Sous peine de nier l'intervention dans l'histoire de la volonté consciente sous la forme élémentaire, et même artisanale, de l'organisation, sous peine de prêcher la renonciation, la résignation, la soumission, de condamner le principe même de la lutte en rejetant les victoires qui ne sont que partielles, les autres ne peuvent que reprendre à leur compte la conclusion de Rosa Luxembourg à sa sévère critique du bolchevisme : "Le problème le plus important du socialisme est précisément la question brûlante du moment : [...] la capacité d'action du prolétariat, la combativité des masses, la volonté de réaliser le socialisme. Sous ce rapport, Lénine et Trotsky et leurs amis ont été les premiers à montrer l'exemple au prolétariat mondial ; ils sont jusqu'ici les seuls qui puissent s'écrier "J'ai osé !". C'est là ce qui est essentiel, ce qui est durable dans la politique des bolcheviks. |
Téléchargement fichier winzip (compressé) : cliquer sur le format de contenu désiré |
|
Le parti bolchévique
IX: L'interrègne et la nouvelle opposition
Propagande pour l'éducation
Lénine meurt le 21 janvier 1924. Le problème de sa succession formelle est déjà réglé. Le pâle Rykov devient président du conseil des commissaires du peuple. Trotsky, toujours absent, sera prévenu trop tard pour revenir à temps. Ce sont les hommes de la troïka qui président aux cérémonies funèbres, prononcent les discours, célèbrent la mémoire du disparu. Staline, dernier orateur, énonce sur un rythme de litanies les « commandements » du défunt. Cette exaltation presque mystique, empreinte de réminiscences bibliques, plus proche de la tradition des popes que de l'enseignement de Marx, résonne curieusement dans la grande salle du congrès des soviets : une page est tournée.
La campagne de recrutement d'ouvriers d'industrie décidée par la XIII° conférence est placée sous le patronage du chef mort. La promotion « appel de Lénine » amènera en quelques mois, plus de deux cent mille nouveaux adhérents, augmentant finalement en un an l'effectif du parti de 50 %. Malgré son étiquette, la campagne consacre une rupture profonde avec les méthodes employées du vivant de Lénine. D'une part, il ne s'agit plus de l'adhésion enthousiaste et convaincue d'ouvriers gagnés par d'autres militants, ni même de celle d'ambitieux contraints par la force des choses de faire leurs preuves, et de démontrer capacité et dévouement, mais d'un recrutement quasi officiel, effectué dans le cadre des usines, sous la pression de secrétaires qui sont des autorités officielles et ne manquent pas de moyens de pression pour faire adhérer au parti unique des travailleurs avant tout préoccupés par leurs problèmes quotidiens et la nécessité de conserver leur emploi. Les nouveaux venus, d'autre part, ne sont pas ou sont peu instruits - ils forment le gros des 57 % d'illettrés que, selon Staline, le parti compte en mai 1924 - très éloignés, par conséquent, des problèmes politiques inexpérimentés et malléables.
Ils forment entre les mains de l'appareil une masse de manÅ“uvre docile, se rangeant toujours derrière les dirigeants, de toute façon très éloignée de l'esprit révolutionnaire de l'ouvrier bolchevique, qui va noyer sous le nombre les militants rétif. En leur faveur, on lève les restrictions imposées par les congrès antérieurs : les nouveaux venus exerceront pleinement leurs droits de militants, voteront, occuperont des fonctions responsables, pourront être délégués au congrès sans qu'il soit tenu compte des durées de stage antérieurement exigées. On conçoit mieux quel atout ce flot d'adhérents nouveaux a pu constituer pour la manipulation des cellules et organismes responsables par les soins de l'appareil et du secrétaire général, lorsqu'on constate que le recrutement de l'Appel de Lénine s'est effectué parallèlement à une épuration qui a, cette fois, frappé les militants liés à l'opposition des 46. On comprend que Molotov ait pu affirmer dans ces conditions « Le développement du parti dans l'avenir sera sans aucun doute basé sur l'Appel de Lénine » [1].
Les discours et les articles de deuil donnent le ton d'une nouvelle époque. Le congrès des soviets qui siège à la mort de Lénine débaptise Pétrograd, qui devient Léningrad, fait du 21 janvier un jour anniversaire de deuil, décide d'ériger dans toutes les villes des monuments à sa mémoire, d'embaumer son corps et de le placer dans un mausolée sous les murs du Kremlin afin de permettre les pèlerinages devant la momie. Contre ces décisions surprenantes pour des révolutionnaires par leur inspiration quasi religieuse la seule voix de Kroupskaïa s'élèvera : « Ne permettez pas que votre deuil pour Illitch prenne des formes de révérence externe pour sa personne. N'élevez pas des monuments, ne donnez pas son nom à des palais, ne faites pas des cérémonies à sa mémoire ; il attachait si peu d'importance à tout cela, tout cela lui pesait tant. Souvenez-vous de la pauvreté [...] qu'il y a encore dans le pays. Si vous voulez honorer la mémoire de Vladimir Illitch, construisez des crèches, des jardins d'enfants, des maisons, des écoles, des bibliothèques, des centres médicaux, des hôpitaux, des hospices pour les infirmes, et surtout mettons ses principes en pratique » [2].
Tandis que Zinoviev, promu grand-prêtre, déclare « Lénine est mort, le léninisme est vivant » [3], tandis que le comité central décide la création d'un nouvel organe le Bolchevik, destiné à résumer systématiquement le « léninisme » en propositions simples et accessibles à tous, il faut pourtant régler le problème du testament, dont Kroupskaïa estime qu'il doit être porté à la connaissance du parti, pour respecter la volonté du défunt. Il sera lu le 22 mai, à une séance du comité central élargie aux plus anciens militants, et y produit l'effet d'une bombe. Zinoviev vole aussitôt au secours de Staline que le texte, dans l'atmosphère d'adoration du mort, semble condamner sans rémission : « Le dernier mot d'Illitch est pour nous la loi suprême, [...] mais sur un point au moins les craintes de Lénine se sont révélées sans fondement. Je veux parler de celui qui concerne notre secrétaire général. Vous avez tous été témoins de notre travail en commun ces dernières années, et comme moi, avez été heureux de confirmer que les craintes d'Illitch ne s'étaient pas réalisées » [4]. Il propose, soutenu par Kamenev, de maintenir Staline au poste dont Lénine voulait le chasser. Aucune opposition ne se manifeste. La suite allait de soi malgré Kroupskaïa qui voulait la lecture au congrès, par quelque 30 voix contre 10 le comité central décide de garder le « testament » secret et de ne le communiquer qu'aux chefs des délégations du congrès. Trotsky s'est tû d'un bout à l'autre de la réunion : son silence va, pour des années, en faire le complice des faussaires. Pour la deuxième fois, son abstention sauve Staline et ceux qui, déifiant Lénine et dissimulant ses dernières volontés montrent que leur maintien au pouvoir prime chez eux les autres préoccupations. Elle éclaire, en tout cas, son abstention ultérieure : pour Trotsky, le parti reste le parti et ceux qui le dirigent doivent, quels que soient leurs errements, être ménagés, dans l'intérêt même du parti.
Le danger du testament écarté, le XIII° congrès, qui se tient à partir du 23 mai, sera pour les vainqueurs du jour une répétition sur une plus grande échelle et avec plus d'éclat de la XIII° conférence. Zinoviev, le premier aborde la question du conflit sur le cours nouveau dans un long discours d'ouverture et une nouvelle charge contre l'opposition et une autoglorification des dirigeants qui ont surmonté la crise et déjoué la manÅ“uvre visant, par son comité central, à affaiblir, le parti. Encouragé sans doute par le silence de Trotsky sur l'affaire du testament, il affirme que la controverse a montré qu'il était « maintenant mille fois plus nécessaire que jamais que le parti soit monolithique ». Il reprend réquisitoire contre Trotsky et va jusqu'à demander à l'opposition une rétractation publique et la reconnaissance de ses erreurs : « Le pas le plus sensible et le plus digne d'un bolchevik que l'opposition pourrait faire, s'écrie-t-il, serait de venir à la tribune du congrès et de dire : J'ai commis une erreur et le parti avait raison » [5].
Cette prétention, sans précédent dans l'histoire des bolcheviks, provoque quelque émotion parmi les délégués. Kroupskaïa, dont l'autorité morale en tant, que, veuve et collaboratrice de Lénine est grande, montera à la tribune pour dire qu'elle est « psychologiquement inacceptable ». Elle fournira à Trotsky l'occasion d'une réponse simple et digne, souvent interprétée à contresens par les historiens qui veulent y voir plus qu'une affirmation de militant discipliné : « Rien ne pourrait être plus facile que de dire devant le parti : « Toutes mes critiques, et toutes mes déclarations, tous mes avertissements, toutes mes protestations, tout cela n'a été qu'une erreur d'un bout à l'autre. » Mais, camarades, je ne le pense pas. [...] Les Anglais ont coutume de dire « Right or wrong, my country. » Nous pouvons dire avec une bien plus grande justification : qu'il ait raison ou tort, sur certaines questions ou à certains moments, c'est mon parti. » Et il répète ce qui déjà imprégnait les pages de Cours nouveau : « En dernier ressort, le parti a toujours raison, parce qu'il est l'unique instrument historique que la classe ouvrière possède pour résoudre ses problèmes. […] On ne peut avoir raison qu'avec son parti et à travers lui parce que l'histoire n'a pas encore créé un autre moyen pour avoir raison » [6]. Battu, il s'incline, mais ne désespère pas de convaincre. En fait, il maintient qu'il a raison, et, en reprenant tous les arguments développés avant la XIII° conférence, tiendra pourtant à se distinguer des 46 en précisant qu'il est hostile aux groupes dans le parti parce qu'il serait difficile de ne pas les assimiler à des fractions. Préobrajenski montera aussi à la tribune pour protester contre le fait que l'épuration a surtout frappé des opposants et contester - ce que Trotsky n'a pas fait - l'utilisation par le comité central du succès de la promotion Appel de Lénine, car ci c'est faire preuve d'un inadmissible optimisme que de prétendre que cette entrée, d'ouvriers dans le parti confirme et approuve tout ce que nous avons fait en matière de politique interne, y compris les perversions bureaucratiques » [7].
Le congrès, dans plusieurs résolutions, approuve les décisions de la XIII° Conférence et la ligne du comité central, renouvelle la condamnation de l'opposition que Bolchevik quelques jours plus tard taxera encore de « demi-menchevisme intérieur, quart de menchevisme, mille fois dangereux que le menchevisme cent pour cent, le vrai menchevisme » au moment ou il faut une « unité bolchevique à cent pour cent » [8].
C'est en 1924, selon l'histoire officielle, que l'Internationale a été « bolchevisée ». Entre 1919 et 1921, elle est construite sur la perspective de luttes révolutionnaires immédiates pouvant aboutir à brève échéance à la prise du pouvoir dans plusieurs pays. Ainsi s'expliquent les vingt et une conditions imposées aux partis pour leur adhésion et les statuts qui visent à en faire un parti mondial centralisé, un « parti bolchevique international ». Seul Lénine s'inquiète de cette russification : cette organisation, artificiellement imposée à des partis qui n'ont ni l'expérience ni la tradition des révolutionnaires russes, risque de freiner leur développement. Les délégués du III° congrès de l'Internationale communiste ne le suivent pas : ils ne l'avaient pas non plus suivi au II° congrès, lorsque, rappelant la trop grande influence des socialistes allemands dans la II° Internationale, il avait proposé d'installer le siège de l'exécutif à Berlin, afin de réduire l'influence des dirigeants russes.
En fait, c'est le contraire qui se produit, de son vivant même. Les partis communistes, petites sectes comme le parti anglais, grands partis de type sociale-démocrate comme le parti italien ou le parti français, n'ont ni expérience des luttes, ni dirigeants capables de tenir tête aux dirigeants russes. Le parti communiste allemand, après l'assassinat de Liebknecht et Rosa Luxembourg, est divisé en plusieurs tendances violemment opposées. Son ex-secrétaire, Paul Levi, est exclu en 1921, pour avoir publiquement condamné l'action insurrectionnelle de mars. Lénine fait tout son possible pour le conserver dans le parti afin d'éviter la scission et, après son exclusion, il écrit aux communistes allemands, qu'il a « seulement perdu la tête » [9].
Mais avec Lénine disparaît de l'Internationale le souci d'éduquer et d'associer. Zinoviev, sous le prétexte de « bolcheviser » les partis communistes, va en faire des organisations serviles, dépendant entièrement de l'exécutif. Alfred Rosmer, témoin et acteur écrit : « Au moyen d'émissaires qu'il dépêchait dans les sections, il supprimait, dès avant le congrès, toute opposition. Partout où des résistances se manifestaient, les moyens les plus variés étaient employés pour les réduire ; c'était une guerre d'usure où les ouvriers étaient battus d'avance par les fonctionnaires qui, ayant tout loisir, imposaient d'interminables débats ; de guerre lasse, tous ceux qui s'étaient permis une critique et qu'on accablait du poids de l'internationale cédaient provisoirement, ou s'en allaient » [10].
Après la défaite de Trotsky, tous ceux qui l'ont défendu sont frappés. Boris Souvarine, l'un des fondateurs du communisme français, est exclu de la direction, puis du parti, pour avoir traduit et publié Cours nouveau. Brandler, rendu seul responsable de la défaite allemande, est écarté de la direction du parti communiste allemand. Les dirigeants communistes polonais Warski, Walecki et Wera Kostrzewa sont écartés pour avoir protesté contre les attaques dirigées contre Trotsky. Au V° congrès, Zinoviev promet de leur « casser les reins ». Répondant à Staline le 3 juillet 1924, Wera Kostrzewa accuse : « Nous sommes contre la création à l'intérieur du parti d'une atmosphère de lutte permanente, de tension, d'acharnement les uns contre les autres. [...] Je suis persuadée qu'avec votre système vous allez discréditer tous les dirigeants du parti, les uns après les autres, et j'ai peur qu'au moment décisif le prolétariat n'ait plus à sa tête d'hommes éprouvés. La direction de la révolution pourrait tomber entre les mains de carriéristes, de « chefs saisonniers » et d'aventuriers » [11].
Mais le ton, au V° congrès, est donné par une autre militante, la jeune Allemande Ruth Fischer. Eloquente et ardente, mais sans aucune expérience de la lutte des classes, compagne de Maslow, militant allemand d'origine russe, porte-parole de la gauche en 1923, elle a été imposée à la tête du parti communise allemand par Zinoviev à la place de la vieille garde des militants de la ligue Spartacus condamnés comme « droitiers ». Elle incarne la tendance « bolchevisante », dénonce comme « liquidateurs mencheviques » Trotsky, Radek et Brandler et réclame la transformation de l'internationale en « parti bolchevique mondial » monolithique d'où seraient exclus tous conflits de tendance. Ce programme est, en fait, déjà aux trois quarts réalisé. La subordination définitive à Moscou des partis communistes a été possible seulement parce que ce parti bolchevique conserve aux yeux des ouvriers avancés le prestige révolutionnaire du vainqueur d'octobre. Wera Kostrzewa reflète le sentiment de bien des communistes quand elle affirme, à la fin de son intervention, à l'adresse de Zinoviev et Staline : « Vous savez qu'il nous est impossible de lutter contre vous. Si demain, vous demandiez aux ouvriers polonais de choisir entre nous et l'Internationale Communiste, vous savez très bien que nous serions les derniers à leur dire de vous suivre » [12]. La pseudo-bolchevisation, tuant esprit critique et pensée communiste indépendante, anéantit ainsi toute chance de faire des partis de l'Internationale des partis capables de jouer le rôle joué en Russie par le parti bolchevique.
Militant discipliné, acceptant pour le moment de s'incliner et de taire, Trotsky reste inquiétant pour la troïka. Le Bolchevik du 5 Juin ne dissimule pas son irritation à propos du « discours en caoutchouc » qu'il a tenu au XIII° congrès. Elle n'a cependant pas intérêt à le provoquer et, du moment qu'il accepte de se taire sur les problèmes politiques essentiels, s'attache à ne pas le faire. Pourtant, Trotsky n'est pas décidé il se laisser enterrer sous la calomnie. Une occasion de s'expliquer lui est offerte avec la publication, depuis longtemps prévue, du volume III de ses Ecrits et discours aux Editions d'Etat, consacré précisément à l'année 1917. Ces textes sont, évidemment, irréfutables en eux-mêmes et donnent à Trotsky la place qui fut la sienne au cours de la révolution, le premier après Lénine, comme il consentait il l'admettre, sinon le premier avec lui. Mais l'histoire, pour le militant et combattant impénitent, n'a de valeur que si elle est comprise, expliquée, que si elle sert d'instrument pour transformer le monde, pour le troisième volume de ses Å“uvres, Trotsky écrira une étude qui est l'équivalent d'une épaisse brochure, dans laquelle il reprend, à propos d'Octobre, les « leçons » qui lui paraissent essentielles et dans laquelle il regroupe les idées principales défendues par lui sur le rôle du parti dans la révolution à plusieurs reprises et notamment au cours de l'année 1923. Du terrain solide, irréfutable, que constitue le passé et que lui fournissent les textes publiés par les Editions d'Etat, il entend faire un tremplin pour tout le parti, pour la compréhension de l'étape qui vient à peine de commencer, pour l'avenir.
Les pages denses de la préface intitulées « Leçons d'Octobre » brossent d'abord un tableau d'ensemble de l'histoire du parti bolchevique. Trotsky y distingue trois périodes : La période préparatoire, avant 1917, l'époque révolutionnaire, 1917, l'ère post-révolutionnaire. Des trois - et ce n'est pas seulement parce que Trotsky y fut l'incarnation du bolchevisme consacré par l'expression courante à l'époque du « parti de Lénine et Trotsky » -, c'est évidemment la deuxième qu'il juge l'époque décisive : elle fut pour le parti l'épreuve par excellence, sa justification historique. Or l'histoire, telle qu'elle ressort des documents et des écrits et discours de Trotsky comme de tout autre, fait apparaître au cours de l'année deux crises au sein du parti : celle d'avril où la majorité des cadres bolcheviques orientés vers la conciliation avec les mencheviks et l'adaptation à une république démocratique se cabrent sous les coups que donne Lénine, dictant, avec l'appui de l'avant-garde ouvrière, la nouvelle orientation, - et celle d'octobre où Zinoviev, Kamenev et une partie de l'état-major bolchevique ne cèderont à Lénine que parce qu'il a su rallier l'assentiment des larges masses et leur démontrer dans l'action et le succès la justesse de son point de vue. La « leçon » est d'importance : c'est l'autorité de Lénine et son sens des mouvements sociaux profonds qui ont pu seuls venir à bout, lors de l'épreuve décisive, de la vieille garde bolchevique qui se prétend aujourd'hui gardienne de la tradition. Trotsky souligne que Zinoviev, ni Kamenev n'ont pas le moindre titre à se prévaloir du « léninisme » dans la mesure où, au cours de circonstances décisives, à la veille notamment de la prise du pouvoir, ce mur où l'on voit le maçon révolutionnaire, ils ont pris position contre Lénine, que lui, Trotsky, dont le passé n'était pas bolchevique, épaulait sans restriction.
D'octobre 17, il passe à octobre 23, rappelle à grands traits la situation en Allemagne l'année précédente, les hésitations du parti communiste allemand, qui laisse passer le moment favorable et s'effondre sans combat. Ce que l'Octobre russe a démontré de façon positive, l'Octobre allemand l'a confirmé de façon négative : or ce sont les mêmes dirigeants du parti qui ont la responsabilité de l'Internationale - que Zinoviev préside - et, avec elle, de l'échec de la révolution allemande : ils ont eu, quand il fallait tourner et marcher hardiment au pouvoir, le même réflexe conservateur que six ans plus tôt en Russie. La classe ouvrière allemande, dans une situation objective favorable, avait un parti communiste, elle n'avait pas, ni à l'échelon national, ni à celui de l'Internationale, une direction à la hauteur de celle de Lénine, et c'est pourquoi elle a été battue.
L'attaque est dévastatrice : profondément étayée par l'histoire et la réalité contemporaines, elle est d'une solidité à toute épreuve. Pourtant, en mettant l'accent sur le rôle de la direction, à son sommet le plus élevé, elle minimise aux yeux de bien des militants le rôle du parti lui-même. Enfin, répondant aux « révélations » de la troïka sur le passé menchevique de Trotsky par ce qui est en réalité une « révélation» sur le passé « conciliateur » de Zinoviev et Kamenev, elle semble une querelle personnelle, un déballage de linge sale, qui, finalement, contribuera à discréditer tous les protagonistes, acharnés ainsi à se démolir réciproquement leurs légendes de bolcheviks de fer, lieutenants fidèles de Lénine.
La parution du livre, avec sa préface inédite, est annoncée par la Pravda dès le 12 octobre. Ainsi que l'ont souligné Pierre et Irène Sorlin dans leur minutieux examen de la presse, il faut attendre le 2 novembre pour qu'un article, « Comment ne pas écrire l'histoire d'Octobre » [13], parle de nouveau d'un livre que tous les militants connaissent. Les journaux, à partir du 12 novembre, sont remplis de lettres et de motions de protestations d'organisation locales dont on peut à bon droit supposer qu'elles ont été téléguidées par l'appareil, ce qui explique parfaitement leur nombre, leur simultanéité, ainsi que le délai de réaction, incompréhensible autrement.
En tout cas, la campagne qui se déclenche sera d'une extraordinaire violence. Nous nous contenterons d'une énumération sommaire des articles des chefs de file consacrés à la préface pendant ces quelques semaines, 18 novembre – « Léninisme ou trotskysme » par Kamenev [14], 19 novembre « Trotskysme ou léninisme » par Staline [15], 30 novembre « Bolchevisme ou trotskysme » par Zinoviev [16]. Tous ces articles accusent Trotsky de « révisionnisme », de tentative de « liquidation du léninisme ». Puis viennent les articles contre la « révolution permanente ». Kamenev, de nouveau le 10 décembre, Boukharine le 12, Staline le 20, une de ses premières incursions dans la théorie, concluant, dans son style si particulier. « Ce n'est pas avec des discours mielleux et une diplomatie pourrie que l'on cachera l'abîme béant qui sépare la théorie de la « révolution permanente » du léninisme. »
Ce sont là les grosses bombes. Mais Trotsky est pilonné de tous côtés, avec la puissance de feu que permet le contrôle de l'appareil sur la presse, l'utilisation systématique de tous les documents existant dans les archives, l'exhumation dans les polémiques du temps passé - qui n'en manquent pas - et l'exhibition saris explication, hors du contexte qui était de leur, des formules les plus tranchantes : le lecteur de la Pravda apprendra au même instant que Lénine traitait Trotsky de « cochon », tandis que ce dernier faisait confidence de ses griefs contre Lénine au menchevik Tchkheidzé. Des textes bien choisis, des citations bien découpées peuvent donner l'impression que Trotsky fut l'antiboichevik de toujours, l'adversaire irréductible de Lénine. Même celui qui n'a pas oublié 1917 peut plier sous le poids des ligues : peu importe que Zinoviev et Kamenev aient été traités de « jaunes » et Staline d'« argousin », puisqu'on ne répète pas la première affirmation et qu'on ignore la seconde. Le membre ordinaire du parti pour qui 1917 n'était, dans le meilleur des cas, qu'une glorieuse légende, admet, non sans amertume par fois, le rôle du méchant Trotsky sans croire vraiment aux mérites du bon Zinoviev. Dans la troïka, le discret Staline est le moins éclaboussé, son rôle mineur avant et pendant 1917 lui permettant d'échapper au discrédit qui frappe les anciens premiers rôles.
A la fin de la guerre civile, Lénine avait - croyait-il - définitivement blanchi Zinoviev et Kamenev en écrivant dans L'Internationale communiste : « Immédiatement avant la révolution d'octobre et aussitôt après un certain nombre d'excellents communistes en Russie ont commis une erreur que chacun s'en voudrait de mentionner aujourd'hui. Pourquoi ? Parce que, à moins que ce ne soit absolument nécessaire, il est faux de rappeler des erreurs qui sont entièrement rectifier » [17]. Une seule voix s'élève aujourd'hui pour faire entendre un point de vue marqué du souci de conserver tous les cadres précieux, et qui avait amené Lénine lui-même aussi bien à accueillir comme son égal ce « cochon » de Trotsky que garder à ses côtés les « jaunes » Zinovieve et Kamenev. Kroupskaia dit en effet le 16 décembre qu'« elle ne sait si le camarade Trotsky est coupable de tous les péchés mortels dont on l'accuse, non sans intention polémique », rappelle sa participation réelle à 1917 et ce que le parti lui doit, mais conclut en disant que « quand un camarade comme Trotsky prend, inconsciemment peut-être le chemin de la révision du léninisme, le parti a son mot à dire » [18]. Une lettre de Trotsky, publiée dans la Pravda du 20, rappelle que son livre constitue simplement le développement d'idées fréquemment exprimées par lui auparavant et qui ne lui ont jamais valu de telles attaques [19].
A longueur de colonnes, le secrétariat, par tous les organes, écoles, instructeurs, orateurs, propagandistes, forge le « trotskysme ». Trosky a, de tous temps, sous-estimé le rôle du parti et défendu, depuis 1903, des conceptions qui sapent ses fondements et en font le « porte-parole des influences petites-bourgeoises ». En même temps il a toujours sous-estimé la paysannerie et défendu une politique risquant de briser l'alliance entre ouvriers et paysans. Tous ses désaccords avec Lénine dans le passé, sur le parti avant-guerre, sur Brest-Litovsk, sur les syndicats, s'expliquent par ces deux vices. C'est en raison des mêmes déviations qu'il prône la planification, méthode d'autocrate, l'industrialisation au détriment des paysans, et qu'il s'efforce de détruire de l'intérieur la direction qui l'a démasqué. Ainsi développé, le « léninisme » n'est plus qu'un alibi justifiant la politique présente, la main de fer dans le parti et les concessions aux paysans.
Il faut éduquer le parti. Une résolution du comité central du 17 janvier 1925 décide de « continuer le travail pour dévoiler le caractère antibolchevique du trotskysme » et « introduire dans les programmes de l'enseignement politique l'explication de son caractère petit-bourgeois [20]. La révision de l'histoire elle-même est proche. Pour le présent, ayant par ses attaques donné aux « éléments anti-soviétique et chancelants » le « signal du regroupement contre la politique du parti », est avisé que « l'appartenance au parti bolchevique exige une subordination effective et non seulement verbale à la discipline et un renoncement total et sans réticence à toute lutte contre le léninisme », autrement dit à toute opposition. Sa place n'est plus au commissariat à la guerre et au comité révolutionnaire de guerre : sur sa demande, il est libéré de ses fonctions. Seule l'opposition de Staline, circonspect vis-à-vis de ses alliés, empêche Zinoviev et Kamenev d'obtenir son exclusion, que les jeunes communistes de Léningrad vont réclamer à grands cris.
L'élimination de Trotsky du gouvernement en 1925 n'est en somme que la conséquence ultime de la défaite de l'opposition de 1923. Mais de nouvelles difficultés vont provoquer de nouveaux conflits. La direction, en 1923 et 1924, a maintenu la Nep : c'est dans le développement de ses conséquences que se trouve la racine de nouvelles oppositions.
La Russie de 1925 est certes sortie de la période de crise qui avait culminé en été 1923. Elle travaille, les champs sont cultivés, les usines tournent, les trains roulent, le commerce est actif. Aucune illusion cependant n'est possible. L'agriculture est toujours aussi arriérée. Aucune industrie lourde n'a été véritablement remise en route. La prospérité du commerce privé ne dissimule pas la médiocrité du niveau de vie général auquel elle contribue, puisque les 900 millions de roubles de capitaux placés dans le commerce privé rapportent annuellement 400 millions d'intérêts. La lutte de classes continue : le paysan, certes, se nourrit, lui et sa famille, mais il est pratiquement privé de tout produit industriel, dont le prix est le double d'avant-guerre, alors que sa production à lui a gardé la même valeur, alors aussi que l'ouvrier gagne et mange moins qu'avant-guerre.
Si des oppositions sociales se dessinent dans les villes entre d'une part commerçants et nepmen enrichis, administrateurs rouges et spécialistes, et, d'autre part les ouvriers, elles ne sont pas moindres dans les campagnes. Environ 3 à 4 % des paysans, les koulaks, des paysans aisés, sont les véritables bénéficiaires de la Nep et de la réapparition du marché ; ils détiennent la moitié des terres ensemencées, 60 % des machines et sont pratiquement les seuls à profiter de la vente du surplus de leur récolte : 2 % des koulaks les plus riches fournissent 60 % des produits jetés sur le marché. L'écart se creuse entre eux et les paysans pauvres ou moyens, qui dépendent d'eux : ce sont aux koulaks en effet, qu'appartiennent 75 % des 7 millions, 7 d'hectares de terres illégalement louées par des paysans pauvres ou moyens qui ont cherché d'autres ressources ; ce sont eux qui emploient les 3 500 000 salariés agricoles et les 1 600 000 journaliers qui perçoivent des salaires inférieurs de presque 40 % à ceux que versaient avant-guerre les grands propriétaires [21]. Le paysan pauvre, toujours écrasé par l'usure, puisqu'il paie quatre fois plus d'intérêts pour ses dettes que d'impôts, est entièrement sous sa dépendance, d'autant que le parti, de crainte des réactions des koulaks, freine ou empêche la formation des syndicats de paysans pauvres qui avaient été l'un des axes de la politique dit communisme de guerre. La conséquence la plus grave de l'accroissement de la puissance du koulak est qu'il peut en définitive peser sur le marché et menacer tout l'équilibre économique en ralentissant ou en suspendant à son gré la livraison de ses surplus. Ses intérêts immédiats, ou, si l'on veut, ses tendances capitalistes, risquent à chaque instant de provoquer un heurt avec le régime ou, au moins, un nouveau recul de sa part. En 1925, la baisse des livraisons provoque une crise, de subsistance, oblige le gouvernement à arrêter l'exportation de grains, et faute de pouvoir les payer, à annuler les commandes de machines et de matières premières destinées à l'industrie. Le koulak ralentit ainsi l'industrialisation, en la subordonnant à ses exigences propres. Personne ne songe à revenir aux méthodes du communisme de guerre. La question, pourtant, est posée : l'industrialisation doit-elle dépendre exclusivement de la satisfaction des revendications du paysan aisé ?
Ce sera l'objet, entre autres, d'un débat de haut niveau théorique entre deux des esprits les plus distingués, des économistes les plus brillants du parti, Boukharine et Préobrajenski, les anciens coauteurs de l'A.B.C. du communisme, anciens communistes de gauche dont les opinions, depuis 1923, divergent à l'extrême.
L'Å“uvre d'Eugène Préobrajenski est encore pratiquement inconnue aujourd'hui : le premier volume de sa grande Å“uvre sur l'Economie nouvelle a seul paru et n'a jamais été traduit du russe avant sa mise au pilon. Il s'agit pourtant d'une tentative du plus grand intérêt, dont les analyses et les conclusions fournissent les bases de toute étude sur le développement d'une économie, de type socialiste en pays sous-développé, puisque, l'ambition, du chercheur et du savant qu'était Préobrajenski l'a conduit à tenter d'appliquer à l'économie soviétique les « catégories » du Capital.
Son analyse part de la situation de l'économie soviétique, où un Etat ouvrier, dirigeant une industrie nationalisée, s'efforce de développer une économie moderne dans le cadre d'un pays arriéré. De façon générale, il pense que la victoire de la révolution dans un pays arriéré et isolé, ou même dans un groupe de pays qui n'auraient pas atteint le développement économique maximum, en l'occurrence les Etats-Unis, crée une situation extrêmement critique du fait que le pays, après la révolution, perd les avantages qu'offre le système capitaliste pour son développement économique, sans avoir pour autant la possibilité immédiate, faute de bases, de profiter des avantages du système socialiste. C'est ainsi que le paysan moyen et surtout le koulak, déchargé du fardeau des taxes de l'ancien régime, peut se permettre de diminuer ses livraisons et d'augmenter ses prêts au paysan pauvre ou sa propre consommation, dans la mesure où l'industrie ne lui offre pas, ou seulement à des prix prohibitifs, les produits qui pourraient l'inciter à vendre. Cette « période de transition » est extrêmement dangereuse du fait de l'infériorité où se trouve le pays qui a fait sa révolution dans la compétition avec le « capitalisme des monopoles » : c'est ainsi que la Russie voit son marché lié à une industrie technologiquement arriérée, alors qu'elle vend les produits de son agriculture au prix du marché mondial, payant deux fois ce qu'elle accumule pour investir. Cette période est donc pour Préobrajenski « la période la plus critique du développement de l'Etat socialiste ». Il précise : « C'est une question de vie on de mort que nous franchissions cette période de transition aussi vite que possible pour atteindre le point où le système socialiste produit tous ses avantages » [22] : face à la menace d'une alliance entre le koulak russe et le capitalisme international, il constate que les Russes construisent le socialisme « dans un répit entre deux batailles ».
La tâche de l'économiste est donc d'analyser les lois du développement économique de la période de transition, loi qui sont des « forces objectives » comparables aux lois économiques qui régissent le capitalisme et qui peuvent, elles, fonctionner indépendamment de la conscience que les hommes en ont comme l'expression du système. La première est que pour lutter contre le capitalisme des monopoles, le système socialiste doit pratiquer le « monopolisme socialiste », soit une extrême concentration de l'autorité économique étatique sur l'industrie et le commerce extérieur : en Russie, il est imposé par la nécessité absolue de mettre fin au surpeuplement rural qui permet en fait le chantage que les koulaks exercent sur l'Etat en boycottant l'industrie, comme par celle de créer, avec l'équipement du pays, la « nouvelle base technologique » qui seule peut permettre un développement de toute l'économie. Il impose « la concentration de toutes les grosses industries du pays entre les mains d'un seul trust, c'est-à-dire de l'Etat ouvrier » [23] afin de mener, sur la base d'un monopole, une politique des prix qui permette d'en faire une « autre forme de taxation de la production privée ». Ce monopolisme s'imposera inéluctablement, quelles que soient les réticences des dirigeants à son sujet : « La structure actuelle de notre économie nationalisme se révèle souvent plus progressive que notre système de direction économique » [24]. Malgré leurs résistances, le développement des forces productives par l'intermédiaire de l'industrie monopoliste d'Etat se fera sous le signe de ce que Préobrajenski appelle la « loi de l'accumulation socialiste primitive » : nous vivons sous le talon de fer de la loi de l'accumulation socialiste primitive » [25].
Le terme - emprunté, par Préobrajenski à Sapronov et déjà utilisé par Trotsky en 1922 - est devenu en quelque sorte la clef de voûte du système d'idées prêté à Préobrajenski, et n'a pas toujours été exactement compris. Employé par référence à l' « accumulation capitaliste primitive » dont Marx avait décrit le fonctionnement dans les premiers temps du système capitaliste, il signifie qu'un pays arriéré ne peut s'industrialiser rapidement par les seules forces d'une industrie d'Etat, mais doit avoir recours à une accumulation obtenue aux dépens des fonds normalement consacrés aux salaires et aux revenus du secteur privé. La loi d'accumulation socialiste primitive contraint donc l'Etat ouvrier à « exploiter » - au sens économique du terme - verser un salaire inférieur à la valeur produite - la paysannerie, à donner priorité à l'industrie lourde dans les plans et, contrairement à ce qui se fera dans la période socialiste de l'avenir, à diriger l'économie du point de vue, non du consommateur, mais du producteur.
Bien entendu, le fonctionnement de la loi en période de transition - que Préobrajenski estimait à vingt ans en cas de victoire révolutionnaire en Europe occidentale - entraîne des conséquences qui sont en contradiction avec la tendance générale du développement. L'« exploitation » de la paysannerie, signifiant que les revenus paysans croissent inévitablement moins vite que ceux des autres salariés, ne peut manquer de provoquer une opposition politique qu'il faut surmonter par le développement d'exploitations coopératives et une politique fiscale bien dosée. La centralisation de l'économie aboutira à la création d'un énorme appareil « monopoliste » à tendances parasitaires, jouant à son tour le rôle de frein au développement général, créant une couche de privilégiés, administrateurs et techniciens s'élevant socialement au-dessus des travailleurs. De façon générale, l'économie de transition est génératrice d'inégalité sociale, les privilèges ne disparaissant définitivement qu'avec l'épanouissement maximum des forces productives et l'abolition de toute distinction entre travail manuel et intellectuel. Le marxiste conscient des « lois objectives » doit hâter ce développement par l'action politique du parti, organisation de la classe ouvrière. En Préobrajenski, le savant et l'économiste cédait ici la place au politique et au militant, leader de l'opposition, pour souligner que les tendances parasitaires de l'appareil monopoliste et la prédominance du point de vue du producteur, agissant sous leur propre poids, doivent être corrigées par l'action ouvrière s'exerçant du point de vue du consommateur, ce qui suppose évidemment l'existence d'une réelle démocratie ouvrière et la garantie aux ouvriers des moyens de leur défense contre l'Etat. De façon plus générale, l'ensemble des contradictions conduit Préobrajenski à conclure : « Notre développement vers le socialisme est confronté avec la nécessité de mettre fin à notre isolement socialiste pour des raisons qui ne sont pas seulement politiques mais économiques, et de chercher à l'avenir un soutien dans les ressources matérielles d'autres pays socialistes » [26].
C'est Boukharine qui sera le principal adversaire de la thèse de Préobrajenski, qu'il qualifie d'emblée de « monstrueuse », la prétendu loi de l'accumulation socialiste primitive, justification de l'exploitation de la paysannerie, risquant de mener à la rupture de l'alliance ouvriers-paysans et ne servant en définitive, à ses yeux, qu'à justifier, au travers de la centralisation de l'appareil économique d'Etat, l'apparition, à partir du prolétariat, d'une nouvelle classe d'exploiteurs. C'est que l'ancien prophète de la révolution européenne a perdu, il l'a avoué, une partie de ses illusions avec la faillite du communisme de guerre. Deutscher dit qu'il découvrit brusquement que « le bolchevisme restait seul avec la paysannerie russe » et qu'il se tourna vers les paysans « avec la même ferveur, le même espoir, la même capacité d'idéalisme avec lesquelles il avait jusque-là considéré le prolétariat européen » [27]. Cette séduisante explication recouvre sans doute la manière d'être de Boukharine. Mais ses motifs profonds ont leur racine dans une analyse qu'on a pu - les deux hommes ne s'en sont pas privés – opposer presque point par point à celle de Préobrajenski.
La faillite du communisme de guerre comporte une dure leçon, à ses yeux : il vaut mieux, ainsi que le dit Erlich résumant sa pensée, « élever les poules aux Å“ufs d'or que les tuer » : « En utilisant l'initiative économique des paysans, petits-bourgeois et même bourgeois, en tolérant en conséquence l'accumulation privée, nous les mettons objectivement au service de l'industrie socialiste d'Etat et de l'économie dans son ensemble; c'est là la signification de la Nep » [28]. Avec le communisme de guerre a été condamnée la conception totalitaire de la planification. Désormais, « nous occupons les postes de commande et tenons fermement les positions-clés ; et alors notre économie d'Etat, par différents chemins, parfois même en compétition avec ce qui reste de capital privé, continue de se renforcer et absorbe graduellement les unités économiques arriérées - un processus qui se produit pour l'essentiel au travers du marché » [29].
Pour développer l'industrie, il faut d'abord abaisser les prix industriels, ce qui présentera le double avantage d'interdire les « gains monopolistes » et d'obliger les industriels rouges à accroître la productivité de leurs entreprises, tout en réamorçant l'activité du marché. La demande accrue des paysans doit être le moteur de cette réanimation mais ne sera possible que si eux-mêmes peuvent augmenter leur revenu et investir, ce qui leur est interdit par les limitations que leur impose l'Etat soviétique : « La couche aisée de la paysannerie et les paysans moyens qui veulent devenir aisés ont aujourd'hui peur d'accumuler. Il se crée une situation dans laquelle un paysan craint de couvrir sa demeure d'une charpente métallique parce qu'il a peur d'être- désigné comme koulak ; s'il achète une machine, il s'arrange pour le cacher aux communistes. […] Le paysan aisé est mécontent parce que nous ne le laissons pas accumuler et louer des travailleurs salariés ; d'un autre côté, les paysans pauvres qui souffrent de la surpopulation regimbent parce qu'il ne leur est pas permis de se louer » [30]. Il faut donc lever toutes les contraintes qui pèsent sur le paysan, parce que le socialisme ne le convaincra que s'il exerce sur lui un attrait et lui paraît économiquement avantageux. La coopération sera le pont vers les fermes collectives et le socialisme dans l'agriculture, mais elle doit être introduite avec prudence et confinée d'abord à la « sphère de la circulation ».
L'enrichissement du paysan, condition de la reprise de l'industrie et du développement économique comporte évidemment le risque du développement d'une classe sociale qui constitue en Russie le dernier vestige du capitalisme. Mais l'Etat ouvrier pourra, par les leviers de commande, harmoniser le développement graduel, le régulariser par un impôt direct progressif et, surtout, intégrer pas à pas jusqu'au koulak dans le développement d'ensemble, car, dit Boukharine, « tant que nous sommes en haillons, le koulak peut nous battre sur le terrain économique. Mais il ne le fera pas si nous lui permettons de déposer son épargne dans nos banques. Nous l'aiderons, mais il nous aidera » [31]. Dans une longue perspective - Boukharine invoque la reconnaissance du « petit-fils du koulak » -, le monde paysan se nivelant socialement par le haut et passant, à un degré de technologie supérieur, à l'exploitation collective, le koulak mourra finalement d' « euthanasie » comme dit Erlich.
Partant de prémisses opposées à celles de Préobrajenski, la primauté des problèmes de consommation et de marché, la baisse des prix industriels, Boukharine aboutissait à une conclusion également opposée, la « construction du socialisme même sur une base technologique médiocre » : « Nous devons avancer à tout petits tout petits pas, traînant derrière nous notre gros char paysan » [32]. Par une étrange ironie, ce brillant disciple de Marx retrouvait la tradition du populisme à travers l'étude des problèmes de la période de transition, Tournant le dos à ses illusions de jeunesse, il répliquait à Préobrajenski que la victoire mondiale de la révolution elle-même ne poserait pas le problème autrement que dans les termes « russes » à l'échelle mondiale et que sa perspective plus ou moins éloignée ne devait pas compter dans la détermination de la politique du parti. Surtout, dans l'antagonisme entre villes et campagnes qui reprenait au printemps 1925 une forme aiguë, il se posait en défenseur et même, dans une certaine mesure, en porte-parole des paysans, dans la crainte que ne soient détruites les conditions de l'équilibre social nécessaire à ses yeux au développement économique.
C'est ce qui apparaîtra clairement avec son célèbre discours prononcé au théâtre Bolchoï, à Moscou, le 17 avril, dans lequel, après avoir repris ses arguments favoris sur les progrès de l'accumulation paysanne, il affirme : « Aux paysans, à tous les paysans, nous devons dire : Enrichissez-vous, développez vos fermes et ne craignez pas que la contrainte s'exerce sur vous. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, nous devons développer la ferme aisée pour aider les paysans pauvres et moyens » [33]. Le propos fera scandale. Il le retirera formellement, ce qui ne change rien au fond de sa pensée. Ses élèves, le groupe de l'Institut des professeurs rouges, Stetski, qui a suggéré, dans la même optique, la suppression du monopole du commerce extérieur, Bogouchevski, qui affirme que d'ores et déjà le koulak « est un type social décrépit dont survivent seulement quelques spécimens », Slepkov, qui parle d'un élargissement de la Nep en une « néo-Nep », sont rappelés à la prudence. Mais tout en critiquant leurs formules excessives, la XIV° conférence adopte la voie qu'ils ont tracée en autorisant la location des terres et l'emploi de main-d'Å“uvre salariée, en mettant à son programme des crédits pour l'équipent agricole, la baisse des prix industriels, la libération des prix agricoles, l'allégement de l'impôt foncier. La campagne, les paysans aisés semblent triompher. La réaction viendra d'une grande ville, Léningrad.
Léningrad - l'ancienne Saint-Pétersbourg - était depuis le temps des tsars le bastion du prolétariat industriel moderne : elle a fourni la majorité des militants ouvriers qui ont, été le cÅ“ur du parti en 1917 puis ont animé les soviets du pays entier et encadré politiquement l'armée rouge. Certes - du fait même de cette promotion ou de cette saignée -, l'organisation du parti de Léningrad ne peut être comparée à, celle du Pétrograd de 1917-18. Portant elle a conservé des traits originaux qui expliquent en partie son intervention de 1925. A cette date, dans la province, sur 50 000 membres et 40 000 stagiaires, on compte 72 % d'ouvriers contre 11 % seulement de fonctionnaires. Nulle part ailleurs il n'y a dans le parti une si forte proportion d'ouvriers - et par-dessus le marché, 36,4 % d'entre eux sont des métallos, secteur traditionnellement le plus avancé. Il n'est donc pas étonnant que les théories de Boukharine y aient éveillé une vive opposition : les ateliers de construction, les chantiers navals sont fermés, il y a plusieurs dizaines de milliers de chômeurs pour qui l'industrialisation, et l'industrialisation rapide, est une question vitale et qui ne sont pas prêts à mettre suivant l'excellent raccourci d'Isaac Deutscher, la thèse selon laquelle ce serait le moujik qui déterminerait le rythme de la reconstruction industrielle, en l'occurrence « le pas de la tortue ».
Le parti est, certes, un fief de Zinoviev, dont la poigne est bien connue et qui a en vite fait en 1923 de réduire l'opposition. Mais les « activistes » de Léningrad eux- mêmes sont sensibles au mécontentement des ouvriers qu'ils encadrent : magnifiés par la propagande officielle, fiers d'être les successeurs du fer de lance du parti bolchevique, d'être l'avant-garde de la Commune du nord, portés aux nues pour la victoire qu'ils ont remportée sur l'opposition, ils ne peuvent guère accepter sans broncher une ligne qui minimise en définitive leur propre rôle présent et futur et, en les livrant au mécontentement de ceux qu'ils administrent, sape la base même de leur autorité. En septembre, le vieux-bolchevik Zaloutski, secrétaire du comité du parti de la province de Léningrad, prononce un discours, bientôt reproduit en brochure, dans lequel il exprime le désappointement des ouvriers, qui demandent si c'est bien une révolution prolétarienne qui a triomphé en octobre : il parle de Thermidor par analogie avec la Révolution française et de « dégénérescence » venue de l'intérieur, du cÅ“ur même des forces du parti, compare Staline à Bebel, le pape de la social-démocratie allemande, comme lui incarnation de l'appareil et arbitre des conflits entre gauchistes et révisionnistes. Face à la nouvelle droite qu'incarnent Boukharine et ses amis de l'Institut des professeurs rouges, une nouvelle gauche apparaît, distincte de l'opposition de 1923, peu au fait des positions théoriques et des études scientifiques de Préobrajenski, mais indubitablement liée à une couche prolétarienne du parti.
Zaloutski, en réalité, n'est rien par lui-même : homme de Zinoviev, il n'a pas agi de sa propre initiative. Il cède à la pression de la base de son organisation certes, mais avec, l'aveu de son « patron » ; son discours est le premier symptôme public de la rupture qui se prépare depuis des mois entre les triumvirs.
Déjà, à la fin de 1924, le secrétaire général a essayé de réduire l'emprise exclusive que ses partenaires, Zinoviev et Kamenev, exerçaient sur les organisations respectives de leurs fiefs de Léningrad et de Moscou. Le secrétaire de Moscou, Zelenski, a été muté en Asie centrale et remplacé par Ouglanov, venu de Nijni-Novgorod. La plupart des historiens s'accordent à penser que seule l'attaque de Trotsky dans Leçons d'Octobre a soudé le triumvirat près d'éclater et contraint Zinoviev et Kamenev à remettre à plus tard la contre-offensive à propos de ce qui était indubitablement un empiètement sur leur domaine réservé. Sans tambour ni trompette, en tout cas, Ouglanov a pu profiter de ce répit forcé pour « réorganiser » l'appareil régional en plaçant aux divers échelons des hommes sûrs : les rancÅ“urs encore bien vivantes contre les bureaucrates qui avaient écrasé l'opposition de Moscou lors de la discussion sur le Cours nouveau ont incontestablement facilité sa tache, et l'épuration des épurateurs s'est faite à Moscou sous l'Å“il goguenard des anciens oppositionnels, qui y ont vu un juste retour des choses.
Le premier conflit plus sérieux s'est produit au cours de 1925 quand Staline, suivi par la majorité, a refusé à Zinoviev et Kamenev l'exclusion de Trotsky du bureau politique. Zinoviev est allé jusqu'à accuser Staline d'être « à moitié trotskyste », et l'organisation des Jeunesses de Léningrad a déclenché un baroud à la fois contre Trotsky et contre la direction nationale, qui s'est finalement terminé par l'éviction de son responsable adulte, Safarov. Dans l'internationale fief de Zinoviev, d'autres conflits mûrissent. Contre Maslow et Ruth Fischer, protégés de Zinoviev, qui voudraient une candidature commune avec les social-démocrates contre celle du maréchal Hindenburg à la présidence du Reich, Staline, en Allemagne, soutient Thaelmann, partisan d'une candidature communiste, coûte que coûte. Maslow et Ruth Fischer, battus, sont évincés de la direction. Le contrôle de l'Internationale semble en train d'échapper à Zinoviev.
Les occasions de conflit se multiplient dès le printemps 1925 : Zinoviev et Kamenev s'opposent, au bureau politique, à ce que soit présentée à la XIV° Conférence une résolution élaborée par Staline, affirmant, contre la « révolution permanente » de Trotsky, la possibilité de la construction du socialisme dans un seul pays ». Un compromis intervient. Mais la crise économique fournit de nouvelles occasions de friction : Zinoviev et Kamenev critiquent ouvertement la ligne défendue par Boukharine, et c'est vraisemblablement sous leur pression que seront désavouées les formules les plus ouvertement droitières.
Sans que le débat soit devenu public et officiellement reconnu, Zinoviev l'aborde dans des discours et brochures. En septembre 1925, il publie un gros recueil intitulé Le léninisme. Après plusieurs centaines de pages consacrées aux « trotskysme » et aux habituelles accusations, il examine les problèmes posés par la Nep. Pour les aborder, il a l'habileté de partir d'un ouvrage récent l'émigré blanc Oustrialov, celui dont Lénine disait qu'il indiquait aux bolcheviks le danger menaçant en disant « sa vérité de classe ». Dans l'ouvrage Sous le signe de la révolution, édité en Mandchourie, Oustrialov, après avoir analysé la situation en Russie « où, dans tout le peuple, renouvelé, mais aussi fatigué par la tempête, une volonté de paix, de travail, de soumission s'est réveillée », écrivait : « Propriétaires, enrichissez-vous ! Mot d'ordre de vie, mot d'ordre d'assainissement, cri intérieur génial », et concluait : « Le mot d'ordre de croissance et d'individualisme est sain comme la campagne laborieuse, inévitable comme la vie, impérieux comme l'histoire » [34]. Les propos de cet habile « ennemi de classe » permettent à Zinoviev d'affirmer que le principal danger peut venir de « l'ébranlement de la dictature du prolétariat par les influences petites-bourgeoises et anti-prolétariennes qui s'exercent sur l'appareil étatique, sur l'économie et même sur le parti » dans un pays où la population petite-bourgeoise est prédominante, où le capitalisme renaît partiellement, « les petits bourgeois et la bourgeoisie nouvelle étant rattachées par mille liens à la bourgeoisie internationale » [35], où l'Etat est fortement entaché de breaucratisme, où la grande industrie n'a pas rattrapé le niveau de 1913, tout cela dans le cadre de l'encerclement capitaliste.
S'appuyant ensuite sur force citations de Lénine, analysant la Nep comme une retraite stratégique où la marche au socialisme se fait par la construction d'un capitalisme d'Etat, Zinoviev souligne que la « lutte des classes se poursuit sous la dictature du prolétariat et notamment sous la Nep », particulièrement à la campagne. Or là, aucun doute n'est possible : « Les koulaks sont les ennemis du pouvoir soviétique », infiniment plus dangereux que les nepmen car « 3 % de koulaks dans les campagnes constituent une force énorme ». L'attaque ici est plus directe encore contre Boukharine et ses disciples : « Essayer maintenant de faire accroire que le koulak n'existe pas, lancer des phrases comme « le koulak n'est pas dangereux », c'est suggérer [...] que [...] nous ne considérons plus le koulak comme un ennemi ! [...] « Il ne faut pas tolérer dans la question du koulak l'ombre d'une équivoque » [36]. Un chapitre entièrement fait de citations de Lénine démontre enfin l'hostilité irréductible dit fondateur du bolchevisme à l'idée que le socialisme puisse être réalisé dans un seul pays : il faut lutter contre « l'idéologie politique bourgeoise et petite-bourgeoise liée à l'époque de la Nep et à l'augmentation du bien-être du pays » parce qu'elle est contraire à la tâche des communistes qui est de consolider la victoire dans leur pays et même temps frayer ainsi la voie aux ouvriers des autres pays [37].
Les 19 et 20 septembre il publie dans la Pravda un article plus net encore, malgré les coupures auxquelles procédera le bureau politique, sous la même forme de polémique contre Oustrialov et intitulé « La Philosophie d'une époque ». Il y affirme : « Le développement de la Nep en même temps que le retard de la révolution mondiale est gros, entre autres dangers, de celui de dégénérescence. » Evoquant la lutte ouvrière révolutionnaire, il écrit : « Au nom de quoi la classe ouvrière et, derrière elle, les grandes masses populaires, se sont-elles soulevées dans les grandes journées d'octobre ? Au nom de quoi ont-elles suivi Lénine sur ligne de feu ? Au nom de quoi ont-elles suivi notre drapeau dans les premières années? Au nom de l'égalité. [...] La masse du peuple rêve aujourd'hui d'égalité. [...] C'est là la clé de la philosophie de notre époque. » Ainsi, en affirmant : « pour être les authentiques porte-parole du peuple, nous devons nous mettre à la tête de sa lutte pour l'égalité » [38], Zinoviev faisait clairement savoir qu'il était prêt, face à Boukharine, devenu le porte-parole des koulaks, à se faire celui des ouvriers.
Le conflit, d'abord confiné aux cénacles d'un parti, porté sur le terrain théorique par Zinoviev, va se dérouler dans les coulisses de l'appareil avant d'éclater au grand jour. Le secrétariat, après la prise de position de Zaloutski, le relève de ses fonctions et obtient par surprise l'approbation du comité régional. Staline nomme à sa place l'un de ses hommes, Komarov. Le groupe Zinoviev, ainsi pris à la gorge dans son bastion, réagit : le comité régional refuse le candidat envoyé par le secrétariat et, devant l'opposition soulevée par sa nomination, Komarov en demande lui-même l'annulation. Pour éviter une nouvelle surprise, Zinoviev commence une sévère épuration de l'appareil de Léningrad, éliminant sans hésitation quiconque lui paraît gagné au secrétariat. Les protagonistes se surveillent déjà : quand le commissaire à la guerre Frounzé meurt, il sera remplacé par Vorochilov, un homme de Staline, à qui l'on adjoint Lachévitch, fidèle de Zinoviev. Au comité central d'octobre, la bataille se fait plus âpre: chaque clan accuse l'autre de chercher à violer les décisions de la conférence d'avril. Zinoviev, Kamenev, Sokolnikov et Kroupskaïa demandent une discussion publique sur la question paysanne : la majorité la leur refuse, contrairement aux traditions anciennes, mais conformément aussi au précédent introduit par eux contre Trotsky. Le conflit est presque public, puisque la Pravda de Léningrad multiplie les attaques sur la question paysanne tandis que les Jeunesses publient un Dossier bleu, recueil d'articles choisis et commentés de Boukharine, Stetski, Bogouchevski, et autres, qui illustrent ce qu'elles appellent la « déviation koulak ».
En fait, les membres de la troïka se battent par personne interposée, la presse et les assemblées de Léningrad et de Moscou se renvoyant à la tête accusations et motions de blâme, chacun des secrétariats régionaux s'empressant d'éliminer des postes de responsable tout suspect de tiédeur à l'égard de ses propres thèses : Léningrad affirme que le parti doit assurer le « maximum de démocratie interne ». Moscou ironise sur ce que Léningrad entend par là et Léningrad réplique que Moscou s'y connaît. Léningrad - est-ce vraiment une tentative sérieuse pour desserrer l'étreinte de l'appareil ? - propose un recrutement massif de prolétaires jusqu'à ce qu'ils constituent 90 % du parti. Moscou l'accuse de dévier du léninisme et de vouloir dissoudre et affaiblir l'avant-garde. Les affirmations de Léningrad, empruntées à Zinoviev sur le « danger koulak » et le capitalisme d'Etat sont qualifiées par Moscou d'« aliénation, séparatisme, hurlements hystériques, manque de confiance d'intellectuels » : Léningrad riposte en faisant sonner très haut son caractère prolétarien. Et quand Léningrad proteste contre les méthodes inouïes qu'on emploie pour l'écraser, Moscou l'accuse d'attaquer à son tour l'appareil, de relayer Trotsky qui lui, se tait toujours, se moquant en privé du spectacle que donnent ces deux organisations du même parti ouvrier votant l'une contre l'autre des résolutions toujours unanimes, incapables d'offrir comme preuve du caractère démocratique de leurs débats le moindre opposant, même isolé ! Car les vainqueurs d'hier prêts à s'entrebattre ont en commun la même efficacité d' « organisation » et le même « réalisme ». C'est pour cette raison qu'on peut d'ailleurs accorder crédit à la version de Staline suivant laquelle il aurait offert à la veille du congrès un compromis qui aurait ouvert le secrétariat et le bureau de rédaction de la Pravda à deux Léningradiens. Mais Zinoviev refuse, estimant sans doute qu'il a suffisamment perdu à ce jeu depuis la mort de Lénine.
C'est pourtant, sur le terrain où il est engagé depuis 1922 et où l'attend Staline, une faute stratégique. Au congrès, il ne peut y avoir de surprise. A l'exception des délégués de Leningrad, triés sur le volet par l'appareil de Zinoviev, tous les autres ont été de la même façon choisis parmi les fidèles du secrétariat : les jeux sont faits d'avance. Staline cependant ne veut pas rompre. Il faut que pour l'opinion publique des « pères tranquilles » du parti la rupture de l'unité, l'initiative de l'attaque viennent de ses adversaires. Il faut qu'aux yeux du parti ce soient Zinoviev et Kamenev qui lâchent : l'équipe de direction continuera sans eux, a son grand regret. Dès l'ouverture, dans son rapport politique, il parle des questions litigieuses sans mentionner de nom et exprime le souhait que l'entente se fasse. Dans un désir de conciliation, dit-il, il s'abstiendra même de parler du comportement des Léningradiens. Mais Zinoviev croit peut-être encore à la valeur des programmes et des manifestes et livrera bataille devant les délégués alors même qu'aucune discussion n'a été officiellement ouverte. Pour cela il demande et obtient du congrès de présenter en tant que membre du comité central et du bureau politique un contre-rapport politique : cet usage, autrefois fréquent dans le parti, n'avait plus été mis en vigueur une seule fois depuis 1918.
Devenu minoritaire, désormais, il se doit de parler de la « démocratie ouvrière », qu'il va revendiquer. Il dénonce le fait que « tout soit mâché par le comité central et introduit tout prêt dans la bouche du parti », affirme qu'on ne peut parler de démocratie quand tous ses camarades n'ont pas la possibilité de se prononcer. Mais pour lui, ce terrain est effectivement plein d'embûches, et quand il dénonce dans le parti un « état de demi-siège », le congrès chahute, interrompt : « Et Trotsky ? » Il rétorque que les conditions, en 1923 n'étaient pas mûres : « 1926 n'est pas 1921 et pas 1923 : aujourd'hui, nous avons des travailleurs différents, une plus grande activité dans les masses, d'autres mots d'ordre. » Il faut liquider ce passé : « Sans permettre de fractions et tout en maintenant nos anciennes positions sur la question des fractions, nous devrions mandater le comité central pour qu'il mette dans le travail tous les anciens groupes du parti et leur offre la possibilité de travailler sous la direction du comité central. » Le comité central doit être réorganisé « sous l'angle d'un bureau politique avec pleins pouvoirs et d'un secrétariat de fonctionnaires qui lui soit subordonné » [39]. Aussitôt après, la tempête se déchaîne.
La discussion au XIV° congrès se révèle très intéressante pour Il compréhension des problèmes du parti à cette datte. Rien de nouveau n'est dit sur le problème koulak et le congrès maintiendra la « ligne », quoique le rejet d'une résolution Chanine-Sokolnikov, soulignant que le facteur décisif du développement économique réside dans la capacité de développement de l'agriculture et l'intégration du marché mondial, ait permis plus tard aux historiens officiels de l'appeler « congrès de l'industrialisation». Ce qui est important, c'est que soient posés par quelques-uns de ceux qui ont contribué à l'écrasement de l'opposition certains des problèmes qu'elle avait précisément soulevés, que soient critiquées, par ceux qui furent leurs initiateurs, les méthodes de la lutte contre Trotsky, Préobrajenski et ses amis, que soit enfin, pour la première fois, posé le problème de l'autorité et du rôle de Staline.
Zinoviev confirme l'existence du testament de Lénine, les conditions dans lesquelles il a été escamoté. Il rappelle la mise en garde contre Staline pour montrer que le danger se concrétise aujourd'hui par l'alliances du koulak, du nepman et du bureaucrate. Il confesse sa participation, avec Staline, au « coup d'Etat » qui, dans les Jeunesses, a abouti à la révocation et à l'exil dés dirigeants élus. Il raconte comment les membres du bureau politique ont, sondant des années, lui présent, constitué une fraction véritable, en se réunissant systématiquement sans Trotski, régulièrement élu, pour appliquer dans les réunions officielles la « discipline de groupe » ce qui est un cas d'exclusion dans le parti [40]. A cela, Iaroslavski répondra qu'il est stupide d'accuser la majorité de constituer une fraction, car du moment qu'elle est la majorité, elle ne peut être une fraction. D'autres délégués parlent des conditions qu'impose l'appareil aux militants : les opposants, dit Avilov-Glebov se taisent « de crainte d'être envoyés à Mourmansk ou au Turkestan ». « Ces transferts, déclare Kroupskaïa, créent dans le parti l'impossibilité de parler sincèrement et ouvertement. [...] Si nous rédigeons des résolutions sur la démocratie interne et en même temps créons des conditions telles que tout membre du parti puisse être transféré à un autre poste pour avoir ouvertement exprimé son opinion, toutes les bonnes intentions sur la démocratie interne resteront sur le papier. »
L'intervention de la veuve de Lénine élève considérablement le débat : c'est l'une des dernières circonstances où un congrès bolchevique acceptera d'entendre quelqu'un qui lui rappelle ce qu'était la véritable conception de Lénine. Elle proteste fermement contre l'abus dans l'appel à l'autorité du « léninisme » : « Je pense qu'il est déplacé de crier ici que ceci ou cela est le vrai léninisme. J'ai relu récemment les premiers chapitres de l'Etat et la révolution[...]. Il écrivait : « Il y a eu des cas dans l'Histoire où l'enseignement des grands révolutionnaires a été dénaturé après leur mort. On en a fait d'inoffensives icônes, mais en honorant leur nom, on a émoussé la pointe révolutionnaire de leur enseignement. » Je pense que cette amère citation nous oblige à ne pas recouvrir telle ou telle de nos conceptions de l'étiquette du léninisme, mais qu'il faut examiner dans leur essence toutes les questions. [...] Pour nous, marxistes, la vérité est ce qui correspond à la réalité. Vladimir Illitch avait l'habitude de dire : l'enseignement de Marx est invincible parce qu'il est vrai. [...] Le travail de notre congrès doit être de chercher et de trouver la ligne juste. [...] Boukharine a dit ici avec une grande emphase que ce que le congrès décidera sera juste. Tout bolchevik considère les décisions du congrès comme obligatoires, mais nous ne devons pas adopter le point de vue du juriste anglais qui prenait à la lettre le dicton populaire anglais suivant lequel le Parlement peut tout décider et même de changer un homme en femme. » Le congrès, jusque-là impressionné, rugira de fureur devant le crime de lèse-majesté à l'égard de la conception qu'il a de l'histoire du bolchevisme, quand celle qui, depuis l'Iskra, avait été la cheville ouvrière de l'organisation, conclura : « Il ne faut pas se consoler en pensant que la majorité a toujours raison. Dans l'histoire de notre parti, il y a eu des congrès où la majorité avait tort. Rappelons-nous, par exemple, le congrès de Stockholm » [41] Et Kroupskaïa ajoutera aux griefs qu'on accumule contre elle celui, majeur, de rappeler les mérites de Trotsky, l'amitié que lui portait Lénine, et de dénoncer les méthodes inadmissibles employées contre lui.
Il est significatif qu'une partie - la plus orageuse - de la discussion ait tourné autour du nom de Staline, dénoncé pour la première fois comme le deus ex machina de l'appareil, l'incarnation des forces qui mènent à la dégénérescence. Sokolnikov dénonce la situation qui, indépendamment de la personnalité de Staline fait qu'à partir du moment où un même homme est membre du bureau politique et chef du secrétariat, « les divergences politiques peuvent se traduire d'une manière ou d'une autre dans des mesures organisationnelles ». Et il lance le défi : « Si le camarade Staline veut mériter autant de confiance que Lénine, alors qu'il la mérite » [42]. Kamenev, nettement et courageusement, sans emphase, malgré le charivari, affirme : « Parce que je l'ai plus d'une fois dit à Staline personnellement, parce que je l'ai dit plus d'une fois à des délégués du parti, je le répète au congrès : j'ai acquis la conviction que le camarade Staline ne peut pas remplir la fonction d'unifier l'état-major bolchevique. [...] Nous sommes contre la théorie de la direction d'un seul. Nous sommes contre la création d'un « chef » ! » [43]. Si l'ami de Boukharine Tomski, proteste aussitôt qu'il n'existe pas et n'existera pas de « système avec des chefs », les hommes-liges de Staline s'empressent de le démentir - et cela aussi est un fait nouveau et capital. Kouibychev affirme. « Au nom de la commission centrale de contrôle, je déclare que le camarade Staline, comme secrétaire général de notre parti, est précisément la personne qui a été capable, avec la majorité du comité central et son soutien, de rassembler autour de lui les meilleures forces du parti et de les mettre au travail. [...] Sur la base de l'expérience réelle, d'une connaissance réelle de notre direction, je déclare, au nom de la commission centrale de contrôle, que cette direction et ce secrétaire général sont ceux qu'il faut au parti pour aller de victoire en victoire » [44].
Ces victoires, Staline et les siens entendaient bien les remporter sous le signe de la construction du socialisme dans un seul pays. Zinoviev apportait un faisceau compact de citations de Lénine, une analyse d'ensemble concluant : « La victoire finale du socialisme est impossible dans un seul pays. [...] Elle se décidera à l'échelle internationale. » Staline, lui, n'a qu'une citation unique, utilisable hors de tout contexte, mais une imperturbable confiance dans les généralités et l'influence du raisonnement scolastique sur les assemblées de fonctionnaires : « Il est impossible savoir ce que l'on édifie. On ne peut avancer d'un pas sans connaître le sens du mouvement. [...] Sommes-nous en train de construire le socialisme en escomptant la victoire de l'édification socialiste ou bien de travailler au hasard, à l'aveuglette « en préparant le terrain pour la démocratie bourgeoise » en attendant la révolution socialiste internationale ? » [45]. Et Boukharine, avec plus de finesse intellectuelle, brandissant l'alternative abhorrée de la révolution permanente, traque Zinoviev, qui concède que le socialisme peut être construit dans un seul pays, mais maintient qu'il ne peut être achevé qu'à l'échelle mondiale.
Le congrès se termine par l'adoption des rapports de Staline et Molotov par 559 voix contre 65. Le comité central est renouvelé : quatre partisans de Zinoviev, dont Zaloutski, ne sont pas réélus, Lachévitch devient suppléant ; onze suppléants disparaissent. Il y a seize nouveaux parmi les titulaires, vingt-trois apparatchiks inconnus parmi les suppléants, dont plusieurs commencent une brillante carrière : Gamarnik, Postychev, Onnschlicht, Lominadzé et André Jdanov.
Ecrasés, puisqu'ils étaient restés au congrès avec les seules forces dont ils disposaient au départ, les Léningradiens n'avaient pas bu le calice jusqu'à la lie. Rappelant leur différend au sujet de Trotsky, Staline, dans le discours de clôture, se donnait le rôle de champion de l'unité . « Nous ne fûmes pas d'accord avec les camarades Zinoviev et Kamenev parce que nous savions que la méthode de l'amputation est grosse de risques nombreux pour le parti, que la méthode de l'amputation et de l'effusion de sang - car ils exigeaient du sang - est dangereuse et contagieuse. Aujourd'hui on en exclut un, demain un autre, après-demain un troisième. Que irons restera-t-il donc dans le parti » Et, interpellant les dirigeants de Léningrad : « Vous exigez le sang de Boukharine ? Nous ne vous donnerons pas son sang. Sachez-le ! » [46]. Mais en même temps, il se faisait, à son tour, menaçant : « Nous n'avons pas à être distraits par les discussions. Nous sommes un parti qui gouverne, ne l'oubliez pas. » Langage que comprennent les fonctionnaires aux prises avec les difficultés quotidiennes.
Staline avait parlé de représailles : elles ne tardent pas. Au lendemain du congrès, une délégation du secrétariat débarque à Léningrad, conduite par Molotov, avec Vorochilov, Kirov, Kalinine, Stetski et d'autres responsables de premier plan : le comité provincial est accusé d'avoir falsifié les votes en supprimant ceux du rayon de Viborg, hostiles à Zinoviev ; la délégation est accusée de n'avoir pas respecté le vote de la conférence provinciale sur l'unité du parti. Multipliant les réunions de comités à tous les échelons, faisant le siège des secrétaires, maniant tour à tour les promesses et le « fouet », la promotion ou l'envoi au Turkestan, faisant peser sur les ouvriers la menace du licenciement, les hommes du secrétaire général liquident en quelques jours l'appareil mis en place par Zinoviev dont les hommes, désorientés - Zinoviev assurait la position imprenable - n'ont très vite que l'unique préoccupation de limiter les dégâts sur le plan personnel. Nombre d'entre eux, au surplus, sont des tyranneaux dont les ouvriers voient la chute ou l'humiliation avec une secrète satisfaction. Les protestations de Zinoviev sur le viol de la démocratie font rire. Déjà, au congrès, Mikoyan l'avait durement accroché : « Quand Zinoviev a la majorité, il est pour une discipline de fer, pour l'obéissance. Mais, quand il n'a pas la majorité, il est contre. »
Victor Serge a assisté au déroulement de cette opération qui dure quinze jours et nous a laissé une amère description de son ambiance, de l'argumentation des émissaires, basée sur la violence, la peur et le respect fétichistes : « Le niveau de l'éducation très bas d'une partie de l'auditoire et la dépendance matérielle à l'égard des comités en assuraient d'avance le succès » [47]. Les Jeunesses communistes résisteront plus que les comités locaux : le comité régional réussit à repousser une résolution approuvant les décisions du congrès et à lancer un appel à un congrès extraordinaire avant d'être dissous par les envoyés du secrétariat. Au congrès de mars, six membres du comité central du Komsomol défendent encore les vues de l'opposition et Katalynov, de Léningrad, dénoncera la lutte du « stalinisme » contre le « léninisme ». De l'aveu même de l'historien officiel Iaroslavski, la conquête des cellules d'usine fut également plus difficile. Elle vint cependant, et Molotov pouvait annoncer au comité central le 20 janvier que, sur 72 907 membres du parti individuellement consultés, soit 85 % du total, 70 389, soit 96,8 %, s'étaient prononcés contre l'opposition, et 2 244, soit 3,2 %, pour. Le règne de Zinoviev, qui perdait jusqu'à son siège de Président du soviet de Léningrad, était terminé. Serge Kirov, apparatchik venu d'Azerbaïdjan, prenait en mains l'appareil de la commune du nord dont il devait jusqu'a sa mort, rester le premier secrétaire.
Vainqueur grâce à son appareil, Staline peut maintenant jouer les théoriciens. Son nouveau livre sur Les Questions du léninisme reprend l'affirmation sur la possibilité de la construction du socialisme dans un seul pays, définie comme « la possibilité de résoudre les contradictions entre prolétariat et paysannerie par les forces internes de notre pays, la possibilité de la prise du pouvoir par le prolétariat et l'utilisation de ce pouvoir pour la construction d'une société pleinement socialiste dans notre pays avec la sympathie et le soutien du prolétariat des autres pays, mais sans la victoire préalable de révolutions prolétariennes dans d'autres pays ».
Repoussant comme « anti-léniniste » l'affirmation suivant laquelle l'état arriéré de la société russe pouvait constituer un obstacle insurmontable à la construction du socialisme dans la seule U. R. S. S., Staline réduit finalement les obstacles à un seul, la menace que fait peser sur elle le monde capitaliste.
Ainsi, en 1926, sur la base de l'isolement de la Russie révolutionnaire comme conséquence de l'échec de la révolution mondiale, apparaissent sous forme de théorie les justifications de ce que sera, pendant des années, la Russie stalinienne. A cette date pourtant, il restait encore à convaincre tous les bolcheviks, de droite comme de gauche, qu'ils avaient à faire comme si le régime institué était bien le « socialisme » et la « dictature du prolétariat », tels qu'ils les avaient voulus, tels que Lénine les avait enseignés, et pour lesquels ils avaient fait la révolution.
Notes
[1] Cité par CARR, Interregnum, p. 356.
[2] Pravda, 30 janvier 1924.
[3] Ibidem.
[4] DANIEL, Conscience, p. 239, d'après Bajanov.
[5] Cité par CARR, Interregnum, p. 361.
[6] Bull. com. N° 77, 1924, pp. 639-642.
[7] Cité par DANIEL, Conscience, p. 238.
[8] Bolchevik, 5 juin 24, cité par SORLIN, op. cit., p. 162.
[9] « Lettre aux camarades allemands », Bull. com. n° 57, 1921, p. 960.
[10] Rosmer, op. cit., pp. 287-288.
[11] Cité par K. S. KAROL, Visa pour la Pologne, pp. 45-46.
[12] Ibidem, p. 46.
[13] Cahiers du bolchevisme n° 1, 1924, pp. 12-13.
[14] Ibidem, n° 5, pp. 296-312 et n0 6, pp. 375-395.
[15] Ibidem, n° 7, pp. 450-463.
[16] Ibidem, n° 7, pp. 464-471 et n° 8, pp. 529-543.
[17] Int. com. 20 décembre 1921.
[18] Lettre de Kroupskaïa, Corr. Int. N° 1, 7 janvier 1925, pp. 4-5.
[19] Cahiers du bolchevisme n° 12, pp. 751-753.
[20] Ibidem, n° 12, pp. 753-759.
[21] Victor SERGE, Vers l'industrialisation, pp. 486-487.
[22] Cité par DEUTSCHER, The prophet unarmed, p.135.
[23] Cité Par ERLICH, Soviet industrialisation debate, p. 49.
[24] Ibidem, p. 59.
[25] DEUTSCHER, P. U., p. 235.
[26] ERLICH, Op. Cit., P. 59.
[27] DEUTSCHER, P. U., pp. 231-232.
[28] ERLICH, op. cit., p. 10.
[29] Ibidem.
[30] Ibidem.
[31] DEUTSCHER, P. U., p. 243.
[32] Ibidem, p. 240.
[33] Cité par CARR, Socialismuz one country, t. 1, p. 258.
[34] Cité par Zinoviev, Le Léninisme, p. 186.
[35] Ibidem, p, 189.
[36] Ibidem, p. 233.
[37] Ibidem, p. 290.
[38] Cité par CARR, Socialism, t. 1, p. 301.
[39] Bull. comm. n° 12, 1926, pp. 178-180.
[40] Ibidem, pp. 181-183.
[41] Cité par DANIELS, Conscience, p. 268.
[42] Cité par CARR, Socialism, t. 1, p. 138.
[43] Ibidem, p. 146.
[44] Cité par IAROSLAVSKI, Op. cit., p. 425.
[45] Cité par P. I. SORLIN, pp. 203-204.
[46] SERGE, M. R., p. 209.
[47] FISHER, Pattern for soviet youth, p. 120.