1909

Supplément à « Prolétari » n°47-48, 11 (24) sept. 1909.

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La fraction des partisans de l'otzovisme et de la construction de Dieu

Lénine


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Pour tout marxiste ayant tant soit peu réfléchi à la conception du monde de Marx et d'Engels, pour tout social‑démocrate tant soit peu familiarisé avec l'histoire du mouvement socialiste international, cette transformation de l'une des formes inférieures de combat en arme spécifique de lutte à un moment historique particulier ne présente absolument rien d'étonnant en soi. Les anarchistes n'ont jamais été capables de comprendre cette chose si simple. A présent, nos otzovistes et leurs sous‑fifres évincés s'efforcent d'introduire dans le milieu social‑démocrate russe les modes de raisonnement anarchistes en proclamant (comme Maximov et Cie) qu'au Prolétari règne la théorie d'un « parlementarisme à tout prix ».

Pour montrer à quel point ces clameurs de Maximov et Cie sont peu intelligentes et peu social‑démocratiques, il faut tout recommencer depuis le début. Réfléchissez un peu, ô victimes d'une injuste révocation, à ce qui fait la différence spécifique de politique et de tactique entre la social‑démocratie allemande et les partis ouvriers socialistes des autres pays. Utilisation du parlementarisme, transformation d'un parlementarisme bourgeois‑junker (ce qui correspond à peu près en russe à octobristes [1] Cent‑Noirs) en instrument d'éducation socialiste et d'organisation des masses ouvrières. Cela signifie‑t‑il que le parlementarisme est une forme supérieure de la lutte du prolétariat socialiste ? Les anarchistes du monde entier pensent que oui. Cela signifie‑t‑il que les social‑démocrates allemands soutiennent un parlementarisme à tout prix ? Les anarchistes du monde entier pensent que oui et c'est pourquoi ils n'ont pas de pire ennemi que la social‑démocratie allemande, pas de cible qu'ils préfèrent aux social‑démocrates allemands. En Russie aussi, quand nos social‑révolutionnaires [2] commencent à flirter avec les anarchistes et à faire la réclame de leur « esprit révolutionnaire », ils se croient obligés d'aller cueillir l'une ou l'autre des gaffes réelles ou imaginaires des social‑démocrates allemands pour en tirer des conclusions contre la social‑démocratie.

Poursuivons. En quoi consiste l'erreur de jugement des anarchistes ? En ceci : étant donné l'image radicalement fausse qu'ils se font de l'évolution sociale, ils sont incapables de prendre en considération les particularités de la situation politique (et économique) concrète dans les différents pays, particularités qui déterminent, pour une période donnée, l'importance spécifique d'un moyen de lutte ou d'un autre. En fait, la social-démocratie allemande non seulement ne soutient pas le parlementarisme à tout prix, non seulement ne sacrifie pas tout et tout le monde au parlementarisme, mais au contraire elle a su mieux que quiconque dans l'armée internationale du prolétariat se servir d'armes extra-parlementaires, telles que la presse socialiste, les syndicats, l'utilisation systématique des réunions populaires, l'éducation de l'esprit socialiste chez les jeunes, etc., etc.

Quel est donc le fond de l'affaire ? C'est qu'en Allemagne, à une période donnée, tout un ensemble de conditions historiques ont fait du parlementarisme une arme spécifique de lutte, ni plus importante, ni plus puissante, ni plus essentielle que les autres armes, ni supérieure à elles, mais très exactement spécifique, c'est-à-dire, plus caractéristique de ce pays comparé aux autres pays. Savoir utiliser le parlementarisme s'est trouvé être, pour cette raison, le symptôme (non pas la condition, mais le symptôme) d'une organisation modèle de toute l'action socialiste, dans toutes ses ramifications que nous avons énumérées plus haut.

Passons d'Allemagne en Russie. Ceux qui auraient l'idée de mettre en parallèle les conditions de l’un et de l'autre pays tomberaient dans une série d'erreurs grossières. Mais essayez de poser la question comme doit obligatoirement la poser un marxiste : en quoi consiste le trait spécifique de la politique et de la tactique des social-démocrates russes au moment présent ? Nous devons conserver et renforcer le parti illégal, tout comme avant la révolution. Nous devons inlassablement préparer les masses à une nouvelle crise révolutionnaire, comme dans les années 1897-1903. Nous devons, par tous les moyens, renforcer les liens entre le parti et les masses, développer et utiliser, aux fins du socialisme, toutes les organisations ouvrières possibles, comme tous les partis social-démocrates sont toujours et partout tenus de le faire. La tentative (tentative malheureuse) faite par la vieille autocratie de résoudre les nouveaux problèmes historiques grâce à la Douma des octobristes et des Cent-Noirs est un trait spécifique du moment. C'est pourquoi, pour les social-démocrates, l'utilisation de cette Douma à leurs propres fins, aux fins de diffuser les idées de révolution et de socialisme, est également l'objectif spécifique de leur tactique. L'important n'est pas de savoir si cet objectif spécifique est particulièrement élevé, s'il ouvre de larges perspectives, s'il est à la hauteur, ou si du moins il se rapproche en valeur des objectifs qui se sont présentés au prolétariat, par exemple, dans les années 1905-1906. Non. L'important, c'est que ce soit le trait spécifique de la tactique du moment présent, bien distinct de la période passée et de celle à venir (car cette dernière nous apportera probablement des objectifs spécifiques plus complexes, plus élevés, plus intéressants que celui d'utiliser la III° Douma). On ne saurait se rendre maître du moment présent, on ne saurait résoudre l'ensemble des problèmes qu'il pose au parti social-démocrate sans avoir atteint l'objectif spécifique du moment, sans avoir transformé la Douma octobriste et Cent-Noirs en instrument d'agitation social-démocrate.

Emboîtant le pas aux bolcheviks, nos intarissables otzovistes parlent entre autres de tenir compte de l'expérience de la révolution. Mais ils ne savent pas de quoi ils parlent. Ils ne comprennent pas que pour tenir compte de cette expérience il faut y inclure la défense des idéaux, des objectifs et des méthodes de la révolution depuis la Douma. Si l'on ne sait pas défendre ces idéaux, objectifs et méthodes depuis la Douma, par le truchement de ceux des ouvriers de notre parti qui peuvent y être élus et qui l'ont été, c'est que l'on ne sait pas faire le premier pas lorsqu'il s'agit de tenir compte de l'expérience politique de la révolution (car il ne s'agit pas ici, bien sûr, d'expérience théorique, d'après des traités et des analyses). Ce premier pas ne saurait en aucun cas épuiser notre objectif. Le second et le troisième seront incomparablement plus importants; ce sera la transformation d'une expérience, dont les masses tiennent déjà compte, en bagage idéologique pour une nouvelle action historique. Mais puisque ces mêmes intarissables otzovistes parlent d'époque « inter-révolutionnaire », ils devraient comprendre (pour peu qu'ils sachent réfléchir et raisonner en social-démocrate) qu'« inter-révolutionnaire » veut justement dire : où sont à l'ordre du jour des tâches élémentaires, préliminaires. « Inter-révolutionnaire » qualifie une situation instable, indécise, où le vieux pouvoir, convaincu de l'impossibilité de gouverner avec l'aide des seuls instruments du passé, essaie d'utiliser un nouvel instrument dans le contexte général de l'ancien régime. C'est là une tentative intrinsèquement contradictoire, impossible à laquelle a de nouveau recours l'autocratie, tentative qui la conduira inévitablement à la faillite et qui nous conduira à la répétition de la glorieuse époque et des glorieux combats de 1905. Mais elle n'y a pas recours de la même façon qu'en 1897‑1903, elle ne conduit pas le peuple vers la révolution de la même façon qu'en 1905. C'est ce « pas de la même façon » qu'il faut savoir interpréter ; il faut savoir changer de tactique, en ajoutant à tous les objectifs essentiels, généraux, capitaux, primordiaux de la social‑démocratie révolutionnaire un autre objectif moins important, mais spécifique du nouveau moment, du moment présent : celui de l'utilisation révolutionnaire et social-démocrate de la Douma Cent‑Noirs.

Comme tout nouvel objectif, celui‑ci semble plus difficile à réaliser que les autres, car il exige non pas une simple répétition de slogans appris (chez les otzovistes et Maximov, l'esprit ne va pas plus loin), mais une certaine initiative, de la souplesse d'esprit, de l'ingéniosité, du travail personnel sur un objectif historique original. Mais au fond, cet objectif ne peut paraître spécialement difficile qu'à ceux qui ne savent pas réfléchir et travailler d'une manière personnelle; en fait, il est, comme tout objectif spécifique du moment, plus facile à atteindre que les autres, car la solution du problème se trouve précisément dans les conditions du moment présent. A une époque de « réaction intense et renforcée », résoudre le problème d'une organisation vraiment sérieuse de « groupes et d'écoles d'instructeurs », c'est‑à‑dire d'une organisation grâce à laquelle ceux‑ci seraient réellement reliés au mouvement de masse, réellement soumis à lui, est tout à fait impossible, car le problème est mal posé, il est posé par des gens qui ont copié la formule sur une bonne brochure se référant aux conditions d'un autre moment. Mais il est possible de se fixer comme objectif de subordonner au parti des masses et aux intérêts de celles‑ci les discours, les interventions, la politique des social-démocrates à la III° Douma. Ce n'est pas facile, si ce que l'on entend par « facile » c'est de réciter ce qu'on a appris, mais c'est réalisable. Nous aurons beau tendre à présent toutes les forces du parti, nous ne pourrons pas régler le problème de l'organisation social‑démocrate (et non anarchiste) d'« écoles d'instructeurs » à l'époque « inter‑révolutionnaire » actuelle, car pour accomplir cette tâche, il faudrait de tout autres conditions historiques. En revanche, en tendant toutes nos forces, nous réglerons le problème (et nous avons déjà commencé à le faire) de l'utilisation révolutionnaire et social‑démocrate de la III° Douma; ceci non pas, ô otzovistes et ultimatistes mortifiés par votre révocation et peu gâtés par la nature ! pour mettre le parlementarisme sur un piédestal, pour proclamer le « parlementarisme à tout prix », mais pour pouvoir après avoir atteint l'objectif « inter‑révolutionnaire » correspondant au moment « inter‑révolutionnaire » actuel, passer à des objectifs révolutionnaires beaucoup plus élevés qui correspondront à l'époque plus élevée, c'est‑à‑dire plus révolutionnaire de demain.


Repères

[1] Octobristes : membres de l’ « Union du 17 octobre », en référence à un manifeste du tsar du 17.10.1905. Défendait les intérêts de la grande bourgeoisie et des propriétaires fonciers.

[2] Les social‑révolutionnaires, les socialistes‑révolutionnaires (les s.‑r.), parti apparu en Russie fin 1901‑début 1902, à la suite de la fusion de divers groupes et cercles populistes.

Le programme des socialistes‑révolutionnaires, prévoyait l'abolition de la propriété privée de la terre et sa remise aux communautés rurales sur la base d'une jouissance égalitaire. Les s.‑r. ne voyaient pas de différences de classe entre le prolétariat et la paysannerie, estompaient la stratification de classe et les contradictions au sein de la paysannerie (entre paysans laborieux et koulaks), niaient le rôle spécifique du prolétariat. La politique des socialistes‑révolutionnaires était caractérisée par son aventurisme (terrorisme, etc.).


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