1918

Paru pour la première fois en 1918 dans le livre «Travaux du Congrès extraordinaire des cheminots de Russie, qui s'est tenu à Pétrograd du 8 au 30 janvier 1918»
Conforme au texte du livre

Œuvres t. 26, pp. 511-529, Paris-Moscou


Lénine

Congrès extraordinaire des cheminots de Russie

des 5 - 30 janvier (18 janvier-12 février) 1918


1ère Partie

 

deux

Réponse aux questions écrites

Camarades, les questions écrites que j'ai là se divisent en deux groupes : l'un concerne l'Assemblée constituante, l'autre, la famine et la débâcle économique. Je répondrai successivement aux unes et aux autres, en groupant les questions dans la mesure où elles se rapportent plus ou moins à un même sujet. Pour ce qui est de l'Assemblée constituante, on nous demande s'il fallait la dissoudre et s'il ne faudrait pas réunir une nouvelle Constituante ? Ou s'il n'eût pas été préférable de consulter le peuple par voie de référendum avant de dissoudre la Constituante ? Non, camarades, ni un référendum ni une nouvelle Constituante ne seraient d'aucune utilité. Car telle est la nature des partis en Russie ; nous avons vu avec qui sympathisent les capitalistes et avec qui, les ouvriers et les paysans. Le pouvoir des Soviets n'a pas été créé par un décret personnel ou par décision d'un parti, car il est au-dessus des partis, car il résulte de l'expérience révolutionnaire, de l'expérience de millions d'hommes. Ce n'est pas par hasard que les Soviets sont nés en 1905 et qu'ils ont grandi en 1917 et constitué une république nouvelle, telle que les pays d'Europe n'en connaissent pas et n'en connaîtront jamais, tant que le capital y régnera. Mais la République des Soviets vaincra partout et portera ainsi au capital un coup décisif. Je dois dire que l'Assemblée constituante et le référendum sont bâtis sur les anciens modèles du parlementarisme bourgeois, et que le suffrage universel doit compter et composer avec ce dernier, du fait de la domination du capital. Mais les représentants du pouvoir des Soviets ne sont pas faits pour croiser le fer dans des joutes parlementaires et échanger de brillants discours tout en assurant la ferme domination du capital et de l'appareil bureaucratique. Le pouvoir des Soviets est né des masses laborieuses elles-mêmes ; il ne produit pas un parlement, mais une assemblée de représentants des travailleurs, qui édicte des lois immédiatement exécutées et appliquées, et qui s'assigne pour tâche de lutter contre les exploiteurs. L'Assemblée constituante ancien modèle et les référendums du même genre s'assignaient la tâche suivante : réaliser l'unité de volonté de toute la nation et créer la possibilité de vivre en bonne intelligence pour les loups et les agneaux, pour les exploiteurs et les exploités. Non, nous ne voulons pas de cela. Nous savons ce que c'est pour l'avoir éprouvé nous-mêmes. Nous en avons assez. Et nous sommes convaincus que la majorité des ouvriers, des paysans et des soldats en ont assez. A une époque où la guerre nous oblige à des efforts héroïques pour nous arracher à l'étreinte du capital ou périr, on voudrait nous obliger à faire une expérience qui a déjà eu lieu dans les pays d'Europe et qui nous donnerait le vieux capitalisme bourgeois sous prétexte de représenter toute la nation, au lieu d'une représentation des masses laborieuses. Nous n'avons pas besoin d'une représentation bourgeoise, mais d'une représentation des exploités et des opprimés, qui combatte impitoyablement les exploiteurs. Voilà quelles sont les intentions du pouvoir des Soviets, qui n'envisage ni parlement ni référendum. Il est au-dessus de tout cela, il offre aux travailleurs la possibilité, s'ils ne sont pas contents de leur parti, d'élire d'autres délégués, de transmettre le pouvoir à un autre parti et de changer de gouvernement sans la moindre révolution, parce que l'expérience de Kérenski-Kalédine et de la Rada bourgeoise a montré que la lutte contre le pouvoir des Soviets est impossible. Et s'il se trouve maintenant en Russie quelques dizaines de personnes pour combattre ce pouvoir, ces hurluberlus ne sont pas nombreux. Ils disparaîtront dans quelques semaines, et le pouvoir des Soviets triomphera comme organisation de la classe opprimée pour le renversement des oppresseurs et l'éviction des exploiteurs.

J'en arrive maintenant au terrible fléau de l'heure présente, à la famine dont nous sommes menacés. Quelle est la cause principale de la débâcle économique ? La cause principale du marasme qui menace de la famine dans les villes et les localités industrielles réside dans la domination des saboteurs, dans le chaos économique qu'ils entretiennent et dont ils nous rendent responsables. Nous savons très bien qu'il y a assez de blé en Russie et qu'il se trouve dans le royaume de Kalédine, dans la lointaine Sibérie et dans les provinces fertiles en cette denrée. Je dois dire que jamais les classes exploitées ne pourront s'émanciper si elles ne créent un pouvoir révolutionnaire ferme et implacable. A propos des saboteurs je dirai, camarades, que nous connaissons les adresses des permanences où les fonctionnaires saboteurs venaient recevoir, contre signature, trois mois de traitements versés à l'avance, grâce aux cinq millions fournis par Riabouchinski ; d'autres sommes provenaient des impérialistes anglo-français et roumains. Voilà ce que c'est que le sabotage : l'action de vendus, de hauts fonctionnaires, ne poursuivant qu'une seule fin la chute du pouvoir des Soviets, bien que nombre d'entre eux n'en aient pas conscience. Le sabotage, c'est l'aspiration au retour de l'ancien paradis pour les exploiteurs et de l'ancien enfer pour les travailleurs. Mais, pour empêcher les saboteurs d'arriver à leurs fins, nous devons briser leur résistance.

On nous parle ensuite de la rémunération du travail des employés des chemins de fer. Ce n'est là qu'un malentendu. Il s'agit d'un seul commissaire du peuple qui a peut-être donné à cette histoire l'interprétation que l'on sait et publié ce décret, mais il l'a modifié à la première indication du Conseil des Commissaires du peuple [1]. Dire que telle était l'intention du pouvoir des Soviets, c'est montrer qu'on n'est pas au courant.

Que devons-nous faire pour remédier à la famine et à l'anarchie ? D'abord, briser la résistance des capitalistes et réduire les saboteurs à l'impuissance. Quand les partisans de la Novaïa Jizn et d'autres organes prétendus socialistes disent qu'après deux mois et demi le sabotage n'a pas cessé, je demande : pourquoi donc ne nous aidez-vous pas à mettre un terme à ce sabotage ? Les banques sont déjà passées sous la direction des Soviets. Le fait suivant s'est produit hier : un écrivain de profession, Finn-Enotaïevski, est venu me trouver et m'a déclaré au nom de 50000 hommes que les banques sont prêtes à travailler en se soumettant entièrement au pouvoir des Soviets. (Vifs applaudissements.) J'ai répondu au délégué des employés de banque : «Ce n'est pas trop tôt, allez !» Nous ne refuserons pas d'entrer en pourparlers avec une organisation, qu'il s'agisse de celle des employés de banque ou de toute autre, pour peu que cette reconnaissance du pouvoir des Soviets soit réellement le fait de la majorité des travailleurs et qu'elle ne soit pas seulement verbale, mais effective. Voilà ce que sont venus nous dire les employés de banque, accoutumés à se livrer à des tripotages sans nom de la spéculation et à prélever à l'occasion le copeck du rouble, si bien que des millions de bénéfices gonflent leurs poches.

Ils nous proposent maintenant d'ouvrir des pourparlers, mais ce ne seront pas les mêmes qu'avec Kérenski. Nous ne parlerons pas de la réforme des banques. Nous avons d'abord occupé les banques par la force armée, après quoi nous entrons en pourparlers et nous édictons des ordonnances et des arrêtés. L'important pour nous est de briser, dès le début, la résistance des saboteurs et de n'engager qu'ensuite les négociations. Voilà la seule façon de combattre la famine et l'anarchie, qui puisse venir à bout des horreurs du capitalisme et de la désorganisation. Vous savez quel marasme sans précédent s'est abattu sur le monde entier, et notamment sur la Russie où le tsarisme nous a légué la corruption, la violence, la haine et les vexations à l'égard des travailleurs. Et l'on se plaint maintenant d'anarchie. Songez-y vous-mêmes : les hommes qui ont passé trois ans dans les tranchées et sont harassés par la guerre peuvent-ils encore combattre pour que les capitalistes russes s'enrichissent, parce que les capitalistes russes ont besoin de Constantinople ? Ils voient à chaque instant que des gens dépensent des millions pour renverser le pouvoir des Soviets et rentrer en possession de la terre.

Camarades, de telles transformations ne sauraient s'achever en un jour. La révolution socialiste a commencé ; maintenant tout dépend de la naissance d'une discipline fraternelle, qui ne sera pas celle d'une caserne, qui ne sera pas celle des capitalistes, mais celle des masses laborieuses. Quand les cheminots prendront le pouvoir en main, aidés par l'organisation armée, ils vaincront le sabotage et la spéculation et se donneront pour tâche de poursuivre tous ceux qui se livrent à la corruption et nuisent au bon fonctionnement des chemins de fer. Ces gens-là doivent être poursuivis comme ayant à répondre du plus grand crime contre le pouvoir populaire. L'issue de la lutte contre les capitalistes, les saboteurs, les filous et les Riabouchinski ne dépend que d'une organisation de ce genre, de l'organisation soviétique, de sa cohésion et de son énergie. Voilà le chemin qu'il faut suivre pour vaincre la famine, parce qu'il y a de tout en Russie : du fer, du pétrole et du blé, en un mot tout ce qu'il faut pour vivre humainement. Si nous réussissons à vaincre les exploiteurs, le pouvoir et la gestion des Soviets s'établiront en Russie, et il en sera ainsi. (Vifs applaudissements.)


Notes

Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]

[1]. Il s'agit d'un décret de M. Elizarov, Commissaire du peuple aux Voies de communication, promulgué le 2 (15) janvier 1918 et relatif à la rétribution du travail des cheminots. Aux termes de ce décret, le travail des ouvriers hautement qualifiés et des ingénieurs était rétribué presque au même taux que celui des manœuvres. Le Conseil des Commissaires du peuple, à sa séance du 7 (20) janvier, annula ce décret et proposa, jusqu'à un nouveau congrès extraordinaire des cheminots de Russie, d'effectuer les payements selon les normes établies par le Conseil exécutif central de Russie le 2 (15) décembre 1917, qui faisait dépendre la rémunération de l'échelon des ouvriers et employés et des zones géographiques. [N.E.]


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