1908

Source : James Connolly. The Lost Writings. Pluto, London, 1997.
Texte anglais mis en ligne par "CELT : Corpus of Electronic Texts, a project of University College Cork". Traduction MIA.

connolly

James Connolly

Pour un parti politique des travailleurs

Janvier 1908

La parution d'un journal socialiste irlandais entraînera nécessairement dans le mouvement ouvrier américain une foule de questions sur l'attitude des initiateurs de ce journal à l'égard des partis politiques luttant actuellement pour le socialisme. Ces questions sont inévitables et il est donc préférable d'y répondre dès le départ, sans délai ni équivoque.

Notons donc que la Harpe est l'organe officiel de l'I.S.F. [Fédération socialiste irlandaise] en Amérique, et que cette organisation a été fondée dans l'intention, clairement exprimée, de répandre la lumière du socialisme dans la classe ouvrière irlandaise de ce pays. Notons également que, reconnaissant que l'existence de deux partis politiques socialistes a eu dans le passé et a encore aujourd'hui l'effet de créer de la confusion sur l'esprit de la classe ouvrière américaine, les fondateurs de la Fédération savent qu'il serait pire que folie de faire de l'allégeance à l'un ou l'autre de ces partis politiques un critère d'appartenance au camp nouvellement fondé des socialistes irlandais d'Amérique. La Fédération n'est pas fondée pour l'action politique, elle est fondée pour la propagande ; elle n'existe pas pour façonner une machine politique, elle existe pour présenter le socialisme comme un dépassement historique du capitalisme et comme le seul remède à l'esclavage salarié des travailleurs. La tâche de présenter le camp socialiste contre le camp des capitalistes, avec leurs armes et tous leurs puissants alliés, est assez lourde pour nous sans que nous ayons à prendre part aux campagnes de calomnies qui constituent le fonds de commerce des socialistes américains lorsqu'ils condescendent à se référer les uns aux autres. Dans leurs récriminations mutuelles, beaucoup de choses erronées ont été dites, beaucoup de choses justes ont été mal dites, et nous sommes convaincus que si les socialistes américains en général avaient été plus soucieux de trouver et de souligner les points qu'ils avaient en commun, et moins désireux d'exagérer l'importance des points sur lesquels ils différaient, un grand parti - grand par son unité sur l'essentiel, et grand par son nombre - aurait pu depuis longtemps être construit en Amérique. Et jusqu'à ce que ce parti soit constitué, l'ISF limitera son travail à la formation de socialistes ; elle laissera ses recrues, une fois formées, choisir leur propre affiliation politique.

Mais, dira-t-on, puisque les camarades irlandais déplorent la division existante, n'ont-ils pas une suggestion à faire pour y mettre fin ? N'est-il pas certain qu'au fur et à mesure que vous recruterez pour le socialisme, et que ces recrues choisiront leurs propres affiliations politiques, leurs choix différents auront avec le temps pour résultat d'amener dans la Fédération les différends qui divisent les socialistes ? C'est vrai, et c'est pourquoi il est dans notre intérêt et conforme à nos désirs de trouver un terrain d'entente sur lequel, à notre avis, les socialistes révolutionnaires sincères pourront se rencontrer pour unir leurs forces dans la bataille contre l'ennemi commun.

Le terrain d'action commun que nous préconisons est un terrain pour lequel il existe déjà une forte attraction dans la base des deux partis existants. Il a été approuvé par pratiquement toutes les fédérations de socialistes non anglophones d'Amérique, et rassemble donc déjà sur ses bases de grandes forces organisées. Il attirerait, comme un aimant, tous les vrais socialistes prolétariens et les souderait en une force irrésistible. Ce terrain d'action commun ne peut, pour atteindre son but, émaner ni du S.P. ni du S.L.P. ; il ne peut être donné par des conférences d'unité, quel que soit le sérieux de leurs participants - le fantôme de toutes les haines et de toutes les jalousies suscitées par les luttes passées s'élèvera toujours entre la conférence d'unité la plus unie et la réalisation de ses espoirs - et, enfin, il ne peut s'établir par un amalgame des partis existants. Il y a trop de chefs, merci mon Dieu ! Il y a trop de "sauveurs de la classe ouvrière" dont la réputation a été bâtie sur la désunion ; trop d'ambitions personnelles mesquines qui pourraient être mises en danger si la base avait l'occasion de se connaître et de se comprendre. Il y a trop de crainte qu'une réunion générale ne signifie un nettoyage général, et ne se conclue par la mise au rebut des nombreuses grandes lumières qui chérissent plus leur prédominance personnelle que la puissance du mouvement. Certains hommes du mouvement socialiste, d'un côté comme de l'autre, préféreraient avoir un parti de dix hommes qui acceptent sans discussion leurs dires et appellent leur foi aveugle "démocratie", plutôt qu'un parti d'un demi-million dont les éléments constitutifs osent penser et agir par eux-mêmes. Incontestablement, la réalisation de l'unité doit avoir comme condition nécessaire l'acceptation du fait que les intérêts du mouvement sont plus importants que les préjugés ou les rivalités de ses dirigeants.

Où et comment se situe donc ce terrain d'entente dont nous avons parlé ? Comme nous l'avons déjà dit, l'ISF n'est inféodée à aucun parti politique, mais cette neutralité sur le plan politique ne s'étend pas au domaine de la lutte économique. Là, nous pensons que le choix de la neutralité serait un crime de notre part. Entre, d'une part, la nouvelle organisation économique, les I.W.W., qui prépare l'organisation administrative de la société future, et en même temps veut résister efficacement à la domination actuelle de la classe possédante, et d'autre part le syndicalisme pur et simple de l'A.F.L. avec sa division systématique de la classe ouvrière et sa profession de foi en des intérêts identiques entre le Capital et le Travail - entre ces deux organisations notre choix est aussi clair et sans équivoque qu'entre le Socialisme et le Capitalisme. En fait, il s'agit du même choix se présentant en des termes différents. De même que nous croyons que tous les socialistes de la classe ouvrière doivent voir que leur place est dans la seule véritable organisation de lutte économique qui mérite vraiment porter le nom d'union [syndicat], l'I.W.W., de même nous croyons que cette même organisation a le pouvoir de résoudre le problème de l'unité socialiste. Le jour où les I.W.W. lanceront leur propre parti politique, celui-ci mettra fin à toute justification pour deux partis socialistes séparés et ouvrira la voie à une unification réelle et agissante des forces révolutionnaires. Vers lui afflueront tous les vrais prolétaires, toute la classe ouvrière au cœur loyal que la méfiance et la suspicion ont si longtemps divisée : ce sera le vrai parti politique des travailleurs - l'arme par laquelle la classe ouvrière scellera les décrets que sa force armée dans l'économie devra mettre en application.

Nous ne disons pas que toute crainte de l'existence de deux partis se disant socialistes cessera pour toujours, mais cela mettra fin à toute possibilité pour deux partis socialistes révolutionnaires de réclamer au même moment l'allégeance de la classe ouvrière. Les comploteurs et les intrigants continueront à ériger des partis pour servir leurs fins personnelles et assouvir leur soif d'adulation ; des intellectuels poseurs voudront toujours se hisser sur les épaules des travailleurs et, voyant leur position en hauteur comme le résultat de leur capacité exceptionnelle, ils appelleront le monde à témoigner de leur grandeur ; mais ils seront privés de leur pouvoir de tromper les vrais révolutionnaires par le simple fait de la présence d'un parti politique de Socialistes, consacré au mouvement de lutte économique de la classe ouvrière et s'appuyant sur lui.

C'est notre espoir, la solution que nous proposons au problème de la division des forces, et le jour où cet espoir sera réalisé, si quelqu'un cherche les travailleurs irlandais conscients de leurs intérêts de classe, il les trouvera, nous en sommes convaincus, alertes et déterminés à la tête des combattants.

Ollamh Fódhla.

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