaient... Dans le tissage où un grand nombre de personnes, pour la plupart du sexe féminin, sont occupées, le travail s'est accru de dix pour cent pendant les dernières années par suite de la vitesse accélérée des machines. En 1838 le nombre des écheveaux filés par semaine était de dix-huit mille; en 1843 il atteignit le chiffre de vingt et un mille. Le nombre des picks au métier à tisser était en 1819 de soixante par minute, il s'élevait à cent quarante en 1842, ce qui indique un grand surcroît de travail [48]. »

Cette intensité remarquable que le travail avait déjà atteinte en 1844 sous le régime de la loi de douze heures, parut justifier les fabricants anglais déclarant que toute diminution ultérieure de la journée entraînerait nécessairement une diminution proportionnelle dans la production. La justesse apparente de leur point vue est prouvée par le témoignage de leur impitoyable censeur, l'inspecteur Leonhard Horner qui à la même époque s'exprima ainsi sur ce sujet :

« La quantité des produits étant réglée par la vitesse de la machine, l'intérêt des fabricants doit être d'activer cette vitesse jusqu'au degré extrême qui peut s'allier avec les conditions suivantes : préservation des machines d'une détérioration trop rapide, maintien de la qualité des articles fabriqués et possibilité pour l'ouvrier de suivre le mouvement sans plus de fatigue qu'il n’en peut supporter d'une manière continue. Il arrive souvent que le fabricant exagère le mouvement. La vitesse est alors plus que balancée par les pertes que causent la casse et la mauvaise besogne et il est bien vite forcé de modérer la marche des machines. Or, comme un fabricant actif et intelligent sait trouver le maximum normal, j'en ai conclu qu'il est impossible de produire autant en onze heures qu'en douze. De plus, j'ai reconnu que l'ouvrier payé à la pièce s'astreint aux plus pénibles efforts pour endurer d'une manière continue le même degré de travail [49]. »

Horner conclut donc malgré les expériences de Gardner, etc., qu'une réduction de la journée de travail au-dessous de douze heures diminuerait nécessairement la quantité du produit [50]. Dix ans après il cite lui-même ses scrupules de 1845 pour démontrer combien il soupçonnait peu encore à cette époque l'élasticité du système mécanique et de la force humaine susceptibles d'être tous deux tendus à l'extrême par la réduction forcée de la journée de travail.

Arrivons maintenant à la période qui suit 1847, depuis l'établissement de la loi des dix heures dans les fabriques anglaises de laine, de lin, de soie et de coton.

« Les broches des métiers continus (Throstles) font cinq cents, celles des mules mille révolutions de plus par minute, c'est-à-dire que la vélocité des premières étant de quatre mille cinq cents révolutions par minute en 1839 est maintenant (1862) de cinq mille, et celle des secondes qui était de cinq mille révolutions est maintenant de six mille; dans le premier cas c'est un surcroît de vitesse de un dixième et dans le second de un cinquième [51]. »

J. Nasmyth, le célèbre ingénieur civil de Patricroft près de Manchester détailla dans une lettre adressée en 1862 à Leonhard Horner les perfectionnements apportés à la machine à vapeur. Après avoir fait remarquer que dans la statistique officielle des fabriques la force de cheval-vapeur est toujours estimée d'après son ancien effet de l'an 1828 [52], qu'elle n'est plus que nominale ,et sert tout simplement d'indice de la force réelle, il ajoute entre autres :

« Il est hors de doute qu'une machine à vapeur du même poids qu'autrefois et souvent même des engins identiques auxquels on s'est contenté d'adapter les améliorations modernes, exécutent en moyenne cinquante pour cent plus d'ouvrage qu'auparavant et que, dans beaucoup de cas, les mêmes engins à vapeur qui, lorsque leur vitesse se bornait à deux cent vingt pieds par minute, fournissaient cinquante chevaux-vapeur, en fournissent aujourd'hui plus de cent avec une moindre consommation de charbon... L'engin à vapeur moderne de même force nominale qu'autrefois reçoit une impulsion bien supérieure grâce aux perfectionnements apportés à sa construction, aux dimensions amoindries et à la construction améliorée de sa chaudière, etc. C'est pourquoi, bien que l'on occupe le même nombre de bras qu'autrefois proportionnellement à la force nominale, il y a cependant moins de bras employés proportionnellement aux machines-outils [53]. »

En 1850 les fabriques du Royaume-uni employèrent une force nominale de cent trente quatre mille deux cent dix-sept chevaux pour mettre en mouvement vingt-cinq millions six cent trente-huit mille sept cent seize broches et trois cent un mille quatre cent quatre-vingt-quinze métiers à tisser. En 1856 le nombre des broches atteignait trente-trois millions cinq cent trois mille cinq cent quatre-vingt et celui des métiers trois cent soixante-neuf mille deux cent cinq. Il aurait donc fallu une force de cent soixante-quinze mille chevaux en calculant d'après la base de 1850; mais les documents officiels n'en accusent que cent soixante et un mille quatre cent trente-cinq, c'est-à-dire plus de dix mille de moins [54].

« Il résulte des faits établis par le dernier return (statistique officielle) de 1856, que le système de fabrique s'étendit rapidement, que le nombre des bras a diminué proportionnellement aux machines, que l'engin à vapeur par suite d'économie de force et d'autres moyens meut un poids mécanique supérieur et que l'on obtient un quantum de produit plus considérable grâce au perfectionnement des machines-outils, au changement de méthodes de fabrication, à l'augmentation de vitesse et à bien d'autres causes [55]. »
« Les grandes améliorations introduites dans les machines de toute espèce ont augmenté de beaucoup leur force productive. Il est hors de doute que c'est le raccourcissement de la journée de travail qui a stimulé ces améliorations. Unies aux efforts plus intenses de l'ouvrier, elles ont amené ce résultat que dans une journée réduite de deux heures ou d'un sixième, il se fait pour le moins autant de besogne qu'autrefois [56]. »

Un seul fait suffit pour démontrer combien les fabricants se sont enrichis à mesure que l'exploitation de la force de travail est devenue plus intense : c'est que le nombre des fabriques anglaises de coton s'est accru en moyenne de trente-deux pour cent de 1838 à 1850, et de quatre-vingt-six pour cent de 1850 à 1856.

Si grand qu'ait été le progrès de l'industrie anglaise dans les huit années comprises entre 1848 et 1856, sous le règne des dix heures, il a été de beaucoup dépassé dans la période des six années suivantes de 1856 à 1862. Dans la fabrique de soie par exemple on comptait en 1856, un million quatre-vingt-treize mille sept cent quatre-vingt-dix-neuf broches et neuf mille deux cent soixante métiers; en 1862, un million trois cent quatre-vingt-huit mille cinq cent quarante-quatre broches et dix mille sept cent neuf métiers. Mais en 1862 on n'y comptait que cinquante deux mille quatre cent vingt-neuf ouvriers au lieu de cinquante-six mille cent trente et un occupés en 1856. Le nombre broches s'est donc accru de vingt-six neuf pour cent et celui des métiers de quinze six pour cent; tandis que le nombre travailleurs a décru de sept pour cent dans le même temps. En 1858 ; il fut employé dans les fabriques de worsted (longue laine) huit cent soixante­-quinze mille huit cent trente broches, en 1856, un million trois cent vingt-quatre mille cinq cent quarante-neuf (augmentation de 51,2 %) et en 1862, un million deux cent quatre-vingt-neuf mille cent soixante-douze (diminution de 2,7 %,). Mais si l'on compte les broches à tordre qui dans le dernier chiffre ne figurent pas comme dans le premier, le nombre des broches est resté à peu près stationnaire depuis 1856. Par contre leur vitesse ainsi que celle des métiers a en beaucoup de cas doublé depuis 1850. Le nombre des métiers à vapeur dans la fabrique de worsted était en 1850 de : trente-deux mille six cent dix-sept, en 1856 de : trente-huit mille neuf cent cinquante-six et en 1862 de : quarante-trois mille quarante-huit. Ils occupaient en 1850, soixante-dix­-neuf mille sept cent trente-sept personnes; en 1856, quatre-vingt-sept mille sept cent quatre-vingt-quatorze et en 1862, quatre-vingt-six mille soixante-trois, sur lesquelles il y avait en 1850, neuf mille neuf cent cinquante-six, en 1856, onze mille deux cent vingt-huit et 1862, treize mille cent soixante-dix-huit enfants au-dessous de quatorze ans. Malgré la grande augmentation du nombre des métiers, on voit en comparant 1862 à 1856, que le nombre total des ouvriers a diminué considérablement quoique celui des enfants exploités se soit accru [57].

Le 27 avril 1863 un membre du Parlement, M. Ferrand, fit la déclaration suivante dans la Chambre des communes :

« Une délégation d'ouvriers de seize districts de Lancashire et Cheshire, au nom de laquelle je parle, m'a certifié que le travail augmente constamment dans les fabriques, par suite du perfectionnement des machines. Tandis qu'autrefois une seule personne avec deux aides faisait marcher deux métiers, elle en fait marcher trois maintenant sans aucun aide, et il n'est pas rare qu'une seule personne suffise pour quatre, etc. Il résulte des faits qui me sont communiqués que douze heures de travail sont maintenant condensées en moins de dix heures. Il est donc facile de comprendre dans quelle énorme proportion le labeur des ouvriers de fabrique s'est accru depuis les dernières années [58]. »

Bien que les inspecteurs de fabrique ne se lassent pas, et avec grande raison, de faire ressortir les résultats favorables de la législation de 1844 et de 1850, ils sont néanmoins forcés d'avouer que le raccourcissement de la journée a déjà provoqué une condensation de travail qui attaque la santé de l'ouvrier et par conséquent sa force productive elle-même.

« Dans la plupart des fabriques de coton, de soie, etc., l'état de surexcitation qu'exige le travail aux machines, dont le mouvement a été extraordinairement accéléré dans les dernières années, parait être une des causes de la mortalité excessive par suite d'affection, pulmonaires que le docteur Greenhow a signalée dans son dernier et admirable rapport [59]. »

Il n'y a pas le moindre doute que la tendance du capital à se rattraper sur l'intensification systématique du travail (dès que la prolongation de la journée lui est définitivement interdite par la loi), et à transformer chaque perfectionnement du système mécanique en un nouveau moyen d'exploitation, doit conduire à un point où une nouvelle diminution des heures de travail deviendra inévitable [60]. D'un autre côté, la période de dix heures de travail qui date de 1848, dépasse, par le mouvement ascendant de l'industrie anglaise, bien plus la période de douze heures, qui commence en 1833 et finit en 1847, que celle-ci ne dépasse le demi-siècle écoulé depuis l'établissement du système de fabrique, c'est-à-dire la période de la journée illimitée [61].


Notes

[1] Le docteur Edward Smith, pendant la crise cotonnière qui accompagna la guerre civile américaine, fut envoyé par le gouvernement anglais dans le Lancashire, le Cheshire, etc., pour faire un rapport sur l'état de santé des travailleurs. On lit dans ce rapport : « Au point de vue hygiénique, et abstraction faite de la délivrance de l'ouvrier de l'atmosphère de la fabrique, la crise présente divers avantages. Les femmes des ouvriers ont maintenant assez de loisir pour pouvoir offrir le sein à leurs nourrissons au lieu de les empoisonner avec le cordial de Godfrey. Elles ont aussi trouvé le temps d'apprendre à faire la cuisine. » Malheureusement elles acquirent ce talent culinaire au moment où elles n'avaient rien à manger, mais on voit comment le capital en vue de son propre accroissement avait usurpé le travail que nécessite la consommation de la famille. La crise a été aussi utilisée dans quelques écoles pour enseigner la couture aux ouvrières. Il a donc fallu une révolution américaine et une crise universelle pour que des ouvrières qui filent pour le monde entier apprissent à coudre.

[2] « L'accroissement numérique des travailleurs a été considérable par suite de la substitution croissante des femmes aux hommes et surtout des enfants aux adultes. Un homme d'âge mûr dont le salaire variait de dix-huit à quarante-cinq shillings par semaine, est maintenant remplacé par trois petites filles de treize ans payées de six à huit shillings. » (Th. de Quincey ; The Logic of Politic Econ. Lond. 1845. Note de la p.147.) Comme certaines fonctions de la famille, telles que le soin et l'allaitement des enfants, ne peuvent être tout à fait supprimées, les mères de famille confisquées par le capital sont plus ou moins forcées de louer des remplaçantes. Les travaux domestiques, tels que la couture, le raccommodage, etc., doivent être remplacés par des marchandises toutes faites. A la dépense amoindrie en travail domestique correspond une augmentation de dépense en argent. Les frais de la famille du travailleur croissent par conséquent et balancent le surplus de la recette. Ajoutons à cela qu'il y devient impossible de préparer et de consommer les subsistances avec économie et discernement. Sur tous ces faits passés sous silence par l'économie politique officielle on trouve de riches renseignements dans les rapports des inspecteurs de fabrique, de la « Children's Employment Commission » de même que dans les « Reports on Public Health ».

[3] En contraste avec ce grand fait que ce sont les ouvriers mâles qui ont forcé le capital à diminuer le travail des femmes et des enfants dans les fabriques anglaises, les rapports les plus récents de la « Children's Employment Commission » contiennent des traits réellement révoltants sur les procédés esclavagistes de certains parents dans le trafic sordide de leurs enfants. Mais comme on peut le voir par ces rapports, le pharisien capitaliste dénonce lui-même la bestialité qu'il a créée, qu'il éternise et exploite et qu'il a baptisée du nom de Liberté du travail. « Le travail des enfants a été appelé en aide... même pour payer leur pain quotidien; sans force pour supporter un labeur si disproportionné, sans instruction pour diriger leur vie dans l'avenir, ils ont été jetés dans une situation physiquement et moralement souillée. L'historien juif, à propos de la destruction de Jérusalem par Titus a donné à entendre qu'il n'était pas étonnant qu'elle eût subi une destruction si terrible, puisqu'une mère inhumaine avait sacrifie son propre fils pour apaiser les tourments d'une faim irrésistible. » (Public Economy concentrated. Carlisle, 1833, p.56). Dans le « Bulletin de la Société industrielle de Mulhouse » (31 mai 1837), le docteur Perrot dit : « La misère engendre quelquefois chez les pères de famille un odieux esprit de spéculation sur leurs enfants, et des chefs d'établissement sont souvent sollicités pour recevoir dans leurs ateliers des enfants au-dessous de l'âge même où on les admet ordinairement. »

[4] A. Redgrave dans « Reports of Insp. of Fact for 31 oct. 1858 », p.40,41.

[5] « Children's Employment Commission. » Voy. Report. Lond. 1866, p.81, n.31.

[6]« Child. Employm. Comm. Ill Report. » Lond. 1864, p.53, et 15.

[7] L. c. V. Report., p.XXII, n.137.

[8] « Sixth Report on Public Health. » Lond. 1864, p.34.

Dans les villes ouvrières en France la mortalité des enfants d'ouvriers au-dessous d'un an est de vingt à vingt-deux pour cent (chiffre de Roubaix). A Mulhouse elle a atteint trente-trois pour cent en 1863. Elle y dépasse toujours trente pour cent.

Dans un travail présenté à l'Académie de médecine, M. Devilliers, établit que la mortalité des enfants des familles aisées étant de dix pour cent, celle des enfants d'ouvriers tisseurs est au minimum de trente-cinq pour cent. (Discours de M. Boudet à l'Académie de médecine, séance du 27 novembre 1866.) Dans son 28° Bulletin, la Société industrielle de Mulhouse constate le « dépérissement t effrayant de la génération qui se développe ».

[9] « Elle (l'enquête de 1861)... a démontré que d'une part, dans les circonstances que nous venons de décrire, les enfants périssent par suite de la négligence et du dérèglement qui résultent des occupations de leurs mères, et d'autre part que les mères elles-mêmes deviennent de plus en plus dénaturées; à tel point qu'elles ne se troublent plus de la mort de leurs enfants, et quelquefois même prennent des mesures directes pour assurer cette mort. » (L.c.)

[10] L. c., p.454.

[11] L. c., p.454-463. « Report by Dr. Henry Julian Humer on the excessive mortality of infants in some rural districts of England. »

[12] L. c., p.35 et p.455, 456.

[13] L. c., p.456.

[14] « La consommation de l'opium se propage chaque jour parmi les travailleurs adultes et les ouvrières dans les districts agricoles comme dans les districts manufacturiers. Pousser la vente des opiats, tel est l'objet des efforts de plus d'un marchand en gros. Pour les droguistes c'est l'article principal. » (L. c., p.459.) « Les nourrissons qui absorbaient des opiats devenaient rabougris comme de vieux petits hommes ou se ratatinaient à l'état de petits singes. » (L. c., p.460.) Voilà la terrible vengeance que l'Inde et la Chine tirent de l'Angleterre.

[15] L. c., p.37.

[16] « Reports of Insp. of Fact.for 31 st. oct. 1862, p. 59. » Cet inspecteur de fabrique était médecin.

[17] Leonhard Horner dans « Reports of Insp. of. Fact.for 10 th. june 1857 », p.17.

[18] Id. dans « Rep. of. Fact. for 31 st. art. 1855 », p.18, 19.

[19] Sir John Kincaid dans « Rep. of Insp. of Fact. for 31 st. oct. 1858 », p.31, 32.

[20] Leonhard Horner dans « Reports, etc., for 31 st. october 1856 », p.17.

[21]Id. L.c., p.66.

[22] A. Redgrave dans « Reports of Insp. of Fact. for 10 th. june 1857 », p.4

Dans les branches de l’industrie anglaise où règne depuis assez longtemps la loi des fabriques proprement dite (qu'il ne faut pas confondre avec le Print Work's Act), les obstacles que rencontraient les articles sur l'instruction ont été surmontés dans une certaine mesure. Quant aux industries non soumises à la loi, la manière de voir qui y prédomine est celle exprimée par le fabricant verrier J. Geddes devant le commissaire d'enquête M. White : « Autant que je puis en juger, le supplément d'instruction accordé à une partie de la classe ouvrière dans ces dernières années est un mal. Il est surtout dangereux, en ce qu'il la rend trop indépendante. » Children's Empl. Commission. IV Report. London. 1865, p.253.

[23] « M. E. ... fabricant m'a fait savoir qu'il emploie exclusivement des femmes à ses métiers mécaniques; il donne la préférence aux femmes mariées; surtout à celles qui ont une famille nombreuse; elles sont plus attentives et plus disciplinables que les femmes non mariées, et de plus sont forcées de travailler jusqu'à extinction pour se procurer les moyens de subsistance nécessaires. C'est ainsi que les vertus qui caractérisent le mieux la femme tournent à son préjudice. Ce qu'il y a de tendresse et de moralité dans sa nature devient l'instrument de son esclavage et de sa misère. » Ten Hours' Factory Bill. The speech of Lord Ashley. Lond. 1844; p.20.

[24] « Depuis l'introduction en grand de machines coûteuses, on a voulu arracher par force à la nature humaine beaucoup plus qu'elle ne pouvait donner. » (Robert Owen : Observations on the effects of the manufacturing system. 2° éd. Lond. 1817.)

[25] Les Anglais qui aiment à confondre la raison d'être d'un fait social avec les circonstances historiques dans lesquelles il s'est présente originairement, se figurent souvent qu'il ne faut pas chercher la cause des longues heures de travail des fabriques ailleurs que dans l'énorme vol d'enfants, commis dès l'origine du système mécanique par le capital à la façon d'Hérode sur les maisons de pauvres et d'orphelins, vol par lequel il s'est incorporé un matériel humain dépourvu de toute volonté. Evidemment, dit par exemple Fielden, un fabricant anglais, « les longues heures de travail ont pour origine cette circonstance que le nombre d'enfants fournis par les différentes parties du pays a été si considérable, que les maîtres se sentant indépendants, ont une bonne fois établi la coutume au moyen du misérable matériel qu'ils s'étaient procuré par cette voie, et ont pu ensuite l'imposer à leurs voisins avec la plus grande facilite. » (J. Fielden : « The Curse of the Factory system. » Lond. 1836). Pour ce qui est du travail des femmes, l'inspecteur des fabriques Saunders dit dans son rapport de 1844 : « Parmi les ouvrières il y a des femmes qui sont occupées de 6 heur s du matin à minuit pendant plusieurs semaines de suite, à peu de jours près, avec de deux heures pour les repas, de sorte que pour cinq jours de la semaine, sur les vingt-quatre heures de la journée, il ne leur en reste que six pour aller chez elles, s’y reposer et en revenir. »

[26] « On connaît le dommage que cause l'inaction des machines à des pièces de métal mobiles et délicates. » (Ure, l.c., t.II, p.8.)

[27] Le Manchester Spinner, déjà cité (Times, 26 nov. 1862) dit: « cela (c'est-à-dire l'allocation pour la détérioration des machines) a pour but de couvrir la perte qui résulte constamment du remplacement des machines, avant qu'elles ne soient usées, par d'autres de construction nouvelle et meilleure. »

[28] « On estime en gros qu'il faut cinq fois autant de dépense pour construire une seule machine d'après un nouveau modèle, que pour reconstruire la même machine sur le même modèle. » (Babbage l.c., p.349.)

[29] « Depuis quelques années il a été apporté à la fabrication des tulles des améliorations si importantes et si nombreuses, qu'une machine bien conservée, du prix de mille deux cents livres sterling, a été vendue quelques années plus tard, soixante livres sterling... Les améliorations se sont succédé avec tant de rapidité que des machines sont restées inachevées dans les mains de leurs constructeurs mises au rebut par suite de l'invention de machines meilleures. Dans cette période d'activité dévorante, les fabricants de tulle prolongèrent naturellement le temps de travail de huit heures à vingt-quatre heures en employant le double d'ouvriers. » (L.c., p.377, 378 et 389.)

[30] « Il est évident que dans le flux et reflux du marché et parmi les expansions et contractions alternatives de la demande, il se présente constamment des occasions dans lesquelles le manufacturier peut employer un capital flottant additionnel sans employer un capital fixe additionnel... si des quantités supplémentaires de matières premières peuvent être travaillées sans avoir recours à une dépense supplémentaire pour bâtiments et machines. » (R. Torrens : On wages and combination. Lond., 1834, p. 63.)

[31] Cette circonstance n'est ici mentionnée que pour rendre l'exposé plus complet, car ce n'est que dans le troisième livre de cet ouvrage que je traiterai la question du taux du profit, c'est-à-dire le rapport de la plus-value au total du capital avancé.

[32] Senior : Letters on the Factory Art. Lond. 1837, p.13, 14.

[33] « La grande proportion du capital fixe au capital circulant... rend désirables les longues heures de travail. A mesure que le machinisme se développe etc. les motifs de prolonger les heures de travail deviennent de plus en plus grands, car c'est le seul moyen de rendre profitable une grande proportion du capital fixe. » (Senior l.c., p.11-13.) « Il y a dans une fabrique différentes dépenses qui restent constantes, que la fabrique travaille plus ou moins de temps, par exemple la rente pour les bâtiments, les contributions locales et générales l'assurance contre l'incendie, le salaire des ouvriers qui restent là en permanence, les frais de détérioration des machines, et une multitude d'autres charges dont la proportion vis-à-vis du profit croit dans le même rapport que l'étendue de la production augmente. » (Reports of the lnsp. of Face. for 31 st. oct. 1862, p.19.)

[34] On verra dans les premiers chapitres du livre III, pourquoi ni le capitaliste, ni l'économie politique qui partage sa manière de voir, n'ont conscience de cette contradiction.

[35] Sismondi et Ricardo ont le mérite d'avoir compris que la machine est un moyen de produire non seulement des marchandises, mais encore la surpopulation « redundant population ».

[36] lang=DE style='mso-ansi-language:DE'> F . Biese; Die Philosophie des Aristoteles. Zweiter Band., Berlin, 1842, p.408.

[37] « Epargnez le bras qui fait tourner la meule, ô meunières, et dormez paisiblement ! Que le coq vous avertisse en vain qu'il l'ait jour ! Dao a imposé aux nymphes le travail des filles et les voilà qui sautillent allégrement sur la roue et voilà que l'essieu ébranlé roule avec ses rais, faisant tourner le poids de la pierre roulante. Vivons de la vie de nos pères et oisifs, réjouissons-nous des dons que la déesse accorde. » (Antiparos.)

[38] Par le mot intensification nous désignons les procédés qui rendent le travail plus intense.

[39] Différents genres de travail réclament souvent par leur nature même différents degrés d'intensité et il se peut, ainsi que l'a déjà démontré Adam Smith, que ces différences se compensent par d'autres qualités particulières à chaque besogne. Mais comme mesure de la valeur, le temps de travail n'est affecté que dans les cas où la grandeur extensive du travail et son degré d'intensité constituent deux expressions de la même quantité qui s'excluent mutuellement.

[40] Voy : « Reports of Insp. of Fact..for 31 st. oct. 1865. »

[41] « Reports of Insp.of Fact. for 1844 and the quarter ending 30 th. april 1845 » p.20, 21.

[42] L.c., p.19. Comme chaque mètre fourni était payé aux ouvriers au même taux qu'auparavant, le montant de leur salaire hebdomadaire dépendait du nombre de mètres tissés.

[43] L.c., p.20.

[44] L'élément moral joua un grand rôle dans ces expériences. « Nous travaillons avec plus d'entrain », dirent les ouvriers à l'inspecteur de la fabrique, « nous avons devant nous la perspective de partir de meilleure heure et une joyeuse ardeur au travail anime la fabrique depuis le plus jeune jusqu'au plus vieux, de sorte que nous pouvons nous aider considérablement les uns les autres. » l.c.

[45] John Fielden, l.c., p. 32.

[46] Les mules que l'ouvrier doit suivre avancent et reculent alternativement; quand elles avancent, les écheveaux sont étirés en fils allongés. Le rattacheur doit saisir le moment où le chariot est proche du porte-système pour rattacher des filés cassés ou casser des filés mal venus. Les calculs cités par Lord Ashley étaient faits par un mathématicien qu'il avait envoyé à Manchester dans ce but.

[47] Il s'agit d'un fileur qui travaille à la fois à deux mules se faisant vis-à-vis.

[48] Lord Ashley, l.c., passim.

[49] « Reports of Insp. of Fact. for 1845 », p.20.

[50]L. c., p. 22.

[51]Rep. of Insp. of Fact. for 31 st. oct. 1862, p. 62.

[52] Il n'en est plus de même à partir du « Parliamentary Return » de 1862. Ici la force-cheval réelle des machines et des roues hydrauliques modernes remplace la force nominale. Les broches pour le tordage ne sont plus confondues avec les broches proprement dites (comme dans les Returns de 1839, 1850 et 1856); en outre, on donne pour les fabriques de laine le nombre des « gigs »; une séparation est introduite entre les fabriques de jute et de chanvre d'une part et celles de lin de l'autre, enfin la bonneterie est pour la première fois mentionnée dans le rapport.

[53]« Reports of Insp. of Fact.. for 31 st. oct 1856 », p. 11.

[54] L.c., p.14,15.

[55] L. c., p.20.

[56]Reports, etc., for 31 st. oct. 1858, p.9, 10. Comp. Reports, etc., for 30 th. april 1860 , p.30 et suiv.

[57]Reports of Insp. of Fact. for 31 st. oct. 1862, p.100 et 130.

[58] Avec le métier à vapeur moderne un tisserand fabrique aujourd'hui, en travaillant sur deux métiers soixante heures par semaine, vingt-six pièces d'une espèce particulière de longueur et largeur données, tandis que sur l'ancien métier à vapeur il n'en pouvait fabriquer que quatre. Les frais d'une pièce semblable étaient déjà tombés au commencement de 1850 de trois francs quarante à cinquante-deux centimes.

« Il y a trente ans (1841) on faisait surveiller par un fileur et deux aides dans les fabriques de coton une paire de mules avec trois cents à trois cent vingt-quatre broches. Aujourd'hui le fileur avec cinq aides doit surveiller des mules dont le nombre de broches est de deux mille deux cents et qui produisent pour le moins sept fois autant de filés qu'en 1841. » (Alexandre Redgrave inspecteur de fabrique, dans le « Journal of the Society of Arts », january 5, 1872.)

[59] Rep. etc., 31 st. oct. 1861, p.25, 26.

[60] L'agitation des huit heures commença en 1867 dans le Lancashire parmi les ouvriers de fabrique.

[61] Les quelques chiffres suivants mettent sous les yeux le progrès des fabriques proprement dites dans le Royaume-Uni depuis 1848 :

Désignation
Quantité exportée
1848
Quantité exportée
1851

Fabrique de coton

 

 

Coton filé

liv. 135 831 162

liv. 143 966 106

Fil à coudre

yard ( = 0,914m.)

l. 4 392 176

Tissus de coton

y. 1 091 373 930

y. 1 543 161 789

Fabrique de lin et de chanvre

 

 

Filé

l. 11 722 182

1. 18 841 326

Tissus

y. 88 901 519

y. 129 106 753

Fabrique de soie

 

 

Filé de différentes sortes

1. 466 825

l. 462 513

Tissus

y.

y. 1 181 455

Fabrique de laine

 

 

Laine filée

q. (quintal)

l. 14 670 880

Tissus

y.

y. 1. 241 120 973

 

Désignation
Valeur exportée
1848
Valeur exportée
1851

Fabrique de coton

Coton filé

15 927 831

6 634 026

Tissus

16 753 369

23 454 810

Fabrique de lin et de chanvre

 

 

Filé

493 449

951 426

Tissus

2 802 789

4 107 396

Fabrique de soie

 

 

Filés divers

77 789

195 380

Tissus

 

1 130 398

Fabrique de laine

 

 

Laine filée

776 975

1 484 544

Tissus

5 733 828

8 377 183

 

(Voy. les livres bleus : Statistical Abstract for the U. Kingd., n. 8 et n.13.Lond., 1861 et 1866.) Dans le Lancashire le nombre des fabriques s'est accru entre 1839 et 1850 seulement de quatre pour cent, entre 1850 et 1856 de dix-neuf pour cent, entre 1856 et 1862 de trente-trois pour cent, tandis que dans les deux périodes de onze ans le nombre des personnes employées a grandi absolument et diminué relativement, c'est-à-dire comparé à la production et au nombre des machines. Comp. Rep. of Insp. of Fact. for 31 st. oct. 1862, p.63. Dans le Lancashire c'est la fabrique de coton qui prédomine. Pour se rendre compte de la place proportionnelle qu'elle occupe dans la fabrication des filés et des tissus en général, il suffit de savoir qu'elle comprend quarante-cinq deux pour cent de toutes les fabriques de ce genre en Angleterre, en Écosse et en Irlande, quatre-vingt-trois trois pour cent de toutes les broches du Royaume-Uni, quatre-vingt-un quatre pour cent de tous les métiers à vapeur, soixante-douze six pour cent de toute la force motrice et cinquante­huit deux pour cent du nombre total des personnes employées. (L.c., p.62, 63.)

Désignation
Quantité exportée
1860
Quantité exportée
1865

Fabrique de coton

 

 

Coton filé

l. 197 343 655

l. 103 751 455

Fil à coudre

l. 6 297 554

l. 4 648 611

Tissus de coton

y. 2 776 218 427

y. 2 015 237 851

Fabrique de lin et de chanvre

 

 

Filé

l. 31 210 612

l. 36 777 334

Tissus

y. 143 996 773

y. 247 012 529

Fabrique de soie

 

 

Filé de différentes sortes

l. 897 402

l. 812 589

Tissus

y. 1 307 293

y. 2 869 837

Fabrique de laine

 

 

Laine filée

l. 27 533 968

l. 31 669 267

Tissus

y. 190 381 537

y. 278 837 438

 

Désignation
Valeur exportée
1860
Valeur exportée
1865

Fabrique de coton

Coton filé

9 870 875

10 351 049

Tissus

42 141 505

46 903 795

Fabrique de lin et de chanvre

 

 

Filé

1 801 272

2 505 497

Tissus

4 804 803

9 155 318

Fabrique de soie

 

 

Filés divers

918 342

768 067

Tissus

1 587 303

1 409 221

Fabrique de laine

 

 

Laine filée

3 843 450

5 424 017

Tissus

12 156 998

20 102 259


Archives Lenine Archives Internet des marxistes
Début Précédent Haut de la page Sommaire Suite Fin