1908

Source : "Le Socialisme", 15 septembre 1908.

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La représentation proportionnelle dans les Syndicats

Paul-Marius André

15 septembre 1908

La Représentation Proportionnelle dans les élections politiques est appelée à être pratiquée tôt ou tard en France. Chaque jour elle gagne de nouveaux partisans. On peut même dire qu’il n’y a plus d’adversaires de son principe, qui est la reconnaissance du droit des minorités d’être représentées. S’il y a une majorité contre la R. P. dans le Parlement, ce n’est pas contre ce droit des minorités, — nul n’oserait le contester ! — mais c’est seulement parce que la majorité d’aujourd’hui craint de n’être plus la majorité de demain si elle renonçait au système électoral actuel. Quant aux prétendues difficultés d’application de la R. P. invoquées par les politiciens radicaux, elles ne sont pas suffisantes pour dissimuler la véritable raison — que je viens d’invoquer — de l’opposition faite à ce mode de représentation. 

Sous la pression de l’opinion publique ou à l’occasion de circonstances favorables, la R. P. s’imposera finalement aux parlementaires. 

Le Parti Socialiste est tout acquis à cette réforme dont l’application lui paraît conforme à l’équité et dont l’application lui donnera une plus grande liberté d’action et une pleine autonomie dans sa lutte électorale. Il l’a, d’ailleurs, été le premier parti, je crois, qui, en France, ait appliqué à lui-même d’une manière systématique la représentation de la minorité. En l’inscrivant dans les statuts de son unification, il a donné aux principals tendances qui se manifestent dans son sein un moyen de s’équilibrer ; il a supprimé les heurts entre elles et il a ainsi assuré le développement régulier de son unité morale. Quoi qu’on en ait dit, il s’est fort bien trouvé de la R. P. et si jamais il y renonçait, ce ne pourrait être que pour des raisons analogues à celle que n’ose pas invoquer la majorité parlementaire. 

Dans les Syndicats ouvriers, il semble que le besoin d’une représentation de la minorité ne doive pas se faire sentir. Le Syndicat n’est pas un groupement d’opinion ; il a presqu’exclusivement pour but la défense d’intérêts professionnels et qu’il puisse y avoir divergences entre ses membres à ce sujet, on ne le conçoit pas. Cependant, lorsqu’il dépasse son but exclusif, ou qu’une partie de ses membres veut le dépasser, le Syndicat est aussitôt tiraillé par des courants contraires de tactique et de méthode, et ces divergences ne sont point secondaires car elles peuvent entraîner des scissions. 

La majorité décide, la minorité s’incline ; telle est la règle. A cette règle, la majorité elle-même, pour maintenir l’unité syndicale, doit apporter des tempéraments ; elle ne peut dénier à la minorité le droit de participer, proportionnellement à ses forces, à l’administration du syndicat. 

Tant que le Syndicat ne groupe lui-même qu’une minorité des travailleurs de la corporation, la lutte qu’il doit livrer à l’indifférence ouvrière autant qu’au patronat, impose à ses membres une cohésion qui ne laisse pas de place à des diversités de tendances. Mais lorsqu’il s’élargit et qu’il englobe une masse ouvrière, avec la diversité des tempéraments et des manières de voir, il est, au contraire, tenu de donner de la souplesse à son fonctionnement intérieur, afin d’obtenir un équilibre indispensable à son action. Le récent conflit surgi dans la Fédération du Livre ne provient pas seulement de difficultés locales ou personnelles : il révèle chez les typos une minorité qui réclame une impulsion fédérale nouvelle. Le Livre sera amené à appliquer la R. P., comme l’ont fait les Employés au Congrès de Rouen et d’autres grands Syndicats, il y a longtemps déjà. 

Dans la C. G. T. française, la question de la R. P. se pose d’une façon imprévue : il ne s’agit pas de savoir si la minorité doit être représentée, mais si c’est elle qui doit continuer à dominer la majorité. Si invraisemblable que cela paraisse, c’est pour la majorité que l’application de la R. P. est réclamée à la C. G. T. Il appartenait, en effet, à notre Syndicalisme d’innover, en matière de représentation, en assurant à la minorité non pas un droit de minorité — que lui assurerait la R. P. — mais un droit de majorité. Le vote par Syndicat et non pas syndiqué, qui est la règle des Congrés corporatifs de France, aboutit à ce résultat bizarre, mais logique puisque, pour nos syndicalistes-révolutionnaires, la majorité ouvrière ne compte pas et que nos destinées sont entre les mains de minorités énergiques. 

Il est vrai que les syndicalistes-révolutionnaires contestent que le système de votation en usage dans les Congrès de la C. G. T. assure la prépondérance à la minorité des syndiqués. Contre la R. P. , ils invoquent l’impossibilité présente à procéder à un recensement exact du nombre des syndiqués appartenant à chaque fédération. Cet argument n’est pas sans valeur. La C. G. T. ne connaît pas le nombre de ses membres. Elle ne connaît que les Syndicats ou Fédérations de Syndicats et les Bourses du Travail. Sur le nombre des syndiqués accusés par ces Syndicats, Fédérations ou Bourses, elle n’a aucun contrôle. Pour que ce contrôle puisse s’établir efficacement, il faudrait une cotisation confédérale payée par le syndicat et non, comme actuellement, par les Syndcats, Fédérations et Bourses. C’est donc toute l’organisation confédérale qui serait à modifier. Les organisations socialistes, qui ne connaissaient autrefois que le mode de votation par groupes, ont adopté, en s’unifiant, la cotisation par militants. Le Parti pourra ainsi, au cas où la proposition de la Fédération du Nord serait adoptée à Toulouse, faire voter dans ses Congrès exactement tous ses adhérents, en attribuant un suffrage à chacun d’eux. La C. G. T., inévitablement, devra en venir à ce système, qui fonctionne dans d’autres nations et qui est, sans contestation possible, le plus parfait de tous les systèmes de votation, puisqu’il permet la meilleure application de la R. P. en assurant à la minorité sa pleine représentation. 


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