1976 |
Texte publié dans « La Vérité » n° 573 de septembre 1976. Ce texte a dû être écrit au printemps 1976 et a servi à bâtir le premier exposé des camps de l'OCI de cette année-là. |
Objectif - subjectif
Le point de vue de l'ancien matérialisme et celui du matérialisme historique, dialectique
L'être détermine la conscience. Ce point de vue est partagé par le vieux matérialisme. Si l'on ne part pas de là, on aboutit à de véritables hallucinations, idéalisations ; soit la révélation, comme dans les religions, soit la « chose en soi » comme Kant, soit « l'Idée absolue » à la manière de Hegel, au comportement si étrange aux dires de Marx. Mais le vieux matérialisme avait deux défauts fondamentaux, ce qui finalement le ramenait à l'idéalisme.
Il concevait le monde, l'univers, et finalement la société humaine, comme des données fixes. Le bien, le mal, la morale, comme des données fixes. La nature était toujours identique à elle-même. Même s'il y avait une certaine évolution de la société, c'était pour aboutir à des rapports éternels, fixes. La seule progression possible était donc du domaine de l'esprit dans ses différentes déterminations.
A l'inverse, il contenait un fatalisme certain. Puisque les conditions matérielles déterminaient l'existence, l'activité des hommes, des classes comme telles, était secondaire, sinon inexistante. Elle n'était que simple conséquence. Elle était déterminée de toute éternité.
Dans les thèses sur Feuerbach, Marx était déjà explicite (« Idéologie allemande » - p. 30 - Thèse I) :
« Le principal défaut jusqu'ici du matérialisme de tous les philosophes y compris celui de Feuerbach est que l'objet, la réalité du monde sensible, n'y sont saisis que sous la forme d'objets ou d'intuitions, mais non en tant qu'activité, humaine concrète, non en tant que pratique de façon subjective. C'est ce qui explique pourquoi l'aspect actif fut développé par l'idéalisme, en opposition au matérialisme. Mais seulement abstraitement, car l'idéalisme ne connaît naturellement pas l'activité réelle concrète, comme telle. Feuerbach veut des objets concrets réellement distincts des objets de la pensée ; mais il ne considère pas l'activité humaine elle-même en tant qu'activité objective. C'est pourquoi dans « l'Essence du christianisme », il ne considère comme authentiquement humaine que l'activité théorique, tandis que la pratique n'est saisie et fixée par lui que dans sa manifestation -juive sordide. C'est pourquoi il ne comprend pas l'importance de l'activité « révolutionnaire », de « l'activité pratique-critique ». »
Ce type de matérialisme ouvre la porte à l'idéalisme philosophique : l'Esprit, décrivant des volutes, pour aboutir à l'Idée absolue qui, ainsi que le dit Marx (« Manuscrit de 1844 » - p. 144) de cette dialectique idéaliste, vidée de son contenu matériel, réduite à la forme pure, idéale, « passe pour le processus divin » (prenons garde aux jeux dialectiques dépourvus de contenu : c'est pur et simple idéalisme, la recherche du divin).
C'est pourquoi le matérialisme dialectique ne peut dissocier contenu, forme et méthode, et que Marx et Engels affirmaient dès « L'Idéologie allemande » (pp. 51 et 52) :
« Dès que l'on représente ce processus d'activité vitale, l'histoire cesse d'être une collection de faits sans vie, comme chez les empiristes ; ou l'action imaginaire de sujets imaginaires, comme chez les idéalistes. C'est là où cesse la spéculation, c'est dans la vie réelle que commence la science réelle, Positive, l'exposé de l'activité pratique, du développement pratique des hommes. Les phrases creuses sur la conscience cessent, un savoir réel doit les remplacer. Dès lors qu'est exposée la réalité, la philosophie cesse d'avoir un milieu où elle existe de façon autonome. A sa place, on pourra tout au plus mettre une synthèse des résultats les plus généraux qu'il est possible d'abstraire de l'étude du développement historique des hommes. Ces abstractions, prises en soi, détachées de l'histoire réelle, n'ont aucune valeur. Elles peuvent tout au plus servir à classer plus aisément la matière historique, à indiquer la succession et les stratifications particulières. Mais elles ne donnent en aucune façon comme la philosophie une recette, un schéma selon lequel on pourrait accommoder les époques historiques. »
C'est ainsi que l'on parvient à donner toute sa place à l'activité pratique, instinctive, intuitive, semi-consciente, consciente des hommes, des classes, La conscience cesse d'être une abstraction générale et absolue, mais une donnée relative et déterminée. Les idées cessent de procéder de l'Idée absolue, pour devenir les produits de l'activité humaine, justes ou fausses. Mais dont l'existence est d'autant plus déterminante qu'elles sont produits de l'activité humaine et qu'elles deviennent instruments du sujet, les hommes concrets déterminés. D'ailleurs, les idées elles-mêmes sont une forme de la matière, une forme de l'énergie.
Donc, loin d'écarter la conscience, les idées, le matérialisme historique et dialectique les fait procéder de l'activité humaine au sein de la société et vis-à-vis de la nature, et par là tend à mettre les rapports objet-sujet, sujet-objet en accord. De ce fait, la conscience (toujours relative), les idées, deviennent les leviers puissants du sujet agissant et pensant, pensant et agissant, dans son activité pratique qui, à son tour, est source du développement du conscient, des idées, et ainsi de suite.
La vrai question n'est pas de savoir si le conscient, les idées, l'activité pratique des hommes sont étroitement imbriquées. C'est l'action pratique des hommes qui fait l'histoire, et tout action de l'homme social exige la mise en action de ses sens, de son cerveau qui produit les idées, si peu raisonnées qu'elles soient.
« On ne saurait éviter que tout ce qui met les hommes en mouvement passe nécessairement par leur cerveau, même le manger et le boire, qui commencent par une sensation de faim et de soif, éprouvée par le cerveau, et se terminent par une impression de satiété, ressentie également par le cerveau. Les répercussions du monde extérieur sur l'homme s'expriment dans son cerveau, s'y reflètent sous formes de sensations, de pensées, d'impulsions, de volitions, bref sous forme de « tendances idéales », et deviennent sous cette forme des « puissances idéales ». » (« Ludwig Feuerbach » - p. 20.)
La véritable question est celle que pose la XI° et dernière Thèse sur « Feuerbach » :
« Les Philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde, de différentes manières, mais il s'agit de le transformer. »
Encore pour y répondre correctement, faut-il lire et comprendre correctement cette proposition. Beaucoup lisent et comprennent : il ne s'agit pas d'interpréter le monde, ce n'est pas la peine de l'interpréter, il faut le transformer. Cette proposition ne dit absolument pas cela, elle dit que l'interprétation du monde est nécessaire, est indispensable à l'activité pour le transformer, bien qu'elle soit toujours partielle, limitée, en devenir.
D'ailleurs, la VI° Thèse est d'une précision remarquable:
« La vie sociale est essentiellement pratique. Tous les mystères qui détournent la théorie vers le mysticisme trouvent leur solution rationnelle dans la pratique humaine et dans la compréhension de cette pratique. »
Ce qui signifie « ne laissons pas détourner la théorie vers le mysticisme; la pratique, son analyse, nous permet et nous permettra de trouver la réponse théorique rationnelle ; ainsi armés, nous développerons, nous approfondirons notre pratique ».
Mais qu'est-ce que la « théorie » ? Rien d'autre qu'un ensemble de concepts, d'idées, d'abstractions, qui reflètent dans notre cerveau plus ou moins exactement les choses, les rapports, le mouvement du monde extérieur, de la société, desquels chacun de nous est une composante. Ajoutons cependant que la théorie, si nous la percevons individuellement, est elle-même et ne peut être qu'un produit social.
Ce dont il s'agit est bien d'empêcher que la théorie soit détournée vers le mysticisme, l'idéologie, la philosophie, et qu'elle devienne toujours plus étroitement conforme et en relation à son objet.