1865 |
Un rapport au Conseil Général de l'Association Internationale des Travailleurs qui pose les bases
de l'analyse marxiste du mode de production capitaliste : |
Salaire, prix et profit
La production de plus-value
Supposons que la quantité moyenne des objets courants nécessaires à la vie d'un ouvrier exige pour leur production 6 heures de travail moyen. Supposons, en outre, que 6 heures de travail moyen soient réalisées dans une quantité d'or égale à 3 shillings. Ces 3 shillings seraient le prix, ou l'expression monétaire de la valeur journalière de la force de travail de cet homme. S'il travaillait 6 heures par jour, il produirait chaque jour une valeur suffisante pour acheter la quantité moyenne des objets dont il a journellement besoin, c'est-à-dire pour se conserver comme ouvrier.
Mais notre homme est un ouvrier salarié. Il lui faut, par conséquent, vendre sa force de travail au capitaliste. S'il la vend 3 shillings par jour ou 18 shillings par semaine, il la vend à sa valeur. Supposons que ce soit un ouvrier fileur. S'il travaille 6 heures par jour, il ajoutera chaque jour au coton une valeur de 3 shillings. Cette valeur qu'il ajoute chaque jour au coton constituerait l'équivalent exact de son salaire, c'est-à-dire du prix qu'il touche journellement pour sa force de travail. Mais dans ce cas, il ne reviendrait aucune plus-value ou surproduit au capitaliste. Nous nous heurtons ici à la véritable difficulté.
En achetant la force de travail de l'ouvrier et en la payant à sa valeur, le capitaliste, comme tout autre acheteur, a acquis le droit de consommer la marchandise qu'il a achetée ou d'en user. On consomme la force de travail d'un homme ou on l'utilise en le faisant travailler, tout comme on consomme une machine ou on l'utilise en la faisant fonctionner. Par l'achat de la valeur journalière ou hebdomadaire de la force de travail de l'ouvrier, le capitaliste a donc acquis le droit de se servir de cette force, de la faire travailler pendant toute la journée ou toute la semaine. La journée ou la semaine de travail a, naturellement, ses limites, mais nous examinerons cela de plus près par la suite.
Pour l'instant, je veux attirer votre attention sur un point décisif.
La
valeur de la force de travail est déterminée par
la quantité de travail nécessaire à son
entretien ou à sa reproduction, mais l'usage de cette
force de travail n'est limité que par l'énergie
agissante et la force physique de l'ouvrier. La valeur journalière
ou hebdomadaire de la force de travail est tout à fait
différente de l'exercice journalier ou hebdomadaire de cette
force, tout comme la nourriture dont un cheval a besoin et le temps
qu'il peut porter son cavalier sont deux choses tout à fait
distinctes. La quantité de travail qui limite la valeur de
la force de travail de l'ouvrier ne constitue en aucun cas la limite
de la quantité de travail que peut exécuter sa force de
travail. Prenons l'exemple de notre ouvrier fileur. Nous avons vu que
pour renouveler journellement sa force de travail, il lui faut créer
une valeur journalière de 3 shillings, ce qu'il réalise
par son travail journalier de 6 heures. Mais cela ne le rend pas
incapable de travailler journellement 10 à 12 heures ou
davantage. En payant la valeur journalière ou
hebdomadaire de la force de travail de l'ouvrier fileur, le
capitaliste s'est acquis le droit de se servir de celle-ci pendant
toute la journée ou toute la semaine. Il le fera donc
travailler, mettons, 12 heures par jour. En sus et au surplus des
6 heures qui lui sont nécessaires pour produire l'équivalent
de son salaire, c'est-à-dire de la valeur de sa force de
travail, le fileur devra donc travailler 6 autres heures que
j'appellerai les heures de surtravail, lequel surtravail se
réalisera en une plus-value et un surproduit. Si
notre ouvrier fileur, par exemple, au moyen de son travail journalier
de 6 heures, ajoute au coton une valeur de 3 shillings qui forme
l'équivalent exact de son salaire, il ajoutera au coton en 12
heures une valeur de 6 shillings et produira un surplus
correspondant de filé. Comme il a vendu sa force de
travail au capitaliste, la valeur totale, c'est-à-dire le
produit qu'il a créé, appartient au capitaliste qui
est, pour un temps déterminé, propriétaire de sa
force de travail. En déboursant 3 shillings, le capitaliste va
donc réaliser une valeur de 6 shillings puisque, en déboursant
la valeur dans laquelle sont cristallisées 6 heures de
travail, il recevra, en retour, une valeur dans laquelle sont
cristallisées 12 heures de travail. S'il répète
journellement ce processus, le capitaliste déboursera
journellement 3 shillings et en empochera 6, dont une moitié
sera de nouveau employée à payer de nouveaux salaires
et dont l'autre moitié formera la plus-value pour
laquelle le capitaliste ne paie aucun équivalent. C'est sur
cette sorte d'échange entre le capital et le travail qu'est
fondée la production capitaliste, c'est-à-dire le
salariat; et c'est précisément cette sorte d'échange
qui doit constamment amener l'ouvrier à se produire en tant
qu'ouvrier et le capitaliste en tant que capitaliste.
Le taux
de la plus-value, toutes circonstances égales d'ailleurs,
dépendra du rapport entre la partie de la journée de
travail, qui est nécessaire pour renouveler la valeur de la
force de travail, et le surtravail ou temps employé
en plus pour le capitaliste. Il dépendra, par conséquent,
de la proportion dans laquelle la journée de travail est
prolongée au-delà du temps pendant lequel
l'ouvrier, en travaillant, ne ferait que reproduire la valeur de sa
force de travail, c'est-à-dire fournir l'équivalent de
son salaire.