1922

 

Source : Bulletin communiste n° 18 (troisième année), 29 avril 1922, précédé de l'introduction suivante :
« L'article de notre camarade Lucie Leiciague a été écrit par elle avant la manifestation commune des indépendants et des communistes berlinois. Il n'en complète pas moins utilement celui de notre camarade R. Albert et c'est pourquoi nous n'hésitons pas à le publier. »

Après la conférence

Lucie Leiciague


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On sait, par les témoignages concordants de notre ami L. Revo dans l'Humanité et du citoyen F. Caussy, dans le Populaire, l'immense succès obtenu par la manifestation commune du 20 avril à Berlin.

C'est une chose inoubliable.

Pour la première fois depuis le massacre mondial se sont rencontrés, assis à la même table, des hommes venus des deux pôles de l'Internationale : ceux qui se sont soumis à la guerre et à ses conséquences, ceux qui ont résisté et luttent révolutionnairement pour la chute du capitalisme criminel.

Cela s'est fait sans effusions bruyantes ; c'est en silence que les délégués sont entrés en séance, se regardant comme des gens qui viennent de loin et se reconnaissent à peine. Chacun garde sa physionomie et sa personnalité propres. La 2e Internationale est lourde d'un passé chargé, la 3e, impétueuse et résolue, l'Union de Vienne, ondoyante et floue.

Quel est le miracle qui a réuni là des groupes si divers ? La force des événements et aussi le courant qui porte les masses vers une action solidaire et unie de tous les exploités. C'est à quoi ont obéi, avec plus ou moins de bonne grâce, les trois organisations. La 3e Internationale, l'oreille toujours tendue aux aspirations des masses, est venue avec la volonté ferme de répondre aux nécessités impérieuse du moment. Elle se raidira pour aboutir, elle refoulera tous les justes ressentiments qu'a accumulés en elle l'expérience des dernières années. La déclaration lue par Clara Zetkin en son nom expose cette contrainte et cette volonté, qui n'impliquent aucun abandon des principes, aucun désaveu du passé, aucunes concessions pour l'avenir. Il s'agit d'actions proches, immédiatement pratiques, comme la lutte contre l'offensive capitaliste et réactionnaire, la lutte contre les guerres possibles, l'appui à donner à la reconstruction de la Russie soviétique, la dénonciation du Traité de Versailles, qui, entre autres maux, maintient dans la détresse les régions dévastées. Enfin, se pose la question d'une Conférence générale des organisations politiques et syndicales à tenir simultanément avec celle de Gênes.

A ce programme précis et limité, la 2e Internationale oppose des conditions. Qu'est-ce qui préoccupe la 2e Internationale ? Non pas les pertes irréparables de la grande guerre, les millions de morts, de blessés, de mutilés ; non pas la situation tragique de la Russie révolutionnaire épuisée par sa lutte héroïque contre un monde d'ennemis, non pas la misère qui est tombée sur le monde, non pas le chaos économique. Non, ce qui la préoccupe, c'est la Géorgie, qui ne saurait se passer de Tseretelli ; ce sont les socialistes-révolutionnaires, coupables seulement — comme l'a dit MacDonald dons une analogie vraiment énorme — d'avoir sincèrement voulu renverser le pouvoir bolcheviste qu'ils tenaient pour mauvais, comme Rosa Luxemburg avait tenté de renverser en Allemagne le régime qu'elle tenait aussi pour mauvais. Ce qui la préoccupe, enfin, c'est le noyautage communiste, la menace d'empoisonnement dont Vandervelde, au nom de la 2e Internationale, proclame bien haut vouloir se garder.

Ah ! comme la riposte nerveuse de Radek éclata en sonorités claires dans l'air qui commençait à s'alourdir ! Que de griefs la 3e Internationale n'aurait-elle pas à formuler contre ceux, qui se posent en juges, qui se font les avocats de la Géorgie et ignorent l'Irlande et tant d'autres pays assujettis, qui réclament justice pour les contre-révolutionnaires et se taisent sur les répressions bourgeoises et les victimes de la révolution ! Le problème de Géorgie, la Russie soviétique est prête à le discuter au grand jour ; le procès des socialistes-révolutionnaires, il se fera publiquement avec toutes les garanties nécessaires.

Et, maintenant, veut-on que cette conférence soit une conférence d'action ou de discussion ? Telle est la question posée par Radek et à quoi la 2e Internationale doit répondre. Le dialogue se passe pendant une grande partie de la Conférence, entre la 2e et la 3e Internationale, et les flèches lancées de part et d'autre sifflent par-dessus la tête de l'Union de Vienne, dont la table est placée au centre. De cette table se lèveront pourtant des hommes qui. emportés par la force irrésistible de la vérité, diront des paroles sévères contre les conditions et les ultimatums de la 2e Internationale. C'est d'abord l'autonome Serrati, puis Otto Bauer, qui, il est vrai, selon l'expression de Radek, fera comme le bon Dieu et distribuera le blâme tour à tour à droite et à gauche. Il nous dira comment les communistes ont leur part de responsabilité dans la méfiance des représentants de la 2e Internationale. Car ceux-ci ont encore, on le sait, posé la condition de confiance aux organisations qui s'engageraient dans une action commune. Comment pourrait-on regretter la scission après ce que l'on vient de voir, en présence de ces hommes qui n'ont rien appris, rien oublié ? La confiance avant l'épreuve ? « Non, dira Radek. Mais entreprenez des actions avec nous et faites la démonstration de votre bonne foi ; nous n'avons pas besoin, nous, de recourir à des manœuvres : nous gagnerons dans les deux cas : que vous restiez honnêtement dans la lutte, ou que vous trahissiez. »

L'une et l'autre attitude, en effet, poseront un problème autrement important, non pas le problème de la confiance mutuelle des organisations les unes dans les autres, mais le problème de la confiance des masses dans les chefs, mis en demeure de se prononcer sur telle ou telle question d'intérêt prolétarien immédiat.

Où en sommes-nous, aujourd'hui ? Ici, en Allemagne, dans le Parti Communiste, on s'apprête activement à mettre en pratique les démonstrations communes décidées par la Conférence de Berlin du 20 avril. La Fédération berlinoise a lancé des lettres d'appel. Les indépendants ont répondu favorablement, tandis que les social-démocrates majoritaires, reniant déjà la signature apposée par eux au bas de la résolution commune, refusent leur participation. Mais les masses majoritaires suivront-elles ? Déjà, des organisations locales, appartenant aux trois Internationales, comme à Düsseldorf, s'entendent pour des démonstrations communes qui se feront sans les chefs, si les chefs se dérobent. Et voilà, semble-t-il, des perspectives heureuses d'avenir pour l'unité de front avec les masses, qui est le but final.


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