1983 |
Stéphane Just avait comme projet l’écriture d’une histoire des crises impérialistes sous
forme de brochures dont
seules les deux premières seront publiées. |
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La baisse du taux de profit due à l'augmentation de la composition organique du capital ne se manifeste pas au cours du cycle par une chute progressive de ce taux de profit. Marx rappelle :
« Comme nous l'avons expliqué antérieurement (le) prix de production n'est pas déterminé par le coût de production individuel de chaque producteur industriel mais par le coût de production moyen de la marchandise produite dans les conditions moyennes du capital dans toute la sphère de production considérée. En fait, il s'agit du prix moyen de marché par opposition à ses oscillations. C'est d'ailleurs sous forme de prix du marché, et ensuite sous forme de prix régulateur du marché ou prix de production du marché, que se manifeste dans les marchandises la nature de la valeur : c'est ainsi que se traduit le fait qu'elle est déterminée, non point par le temps de travail nécessaire à une production individuelle donnée, produisant une certaine quantité de marchandises, ou des marchandises isolées, mais le temps de travail socialement nécessaire; c'est le temps de travail requis pour produire, dans des conditions sociales moyennes de production, la quantité totale exigée par la société d'une espèce de marchandise se trouvant sur le marché. »
Lorsque Marx parle des « conditions sociales moyennes de production » , il n'entend pas une sorte de moyenne arithmétique entre les meilleures et les pires conditions de production à un moment donné. Il entend les conditions les plus générales de production au regard de la capacité d'absorption du marché d'une marchandise donnée, pour satisfaire à la demande, selon la loi de l'offre et la demande.
L'analyse de la rente différentielle et de la rente absolue à laquelle Marx procède dans le livre III, tome III, du « Capital » permet d'éclairer la question. Marx suppose quatre terrains dont le rendement par rapport à un même capital investi est différent mais dont la somme des productions est nécessaire pour satisfaire à la demande qui existe sur le marché. Comme on le sait, le prix de production d'une marchandise est égal au capital investi pour la produire, plus ce même capital multiplié par le taux de profit moyen. Supposons, explique Marx, que le prix de production d'un quarter de blé soit sur le premier terrain, le terrain A, de 60 shillings; que le prix de production d'un quarter de blé sur le deuxième terrain, le terrain B, soit de 30 shillings; que le prix de production d'un quarter de blé sur le troisième terrain, le terrain C, soit de 20 shillings; que le prix de production d'un quarter de blé sur le quatrième terrain, le terrain D, soit de 15 shillings. Supposons, explique encore Marx, que, pour que soit satisfaite la demande, il soit nécessaire de produire un quarter de blé sur le terrain A, deux quarters de blé sur le terrain B, trois quarters de blé sur le terrain C, quatre quarters de blé sur le terrain D. Au total, il sera produit dix quarters de blé correspondant aux dix quarters que le marché exigera.
Quel sera le prix de marché total de ces dix quarters de blé ?
Marx écrit :
« Au sujet de la rente différentielle en général il faut remarquer que la valeur de marché est toujours supérieure au prix global de production de la masse du produit.. Les quarters du produit total sont vendus à 600 shillings parce que le prix de marché est déterminé par le prix de production de A, qui s'élève à 60 shillings le quarter. Mais le prix réel de production est de :
A - 1 quarter = 60 shillings
B - 2 quarters = 60 shillings
C - 3 quarters = 60 shillings
D - 4 quarters = 60 shillings
Total : 10 quarters = 240shillings
1 quarter = 60 shillings
1 quarter = 30 shillings
1 quarter = 20 shillings
1 quarter = 15 shillings
moyenne 1 quarter = 24 shillings
« Le prix de production réel des 10 quarters est de 240 shillings; ils sont vendus 600 shillings, soit 250 % trop cher; le prix de marché de 60 shillings est lui aussi de 250 % trop cher.
« Il s'agit là de la détermination par le prix du marché tel qu'il s'impose sur la base du mode de production capitaliste, laquelle engendre une fausse valeur sociale. »
En conséquence, c'est le prix de production de A qui dans la société capitaliste devient le prix de marché.
Marx ajoute :
« L'identité du prix de marché (en l'occurrence le prix de production de A - S. Just) pour les marchandises de même espèce est la manière dont s'impose le caractère social de la valeur en régime capitaliste de production et de façon générale d'une production reposant sur l'échange de marchandises entre individus. » (« Le Capital », livre III, tome III, page 51, Editions sociales.)
Marx a expliqué précédemment :
« Supposer que les marchandises des différentes sphères de production se vendent à leur valeur signifie seulement que leur valeur est l'axe autour duquel tourne leur prix et sur lequel s'alignent leurs hausses et leurs baisses perpétuelles. En outre, il faut toujours distinguer la valeur individuelle des marchandises isolées d'une valeur de marché dont il sera question plus loin. Pour certaines de ces marchandises, la valeur individuelle se trouvera au-dessous de la valeur de marché (c'est-à-dire que leur production nécessite un temps de travail plus court que ne l'exprime la valeur du marché), pour d'autres, elle se trouvera au-dessus. Y faut considérer la valeur du marché d'une part comme la valeur moyenne (et non la moyenne des valeurs produites dans une sphère - S. J.) des marchandises produites dans une sphère, d'autre part comme la valeur individuelle des marchandises produites aux conditions moyennes de la sphère et qui constituent la grande masse de ses produits. Ce n'est que dans des conjonctures extraordinaires que les marchandises, soit dans les conditions les plus mauvaises, soit dans les plus favorables, régissent la valeur du marché, qui à son tour constitue l'épicentre pour les prix du marché, qui pourtant sont les mêmes pour les marchandises de même espèce. Quand l'offre de marchandises à la valeur moyenne, donc à la valeur de la masse comprise entre les deux extrêmes, satisfait à la demande courante, les marchandises dont la valeur individuelle est au-dessus de la valeur de marché réalisent une plus-value extra, un surprofit, tandis que celles dont la valeur individuelle est au-dessus de la valeur de marché ne parviennent pas à réaliser toute la plus-value qu'elles contiennent.( ... )
« Si la demande est si forte qu'elle ne diminue pas, même quand le prix est fixé d'après la valeur des marchandises produites dans les plus mauvaises conditions, ce sont ces dernières qui déterminent la valeur de marché. Cela est possible seulement si la demande est plus grande qu'à l'ordinaire ou si l'offre tombe au-dessous de la normale. Enfin, si la quantité des marchandises produites dépasse celle qui peut trouver acquéreur aux valeurs de marché moyennes, ce sont alors les marchandises produites dans les meilleures conditions qui fixent la valeur de marché. Y se peut par exemple que les marchandises soient vendues exactement ou presque à leur valeur individuelle, et il peut arriver que les marchandises produites dans les pires conditions ne réalisent même pas leur coût de production, tandis que celles qui sont proches de la moyenne ne peuvent réaliser qu'une partie de la plus-value qu'elles contiennent. Ce que nous avons dit ici de la valeur de marché est aussi valable pour le prix de production, dès que ce dernier a pris la place de la valeur de marché (rappelons que le prix de production = coût de production + (coût de production x taux de profit moyen) - S. J.). Mais il est lui-même le centre autour duquel oscillent les prix de marché quotidiens et sur lequel ils s'alignent à certaines périodes. » (« Le Capital », livre III, tome I, pages 194-195, Editions sociales.)
Marx explique encore :
« L'existence et la notion même de prix de production, et de taux général de profit qu'il inclut, se fondent sur le fait que les marchandises individuelles ne sont pas vendues à leur valeur. Les prix de production proviennent d'une péréquation des valeurs des marchandises, qui, après restitution des capitaux consommés dans les différentes sphères de la production, répartit la totalité de la plus-value non pas proportionnellement aux quantités réalisées dans les sphères particulières de production et contenues dans les produits de celles-ci, mais proportionnellement à la grandeur des capitaux avancés. C'est là la seule origine du profit moyen et du prix de production des marchandises, dont il est l'élément caractéristique. Les capitaux ont toujours tendance à opérer, par la concurrence, cette péréquation dans la répartition de la plus- value que le capital total a produite et à surmonter tous les obstacles qui s'y opposent. Ils tendent par conséquent à ne tolérer que des surprofits, qui, de toutes manières, découlent non pas de la différence entre les valeurs et les prix de production des marchandises, mais plutôt de celle du prix général de production régulateur du marché par rapport aux prix individuels ne coïncidant pas avec lui. Ces surprofits n'existent donc pas entre deux sphères de production différentes, mais à l'intérieur de chaque sphère. Ils n'influent pas sur les prix généraux de production des différentes sphères, c'est-à-dire sur le taux général du profit, mais supposent au contraire la conversion des valeurs en prix de production et le taux général de profit. » (« Le Capital », livre III, tome III, pages 144 -145, Editions sociales.)
Tout est parfaitement clair. Le jeu de la péréquation du taux de profit s'effectue entre les différentes branches de la production. Mais il n'y a pas de péréquation du taux de profit à l'intérieur d'une même branche de la production. Les surprofits découlent de la façon dont fonctionne la loi de la valeur à l'intérieur même d'une même branche de la production. Marx dit que les marchandises d'une même branche de production sont vendues dans la société capitaliste au prix de production des marchandises produites dans les conditions les plus générales en fonction du rapport de l'offre et de la demande, qui est aussi valeur de marché lorsque pour un type de marchandises prix et valeur coïncident. Il explique que ce ne sont qu'en des circonstances déterminées que le prix de marché et la valeur de marché sont véritablement ceux de la marchandise produite dans les plus mauvaises conditions ou inversement dans les meilleures conditions. Mais justement le cycle de production capitaliste inclut boom et crises. Le boom est le moment où « la demande est si forte que le prix des marchandises est fixé d'après la valeur des marchandises produites dans les plus mauvaises conditions et que ce sont (celles-ci) qui déterminent la valeur de marché » . A l'inverse, le krach est le moment où « ce sont les marchandises produites dans les meilleures conditions qui fixent la valeur de marché ».
Les rapports de production capitalistes impliquent la tendance à développer la production sans autre limite que la capacité de production. Ils impliquent par contre des limites à la possibilité de la réalisation. En conséquence, à plus ou moins longue échéance, le marché sera saturé, il y aura surproduction. Le prix de marché tombera, il s'alignera sur le prix de production des marchandises produites dans les conditions de haute productivité. La valeur de marché des marchandises diminuera. Elle deviendra le temps de travail nécessaire à leur production dans les entreprises à haute productivité. Mais, par là même, la plus-value contenue dans les marchandises produites dans les conditions de faible productivité ne sera qu'en partie, ou pas du tout, réalisable. Elle cessera donc d'être de la plus-value. Peut-être même une partie du capital constant et du capital variable originaire ne pourra être recouvrée en argent. La composition de la valeur des marchandises réalisées changera. Chacune d'entre elles contiendra moins de travail et, relativement au capital constant, moins de capital variable, moins de plus-value. C'est par cette chute plus ou moins brutale des prix de marché, de la valeur de marché des marchandises, que se réalise la loi de la baisse tendancielle du taux de profit, et non par une baisse, une chute, plus ou moins progressive et régulière.
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