1848 |
1848 : le prolétariat apparait dans l'Histoire en tant que force indépendante.
Engels commente au jour le jour dans la Nouvelle Gazette Rhénane |
Les journées de juin 1848
La révolution de Juin
On arrive peu à peu à avoir une vue d'ensemble de la révolution de Juin; les informations se complètent, on peut dégager les faits des rumeurs comme des mensonges, le caractère de l'insurrection apparaît de plus en plus clairement. Et mieux on arrive à comprendre dans leur enchaînement les événements des quatre journées de Juin, plus on est étonné des dimensions colossales de l'insurrection, du courage héroïque, de la rapidité dans l'improvisation de l'organisation, de l'unité d'esprit des insurgés.
Le plan de bataille des ouvriers, que l'on attribue à Kersausie, un ancien officier et ami de Raspail, était le suivant :
Les insurgés marchaient en quatre colonnes, en un mouvement, concentrique, sur l'Hôtel de ville.
La première colonne, dont la base d'opérations était les faubourgs Montmartre, de La Chapelle et de La Villette, partait des barrières Poissonnière, Rochechouart, Saint-Denis et La Villette vers le sud, occupait les boulevards et approchait de l'Hôtel de ville par les rues Montorgueil, Saint-Denis et Saint-Martin.
La deuxième colonne, dont la base était les faubourgs du Temple et Saint-Antoine, presque entièrement habités par des ouvriers et couverts par le canal Saint-Martin, avançait sur le même centre par les rues du Temple et Saint-Antoine et par les quais de la rive nord de la Seine, de même que par toutes les rues parallèles du quartier compris dans cet espace.
La troisième colonne, avec le faubourg Saint-Marceau avançait par la rue Saint-Victor et les quais de la rive sud de l'île de la Cité.
La quatrième colonne, s'appuyant sur le faubourg Saint-Jacques et le quartier de l'École de médecine, avançait par la rue Saint-Jacques également sur la Cité. De là, les deux colonnes réunies pénétraient sur la rive droite de la Seine et prenaient l'Hôtel de ville à revers et de flanc.
Ce plan s'appuyait donc avec raison sur les quartiers exclusivement habités par des ouvriers, qui forment un demi-cercle autour de toute la moitié orientale de Paris et qui vont s'élargissant au fur et à mesure que l'on va vers l'est. L'est de Paris devait d'abord être débarrassé de tous les ennemis et, ensuite, on voulait marcher le long des deux rives de la Seine, contre l'ouest et ses centres, c'est-à-dire les Tuileries et l'Assemblée nationale.
Ces colonnes devaient être appuyées par une quantité de corps mobiles, qui devaient opérer de leur propre initiative à côté d'elles et entre elles, élevant des barricades, occupant les petites rues et assurant la liaison.
En prévision d'une retraite, les bases d'opérations étaient fortement retranchées et, selon toutes les règles de l'art, transformées en forteresses redoutables. Ce fut le cas du Clos Saint-Lazare, du faubourg et du quartier Saint-Antoine et du faubourg Saint-Jacques.
Si ce plan avait un défaut, c'était d'avoir complètement négligé la moitié occidentale de Paris, au début des opérations. Il y a là, des deux côtés, de la rue Saint-Honoré, aux Halles, et au Palais royal, plusieurs quartiers excellemment propices à l'émeute, qui ont des rues très étroites et tortueuses et qui sont habitées en majeure partie par des ouvriers. Il était important d'y établir un cinquième foyer d'insurrection et, par là, de couper l'Hôtel de ville, en même temps que d'occuper une grande partie de ses troupes à ce bastion saillant. Le triomphe de l'insurrection dépendait de la pénétration aussi rapide que possible dans le centre de Paris, pour s'assurer la conquête de l'Hôtel de ville. Nous ne pouvons savoir en quelle mesure il fut impossible à Kersausie d'organiser là l'insurrection. Mais c'est un fait qu'une émeute n'a jamais pu se frayer un chemin, si elle n'a pas d'emblée su s'emparer de ce centre de Paris attenant aux Tuileries. Il suffit de rappeler l'insurrection, lors des funérailles du général Lamarque, qui avança également jusqu'à la rue Montorgueil, mais fut repoussée ensuite.
Les insurgés avancèrent conformément à leur plan. Ils commencèrent immédiatement à séparer leur terrain, le Paris des ouvriers, du Paris des bourgeois, au moyen de deux travaux principaux de défense, à savoir par les barricades de la porte Saint-Denis et celles de la Cité. Ils furent refoulés des premières, mais ils défendirent victorieusement les secondes. Le premier jour, le 23, fut un simple prélude. Le plan des insurgés apparaissait déjà clairement (comme la Neue Rheinische Zeitung l'avait, dès le début, compris très justement - voir supplément du nº 26), notamment après les premières rencontres du matin aux avant-postes. Le boulevard Saint-Martin, qui coupait la ligne d'opérations de la première colonne, devint la scène de combats violents qui se terminèrent, en partie à cause des conditions locales, par la victoire de l' « ordre ».
Les accès de la Cité furent coupés, sur la droite, par un corps mobile qui se fixa dans la rue Planche-Mibray, sur la gauche par les troisième et quatrième, colonnes, qui occupèrent les trois ponts sud de la Cité et les fortifièrent. Là aussi, s'engagea un très violent combat. Les forces de « l'ordre » parvinrent à s'emparer du pont Saint-Michel et à s'avancer jusqu'à la rue Saint-Jacques. Au soir, elles s'en flattaient, l'insurrection serait écrasée.
Si le plan des insurgés ressortait déjà nettement, celui des forces de « l'ordre » ressortait encore davantage. Le leur ne consistait, pour l'instant, qu'à réprimer l'insurrection par tous les moyens. Cette intention fut communiquée aux insurgés à coups de canon et de mitraille.
Mais le gouvernement croyait avoir devant lui une bande sauvage de simples émeutiers, agissant sans plan établi. Après avoir déblayé, jusqu'au soir, les rues principales, il déclara que l'émeute était vaincue et fit occuper tout à fait négligemment par la troupe les quartiers conquis.
Les insurgés surent admirablement tirer profit de cette négligence pour engager, après les combats d'avant-postes du 23, la grande bataille. La rapidité avec laquelle les ouvriers s'assimilèrent le plan des opérations, le parfait ensemble de leurs mouvements, l'adresse avec laquelle ils surent utiliser l'enchevêtrement du terrain sont tout simplement admirables. La chose serait vraiment inexplicable si les ouvriers n'avaient pas déjà été organisés assez militairement dans les ateliers nationaux et divisés en compagnies, si bien qu'ils n'eurent qu'à transférer sur le terrain militaire leur organisation industrielle pour former du coup une armée complètement articulée.
Le matin du 24, non seulement le terrain perdu était tout à fait récupéré, mais de nouveaux terrains s'y étaient encore ajoutés. Il est vrai que la ligne des boulevards jusqu'au boulevard du Temple restait occupée par les troupes et que, par là, la première colonne se trouvait coupée du centre, mais, par contre, la seconde colonne avançait du quartier Saint-Antoine et avait presque cerné l'Hôtel de ville. Elle établit son quartier général dans l'église Saint-Gervais, à trois cents pas de l'Hôtel de ville, s'empara du couvent de Saint-Méry et des rues avoisinantes, dépassa de beaucoup l'Hôtel de ville, et, en liaison avec les colonnes de la Cité, elle l'isola presque complètement. Il ne restait plus qu'un accès de libre : les quais de la rive droite. Au sud, le faubourg Saint-Jacques était de nouveau complètement occupé, les communications établies avec la Cité, la Cité fortifiée et le passage vers la rive droite préparé.
Il est vrai qu'il n'y avait plus de temps à perdre : l'Hôtel de ville, le centre révolutionnaire de Paris, était menacé et ne pouvait manquer de tomber si les mesures les plus décisives n'étaient pas prises.
L'Assemblée nationale, effrayée, nomma Cavaignac dictateur. Et celui-ci, habitué qu'il était depuis son séjour à Alger à des interventions « énergiques », savait ce qu'il y avait à faire.
Aussitôt, dix bataillons avancèrent le long du large quai de l'École sur l'Hôtel de ville. Ils coupèrent les communications des insurgés de la Cité avec la rive droite, s'assurèrent de l'Hôtel de ville et se permirent même d'attaquer les barricades qui l'entouraient.
La rue Planche-Mibray et son prolongement, la rue Saint-Martin, furent nettoyées et maintenues continuellement libres par la cavalerie. En face, le pont Notre-Dame qui conduit à la Cité, fut balayé par l'artillerie lourde, et, cela fait, Cavaignac fonça directement sur la Cité pour y agir de « façon énergique ». La position principale des insurgés, la Belle Jardinière, fut d'abord démolie à coups de canons, puis incendiée par des fusées, la rue de la Cité fut conquise également à coups de canon, trois ponts menant à la rive gauche furent pris d'assaut et les insurgés repoussés résolument sur la rive gauche. Pendant ce temps, les quatorze bataillons qui se trouvaient sur la place de Grève et sur les quais délivrèrent l'Hôtel de ville déjà assiégé, et l'église Saint-Gervais, de quartier général des insurgés qu'elle était, fut réduite à ne plus être qu'un avant-poste perdu.
La rue Saint-Jacques fut non seulement attaquée de la Cité par l'artillerie, mais aussi prise de flanc de la rive gauche. Le général Damesme avança du Luxembourg vers la Sorbonne, s'empara du Quartier latin et envoya ses colonnes contre le Panthéon. La place du Panthéon était transformée en une redoutable forteresse. La rue Saint-Jacques était prise depuis longtemps que les forces de l' « ordre » continuaient toujours à se heurter à ce bastion inattaquable. Toutes les attaques au canon et à la baïonnette avaient été vaines, lorsque, finalement, la fatigue, le manque de munitions et la menace faite par les bourgeois de mettre le feu, forcèrent les 1500 ouvriers cernés de tous côtés à se rendre. Vers le même moment, la place Maubert tombait aux mains des forces de l' « ordre », après une longue et vaillante résistance, et les insurgés, refoulés de leurs positions les plus solides, furent contraints d'abandonner toute la rive gauche de la Seine.
Entre temps, la position des troupes de la garde nationale sur les boulevards de la rive droite était mise à profit pour agir des deux côtés. Lamoricière qui commandait là, fit balayer les rues des faubourgs Saint-Denis et Saint-Martin, le boulevard du Temple et la moitié de la rue du Temple par l'artillerie lourde et par des attaques rapides de la troupe. Il put se vanter d'avoir remporté, jusqu'au soir, des succès brillants : il avait coupé la première colonne dans le Clos Saint-Lazare, cerné à moitié, repoussé la seconde, et y avait fait une brèche par son avance sur les boulevards.
Comment Cavaignac avait-il obtenu ces succès ?
D'abord, par l'énorme supériorité du nombre des troupes dont il pouvait faire usage contre les insurgés. Le 24, il avait à sa disposition non seulement les 20 000 hommes de la garnison de Paris, les 20 à 25 000 hommes de la garde mobile et les 60 à 80 000 hommes disponibles de la garde nationale, mais aussi la garde nationale de tous les environs de Paris et de maintes villes plus éloignées (de 20 à 30 000 hommes) et, de plus, 20 à 30 000 hommes de troupe qui avaient été appelés en toute hâte des garnisons avoisinantes. Le 24 au matin, il disposait déjà de beaucoup plus de 100 000 hommes et, vers le soir, ce nombre s'était encore accru de moitié. Quant aux insurgés, ils avaient tout au plus 40 à 50 000 hommes !
Ensuite, par la brutalité des moyens qu'il employa. Jusqu'ici, on n'avait employé le canon qu'une seule fois dans les rues de Paris, en vendémiaire 1795 lorsque Bonaparte dispersa par la mitraille les insurgés dans la rue Saint-Honoré. Mais on n'avait jamais encore fait usage d'artillerie contre des barricades, contre des maisons, et encore beaucoup moins avait-on songé aux obus et aux fusées incendiaires. Le peuple n'y était pas encore préparé, il était sans défense contre cela et la seule riposte, l'incendie, répugnait à ses sentiments de noblesse. Le peuple n'avait pas eu jusqu'ici l'idée qu'on peut en plein Paris faire la guerre comme en Algérie. C'est pourquoi il recula, et son premier recul décida de sa défaite.
Le 25, Cavaignac avança avec des forces encore beaucoup plus considérables. Les insurgés étaient réduits à un seul quartier, aux faubourgs Saint-Antoine et du Temple; en dehors de cela, ils possédaient encore deux avant-postes : le Clos Saint-Lazare et une partie du quartier Saint-Antoine jusqu'au pont de Damiette.
Cavaignac, qui s'était de nouveau procuré un renfort de 20 à 30 000 hommes, plus d'importants parcs d'artillerie, fit d'abord attaquer les avant-postes isolés des insurgés, notamment le Clos Saint-Lazare. Ici, les insurgés étaient retranchés comme dans une citadelle. Après douze heures de canonnade et de lancement de grenades, Lamoricière parvint enfin à déloger les insurgés de leurs positions et à occuper le Clos; mais il n'y réussit qu'après avoir rendu possible une attaque de flanc partie des rues Rochechouart et Poissonnière, et avoir fait démolir les barricades le premier jour par quarante canons, le second jour par un nombre encore plus considérable de pièces d'artillerie.
Une autre partie de sa colonne pénétra par le faubourg Saint-Martin dans le faubourg du Temple, mais elle ne remporta pas un grand succès; une troisième partie descendit les boulevards vers la Bastille, mais elle aussi n'arriva pas loin, car là une série de barricades des plus redoutables ne cédèrent qu'après une longue résistance, à un violent bombardement. Les maisons ici furent effroyablement démolies.
La colonne de Duvivier, qui mena l'attaque en partant de l'Hôtel de ville, fit reculer de plus en plus les insurgés sous une canonnade continuelle. L'église Saint-Gervais fut prise, la rue Saint-Antoine nettoyée loin au delà de l'Hôtel de ville et plusieurs colonnes, avançant le long du quai et des rues parallèles, s'emparèrent du pont de Damiette au moyen duquel les insurgés du quartier Saint-Antoine s'adossaient aux îles Saint-Louis et de la Cité. Le quartier Saint-Antoine était pris de flanc et il ne restait plus aux insurgés que la retraite dans le faubourg qu'ils opérèrent en livrant des combats violents à une colonne qui avançait le long des quais jusqu'à J'embouchure du canal Saint-Martin, et, de là, le long du canal, sur le boulevard Bourdon. un petit nombre d'insurgés, coupés de leur colonne, furent massacrés et quelques-uns seulement furent ramenés comme prisonniers,
Par cette opération, le quartier Saint-Antoine et la place de la Bastille étaient conquis. Vers le soir, la colonne de Lamoricière réussit à s'emparer complètement du boulevard Beaumarchais et à opérer sa jonction avec les troupes de Duvivier, sur la place de la Bastille.
La conquête du pont de Damiette permit à Duvivier de déloger les insurgés de l'île Saint-Louis et de l'ancienne île Louvier. Il fit cela avec un déploiement vraiment méritoire de barbarie algérienne. Il y a peu de quartiers où l'artillerie lourde fut employée avec autant de résultats dévastateurs que dans l'île Saint-Louis même. Mais qu'importait ? Les insurgés étaient chassés ou massacrés et l' « ordre » triomphait parmi les décombres tachés de sang.
Sur la rive gauche de la Seine, il y avait encore un poste à prendre. Le pont d'Austerlitz, qui relie, à l'est du canal Saint-Martin, le faubourg Saint-Antoine à la rive gauche de la Seine, était fortement barricadé et, sur la rive gauche, là où il aboutit à la place Valhubert, devant le Jardin des Plantes, il était muni d'une forte tête de pont. Cette tête de pont, après la chute du Panthéon et de la place Maubert, dernier retranchement des insurgés sur la rive gauche, fut prise après une résistance acharnée.
Le jour suivant, le 26, il ne restait donc plus aux insurgés que leur dernier retranchement, le faubourg Saint-Antoine et une partie du faubourg du Temple. Ces deux faubourgs ne sont guère faits pour des batailles de rues; ils ont des rues assez larges et presque droites, qui laissent le champ tout à fait libre à l'artillerie. Si, du côté ouest, ils sont admirablement couverts par le canal Saint-Martin, du côté nord, par contre, ils sont tout à fait découverts. Là, cinq ou six rues larges et toutes droites descendent jusqu'au cur du faubourg Saint-Antoine.
Les fortifications principales étaient établies aux abords de la place de la Bastille et dans la rue la plus importante de tout le quartier, la rue du Faubourg-Saint-Antoine. Des barricades d'une solidité remarquable y étaient érigées, en partie maçonnées avec de gros pavés rectangulaires, en partie charpentées avec des poutres. Elles formaient un angle vers l'intérieur, en partie pour affaiblir l'action des obus, en partie pour offrir un front de défense plus grand, par l'ouverture d'un feu croisé. Dans les maisons, les murs mitoyens étaient percés, de sorte qu'elles étaient en grand nombre mises en communication entre elles et que les insurgés, selon les besoins du moment, pouvaient ouvrir un feu de tirailleurs sur les troupes ou se retrancher derrière les barricades. Les ponts et les quais du canal, de même que les rues parallèles au canal, étaient aussi fortement retranchés. Bref, les deux faubourgs qui étaient encore occupés ressemblaient à une véritable forteresse dans laquelle les troupes devaient conquérir dans le sang chaque pouce de terrain.
Le 26 au matin, le combat devait recommencer. Mais Cavaignac n'avait guère envie de lancer ses troupes dans cet enchevêtrement de barricades. Il menaçait de bombarder. Les mortiers et obusiers furent amenés. On négocia. Entre temps, Cavaignac fit miner les maisons les plus proches, ce qui, il est vrai, ne put se faire que dans une mesure très limitée, vu le temps trop court et à cause du canal qui couvrait une des lignes d'attaque, et pratiquer également par les maisons déjà occupées des communications intérieures avec les maisons adjacentes, en perçant des ouvertures dans les murs mitoyens.
Les négociations furent rompues; la lutte recommença. Cavaignac fit attaquer le général Perrot par le faubourg du Temple et le général Lamoricière par la place de la Bastille. De ces deux points, on bombarda fortement les barricades. Perrot avança assez vite, prit le reste du faubourg du Temple et arriva même, en quelques endroits jusqu'au faubourg Saint-Antoine, Lamoricière progressait plus lentement. Bien que les premières maisons du faubourg fussent incendiées par ses obus, les premières barricades résistaient à ses canons. Il recommença à négocier. Montre en main, il attendait la minute où il aurait le plaisir de raser le quartier le plus populeux de Paris. Enfin, une partie des insurgés capitula tandis que l'autre, attaquée sur ses flancs, se retirait de la ville après un court combat.
Ce fut la fin du combat de barricades de Juin, En dehors de la ville il y eut encore des combats de tirailleurs, mais sans aucune importance. Les insurgés en fuite furent dispersés dans les environs et rattrapés un à un par la cavalerie.
Nous avons donné cet exposé purement militaire de la lutte pour prouver à nos lecteurs avec quelle bravoure héroïque, quelle unanimité, quelle discipline et quelle habileté militaire les ouvriers parisiens se sont battu. A quarante mille, ils se battirent, quatre jours durant, contre un ennemi quatre fois supérieur en nombre, et il s'en est fallu de l'épaisseur d'un cheveu qu'ils remportassent la victoire. Un cheveu seulement, et ils prenaient pied au centre de Paris, ils s'emparaient de l'Hôtel de ville, ils instituaient un Gouvernement provisoire, ils doublaient leur nombre, aussi bien avec les hommes des quartiers conquis qu'avec les gardes mobiles à qui il ne fallait alors qu'une chiquenaude pour les faire passer du côté des insurgés.
Des journaux allemands prétendent que ce fut là la lutte décisive entre la République rouge et la République tricolore, entre les ouvriers et les bourgeois. Nous sommes persuadés que cette bataille ne décide de rien, si ce n'est de la décomposition intérieure des vainqueurs. D'ailleurs, le cours de toute cette affaire prouve que, dans un temps nullement éloigné, les ouvriers ne peuvent manquer de vaincre, même si nous considérons les choses d'un point de vue purement militaire. Si 40 000 ouvriers parisiens ont déjà obtenu un résultat aussi formidable contre un ennemi quatre fois supérieur, que réussira à faire la masse tout entière des ouvriers parisiens lorsqu'elle, agira unanimement et avec cohésion !
Kersausie est prisonnier et probablement, en ce moment, déjà fusillé. Les bourgeois peuvent le fusiller, mais ils ne lui enlèveront pas la gloire d'avoir le premier organisé le combat de rues. Ils peuvent le fusiller, mais nul pouvoir au monde n'empêchera que ses inventions ne servent à l'avenir dans tous les combats de rues. Ils peuvent le fusiller, mais ils ne pourront empêcher son nom de rester dans l'histoire comme celui du premier stratège des barricades.
(Neue Rheinische Zeitung, 1° et 2 juillet 1848, n° 31, p. 3, et 32, pp. 2 et 3.)