Entretien avec Radio International, 15 février 2001. (traduction de l’anglais par S.J. & N.D.). Source : "La Bataille Socialiste" |
Azar Majedi : Dans une récente interview avec le magazine Porsesh tu dis que « la laïcité est un ensemble de conditions minimales », et que « Nous ne voulons pas seulement la laïcité, mais une lutte consciente contre la religion de la part de la société ». Quelles sont les caractéristiques d’un tel combat ?
Mansoor Hekmat : En parlant de la religion, et en particulier de l’islam dans cette période [de l’histoire], nous devrions garder à l’esprit que nous parlons d’un phénomène que l’on peut voir comme une source de souffrance, d’oppression, d’indignité et d’humiliation pour les gens. Donc, nous sommes confrontés à un problème, une catastrophe, qui doit être atténuée de la même manière que l’on traite la toxicomanie, par exemple. La toxicomanie n’est pas considérée comme une affaire seulement privée, et des efforts sont faits pour l’éradiquer. [En d’autres termes,] même si les gens sont autorisés à utiliser des médicaments de substitution, on ne considérera pas cela comme suffisant, on pensera que quelque chose doit être fait pour les inciter à arrêter cette addiction. C’est la même chose avec la religion. La religion est un phénomène impliquant la liberté de l’individu de croire en quelque chose, et pourtant croire en un ensemble de croyances intellectuelles, politiques, civiles qu’on appelle la religion, [en général], et l’Islam, [en particulier], a provoqué des ravages avec la vie des gens, et par conséquent, on se bat contre elle de la même manière qu’on lutte contre toute autre catastrophe. La réduire à une « affaire privée individuelle » n’est pas, à mon avis, suffisante en soi. Ce que je veux dire, c’est que la société doit faire quelque chose pour que l’islam soit éradiqué. Autrement dit, nous devons faire quelque chose pour que les gens eux-mêmes l’éradiquent volontairement, ne puissent plus être influencée par lui, être retenus prisonniers par lui, et que les opprimés ne se noient dans la superstition. Quelle est la solution ? L’Éducation – un État libre qui éduque ses citoyens sur les faits politiques, sociaux, civils, historiques, biologiques, physiques et naturelles [de vie], les lois civiles qui protègent les personnes contre les empiétements des entreprises religieuses, contre l’industrie religieuse. À mon avis, la religion doit être regardé un peu comme l’industrie du tabac. Chacun est libre de fumer, mais on légifère contre les compagnies de tabac afin qu’elles ne soient pas en mesure de profiter de la dépendance des gens, de ne pas provoquer trop de dégâts pour leur santé, et de ne pas les laisser librement faire entrer les jeunes dans la dépendance, etc. De la même manière, il doit y avoir des lois similaires à l’égard de la religion. Il doit y avoir des lois pour que l’industrie de la religion ne puisse pas ruiner la vie des gens. Il est possible de faire quelque chose sur le temps d’une génération pour qu’une société libre se construise qui aura éradiqué la religion comme le paludisme ou la toxicomanie.
Azar Majedi : Tu as terminé exactement sur le point que je voulais aborder. Tu as parlé de l’industrie de la religion, et par rapport à l’industrie du tabac. Est-ce que cette comparaison est une plaisanterie ?
Mansoor Hekmat : Pas du tout ! C’est ce que j’appelle une « industrie », car il y a des gens qui pensent que la religion est essentiellement une combinaison de croyances du peuple. Ce n’est pas ainsi. La religion est une industrie. Il a des propriétaires, il y a des gens qui en bénéficient, elle génère de la richesse matérielle et du pouvoir politique pour un certain spectre social et sert les intérêts d’une domination de classe politique. La religion est un business de plusieurs milliards de dollars. Cet argent finance sa propagande. Et cet argent est escroqué aux gens (En ce qui concerne l’Iran, c’est l’État qui s’en charge !). La religion est un appareil pour la propagation des faussetés. Elle délivre des mensonges au peuple, qui les effraient : violence dans ce monde et châtiment dans l’autre. Tout comme la mafia ! La religion, en tant qu’institution, que ce soit le christianisme, l’islam ou le judaïsme est une énorme structure sociale avant d’être un ensemble de croyances sociales. Elle a ses impôts. Elle prend l’argent et le consacre à la survie de son régime. En conséquence, les industries de la religion sont des phénomènes importants dans le monde. Si vous mettez bout à bout l’argent dépensé avec l’Islam et celui des Églises chrétiennes, vous verrez que la somme est comparable à la richesse des plus grandes sociétés multinationales. C’est comparable au le budget militaire de dizaines de pays mis ensemble. La religion doit donc être regardé comme une industrie, celle qui tente sciemment de vendre ses produits, ses propres marchés, et de faire de ses consommateurs des toxicomanes.
Il ne faut pas être sous l’illusion que la religion serait un ensemble de croyances en des choses comme l’Antéchrist ou dans les pleurs et lamentations pour commémorer Kerbala [1]. La religion est une énorme industrie conçue pour produire des superstitions, pour intimider les gens, les subordonner et les faire céder à la puissance de la classe dirigeante. Si l’on veut une société libérée et qu’on doive dépenser de l’argent et attribuer des ressources humaines afin de s’opposer à ce phénomène, tout comme on s’opposerait aux gangs trafiquant de stupéfiants, on s’oppose aux compagnies qui volent et pillent et laissent derrière elles la dévastation. Il faut s’opposer à l’industrie de la religion de la même façon.
Il est évident que chacun a droit à son opinion et chacun devrait être autorisé à croire en ce qu’il veut. Toutefois, si les structures politiques, militaires et culturelles sont fondées sur la base de ces croyances dans le but d’asservir le peuple, on devrait s’y opposer au nom des citoyens et par les citoyens.
Azar Majedi : Certains pourraient voir que la République islamique [d’Iran], qui est une théocratie, ou que le Vatican, en tant qu’État, correspondent à ce que tu dis de la religion. Mais vois-tu de la même façon la religion, par exemple, dans certaines parties de l’Europe occidentale où elle est séparée de l’État et où, en tout cas, elle ne joue pas un grand rôle dans la vie des gens ? Peux-ton l’y comparer alors à la mafia ?
Mansoor Hekmat : Tout d’abord, je dois dire que si dans certaines parties de l’Europe la religion ne joue pas le rôle que j’évoquai, c’est parce qu’on y a fait ce qu’il fallait au cours des siècles passés. On s’y est confronté et on y a confisqué ses biens. On y a légiféré contre les interférences de la religion dans l’éducation. On y a légiféré contre les interférences de la religion avec la vie sociale des gens, et ainsi de suite. L’Europe d’aujourd’hui, par conséquent, ne nous fournit pas un bon exemple pour comprendre ce que peut être la religion, nous ne pouvons revenir cent ans en arrière et voir ce que cette même religion faisait. Après tout, le pape [Jean-Paul II] a déjà eu à s’excuser pour la collaboration de l’Église catholique avec Hitler et ses fours crématoires !
Un autre exemple c’est l’Irlande du Nord, où des protestants alignés devant une école primaire ont jeté des pierres, et même des grenades à main, parce que ceux-ci sont protestants et ceux-là catholiques ! Ou regarde le destin de la Yougoslavie et les conflits là-bas ! Regarde la Tchétchénie et l’Afghanistan ! Ce que j’ai décrit c’est bien le rôle de la religion en général. C’est vrai que dans certains endroits, les gens l’ont freiné et remise à sa place dans une certaine mesure. En conséquence, dans ces endroits, elle a pris une forme civilisée. Cependant, elle est toujours présent comme une puissance, y compris l’église chrétienne en Europe occidentale. Cette religion ne joue pas le même sur le rôle que l’islam, qui tue des gens en Iran et en Afghanistan, par exemple, mais a toujours conservé son rôle dans l’oppression des femmes, en supprimant des pensées libératrices, en étouffant la créativité et l’innovation, etc. En outre , elle sollicite toujours les gens au porte-monnaie. Elle prélève des ressources qui devraient être dépensées pour le bien-être des gens et les dépense en propagation des superstitions parmi eux. Sa nocivité n’est pas aussi visible que ce qu’on constate en Iran, en Afghanistan et en Arabie saoudite, mais il est possible de montrer le rôle que l’église joue [en Europe occidentale] avec des faits et des chiffres.
Il semble que dans certains endroits, l’église ait évolué vers la gauche : en Amérique latine, etc., par exemple. Toutefois, ce n’est pas l’église qui a glissé à gauche. Ce sont les gens qui sont de gauche, et l’église, par conséquent, dans ses efforts pour maintenir une entreprise prospère, s’efforce de garder le contact avec eux. Mais à chaque tournant social critique on verra la religion, on voit l’islam, aux côtés des classes dominantes, leur donnant les directions, et justifiant l’oppression sociale et l’assujettissement.
Azar Majedi : Tu as mentionné que si le business de la religion doit être arrêté, de l’argent et des ressources humaines doivent être affecté à cette tâche. Quelles formes cela prendra-t-il ? Devrait-il y avoir un partenariat entre une république socialiste établie en Iran et le Parti communiste-ouvrier ? Tu as dit que les croyances des gens sont respectables. Mais cela ne montrerait pas exactement comment la religion, les mollahs et les croyants musulmans, pourraient être abordées. Peux-tu expliquer cela ?
Mansoor Hekmat : À mon avis, les croyances personnelles des gens ne sont respectables que pour eux-mêmes. Je peux ne pas avoir le moindre respect pour les croyances racistes de quelqu’un, que je n’ai pas, mais s’ils veulent y croire en eux, c’est, tant qu’ils n’ont causé de tort à personne, leur opinion personnelle. Chaque être humain est libre de penser à n’importe quoi comme il le veut. Personne n’a le droit de légiférer pour le monde intérieur de l’individu et de dire qu’on n’est pas autorisé à penser de telle ou telle façon. Cela ne signifie pas, bien sûr, que nous n’allons pas essayer de changer les pensées des gens. Les gens doivent avoir le choix entre différentes pensées et opinions. Ils doivent être libres de choisir. C’est l’un des rôles de la religion de refuser aux gens l’accès à d’autres pensées libératrices des préjugés et de recourir à la force et de légiférer contre elles. Les talibans ont capturé certaines personnes à Kaboul et vont les exécuter pour avoir voulu apporter une autre religion pour le peuple ! Cette réponse est peut-être extrême là-bas [en Afghanistan], mais c’est une caractéristique de toutes les religions. La principale solution est l’éducation afin que les gens n’aient pas besoin de croire aux superstitions, et soient conscients que le monde est quelque chose d’autre. Toutefois, l’éducation n’est pas suffisante en elle-même. La législation est [aussi] nécessaire pour ramener les institutions religieuses sous contrôle. Par exemple, leurs finances devraient être soumises à un examen comme toutes les autres entreprises. Après tout, la même loi qui s’applique à telle ou telle fabrique de biscuit ou de chauffe-eau, la même loi qui s’applique aux compagnies de tabac comme Winston ou Camel, doit également s’appliquer à la structure soi-disant islamique, c’est à dire les mosquées et les ayatollahs. Leurs livres de compte doivent être ouverts et examinés afin de savoir où ils ont obtenu leur argent et comment ils l’ont dépensé ; s’ils ont payé leurs impôts ou non ; escroqué le gouvernement ou non, commis des extorsions ou non, et ainsi de suite.
Il existe une série de lois qui, même sous leur forme actuelle, assurent l’interdiction d’un certain nombre d’actes religieux. Si nous prenons la loi sur la protection animale au sérieux, une grande partie des rituels islamiques sont balayés, puisque la manière dont les animaux sont traités est extrêmement violente. Si nous protégeons les enfants avec des lois à la hauteur des droits de l’enfant, cela stopperait une grande partie des activités religieuses, puisqu’elles nient la liberté de l’enfant, puisque l’enfant doit être protégé de toute forme de menace, d’intimidation, de torture, de travail forcé… Si nous défendons les droits des femmes de manière appropriées, les religions n’auront pas le loisir de mettre en place la plupart de leur règles. Si les hommes et les femmes ont des droits égaux dans la société, toutes les lois sur la famille, le mariage et l’héritage prescrites par l’Islam deviendront impraticables et devront être mises de côté, et si quelqu’un cherche à les mettre en pratique, il sera en contradiction avec les lois civiles du pays. Ce que je cherche à montrer, c’est que si nous défendons les droits civils des citoyens, une vaste partie de la religion sera mise de côté. Et si nous défendons la science let la liberté de pensée, une autre partie sera balayée. Donc, si au bout du compte, il reste 250 personnes des soixante millions que compte la population de l’Iran, qui continuent de penser que oui, il y aura une fin des temps et qu’il faut prier cinq fois par jour, et que si vous ne le faites pas, ça va arriver, ou bien qu’il faut sacrifier un mouton de temps à autre parce qu’un jour le prophète Abraham a presque sacrifié son propre fils, c’est leur choix. Il existe des gens bien plus étranges dans ce monde. Ces croyances, par contre, ne deviendront pas des lois sociales et ne causeront aucune perturbation. Et si un groupe de gens, une bande superstitieuse, cherche à traiter leur famille, leurs enfants, d’une manière qui puise ses origines, non dans les droits civils, mais dans la religion, alors l’état devra les en empêcher.
Je ne crois pas que la violence doive être utilisée contre l’Islam, ou dans d’autres situations sociales existantes, de cette manière. Je crois, par contre, que le business islamique peut être mis à bas par une combinaison d’éducation et de législation. Le chef de l’église d’Angleterre, par exemple, a remarqué que le christianisme était en piètre forme et qu’il n’en resterait bientôt plus trace. Pourquoi ? Parce que les gens n’en ont plus besoin, et parce qu’il ne peut plus les y contraindre.
Note :
[1] Référence à la cérémonie commémorative de l’assassinat de l’imam Hoseyn et sa famille dans la bataille de Kerbala (en Irak aujourd’hui).