Stéphane Just

Défense du trotskysme (1)

Le "Néo-trotskysme" en quête d'un "néo-programme"

La fonction politique du néo-capitalisme

Même s'il dit ici et là le contraire, l'idée-clef chez Mandel est la suivante : le capitalisme a réussi à surmonter ses contradictions grâce à l'intervention de l'état qui «  régularise la production  ». Il est vrai qu'il «  assure la rationalisation des investissements des oligopoles  » (quel savant, tout de même, ce Mandel) «  pour la seule défense du profit privé  », ce qui est très mal de sa part. Cependant agissant comme un facteur de régulation de l'économie, il peut être utilisé autrement. Il faut «  contester  » à tous les niveaux de l'économie et de l'état (bourgeois) les «  techniques de planification économique  », pour en user soi-même. Les «  réformes de structure  » remplacent ainsi la révolution, ou plus exactement elles lui sont identifiées.

Kautsky, lui non plus, ne prétendait pas que le super-impérialisme pouvait être guidé par autre chose que par la recherche du profit. Il suggérait (suggérait seulement) que ledit «  super-impérialisme » pouvait parvenir à une exploitation plus rationnelle du monde. De là il suggérait (seulement) que les contradictions pourraient être affaiblies, et certains «  objectifs sociaux  » atteints. il écrivait : «  La politique impérialiste actuelle ne peut-elle pas être supplantée par une politique nouvelle, ultra-­impérialiste, qui substituerait à la lutte entre les capitaux financiers nationaux, l'exploitation de l'univers en commun par le capital financier international ? Cette nouvelle phase du capitalisme est en tout cas concevable. Est-elle réalisable ? Il n'existe pas encore de prémices indispensables pour nous permettre de trancher la question ». (Cité par Lénine, o. c., p. 105). Cela suffisait pour que Lénine fasse ce commentaire :

«... Le très sage Kautsky, pour rassurer les ouvriers et les réconcilier avec les social-chauvins passés aux côtés de la bourgeoisie, sépare deux anneaux de cette seule et même chaîne; il sépare l'union pacifique (et ultra-impérialiste, voire ultra-ultra-impérialiste d'aujourd'hui) de toutes les puissances pour « pacifier » la Chine... d'avec le conflit non pacifique de demain, lequel préparera pour après-demain une nouvelle alliance universelle « pacifique » en vue du partage, par exemple, de la Turquie, etc. Au lieu de la liaison vivante des périodes de paix impérialiste et des périodes de guerres impérialistes, Kautsky offre aux ouvriers une abstraction morte, afin de les réconcilier avec leurs chefs morts. »

Le très sage Mandel, lui, affirme que «  la répétition d'une crise du type de 1929 étant devenue une question de vie ou de mort pour le capitalisme... l'Etat fait de plus en plus largement appel aux techniques anti-cycliques, ainsi qu'aux techniques de création du pouvoir d'achat et de redistribution des revenus... Qu'il ne connaîtra plus de nouvelles crises du type de 1929  ». Il dissimule ainsi le fait que, de toutes façons, sous quelques formes qu'elles se produisent se préparent de nouvelles crises économiques, sociales et politiques d'autant plus aiguës que, grâce à l'intervention de l'état bourgeois, le capitalisme a pu se survivre «  dans la prospérité  » depuis vingt ans. Il dissimule surtout le fait que la nature de classe de l'état bourgeois n'a fait que s'affirmer avec le développement de son rôle économique et social. La théorie du «  néo-capitalisme  » joue chez Mandel le même rôle, que la théorie du «  super-impérialisme  » jouait chez Kautsky. Il offre aux ouvriers «  une abstraction morte, afin de les réconcilier avec leurs chefs morts  » : celle d'un état asexué, utilisable, aujourd'hui par les capitalistes, demain par le prolétariat, avec les mêmes «  techniques de planification  ».