1917 |
«Pravda» n° 190, 28 (15) novembre 1917 |
Lénine Congrès extraordinaire des Soviets des députés paysan de Russie du 10 au 25 novembre (23 novembre - 8 décembre) 1917 |
Discours sur la question agraire du 14 (27) novembre
Compte rendu de presse
Sur mandat de la fraction bolchévique, le camarade Lénine expose le point de vue du Parti bolchévik sur la question agraire.
Le parti socialiste-révolutionnaire a subi un échec dans ce domaine en prêchant la confiscation des terres des propriétaires fonciers et en refusant de passer aux actes.
La grande propriété foncière est le fondement du servage, aussi la confiscation des terres des propriétaires fonciers est-elle la première mesure de la révolution en Russie. Mais la question de la terre ne peut être résolue indépendamment des autres tâches de la révolution. Afin de poser celles-ci convenablement, il est nécessaire d'analyser les étapes que la révolution a franchies. La première est le renversement de l'autocratie et l'instauration du pouvoir de la bourgeoisie et des propriétaires fonciers. Les intérêts de ces derniers se sont étroitement liés à ceux de la bourgeoisie et des banques. La deuxième étape est le renforcement des Soviets et la politique d'entente avec la bourgeoisie. L'erreur des socialistes-révolutionnaires de gauche a été de ne pas s'opposer alors à la politique conciliatrice, sous prétexte que les masses n'étaient pas assez évoluées. Le parti étant l'avant-garde d'une classe, sa mission est d'entraîner les masses à sa suite, et non pas de refléter le niveau moyen de ces masses. Mais, pour entraîner les hésitants, il faut que les camarades socialistes-révolutionnaires de gauche cessent eux-mêmes d'hésiter.
Camarades socialistes-révolutionnaires de gauche, en juillet a commencé la rupture des masses populaires avec la politique conciliatrice ; mais les socialistes-révolutionnaires de gauche tendent jusqu'à présent largement la main aux Avksentiev, en ne tendant aux ouvriers que leur petit doigt. Si la politique conciliatrice devait se prolonger, la révolution périrait. Les tâches de la révolution ne peuvent être menées à bien que si la paysannerie soutient les ouvriers. La politique conciliatrice est une tentative des masses ouvrières, paysannes et de soldats de satisfaire leurs besoins au moyen de réformes, de concessions de la part du capital, sans révolution socialiste. Mais il est impossible de donner au peuple la paix, la terre sans renverser la bourgeoisie, sans le socialisme. La révolution doit rompre avec cette politique, mais rompre avec la politique conciliatrice signifie s'engager dans la voie de la révolution socialiste.
Le camarade Lénine poursuit en prenant la défense des instructions données aux comités de canton [1] et parle de la nécessité de briser avec les équipes dirigeantes dans le genre des comités militaires, du Comité exécutif des députés paysans, etc. Nous avons emprunté aux paysans notre loi sur les comités de canton. Les paysans veulent la terre, des instruments pour la travailler, l'interdiction du travail salarié. Mais cela, on ne saurait l'obtenir sans renverser le capital. Nous leur avons dit : vous voulez les terres, mais elles sont hypothéquées et appartiennent au capital russe et international. Vous jetez un défi au capital, vous suivez dans cette action une autre voie que la nôtre, mais nous vous accordons que nous allons et devons aller vers la révolution sociale. En ce qui concerne l'Assemblée constituante, l'orateur a déclaré que l'activité de cette assemblée dépendrait de l'état d'esprit du pays ; et il a ajouté : « je dirais, moi : l'état d'esprit, c'est bien, mais n'oublie pas ton fusil ».
Le camarade Lénine s'arrête ensuite sur la question de la guerre. Quand l'orateur parle de la destitution de Doukhonine et de la nomination de Krylenko au poste de commandant en chef, on entend des rires. Cela vous paraît risible, dit-il, mais les soldats vous blâmeront pour ces rires. S'il y a ici des gens qui trouvent risible que nous ayons destitué un général contre-révolutionnaire et que nous ayons nommé Krylenko qui est parti mener les pourparlers [2] à l'encontre de ce général, nous n'avons rien à nous dire, ces gens-là et nous. Avec ceux qui n'admettent pas la lutte contre les généraux contre-révolutionnaires, nous n'avons rien de commun, nous préférerons abandonner le pouvoir, entrer, peut-être, dans la clandestinité, mais nous n'aurons rien de commun avec ces gens-là.
Notes
Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]
[1]. Il s'agit des instructions sur l'activité des comités agraires de canton ratifiées par le 1er Congrès des Soviets des députés ouvriers et soldats de Russie le 23 juin (6 juillet) 1917 et publiées le 3 (16) novembre 1917 comme loi « Sur les comités de canton ». [N.E.]
[2]. Il s'agit de l'ouverture des pourparlers de paix avec l'Allemagne.
Après la publication du Décret sur la paix, adopté au IIe Congrès des Soviets de Russie, le gouvernement soviétique prit plusieurs mesures pratiques pour conclure une paix démocratique entre les divers belligérants. Le 7 (20) novembre 1917, le Conseil des commissaires du peuple par un arrêté spécial obligea le Commandant en chef Doukhonine à proposer aux commandements des armées ennemies de cesser le feu et à ouvrir des pourparlers de paix. Il y était dit que le Conseil des Commissaires du peuple « estime nécessaire de faire une proposition formelle d'armistice à tous les pays belligérants que ce soit nos alliés ou les pays qui nous font la guerre » (Les lzvestia du Conseil exécutif central, n° 221 du 10 novembre 1917). Mais les généraux contre-révolutionnaires, liés aux missions militaires des pays de l'Entente, faisaient tout pour empêcher la conclusion de l'armistice. Le 8 (21) novembre, le Commissariat du peuple aux Affaires étrangères adressa une note aux ambassadeurs des puissances alliées dans laquelle il proposa de conclure immédiatement un armistice sur tous les fronts et d'ouvrir des pourparlers de paix. Le 9 (22) novembre, les ambassadeurs des pays de l'Entente, réunis à l'ambassade des Etats-Unis à Pétrograd, décidèrent de ne pas tenir compte de cette note du Gouvernement soviétique.
Devant le refus des impérialistes de l'Entente de soutenir l'initiative de paix du Gouvernement soviétique, face à leurs tentatives d'empêcher la conclusion de la paix, le Conseil des Commissaires du peuple fut obligé d'engager des pourparlers de paix séparés avec l'Allemagne. Le 14 (27) novembre, le Quartier Général allemand se déclara prêt à ouvrir les pourparlers. Sur la proposition du Gouvernement soviétique, l'ouverture des pourparlers fut ajournée de cinq jours, pour donner encore une fois la possibilité aux gouvernements des pays de l'Entente de préciser leur attitude envers la signature de la paix. Le 15 (28) novembre, le Gouvernement soviétique appela les gouvernements et les peuples de tous les pays belligérants à s'associer aux pourparlers de paix. Les puissances alliées ne répondirent pas à cet appel.
Le 19 novembre (2 décembre), la délégation du Gouvernement soviétique, conduite par A. Ioffé, arriva dans la zone neutre pour se rendre ensuite à Brest-Litovsk où se trouvaient la délégation du bloc austro-allemand et les représentants de la Bulgarie et de la Turquie. A l'issue des pourparlers qui eurent lieu les 20-22 novembre (3-5 décembre), on convint de suspendre les hostilités pour dix jours. Profitant, de ce répit, le Gouvernement soviétique tenta encore une fois de transformer les pourparlers sépares avec l'Allemagne en des pourparlers sur une paix démocratique générale. Le 24 novembre (7 décembre), le Gouvernement soviétique adressa de nouveau une note aux ambassadeurs des puissances alliées pour les inviter à prendre part aux pourparlers. La note fut laissée sans réponse. Le 2 (15) décembre, les pourparlers reprirent. Le même jour fut conclu un armistice pour 28 jours. L'accord sur l'armistice prévoyait la convocation d'une conférence pour la paix qui s'ouvrit le 9 (22) décembre à Brest-Litovsk. [N.E.]