1965 |
"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne." |
Défense du trotskysme (1)
Le pablisme et le « mouvement réel des masses »
Depuis la fin de 1947 jusqu'au 4 juin 1952, l'appareil stalinien a utilisé l'énorme potentiel révolutionnaire accumulé dans les profondeurs du mouvement ouvrier français pour faire pression sur la bourgeoisie française qu'il s'efforçait de détacher de l'alliance atlantique. Les mouvements qu'il déclenchait devaient répondre à deux conditions : avoir une puissance suffisante pour ébranler la bourgeoisie, être limités et soigneusement contrôlés pour ne pas mettre en cause le régime capitaliste lui-même, pour ne pas risquer que la classe ouvrière prenne conscience de sa force et déborde l'appareil. Les grèves de novembre-décembre 1947 mettront en action, mais par vagues successives à objectifs limités et souvent particularisés, les forces les plus importantes du prolétariat. La grève des mineurs d'octobre-novembre 1948 sera strictement limitée à cette corporation ; mais de véritables batailles rangées mettront aux prises, dans les régions minières, les forces de répression, se comptant par dizaines de milliers, et les mineurs. D'autres grèves de moindre envergure eurent lieu, en 1950 et 1951. Enfin, le 28 mai 1952, à l'occasion de la prise de commandement du S.H.A.P.E. par le général Ridgway, ancien commandant des troupes américaines en Corée, le P.C.F., sous l'égide du « Mouvement de la paix » , mobilisa 50000 militants ouvriers pour une manifestation « dure » . La manifestation présentait un caractère aventuriste certain. Elle était préparée sur la ligne de la guerre froide, qui fait passer à l'intérieur de la classe ouvrière une délimitation selon la division du monde en « blocs » . Elle s'inscrivait dans une politique qui n'ouvrait aucune autre perspective à la classe ouvrière que de contraindre la bourgeoisie française à collaborer avec le Kremlin, plutôt qu'avec Washington. Malgré tout, contre des dizaines de milliers de policiers et de C.R.S., pendant des heures, les manifestants tiendront la rue, au prix de sanglants affrontements. Et le gouvernement ayant arrêté pour quelques jours Jacques Duclos (sous le prétexte d'un complot, le « complot du pigeon voyageur » ), la C.G.T. déclencha le 4 juin une grève générale de protestation à laquelle participèrent presque exclusivement les militants du P.C.F., et qui souligna l'isolement où la politique de l'appareil les avait conduits.
L'énergie révolutionnaire dilapidée au cours de ces quelques années est incalculable. Cette seule période suffirait pour démontrer combien mensongères sont les affirmations de Frank et autres sur l'absence de luttes révolutionnaires au cours de ces quinze dernières années. (Il faut d'ailleurs relever qu'à l'époque, Frank brandissait la première page de l'« Humanité » , avec la photographie d'une des manifestations organisées par le P.C.F. dans cette période (celle du 12 février 1952), au 10° plénum du Comité Exécutif International, pour impressionner les membres de cet organisme, et les convaincre que, la guerre civile ayant pratiquement commencé en France sous la direction du P.C.F., il était plus qu'urgent d'y pratiquer l' « entrisme sui generis » ).
Présenter les choses comme le fait Frank aujourd'hui ne peut avoir qu'une signification : les masses n'étaient pas capables d'agir, de combattre, de mettre à l'ordre du jour le renversement de la bourgeoisie. Le simple examen des faits montre, au contraire, que rarement un prolétariat a fait preuve d'autant de combativité. Mais cette combativité, canalisée par l'appareil stalinien sur une ligne fondamentalement contre-révolutionnaire, ne pouvait que s'épuiser en vain. Soutenue par l'impérialisme américain, bénéficiant du concours actif des appareils réformistes, la bourgeoisie française put faire face. En vérité, l'étonnant est que la classe ouvrière ne soit pas sortie brisée de pareilles épreuves. Ce qui témoigne, au contraire de ce que soutient Frank, que tout était possible à cette époque.
Au cours des derniers mois de 1952 et des premiers mois de 1953, la bourgeoisie française se crut assez forte pour esquisser une offensive contre la classe ouvrière. Elle procéda à l'arrestation de militants de la C.G.T. et du P.C.F. : Le Léap fut incarcéré, Frachon poursuivi, d'autres encore. Fin juillet 1953, ce furent les décrets Laniel qui portaient atteinte aux régimes de maladie et de retraite des fonctionnaires et des travailleurs des services publics. Près de cinq millions de travailleurs répliquèrent par une grève générale spontanée, en passant par-dessus les appareils syndicaux.
L'initiative partit de postiers F.O. de Bordeaux. Ils transformèrent un « mouvement de protestation » décidé par les syndicats en une grève totale. Ils utilisèrent le central téléphonique pour appeler les postiers de la France entière à la grève. Ce fut une traînée de poudre. Non seulement les postiers débrayèrent, mais le gaz, l'électricité, la S.N.C.F., la R.A.T.P., les mineurs, etc... En huit jours, c'était la grève générale de tous les services publics et de la fonction publique. A une assemblée de délégués F.O. de la R.A.T.P. un délégué du dépôt de Montrouge disait : « Les bus rentraient, impossible de s'y opposer, les gars nous auraient roulé dessus. »