1919 |
Un ouvrage qui servira de manuel de base aux militants communistes durant les années de formation des sections de l'Internationale Communiste. |
L'ABC du communisme
Le communisme et la dictature du prolétariat
Le régime communiste, après avoir vaincu et guéri toutes les blessures, fera rapidement progresser les forces productives. Cette accélération des forces productives sera due aux raisons suivantes :
Premièrement, une grande quantité dénergie humaine, jadis dépensée pour la lutte de classe, sera rendue libre. Représentons-nous combien se perdent présentement de force nerveuse, dénergie, de travail, pour la politique, les grèves, les soulèvements et leur répression, la justice, la police, le pouvoir dEtat, pour les efforts journaliers dun côté comme de lautre! La lutte de classes engloutit énormément de forces et de moyens. Toutes ces forces seront libérées; les hommes ne se combattront plus les uns les autres. Les forces libérées serviront au travail productif.
Deuxièmement : Les forces et les moyens qui sont détruits ou dépensés pour la concurrence, les crises, les guerres, seront conservés. Si lon tient compte des seules pertes de guerre, cela représente déjà des sommes énormes. Et combien coûtent à la société la lutte entre vendeurs, la lutte entre acheteurs, la lutte des vendeurs contre les acheteurs! Que de produits périssent inutilement dans les crises! Combien de dépenses inutiles dénergie proviennent du manque dorganisation et du désordre dans la production! Toutes ces forces, perdues aujourdhui, seront conservées dans la société communiste.
Troisièmement : Lorganisation et un plan rationnel, non seulement empêchent les dépenses superflues (la grande industrie économise de plus en plus), mais permettent daméliorer la technique. On produira dans les usines les plus grandes, avec les moyens techniques les meilleurs. Car, même en régime capitaliste, il y a des limites à lintroduction des machines. Le capitalisme na recours aux machines que lorsque la force de travail à bon marché lui manque. Dans le cas contraire, il na pas besoin des machines : il encaisse sans elles un beau profit. La machine ne lui est nécessaire que quand elle lui économise la force de travail coûteuse. Et comme, en général, en régime capitaliste, la force de travail nest pas chère, la misère de la classe ouvrière devient un obstacle à lamélioration technique. Cela se manifeste surtout dans lagriculture, où la force de travail ayant toujours été bon marché, le développement du machinisme est très lent. En société communiste, il sagit non du profit, mais des travailleurs eux-mêmes. Toute amélioration y est immédiatement saisie au vol et réalisée. Le communisme ne suit pas les voies du capitalisme. Les inventions techniques, en régime communiste, progresseront également, car tous les travailleurs recevront une bonne instruction, et ceux qui actuellement succombent de misère (par exemple, les ouvriers bien doués) pourront développer entièrement leurs aptitudes.
La société communiste éliminera le parasitisme, cest-à-dire lexistence de consommateurs qui ne font rien et vivent aux dépens des autres. Tout ce qui, en société capitaliste, est gaspillé, mangé et bu par les capitalistes, servira, dans la société communiste, à la production; les capitalistes, avec leurs laquais et leur suite, les prêtres, les prostituées, etc., disparaîtront, et tous les membres de la société feront un travail productif.
Le mode communiste de production signifie un développement énorme des forces productives, de sorte que chaque travailleur aura moins à faire. La journée de travail deviendra de plus en plus courte, et les hommes seront libérés des chaînes imposées par la nature. Quand lhomme ne dépensera que peu de peine pour se nourrir et se vêtir, il consacrera une grande partie de son temps à son développement intellectuel. La culture humaine sélèvera à une hauteur jamais atteinte. Elle deviendra une culture générale vraiment humaine et non une culture de classe. En même temps que loppression de lhomme par lhomme, le joug de la nature sur lhomme disparaîtra. Lhumanité mènera alors, pour la première fois, une vie vraiment raisonnable, au lieu dune vie bestiale.
Les adversaires du communisme lont toujours représenté comme un partage égalitaire. Ils disent que les communistes veulent tout confisquer et tout partager entre tous dune façon égale : la terre et les autres moyens de production, ainsi que les moyens de consommation. Rien nest plus stupide quun tel racontar. Dabord, un partage général est impossible : on peut partager la terre, le bétail, largent. Mais on ne peut partager les chemins de fer, les machines, les bateaux à vapeur, les appareils compliqués, etc., etc Ceci dabord. Ensuite, ce partage ne réalise aucun progrès, mais il fait, au contraire, régresser lhumanité. Il signifierait la formation dune masse de petits propriétaires. Or nous savons que de la petite propriété et de la concurrence entre petits propriétaires naît la grande propriété. Si donc le partage général était réalisé, lhistoire recommencerait et les hommes chanteraient à nouveau la vieille chanson.
Le communisme (ou socialisme) prolétarien est une grande économie commune, fraternelle. Il découle de tout le développement de la société capitaliste et de la situation du prolétariat dans cette société. Du communisme il faut distinguer [1] :
1. Le Socialisme lumpenprolétarien (lAnarchisme). Les anarchistes reprochent aux communistes de conserver le pouvoir de lEtat dans la société future. Cest inexact, nous lavons vu. La vraie différence consiste en ce que les anarchistes consacrent plus dattention à la répartition quà la production; ils se représentent lorganisation, non comme une grande organisation économique fraternelle, mais comme une multitude de petites communes « libres », sadministrant ellesmêmes.
Il est évident quun pareil régime ne saurait libérer lhumanité du joug de la nature : les forces productives ny pourraient atteindre le niveau atteint en régime capitaliste, car lanarchie naccroît pas la production mais la disperse. Rien détonnant si, dans la pratique, les anarchistes penchent souvent vers le partage des objets de consommation et sélèvent contre la grande production. Ils reflètent les idées et les aspirations non de la classe ouvrière, mais de ce quon appelle le Lumpenprolétariat, le prolétariat des va-nu-pieds qui vit mal sous le capitalisme, mais qui est incapable de tout travail indépendant et créateur.
2. Le Socialisme petit-bourgeois (de la petite bourgeoisie urbaine) : Il sappuie non sur le prolétariat, mais sur les artisans en voie de disparition, sur la petite bourgeoisie des villes, et en partie sur les intellectuels. Il proteste contre le grand capital, mais seulement au nom de la « liberté » des petites entreprises. Il est, en général, favorable à la démocratie bourgeoise et opposé à la révolution socialiste, et cherche à atteindre son idéal par la « voie pacifique » : développement des coopératives, des associations de petits producteurs, etc Sous le régime capitaliste, les coopératives dégénèrent souvent en vulgaires organisations capitalistes, et les coopérateurs eux-mêmes ne se distinguent presque en rien des purs bourgeois.
3. Le Socialisme agraire. — Il revêt différentes formes, frisant parfois lanarchisme paysan. Son trait caractéristique, cest quil ne se représente jamais le socialisme comme une grande économie et quil se rapproche beaucoup du partage et du nivellement : en opposition principalement avec lanarchisme, il réclame un pouvoir fort, à la fois contre le propriétaire foncier et contre le prolétariat; son programme est la « socialisation des terres » de nos socialistes-révolutionnaires. Ceux-ci veulent éterniser la petite production, ils craignent le prolétariat et la transformation de léconomie populaire en une grande association fraternelle. Du reste, parmi certaines couches paysannes, il existe encore dautres espèces de socialisme plus ou moins proches de lanarchisme, qui ne reconnaissent pas le pouvoir de lEtat, mais de caractère pacifique (tels le communisme des Sectaires, des Doukhobors, etc.). Ces tendances agraires et paysannes ne pourront disparaître quaprès de longues années, lorsque la classe paysanne aura compris tous les avantages de la grande économie (nous en reparlerons par la suite).
4. Le « Socialisme » esclavagiste et grand-capitaliste. — En réalité, il ny a pas ici ombre de socialisme. Si, dans les trois groupes ci-dessus, on en trouve encore des traces, si on y trouve encore une protestation contre loppression, celui-ci nest quun mot destiné à brouiller fallacieusement les cartes. La mode en a été introduite par des savants bourgeois, et après eux par les socialistes conciliateurs (partiellement, même, par Kautsky et Cie). Tel était, par exemple, le « communisme » du philosophe de lancienne Grèce, Platon. Il consistait en une organisation des maîtres exploitant « en camarades » et « en commun » la masse des esclaves privés de tous droits. Parmi les maîtres, égalité complète et tout en commun. Les esclaves nont rien, ils sont transformés en bétail. Il est évident que cela « ne sent même pas » le socialisme. Un même « socialisme » est aujourdhui prêché par certains professeurs bourgeois sous le nom de « socialisme dEtat », avec cette seule différence que les esclaves sont remplacés par le prolétariat moderne et les maîtres par les plus gros capitalistes. En réalité, ici non plus, il ny a pas ombre de socialisme; cest le capitalisme dEtat, avec son travail obligatoire (nous en reparlerons plus loin).
Les socialistes bourgeois, agraire et lumpenprolétarien ont un trait commun : toutes ces espèces de socialisme non prolétarien ne tiennent pas compte de la véritable évolution. La marche de lévolution conduit à lagrandissement de la production. Or chez eux tout repose sur la petite production. Cest pourquoi ce socialisme nest quun rêve, une « utopie », dont la réalisation reste absolument invraisemblable.
Notes
[1] Ce qui va suivre ne vaut guère que pour la Russie davant la révolution. (Note de lEd.)