1986

Ce texte a d’abord été écrit comme document interne du Parti communiste d’Iran durant l’hiver 1986, puis publié pour la première fois dans « Vers le socialisme », n° 3, septembre 1989. Traduit du Persan à l’Anglais par Maraym Kousha et de l’anglais au français par Nicolas Dessaux, juillet 2009. Source : "La Bataille Socialiste"


Conseils ouvriers et syndicats : les questions cruciales de la discussion

Mansoor Hekmat

31 décembre 1986


1) Dans l’analyse des syndicats, il existe une forme de compréhension abstraite qui associé leurs caractéristiques aux attributs qu’ils avaient lors de la création au siècle dernier. Dans cette interprétation, les syndicats sont considérés séparément de leur processus d’évolution. Ils sont considérés seulement comme des outils défensifs pour les travailleurs dans la défense de leur niveau de vie, de leur situation économique et dans leurs conditions de travail. Pourtant, toute analyse des syndicats doit prendre en considération les points suivants :

• L’évolution historique des syndicats en sections ouvrières des partis bourgeois sociaux-démocrates et réformistes [1].

• L’évolution d’une bureaucratie conservatrice dans les syndicats et le contrôle des travailleurs par le biais de cette bureaucratie.

• L’installation des syndicats au sein des structures dirigeantes de la bourgeoisie en Europe comme organes pour contrôler les protestations ouvrières, pour prévenir la radicalisation des travailleurs, pour imposer des compromis dans les négociations collectives, pour les assujettir aux mesures d’austérité, à la hausse du chômage et ainsi de suite.

• Dans les périodes révolutionnaires, les syndicats se confrontent aux organisations radicales des travailleurs, comme les conseils et les comités d’usine, particulièrement sous le prétexte d’être les représentants exclusifs et « indépendants » de la classe en ce qui concerne les questions économiques et sociales. De toutes les organisations de travailleurs, dans les périodes révolutionnaires, les syndicats sont du côté de la faction conservatrice.

• L’incapacité actuelle des syndicats dans les périodes de crise économique, de chômage massif, de compression de la masse salariée, de chute des conditions de vie.

• L’incapacité des syndicats à organiser la majorité des travailleurs, même en situation de monopole syndical (là où il est interdit de recruter des non-syndiqués [2]), et la légalité de leurs activités.

2) Ces différents points empêchent un parti communiste révolutionnaire d’avoir pour politique d’appeler les travailleurs à rejoindre les syndicats. La question actuelle, pour un parti communiste, c’est son approche envers les syndicats et la tendance syndicaliste parmi les partis ouvriers et réformistes. Créer des syndicats n’est pas une tendance « naturelle » ou « spontanée » parmi les travailleurs en lutte pour s’unir, c’est plutôt une forme développée, promue par une certaine tendance dans le mouvement ouvrier, c’est-à-dire, la tendance réformiste et social-démocrate.

3) Sur la question des syndicats, les points suivants doivent être également pris en considération dans le cas particulier de l’Iran :

• La classe ouvrière en Iran n’a pas une forte tradition syndicale avec une expérience suffisante pour construire un mouvement syndical consistant (l’absence d’un parti réformiste durablement établi, la dictature, la réforme agraire, le changement rapide dans la composition de classe ouvrière, l’augmentation rapide des ouvriers industriels dans une courte période de temps, l’augmentation des revenus pétroliers, la hausse rapide, mais peu méthodique, des salaires en fonction de l’offre et de la demande en 1975-76, ont contribué à cette situation).

• Dans des conditions normales de production bourgeoise en Iran (c’est-à-dire en dehors de périodes de crise politique), la bourgeoisie ne tolère pas de mouvement syndical indépendant, du moins jusqu’ici. Les tendances dictatoriales du capitalisme iranien ont été discutées dans notre littérature antérieure).

• En raison de la situation politique et de l’absence de syndicat officiel pour contrôler la radicalisation des travailleurs, le mouvement ouvrier devient rapidement politique dans les moments où il manifeste son pouvoir. Les luttes ouvrières en Iran deviennent ne s’en tiennent pas au niveau économique ou dans le cadre des lois et du système existant bien longtemps. Cela réduit la valeur d’usage des syndicats pour les travailleurs. Même si des syndicats existaient, ils deviendraient vite obsolètes ou se retourneraient contre les ouvriers. L’existence même des syndicats en Iran est en fait de nier leur raison d’être, puisqu’au moment même où une organisation ouvrière (indépendante) sera reconnue au niveau économique par l’état, le mouvement ouvrier mettra en avant ses revendications politiques.

• Récemment, les propositions pour bâtir des syndicats (à l’opposé d’autres organisations de masses) ont seulement été mises en avant par les factions les plus droitières et réformistes de l’opposition de gauche en Iran. Ces propositions ont surtout été formulées par les « experts » intellectuels populistes, et n’ont pas été bien reçus par les travailleurs. En termes concrets, durant les discussions de la période révolutionnaire, la « ligne syndicale » a été défaite par la « ligne des conseils », et ne peut donc avoir d’influence sérieuse dans la pratique des travailleurs.

• La politique de construire des syndicats, dans la gauche iranienne (Rah-e kargar, Razmandegan [3]) représente une retraite politique destinée à attirer les sections les plus arriérées du mouvement ouvrier et pas une analyse réaliste des capacités et de l’état du mouvement ouvrier en Iran. La politique de construction des syndicats, en comparaison avec la construction des conseils et des assemblées générales (qui est notre position) est beaucoup moins fructueuse et réaliste.

4) Si l’on tient compte de ce qui vient d’être dit, la formation de syndicats en Iran
• Comme politique pour construire des organisations de masses, n’est pas favorable selon nous. Les syndicats ne peuvent être notre slogan principal et notre forme principale d’organisations ouvrières de masse.
• N’est pas possible. La formation de syndicats, sauf à être marginale et temporaire, est illusoire.

5) Les conseils et les assemblées générales (régulières et organisées) sont la position correcte en ce qui concerne les organisations ouvrières de masse car :

• Politiquement, elles sont les plus proches de besoins des travailleurs en Iran (en ne se limitant pas à l’arène économique et légale)

• Elles sont possibles dans la pratique (les assemblées générales sont la forme naturelle de la plupart des luttes ouvrières, elles masquent la difficulté des ouvriers d’Iran à former des organisations hiérarchiques complexes, elles se fondent sur le pouvoir direct des masses organisées et sont faciles à défendre).

• Son ossature concrète n’est pas le réformisme ou la social-démocratie, c’est la Commune de Paris ou la révolution d’Octobre. Son poids éducatif pour les travailleurs est précieux.

• Avec le développement de la révolution et la radicalisation des masses, elles ne perdent pas leurs capacités à lutter, mais au contraire les renforcent. Les assemblées générales sont les bases de la démocratie directe des travailleurs et des conseils.

• Le mouvement ouvrier a déjà prouvé que cette politique était possible en pratique.

6) Notre position face à la ligne syndicaliste dans le mouvement ouvrier est la suivante :

• Sauf cas particulier, nous n’appelons pas les travailleurs à construire des syndicats, mais plutôt, nous les encourageons à former des conseils, des assemblées générales, et nous soutenons le mouvement pour lier entre elles les assemblées générales.

• Nous soutenons et nous aidons la lutte des travailleurs pour former des syndicats (comme n’importe quelle lutte pour n’importe quelle autre forme d’organisation).

• Nous prenons part au mouvement syndical indépendant et nous efforçons de faire partie de sa direction. Nous conservons notre propre ligne indépendante au sein des syndicats.

• Nous nous efforçons d’amener les syndicats le plus près possible d’une structure organisationnelle non-bureaucratique, tout particulièrement pour les relier aux assemblées générales de travailleur au niveau local.

Notes

[1] Mansoor Hekmat pense apparemment aux pays, comme l’Angleterre, où les syndicats sont effectivement affiliés aux partis politiques réformistes.

[2] Ce système existait encore en Grande-Bretagne jusque 1990, mais il était attaqué par le gouvernement de Margaret Thatcher et a été interdit depuis (Ndt).

[3] Rah-e Kargar (La voie des travailleurs), groupe pro-soviétique, mais critique du Tudeh, le parti officiellement lié à Moscou. Razmandegan (Organisation des combattants pour l’émancipation de la classe ouvrière) groupe marxiste-léniniste iranien, dont une partie des membres avaient rejoint le Parti communiste d’Iran, face à l’incapacité de la direction à comprendre la nature réelle des islamistes (Ndt).


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