1867 |
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Le Capital - Livre premier
Le développement de la production capitaliste
III° section : la production de la plus-value absolue
Qu'est-ce qu'une journée de travail ? Quelle est la durée du temps pendant lequel le capital a le droit de consommer la force de travail dont il achète la valeur pour un jour ? Jusqu'à quel point la journée peut-elle être prolongée au-delà du travail nécessaire à la reproduction de cette force ? A toutes ces questions, comme on a pu le voir, le capital répond : la journée de travail comprend vingt-quatre heures pleines, déduction faite des quelques heures de repos sans lesquelles la force de travail refuse absolument de reprendre son service. Il est évident par soi-même que le travailleur n'est rien autre chose sa vie durant que force de travail, et qu'en conséquence tout son temps disponible est de droit et naturellement temps de travail appartenant au capital et à la capitalisation. Du temps pour l'éducation, pour le développement intellectuel, pour l'accomplissement de fonctions sociales, pour les relations avec parents et amis, pour le libre jeu des forces du corps et de l'esprit, même pour la célébration du dimanche, et cela dans le pays des sanctificateurs du dimanche [1], pure niaiserie ! Mais dans sa passion aveugle et démesurée, dans sa gloutonnerie de travail extra, le capital dépasse non seulement les limites morales, mais encore la limite physiologique extrême de la journée de travail. Il usurpe le temps qu'exigent la croissance, le développement et l'entretien du corps en bonne santé. Il vole le temps qui devrait être employé à respirer l'air libre et à jouir de la lumière du soleil. Il lésine sur le temps des repas et l'incorpore, toutes les fois qu'il le peut, au procès même de la production, de sorte que le travailleur, rabaissé au rôle de simple instrument, se voit fournir sa nourriture comme on fournit du charbon à la chaudière, de l'huile et du suif à la machine. Il réduit le temps du sommeil, destiné à renouveler et à rafraichir la force vitale, au minimum d'heures de lourde torpeur sans lequel l'organisme épuisé ne pourrait plus fonctionner. Bien loin que ce soit l'entretien normal de la force de travail qui serve de règle pour la limitation de la journée de travail, c'est au contraire la plus grande dépense possible par jour, si violente et si pénible qu'elle soit, qui règle la mesure du temps de répit de l'ouvrier. Le capital ne s'inquiète point de la durée de la force de travail. Ce qui l'intéresse uniquement, c'est le maximum qui peut en être dépensé dans une journée. Et il atteint son but en abrégeant la vie du travailleur, de même qu'un agriculteur avide obtient de son sol un plus fort rendement en épuisant sa fertilité.
La production capitaliste, qui est essentiellement production de plus-value, absorption de travail extra, ne produit donc pas seulement par la prolongation de la journée qu'elle impose la détérioration de la force de travail de l'homme, en la privant de ses conditions normales de fonctionnement et de développement, soit au physique, soit au moral; - elle produit l'épuisement et la mort précoce de cette force [2]. Elle prolonge la période productive du travailleur pendant un certain laps de temps en abrégeant la durée de sa vie.
Mais la valeur de la force de travail comprend la valeur des marchandises sans lesquelles la reproduction du salarié ou la propagation de sa classe seraient impossibles. Si donc la prolongation contre nature de la journée de travail, à laquelle aspire nécessairement le capital en raison de son penchant démesuré à se faire valoir toujours davantage, raccourcit la période vitale des ouvriers, et par suite la durée de leurs forces de travail, la compensation des forces usées doit être nécessairement plus rapide, et en même temps la somme des frais qu'exige leur reproduction plus considérable, de même que pour une machine la portion de valeur qui doit être reproduite chaque jour est d'autant plus grande que la machine s'use plus vite. Il semblerait en conséquence que l'intérêt même du capital réclame de lui une journée de travail normale.
Le propriétaire d'esclaves achète son travailleur comme il achète son bœuf. En perdant l'esclave il perd un capital qu'il ne peut rétablir que par un nouveau déboursé sur le marché. Mais,
« si fatale et si destructive que soit l'influence des champs de riz de la Géorgie et des marais du Mississipi sur la constitution de l'homme, la destruction qui s'y fait de la vie humaine n'y est jamais assez grande pour qu'elle ne puisse être réparée par le trop-plein des réservoirs de la Virginie et du Kentucky. Les considérations économiques qui pourraient jusqu'à un certain point garantir à l'esclave un traitement humain, si sa conservation et l'intérêt de son maître étaient identiques, se changent en autant de raisons de ruine absolue pour lui quand le commerce d'esclaves est permis. Dès lors, en effet, qu'il peut être remplacé facilement par des nègres étrangers, la durée de sa vie devient moins importante que sa productivité. Aussi est-ce une maxime dans les pays esclavagistes que l'économie la plus efficace consiste à pressurer le bétail humain (human chaule), de telle sorte qu'il fournisse le plus grand rendement possible dans le temps le plus court. C'est sous les tropiques, là même où les profits annuels de la culture égalent souvent le capital entier des plantations, que la vie des nègres est sacrifiée sans le moindre scrupule. C'est l'agriculture de l'Inde occidentale, berceau séculaire de richesses fabuleuses, qui a englouti des millions d'hommes de race africaine. C'est aujourd'hui à Cuba, dont les revenus se comptent par millions, et dont les planteurs sont des nababs, que nous voyons la classe des esclaves non seulement nourrie de la façon la plus grossière et en butte aux vexations les plus acharnées, mais encore détruite directement en grande partie par la longue torture d'un travail excessif et le manque de sommeil et de repos [3]. »
Mutato nomine de te fabula narratur ! Au lieu de commerce d'esclaves lisez marché du travail, au lieu de Virginie et Kentucky, lisez Irlande et les districts agricoles d’Angleterre, d'Écosse et du pays de Galles; au lieu d'Afrique, lisez Allemagne. Il est notoire que l'excès de travail moissonne les raffineurs de Londres, et néanmoins le marché du travail à Londres regorge constamment de candidats pour la raffinerie, allemands la plupart, voués à une mort prématurée. La poterie est également une des branches d'industrie qui fait le plus de victimes. Manque-t-il pour cela de potiers ? Josiah Wedgwood, l'inventeur de la poterie moderne, d'abord simple ouvrier lui-même, déclarait en 1785 devant la Chambre des communes que toutes les manufactures occupaient de quinze à vingt mille personnes [4]. En 1861, la population seule des sièges de cette industrie, disséminée dans les villes de la Grande-Bretagne, en comprenait cent un mille trois cent deux.
« L'industrie cotonnière date de quatre-vingt-dix ans... En trois générations de la race anglaise, elle a dévoré neuf générations d'ouvriers [5]. »
A vrai dire, dans certaines époques d'activité fiévreuse, le marché du travail a présenté des vides qui donnaient à réfléchir. Il en fut ainsi, par exemple, en 1834; mais alors messieurs les fabricants proposèrent aux Poor Law Commissioners d'envoyer dans le Nord l'excès de population des districts agricoles, déclarant « qu'ils se chargeaient de les absorber et de les consommer [6] ». C'étaient leurs propres paroles.
« Des agents furent envoyés à Manchester avec l'autorisation des Poor Law Commissioners. Des listes de travailleurs agricoles furent confectionnées et remises aux susdits agents. Les fabricants coururent dans les bureaux, et après qu'ils eurent choisi ce qui leur convenait, les familles furent expédiées du sud de l'Angleterre. Ces paquets d'hommes furent livrés avec des étiquettes comme des ballots de marchandises, et transportés par la voie des canaux, ou dans des chariots à bagages. Quelques-uns suivaient à pied, et beaucoup d'entre eux erraient çà et là égarés et demi-morts de faim dans les districts manufacturiers. La Chambre des communes pourra à peine le croire, ce commerce régulier, ce trafic de chair humaine ne fit que se développer, et les hommes furent achetés et vendus par les agents de Manchester aux fabricants de Manchester, tout aussi méthodiquement que les nègres aux planteurs des Etats du Sud... L'année 1860 marque le zénith de l'industrie cotonnière. Les bras manquèrent de nouveau, et de nouveau les fabricants s'adressèrent aux marchands de chair, et ceux-ci se mirent à fouiller les dunes de Dorset, les collines de Devon et les plaines de Wilts; mais l'excès de population était déjà dévoré. Le Bury Guardian se lamenta; après la conclusion du traité de commerce anglo-français, s'écria-t-il, dix mille bras de plus pourraient être absorbés, et bientôt il en faudra trente ou quarante mille encore ! Quand les agents et sous-agents du commerce de chair humaine eurent parcouru à peu près sans résultat, en 1860, les districts agricoles, les fabricants envoyèrent une députation à M. Villiers, le président du Poor Law Board, pour obtenir de nouveau qu'on leur procurât comme auparavant des enfants pauvres ou des orphelins des Workhouses [7]. »
L'expérience montre en général au capitaliste qu'il y a un excès constant de population, c'est-à-dire excès par rapport au besoin momentané du capital, bien que cette masse surabondante soit formée de générations humaines mal venues, rabougries, promptes à s'éteindre, s'éliminant hâtivement les unes les autres et cueillies, pour ainsi dire, avant maturité [8]. L'expérience montre aussi, à l'observateur intelligent, avec quelle rapidité la production capitaliste qui, historiquement parlant, date d'hier, attaque à la racine même la substance et la force du peuple, elle lui montre comment la dégénérescence de la population industrielle n'est ralentie que par l'absorption constante d'éléments nouveaux empruntés aux campagnes, et comment les travailleurs des champs, malgré l'air pur et malgré le principe de « sélection naturelle » qui règne si puissamment parmi eux et ne laisse croître que les plus forts individus, commencent eux-même à dépérir [9]. Mais le capital, qui a de si « bonnes raisons » pour nier les souffrances de la population ouvrière qui l'entoure, est aussi peu ou tout autant influencé dans sa pratique par la perspective de la pourriture de l'humanité et finalement de sa dépopulation, que par la chute possible de la terre sur le soleil. Dans toute affaire de spéculation, chacun sait que la débâcle viendra un jour, mais chacun espère qu'elle emportera son voisin après qu'il aura lui-même recueilli la pluie d'or au passage et l'aura mise en sûreté. Après moi le déluge ! Telle est la devise de tout capitaliste et de toute nation capitaliste. Le capital ne s'inquiète donc point de la santé et de la durée de la vie du travailleur, s'il n'y est pas contraint par la société [10]. A toute plainte élevée contre lui à propos de dégradation physique et intellectuelle, de mort prématurée, de tortures du travail excessif, il répond simplement : « Pourquoi nous tourmenter de ces tourments, puisqu'ils augmentent nos joies (nos profits) [11] ? » Il est vrai qu'à prendre les choses dans leur ensemble, cela ne dépend pas non plus de la bonne ou mauvaise volonté du capitaliste individuel. La libre concurrence impose aux capitalistes les lois immanentes de la production capitaliste comme lois coercitives externes [12].
L'établissement d'une journée de travail normale est le résultat d'une lutte de plusieurs siècles entre le capitaliste et le travailleur. Cependant l'histoire de cette lutte présente deux courants opposés. Que l'on compare, par exemple, la législation manufacturière anglaise de notre époque avec les statuts du travail en Angleterre depuis le XIV° jusqu'au-delà de la moitié du XVIII° siècle [13]. Tandis que la législation moderne raccourcit violemment la journée de travail, ces anciens statuts essayent violemment de la prolonger. Assurément les prétentions du capital encore à l'état d'embryon, alors qu'en train de grandir il cherche à s'assurer son droit à l'absorption d'un quantum suffisant de travail extra, non par la puissance seule des conditions économiques, mais avec l'aide des pouvoirs publics, nous paraissent tout à fait modestes, si nous les comparons aux concessions que, une fois arrivé à l'âge mûr, il est contraint de faire en rechignant. Il faut, en effet, des siècles pour que le travailleur « libre », par suite du développement de la production capitaliste, se prête volontairement, c'est-à-dire soit contraint socialement à vendre tout son temps de vie active, sa capacité de travail elle-même, pour le prix de ses moyens de subsistance habituels, son droit d'aînesse pour un plat de lentilles. Il est donc naturel que la prolongation de la journée de travail, que le capital, depuis le milieu du XIV° jusqu'à la fin du XVII° siècle, cherche à imposer avec l'aide de l'État aux hommes, corresponde à peu de chose près à la limite du temps de travail que l'Etat décrète et impose çà et là dans la seconde moitié du XIX° siècle pour empêcher la transformation du sang d'enfants en capital. Ce qui aujourd'hui, par exemple, dans le Massachusetts, tout récemment encore l'Etat le plus libre de l'Amérique du Nord, est proclamé la limite légale du temps de travail d'enfants au-dessous de douze ans, était en Angleterre, au milieu du XVII° siècle, la journée de travail normale de vigoureux artisans, de robustes garçons de ferme et d'athlétiques forgerons [14].
Le premier « Statute of Labourers » (Edouard III, 1349) trouva son prétexte immédiat, - non sa cause, car la législation de ce genre dure des siècles après que le prétexte a disparu - dans la grande peste qui décima la population, à tel point que, suivant l’expression d'un écrivain Tory, « la difficulté de se procurer des ouvriers à des prix raisonnables, (c'est-à-dire à des prix qui laissassent à leurs patrons un quantum raisonnable de travail extra) devint en réalité insupportable [15] ». En conséquence la loi se chargea de dicter des salaires raisonnables ainsi que de fixer la limite de la journée de travail. Ce dernier point qui nous intéresse seul ici est reproduit dans le statut de 1496 (sous Henri VIII). La journée de travail pour tous les artisans (artificiers) et travailleurs agricoles, de mars en septembre, devait alors durer, ce qui cependant ne fut jamais mis à exécution, de 5 heures du matin à 7 heures et 8 heures du soir; mais les heures de repas comprenaient une heure pour le déjeuner, une heure et demie pour le dîner et une demi-heure pour la collation vers 4 heures, c'est-à-dire précisément le double du temps fixé par le Factory Act aujourd'hui en vigueur [16]. En hiver le travail devait commencer à 5 heures du matin et finir au crépuscule du soir avec les mêmes interruptions. Un statut d'Elisabeth (1562) pour tous les ouvriers « loués par jour ou par semaine » laisse intacte la durée de la journée de travail, mais cherche à réduire les intervalles à deux heures et demie pour l'été et deux heures pour l'hiver. Le dîner ne doit durer qu'une heure, et « le sommeil d'une demi-heure l'après-midi » ne doit être permis que de la mi-mai à la mi-août. Pour chaque heure d'absence il est pris sur le salaire un penny (10 centimes). Dans la pratique cependant les conditions étaient plus favorables aux travailleurs que dans le livre des statuts. William Petty, le père de l'économie politique et jusqu'à un certain point l'inventeur de la statistique, dit dans un ouvrage qu'il publia dans le dernier tiers du XVII° siècle :
« Les travailleurs (labouring men, à proprement parler alors les travailleurs agricoles) travaillent dix heures par jour et prennent vingt repas par semaine, savoir trois les jours ouvrables et deux le dimanche. Il est clair d'après cela que s'ils voulaient jeûner le vendredi soir et prendre leur repas de midi en une heure et demie, tandis qu'ils y emploient maintenant deux heures, de 11 heures du matin à 1 heure, en d'autres termes s'ils travaillaient un vingtième de plus et consommaient un vingtième de moins, le dixième de l'impôt cité plus haut serait prélevable [17]. »
Le docteur Andrew Ure n'avait-il pas raison de décrier le bill des douze heures de 1833 comme un retour aux temps des ténèbres ? Les règlements contenus dans les statuts et mentionnés par Petty concernent bien aussi les apprentis; mais on voit immédiatement par les plaintes suivantes où en était encore le travail des enfants même à la fin du XVII° siècle :
« Nos jeunes garçons, ici en Angleterre, ne font absolument rien jusqu'au moment où ils deviennent apprentis, et alors ils ont naturellement besoin de beaucoup de temps (sept années) pour se former et devenir des ouvriers habiles. »
Par contre l'Allemagne est glorifiée, parce que là les enfants sont dès le berceau « habitués au moins à quelque peu d'occupation [18] ».
Pendant la plus grande partie du XVIII° siècle, jusqu'à l'époque de la grande industrie, le capital n'était pas parvenu en Angleterre, en payant la valeur hebdomadaire de la force de travail, à s'emparer du travail de l'ouvrier pour la semaine entière, à l'exception cependant de celui du travailleur agricole. De ce qu'ils pouvaient vivre toute une semaine avec le salaire de quatre jours, les ouvriers ne concluaient pas le moins du monde qu'ils devaient travailler les deux autres jours pour le capitaliste. Une partie des économistes anglais au service du capital dénonça cette obstination avec une violence extrême; l'autre partie défendit les travailleurs. Ecoutons par exemple la polémique entre Postlethwaite dont le dictionnaire de commerce jouissait alors de la même renommée qu'aujourd'hui ceux de Mac Culloch, de Mac Gregor etc., et l'auteur déjà cité de l'Essay on Trade and Commerce [19].
Postlethwaite dit entre autres :
« Je ne puis terminer ces courtes observations sans signaler certaine locution triviale et malheureusement trop répandue. Quand l'ouvrier, disent certaines gens, peut dans cinq jours de travail obtenir de quoi vivre, il ne veut pas travailler six jours entiers. Et partant de là, ils concluent à la nécessité d'enchérir même les moyens de subsistance nécessaires par des impôts ou d'autres moyens quelconques pour contraindre l'artisan et l'ouvrier de manufacture à un travail ininterrompu de six jours par semaine. Je demande la permission d'être d'un autre avis que ces grands politiques tout prêts à rompre une lance en faveur de l'esclavage perpétuel de la population ouvrière de ce pays « the perpetual slavery of the working people »; ils oublient le proverbe : « All work and no play, etc. » (Rien que du travail et pas de jeu rend imbécile.) Les Anglais ne se montrent-ils pas tout fiers de l'originalité et de l'habileté de leurs artisans et ouvriers de manufactures qui ont procuré partout aux marchandises de la Grande-Bretagne crédit et renommée ? A quoi cela est-il dû, si ce n'est à la manière gaie et originale dont les travailleurs savent se distraire ? S'ils étaient obligés de trimer l'année entière, tous les six jours de chaque semaine, dans la répétition constante du même travail, leur esprit ingénieux ne s'émousserait-il pas; ne deviendraient-ils pas stupides et inertes, et par un semblable esclavage perpétuel, ne perdraient-ils pas leur renommée, au lieu de la conserver ? Quel genre d'habileté artistique pourrions-nous attendre d'animaux si rudement menés ? « hard driven animals »... Beaucoup d'entre eux exécutent autant d'ouvrage en quatre jours qu'un Français dans cinq ou six. Mais si les Anglais sont forcés de travailler comme des bêtes de somme, il est à craindre qu'ils ne tombent (degenerate) encore au-dessous des Français. Si notre peuple est renommé par sa bravoure dans la guerre, ne disons-nous pas que ceci est dû d'un côté au bon roastbeef anglais et au pudding qu'il a dans le ventre, et de l'autre à son esprit de liberté constitutionnelle ? Et pourquoi l'ingéniosité, l'énergie et l'habileté de nos artisans et ouvriers de manufactures ne proviendraient-elles pas de la liberté avec laquelle ils s'amusent à leur façon ? J'espère qu'ils ne perdront jamais ces privilèges ni le bon genre de vie d'où découlent également leur habileté au travail et leur courage [20]. »
Voici ce que répond l'auteur de l'Essay on Trade and Commerce:
« Si c'est en vertu d'une ordonnance divine que le septième jour de la semaine est fêté, il en résulte évidemment que les autres jours appartiennent au travail (il veut dire au capital, ainsi qu'on va le voir plus loin), et contraindre à exécuter ce commandement de Dieu n'est point un acte que l'on puisse traiter de cruel. L'homme, en général, est porté par nature à rester oisif et à prendre ses aises; nous en faisons la fatale expérience dans la conduite de notre plèbe manufacturière, qui ne travaille pas en moyenne plus de quatre jours par semaine, sauf le cas d'un enchérissement des moyens de subsistance... Supposons qu'un boisseau de froment représente tous les moyens de subsistance du travailleur, qu'il coûte cinq shillings et que le travailleur gagne un shilling tous les jours. Dans ce cas il n'a besoin de travailler que cinq jours par semaine; quatre seulement, si le boisseau coûte quatre shillings. Mais comme le salaire, dans ce royaume, est beaucoup plus élevé en comparaison du prix des subsistances, l'ouvrier de manufacture qui travaille quatre jours possède un excédent d'argent avec lequel il vit sans rien faire le reste de la semaine... J'espère avoir assez dit pour faire voir clairement qu'un travail modéré de six jours par semaine n'est point un esclavage. Nos ouvriers agricoles font cela, et d'après ce qu'il paraît, ils sont les plus heureux des travailleurs (labouring poor) [21]. Les Hollandais font de même dans les manufactures et paraissent être un peuple très heureux. Les Français, sauf qu'ils ont un grand nombre de jours fériés, travaillent également toute la semaine [22]... Mais notre plèbe manufacturière s'est mis dans la tête l'idée fixe qu'en qualité d'Anglais tous les individus qui la composent ont par droit de naissance le privilège d'être plus libres et plus indépendants que les ouvriers de n'importe quel autre pays de l'Europe. Cette idée peut avoir son utilité pour les soldats, dont elle stimule la bravoure, mais moins les ouvriers des manufactures en sont imbus, mieux cela vaut pour eux-mêmes et pour l'État. Des ouvriers ne devraient jamais se tenir pour indépendants de leurs supérieurs. Il est extrêmement dangereux d'encourager de pareils engouements dans un Etat commercial comme le nôtre, où peut-être les sept huitièmes de la population n'ont que peu ou pas du tout de propriété [23]. La cure ne sera pas complète tant que nos pauvres de l'industrie ne se résigneront pas à travailler six jours pour la même somme qu'ils gagnent maintenant en quatre [24]. »
Dans ce but, ainsi que pour extirper la paresse, la licence, les rêvasseries de liberté chimérique, et de plus, pour « diminuer la taxe des pauvres, activer l'esprit d'industrie et faire baisser le prix du travail dans les manufactures », notre fidèle champion du capital propose un excellent moyen, et quel est-il ? C'est d'incarcérer les travailleurs qui sont à la charge de la bienfaisance publique, en un mot les pauvres, dans une maison idéale de travail « an ideal Workhouse ». Cette maison doit être une maison de terreur (house of terror). Dans cet idéal de Workhouse, on fera travailler quatorze heures par jour, de telle sorte que le temps des repas soustrait, il reste douze heures de travail pleines et entières [25].
Douze heures de travail par jour, tel est l'idéal, le nec plus ultra dans le Workhouse modèle, dans la maison de terreur de 1770 ! Soixante-trois ans plus tard, en 1833, quand le Parlement anglais réduisit dans quatre industries manufacturières la journée de travail pour les enfants de treize ans à dix-huit ans à douze heures de travail pleines, il sembla que le glas de l'industrie anglaise sonnerait. En 1852, quand Louis Bonaparte, pour s'assurer la bourgeoisie, voulut toucher à la journée de travail légale, la population ouvrière française cria tout d'une voix : « La loi qui réduit à douze heures la journée de travail est le seul bien qui nous soit resté de la législation de la République [26]. » A Zurich, le travail des enfants au-dessous de dix ans a été réduit à douze heures; dans l'Argovie le travail des enfants entre treize et seize ans a été réduit, en 1862, de douze heures et demie à douze; il en a été de même en Autriche, en 1860, pour les enfants entre quinze et seize ans [27]. « Quel progrès, depuis 1770 ! s'écrierait Macaulay avec « exultation ».
La « maison de terreur » pour les pauvres que l'âme du capital rêvait encore en 1770, se réalisa quelques années plus tard dans la gigantesque « maison de travail » bâtie pour les ouvriers manufacturiers, son nom était Fabrique, et l'idéal avait pâli devant la réalité.
Notes
[1] En Angleterre, par exemple, on voit de temps à autre dans les districts ruraux quelque ouvrier condamné à la prison pour avoir profané le sabbat en travaillant devant sa maison dans son petit jardin. Le même ouvrier est puni pour rupture de contrat, s'il s'absente le dimanche de la fabrique, papeterie, verrerie, etc., même par dévotion. Le Parlement orthodoxe ne s'inquiète pas de la profanation du sabbat quand elle a lieu en l'honneur et dans l'intérêt du Dieu Capital. Dans un mémoire des journaliers de Londres employés chez des marchands de poisson et de volaille, où l'abolition du travail du dimanche est demandée (août 1863), il est dit que leur travail dure en moyenne quinze heures chacun des six premiers jours de la semaine et huit à dix heures le dimanche. On voit par ce mémoire que c'est surtout la gourmandise délicate des bigots aristocratiques de Exeter Hall qui encourage cette profanation du jour du Seigneur. Ces saints personnages si zélés « in cute curanda », autrement dit, dans le soin de leur peau, attestent leur qualité de chrétien par la résignation avec laquelle ils supportent le travail excessif, la faim et les privations d'autrui. Obsequium ventris istis (c'est-à-dire aux travailleurs) perniciosius est.
[2] « Nous avons donné dans nos rapports antérieurs l'opinion de plusieurs manufacturiers expérimentés au sujet des heures de travail extra... il est certain que d'après eux ces heures tendent à épuiser prématurément la force de travail de l'homme. » (L.c., 64, p. XIII.)
[3] Cairns, l.c., p.110, 111.
[4] John Ward : History of the Borough of Stoke-upon-Trent. London, 1843, p.42.
[5] Discours de Ferrand à la Chambre des communes, du 27 avril 1863.
[6] « That the manufacturers would absorb it and use it up. Those were the very words used by the cotton manufacturers. » L.c.
[7] L.c. M. Villiers, malgré la meilleure volonté du monde, était « légalement » forcé de repousser la demande des fabricants. Ces messieurs atteignirent néanmoins leur but grâce à la complaisance des administrations locales. M. A. Redgrave, inspecteur de fabrique, assure que cette fois le système d'après lequel les orphelins et les enfants des pauvres sont traités « légalement » comme apprentis ne fut pas accompagné des mêmes abus que par le passé. (Voy. sur ces abus Fred. Engels, l.c.) Dans un cas néanmoins « on abusa du système à l'égard de jeunes filles et de jeunes femmes qui des districts agricoles de l'Écosse furent conduites dans le Lancashire et le Cheshire... » - Dans ce système le fabricant passe un traité avec les administrateurs dos maisons de pauvres pour un temps déterminé. Il nourrit, habille et loge les enfants et leur donne un petit supplément en argent. Une remarque de M. Redgrave, que nous citons plus loin, paraît assez étrange, si l'on prend en considération que parmi les époques de prospérité de l'industrie cotonnière anglaise l'année 1860 brille entre toutes et que les salaires étaient alors très élevés, parce que la demande extraordinaire de travail rencontrait toutes sortes de difficultés. L'Irlande était dépeuplée; les districts agricoles d'Angleterre et d'Écosse se vidaient par suite d'une émigration sans exemple pour l'Australie et l'Amérique; dans quelques districts agricoles anglais régnait une diminution positive de la population qui avait pour causes en partie une restriction voulue et obtenue de la puissance génératrice et en partie l'épuisement de la population disponible déjà effectué par les trafiquants de chair humaine. Et malgré tout cela M. Redgrave nous dit : « Ce genre de travail (celui des enfants des hospices) n'est recherché que lorsqu'on ne peut pas en trouver d'autre, car c'est un travail qui coûte cher (high priced labour). Le salaire ordinaire pour un garçon de treize ans est d'environ quatre shillings (5 F) par semaine. Mais loger, habiller, nourrir cinquante ou cent de ces enfants, les surveiller convenablement, les pourvoir des soins médicaux et leur donner encore une petite paie en monnaie, c'est une chose infaisable pour quatre shillings par tête et par semaine. » (Report of the Insp. of Factories for 30 th, April 1862, p.27.) M. Redgrave oublie de nous dire comment l'ouvrier lui-même pourra s'acquitter de tout cela à l'égard de ses enfants avec leurs quatre shillings de salaire, si le fabricant ne le peut pas pour cinquante ou cent enfants qui sont logés, nourris et surveillés en commun. - Pour prévenir toute fausse conclusion que l'on pourrait tirer du texte, je dois faire remarquer ici que l'industrie cotonnière anglaise, depuis qu'elle est soumise au Factory Act de 1850, à son règlement du temps de travail, etc., peut être considérée comme l'industrie modèle en Angleterre. L'ouvrier anglais dans cette industrie est sous tous les rapports dans une condition supérieure à celle de son compagnon de peine sur le continent. « L'ouvrier de fabrique prussien travaille au moins dix heures de plus par semaine que son rival anglais, et quand il est occupé chez lui à son propre métier, ses heures de travail n'ont même plus de limite. » (Rap. of Insp. of Fact. 31 Oct. 1855, p.103). L'inspecteur Redgrave cité plus haut fit un voyage sur le continent après l'exposition industrielle de 1851, spécialement en France et en Prusse, pour y étudier la situation manufacturière de ces deux pays. « L'ouvrier des manufactures prussiennes, nous dit-il, obtient un salaire suffisant pour le genre de nourriture simple et le peu de confort auxquels il est habitué et dont il se trouve satisfait... il vit plus mal et travaille plus durement que son rival anglais. » (Rep. of Insp. of Fact. 31 Oct. 1853, p.85.)
[8] « Les travailleurs soumis à un travail excessif meurent avec une rapidité surprenante; mais les places de ceux qui périssent sont aussitôt remplies de nouveau, et un changement fréquent des personnes ne produit aucune modification sur la scène. » England and America, London, 1833 (par E. G. Wakefield).
[9] Voy. « Public Health. Sixth Report of the Médical Officer of the Privy Council, 1863, » publié à Londres en 1864. Ce rapport traite des travailleurs agricoles. « On a présenté le comté de Sutherland comme un comté où on a fait de grandes améliorations; mais de nouvelles recherches ont prouvé que dans ces districts autrefois renommés pour la beauté des hommes et la bravoure des soldats, les habitants dégénérés ne forment plus qu'une race amaigrie et détériorée. Dans les endroits les plus sains, sur le penchant des collines qui regardent la mer, les visages de leurs enfants sont aussi amincis et aussi pâles que ceux que l'on peut rencontrer dans l'atmosphère corrompue d'une impasse de Londres. » (Thornton, l.c., p. 74, 75.) Ils ressemblent en réalité aux trente mille « gallant Highlanders » que Glasgow fourre dans ses « wynds and closes » et accouple avec des voleurs et des prostituées.
[10] « Quoique la santé de la population soit un élément important du capital national, nous craignons d'être obligés d'avouer que les capitalistes ne sont pas disposés à conserver ce trésor et à l'apprécier à sa valeur. Les fabricants ont été contraints d'avoir des ménagements pour la santé du travailleur. » (Times, octobre 1861.) « Les hommes du West Riding sont devenus les fabricants de drap de l'humanité entière, la santé du peuple des travailleurs a été sacrifiée et deux générations auraient suffi pour faire dégénérer la race, s'il ne s'était pas opéré une réaction. Les heures de travail des enfants ont été limitées, etc. » (Report of the Registrar Général for October 1861.)
[11] Paroles de Goethe.
[12] C'est pourquoi nous trouvons, par exemple, qu'au commencement de l'année 1863 vingt-six propriétaires de poteries importantes dans le Staffordshire, parmi lesquels MM. J. Wedgwood et fils, pétitionnaient dans un mémoire pour l'intervention autoritaire de l'État. « La concurrence avec les autres capitalistes ne nous permet pas de limiter volontairement le temps de travail des enfants, etc. » - « Si fort que nous déplorions les maux que nous venons de mentionner, il serait impossible de les empêcher au moyen de n'importe quelle espèce d'entente entre les fabricants... Tout bien considéré, nous sommes arrivés à la conviction qu'une loi coercitive est nécessaire. » Children's Emp. Comm. Rep. 1, 1863, p.322. - Voici un exemple plus remarquable et de date toute récente ! L'élévation des prix du coton dans une époque d'activité industrielle fiévreuse avait engagé les propriétaires des manufactures de Blackburn à diminuer, d'une commune entente, le temps de travail dans leurs fabriques pendant une période déterminée, dont le terme arriva vers la fin de novembre 1871. Sur ces entrefaites les fabricants plus riches, à la fois manufacturiers et filateurs, mirent à profit le ralentissement de la production occasionné par cette entente, pour faire travailler à mort chez eux, étendre leurs propres affaires et réaliser de grands profits aux dépens des petits manufacturiers. Ces derniers aux abois firent appel aux ouvriers, les excitèrent à mener vivement et sérieusement l'agitation des neuf heures et promirent de contribuer à ce but de leur propre argent !
[13] Ces statuts du travail que l'on trouve aussi en France, dans les Pays-Bas, etc., ne furent abolis en Angleterre formellement qu'en 1813. Depuis longtemps les conditions de la production les avaient rendus surannés.
[14] « Aucun enfant au-dessous de douze ans ne doit être employé dans un établissement manufacturier quelconque plus de dix heures par jour. » General Statures of Massachusetts, 63, ch.12. (Les ordonnances ont été publiées de 1836 à 1858.) « Le travail exécuté pendant une période de dix heures par jour dans les manufactures de coton, de laine, de soie, de papier, de verres et de lin, ainsi que dans les établissements métallurgiques doit être considéré comme journée de travail légale. Il est arrêté que désormais aucun mineur engagé dans une fabrique, ne doit être employé au travail plus de dix heures par jour ou soixante heures par semaine, et que désormais aucun mineur ne doit être admis comme ouvrier au-dessous de dix ans dans n'importe quelle fabrique de cet Etat. » State of New Jersey. An act to limit the hours of abour, etc., 61 et 52 (loi du 11 mars 1855). « Aucun mineur qui a atteint l'âge de douze ans et pas encore celui de quinze, ne doit être employé dans un établissement manufacturier plus de onze heures par jour, ni avant 5 heures du matin, ni après 7 h 30 du soir. » Revised Statutes of Rhode Island, etc., chap. xxxix, § 23, (I° juillet 1857).
[15] Sophisms of Free Trade, 7° édit. Lond. 1850, p.205. Le même Tory en convient d'ailleurs : « Les actes du Parlement sur le règlement des salaires faits contre les ouvriers en faveur de ceux qui les emploient, durèrent la longue période de quatre cent soixante-quatre ans. La population augmenta. Ces lois devinrent superflues et importunes. » (L.c., p.206.)
[16] J. Wade fait à propos de ce statut une remarque fort juste : « Il résulte du statut de 1496 que la nourriture comptait comme l'équivalent du tiers de ce que recevait l'ouvrier, et des deux tiers de ce que recevait le travailleur agricole. Cela témoigne d'un plus haut degré d'indépendance parmi les travailleurs que celui qui règne aujourd'hui; car la nourriture des ouvriers de n'importe quelle classe, représente maintenant une fraction bien plus élevée de leur salaire. » (J. Wade, l.c., p. 24, 25 et 577.) Pour réfuter l'opinion d'après laquelle cette différence serait due à la différence par exemple du rapport de prix entre les aliments et les vêtements, alors et aujourd'hui, il suffit de jeter le moindre coup d’œil sur le Chronicon Pretiosurn, etc., par l'évêque Fletwood, I° édit. London, 1707. 2° édit. London, 1745.
[17] W. Petty : Political Anatomy of Ireland, 1672, édit. 1691, p.10.
[18] A discussion on the Necessity of Encouraging rnechanick Industry, London, 1689, p. 13. Macaulay qui a falsifié l'histoire d'Angleterre dans l'intérêt Whig et bourgeois, se livre à la déclamation suivante : « L'usage de faire travailler les enfants prématurément, régnait au XVII° siècle à un degré presque incroyable pour l'état de l'industrie d'alors. A Norwich, le siège principal de l'industrie cotonnière, un enfant de six ans était censé capable de travail. Divers écrivains de ce temps, dont quelques-uns passaient pour extrêmement bien intentionnés, mentionnent avec enthousiasme, « exultation » le fait que, dans cette ville seule, les garçons et les jeunes filles créaient une richesse qui dépassait chaque année de douze mille livres sterling les frais de leur propre entretien. Plus nous examinons attentivement l'histoire du passé, plus nous trouvons de motifs pour rejeter l'opinion de ceux qui prétendent que notre époque est fertile en maux nouveaux dans la société. Ce qui est vraiment nouveau, c'est l'intelligence qui découvre le mal, et l'humanité qui le soulage. » (History of England, v. I p. 419.) Macaulay aurait pu rapporter encore qu'au XVII° siècle des amis du commerce « extrêmement bien intentionnés » racontent avec « exultation » comment, dans un hôpital de Hollande un enfant de quatre ans fut employé au travail, et comment cet exemple de « vertu mise en pratique » fut cité pour modèle dans tous les écrits des humanitaires à la Macaulay, jusqu'au temps d'Adam Smith. Il est juste de dire qu'à mesure que la manufacture prit la place du métier, on trouve des traces de l'exploitation des enfants. Cette exploitation a existé de tout temps dans une certaine mesure chez le paysan, d'autant plus développée, que le joug qui pèse sur lui est plus dur. La tendance du capital n'est point méconnaissable; mais les faits restent encore aussi isolés que le phénomène des enfants à deux têtes. C'est pourquoi ils sont signalés avec «exultation » par des « amis du commerce » clairvoyants, comme quelque chose de particulièrement digne d'admiration, et recommandés à l'imitation des contemporains et de la postérité. Le même sycophante écossais, le beau diseur Macaulay ajoute : « On n'entend parler aujourd'hui que de rétrogradation, et l'on ne voit que progrès. » Quels yeux et surtout quelles oreilles !
[19] Parmi les accusateurs de la classe ouvrière, le plus enragé est l'auteur anonyme de I'écrit mentionne dans le texte : An Essay on Trade and Commerce containing Observations on Taxation, etc., London, 1770. Il avait déjà préludé dans un autre ouvrage : Considerations on Taxes, London, 1765. Sur la même ligne vient de suite le faiseur de statistiques, Polonius Arthur Young. Parmi les défenseurs on trouve au premier rang Jacob Vanderlint, dans son ouvrage Money answers ail things. London, 1734; Rev. Nathaniel Forster, D. D, dans An Enquiry into the Causes of the Prescrit Price of Provisions. London, 1766; Dr Price, et aussi Postlethwaite dans un supplément à son « Universal Dictionary of Trade and Commerce », et dans : Great Britain's Commercial Interest explained and improved, 2° édit. London, 1775. Les faits eux-mêmes sont constatés par beaucoup d'autres auteurs contemporains, entre autres, par Rev. Josiah Tucker.
[20] Postlethwaite, l.c., First Preliminary Discourse, p.4.
[21] An Essay, etc. Il nous raconte lui-même, p.96, en quoi consistait déjà en 1770 « le bonheur » des laboureurs anglais. « Leurs forces de travail (their working powers) sont tendues à l'extrême (on the stretch); ils ne peuvent pas vivre à meilleur marché qu'ils ne font (they cannot live cheaper than they do), ni travailler plus durement (nor work harder). »
[22] Le protestantisme joue déjà par la transformation qu'il opère de presque tous les jours fériés en jours ouvrables, un rôle important dans la genèse du capital.
[23] An Essay, etc., p.15, 57, passim.
[24] L.c., p.69. Jacob Vanderlint déclarait déjà en 1734, que tout le secret des plaintes des capitalistes à propos de la fainéantise de la population ouvrière n'avait qu' un motif, la revendication de six jours de travail au lieu de quatre pour le même salaire.
[25] L. c., p. 260 : « Such ideal workhouse must be made an House of Terror and not an asylum for the poor, etc. In this ideal Workhouse the poor shall work fourteen hours, in a day, allowing proper time for rneals, in such manner that there shall rernain twelve hours of neat labour. » Les Français, dit-il, rient de nos idées enthousiastes de liberté. (L.c., p. 78.)
[26] Report of Insp. of. Fact., 31 oct. 1856, p.80. La loi française des douze heures du 5 septembre 1850, édition bourgeoise du décret du gouvernement provisoire du 2 mars 1848, s'étend à tous les ateliers sans distinction. Avant cette loi, la journée de travail en France n'avait pas de limites. Elle durait dans les fabriques quatorze, quinze heures et davantage. Voy. : Des classes ouvrières en France, pendant l'année 1848, par M. Blanqui, l'économiste, non le révolutionnaire, qui avait été chargé par le gouvernement d'une enquête sur la situation des travailleurs.
[27] En ce qui regarde le règlement de la journée de travail, la Belgique maintient son rang d'Etat bourgeois modèle. Lord Howard de Welden, plénipotentiaire anglais à la cour de Bruxelles, écrit dans un rapport au Foreign Office du 12 mai 1862 : « Le ministre Rogier m'a déclaré que le travail des enfants n'était limité ni par une loi générale, ni par des règlements locaux; que le gouvernement, pendant les trois dernières années, avait eu le dessein à chaque session, de présenter aux Chambres une loi à ce sujet, mais que toujours il avait trouvé un obstacle invincible dans l'inquiétude jalouse qu'inspire toute Iégislation qui ne repose pas sur le principe de liberté absolue du travail. » Les soi-disant « socialistes belges », ne font que répéter, sous une forme amphigourique, ce mot d'ordre donné par leur bourgeoisie !