1965 |
"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne." |
Défense du trotskysme (1)
Le pablisme et le « mouvement réel des masses »
En août 1953, pour ordonner leur lutte, les travailleurs avaient besoin d'une perspective politique clairement exprimée. La question décisive était celle du pouvoir, donc celle d'un mot d'ordre de gouvernement. Il n'aurait pas suffi que les directions syndicales, la C.G.T. en particulier, ouvrent la perspective du renversement du gouvernement Laniel. Mais il était indispensable qu'elles le fassent, pour donner toute sa signification à la grève, appeler à la grève générale toute la classe ouvrière, appeler à la constitution de comités de grève à tous les échelons, jusqu'au comité national de grève et aux manifestations de masse, et contraindre ainsi les dirigeants de F.O. à réaliser le Front unique ou à se démasquer. La clé du Front unique ouvrier, c'était de donner toute sa force à l'initiative des masses. Il ne faut pas oublier que la grève générale résultait de l'initiative des travailleurs qui étaient passés par-dessus les frontières des organisations syndicales. Agir ainsi était la seule façon de donner au mouvement sa puissance. Et c'est en se fondant sur cette puissance que l'on pouvait réaliser un front de classe solide. En même temps, donner toute sa puissance à la grève ouvrait de fait la lutte pour le renversement révolutionnaire de Laniel. Une politique ne se découpe pas en tranches. Ouvrir la perspective du renversement de Laniel, donner toute sa puissance à la grève, réaliser le Front unique des organisations syndicales et le Front unique de toutes les organisations politiques et syndicales de la classe ouvrières : ces quatre points n'étaient, en réalité, que quatre aspects d'une seule et même politique de classe.
En un certain sens, une organisation syndicale est un Front unique permanent des masses travailleuses, à la différence d'un parti, qui, lui, est l'organisation d'une avant-garde, constituée sur la base d'un programme achevé, qui embrasse l'ensemble des problèmes de la révolution prolétarienne dans leurs dimensions internationales, avec sa discipline et les méthodes d'organisation qui lui sont propres. De là découle que l'organisation syndicale doit aborder les problèmes politiques d'une façon différente, beaucoup plus directement en fonction de l'action immédiate. Mais elle ne peut échapper aux problèmes politiques. Et ne pas les poser, c'est, en fait, choisir une certaine politique. Il en était ainsi en ce qui concerne la C.G.T. en août 1953.
Dans une « Note politique n°1 » , datée du 25 août 1953, le groupe pabliste français (fonctionnant, ne l'oublions pas, sous le contrôle direct et étroit du « S.I. » ) affirmait :
« Dans l'ensemble, la politique de la C.G.T. a été correcte en ce sens qu'elle a agi sans sectarisme, sans tenter d'introduire des mots d'ordre autres que ceux formulés par les grévistes eux-mêmes, et qu'elle a contribué à impulser une véritable politique d'unité d'action jusqu'à l'échelon des fédérations, en soutenant par ailleurs l'initiative des grands partis ouvriers qui réclamaient la convocation de l'Assemblée (alors en vacances). Les mots d'ordre lancés par la C.G.T. permettaient une action réelle et l'unité à la base. Mais la critique essentielle qu'il lui faut adresser - critique évidemment non secondaire - c'est qu'elle n'a pas mené la politique de Front unique syndical jusqu'à l'échelon de la confédération. »
Quelques exemples vont suffire à illustrer « la politique dans l'ensemble correcte de la C.G.T. ».Nous l'avons vu, c'est à l'initiative des postiers de Bordeaux qu'a démarré la grève générale. Le 5 août, la Fédération postale F.O. lançait le mot d'ordre de grève générale illimitée de la corporation. La fédération C.G.T., elle, appuyait le mouvement, mais sans lancer le mot d'ordre de grève générale, bien que ses militants le lui aient demandé. A la R.A.T.P., un premier débrayage était imposé par les travailleurs le vendredi 7 août. Alors que de TOUS les dépôts, terminus, ateliers, etc.... depuis le matin 8 heures, l'ordre de grève était réclamé à TOUS les syndicats - le premier qui donnera l'ordre de grève sera suivi par TOUT le personnel - il faudra attendre 11 h 20 pour que, ensemble, ils donnent l'ordre de grève. L'enthousiasme était incroyable, bientôt suivi d'amertume et de colère : l'ordre de grève était limité jusqu'au soir minuit. La grève s'étendait comme une traînée de poudre : électriciens, gaziers, cheminots, travailleurs de la R.A.T.P., etc..., débrayaient spontanément au cours de la journée du mardi 11 août ; alors les organisations syndicales, sur proposition de la C.G.T., donnèrent un ordre de grève de 24 heures pour le lendemain mercredi, qu'ils renouvelleront le jeudi, et ainsi de suite.
Au cours de la phase ascendante du mouvement, l'appareil de la C.G.T. fut, à tous les niveaux, le poids lourd de la grève. Il lui aurait suffi de prendre la tête, de proposer un programme général de la grève, d'appeler partout à la formation de Comités de grève, jusquau comité central de la grève générale, de donner l'ordre de grève générale, d'appeler la grève à prendre possession de la rue, de l'unifier en coulant dans une puissante manifestation de masse toutes les corporations en lutte pour en faire la classe en marche. « Gauchisme ? » Qui ne se rend pas compte de ce que signifient cinq millions de travailleurs se mettant en grève spontanément, par leurs propres moyens, n'a jamais participé à une grève ou est imperméable à la compréhension de la lutte des classes. Les revendications mises en avant par les travailleurs eux-mêmes ? Il suffisait, dans la période ascendante du mouvement, de prononcer à une tribune : « A bas Laniel ! », pour être applaudi frénétiquement. En portant atteinte aux régimes de maladie et de retraite, le gouvernement fournissait - par une faute de calcul tactique - le mot d'ordre unificateur, commun, qui permettait, après des années de mouvements partiellisés, le combat « tous ensemble » . Les travailleurs l'utilisaient - à défaut d'autres, que se refusaient à lancer les directions ouvrières. Voilà ce que prouvaient la grève et la façon dont elle s'était réalisée. Non seulement la classe ouvrière était prête à reprendre toute revendication au niveau le plus élevé, mais le mouvement en avait besoin pour garder son unité et croître en puissance.