1921

Lettre aux amis de Vergeat et Lepetit (disparus en mer en repartant de Russie), remise à Boris Souvarine et publiée dans L’Humanité du 16 juillet 1921. Mise en ligne par La bataille socialiste.


Les derniers jours de Lepetit et de Vergeat

1er  juillet 1921



1er  juillet 1921. Moscou-Kremlin.

Chers camarades,

J’ai rencontré Pour la dernière fois, le 20 septembre de l’année dernière, à Mourmansk, en revenant de Norvège, les camarades Marcel Vergeat, du syndicat des métaux de Paris, et Lepetit, du syndicat des terrassiers la Seine.

Je me suis entretenu avec eux pendant plusieurs heures, ai regardé leurs papiers, les passeports lesquels ils s’en retournaient; je ne les ai pas trouvés tout à fait en ordre et j’y ai introduit certaines modifications. Nous nous sommes entendus au sujet d’un travail commun à l’échelle internationale, en particulier dans le syndicat des métaux. Les deux camarades étaient enthousiasmés par le travail grandiose et la lutte qui avaient lieu dans notre pays est brûlaient d’impatience de rentrer en France pour utiliser les matériaux qu’ils avaient recueillis dans le but d’affermir dans leur pays le travail révolutionnaire.

L’océan que j’avais traversé était alors extrêmement agité. J’avais voyagé à bord d’un transport chargé de charbon américain. Les vagues tumultueuses déferlaient sur notre petit vapeur. Les camarades Vergeat et Lepetit devaient s’embarquer à bord d’un canot automobile de pêche et longer la côte jusqu’à l’un des villages du Petchenga. Là les attendait un navire de pêcheur qui devait les prendre pour les conduire à Bergen. Ce navire était, me semble-t-il, un voilier, mais de tannage relativement plus grand que les canots automobiles de pêche sur lesquels s’effectuaient les traversées entre Mourmansk et Vardo (port norvégien). Le jour même, par le train allant sur Petrograd, je quittai les deux camarades. Ils devaient’ s’embarquer quelques heures plus tard.

La tempête sur l’océan a duré plusieurs jours et les a évidemment anéantis quelque part à proximité des côtes de Norvège. Je sais par, les camarades de Mourmansk qu’ils étaient arrivés heureusement jusqu’à un village du Petchenga. Je sais aussi qu’ils s’étaient embarquées sur le navire à voile qui les attendait, mais personne ne peut rien communiquer quant à leur voyage ultérieur. Ils ont été obligés de choisir un chemin aussi dangereux parce que la police norvégienne des ports-frontières les plus proches de la Russie avait une attitude de provocation à l’égard de tous les citoyens venant de Russie, ne permettait pas de débarquer et de faire usage des navires à vapeur pour continuer le voyage et se permettait d’arrêter les voyageurs, même munis de tous les documents nécessaires au passage à travers la Norvège.

Le désir de ne pas être en butte aux provocations du gouvernement norvégien a incité Vergeat et Lepetit à chercher d’autres routes. La seule, à cette époque, était la route illégale avec les pêcheurs norvégiens ou finlandais, à travers tous les cordons de police et par le tempétueux Océan glacial. En outre, il fallait descendre le plus profondément possible au sud et, dans ces ports, trouver la possibilité de s’embarquer à bord d’un paquebot ou bien se diriger par chemin de fer vers d’autres frontières.

Il est évident qu’un navire de pêcheurs n’a pas pu triompher des vents et des vagues de l’Océan et a péri quelque part dans le secteur des îles de Vardo. Toutefois, ce n’est là qu’une hypothèse personnelle, aucune donnée matérielle qui permettrait d’en juger ne se trouvant en ma possession. Une seule chose est acquise, c’est que les deux camarades en question, dans la fleur de l’âge, en pleine aspiration et en pleine lutte, croyant fermement et profondément en la victoire révolutionnaire de la classe ouvrière, ont été ensevelis sous les froides eaux du Grand Océan et que cette mort doit être imputée à la provocation policière capitaliste et immédiatement mise au compte et à l’actif du « gouvernement démocratique » norvégien.

Salutations communistes.

Chliapnikov.


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