1919 |
Un ouvrage qui servira de manuel de base aux militants communistes durant les années de formation des sections de l'Internationale Communiste. |
L'ABC du communisme
Développement du régime capitaliste
Des masses de plus en plus grandes de la population se transforment, sous le régime capitaliste, en ouvriers salariés. Artisans ruinés, travailleurs à domicile, paysans, commerçants, capitalistes moyens en faillite, bref, tous ceux qui ont été jetés par-dessus bord ou traqués par le gros capital tombent dans les rangs du prolétariat. A mesure que les richesses se concentrent entre les mains dune poignée de capitalistes, le peuple se transforme de plus en plus en esclave salarié des premiers.
Grâce à la ruine continuelle des couches et des classes moyennes, il y a toujours plus douvriers quil nen faut au capital. Cest par là que louvrier est enchaîné au capital. Il est forcé de travailler pour le capitaliste. Sil ne le veut pas, il y en a cent autres pour prendre sa place.
Mais cette dépendance nest pas seulement consolidée par la ruine de nouvelles couches de la population. La domination du capital sur la classe ouvrière saccroît encore du fait que le capital jette continuellement sur le pavé les ouvriers dont il na plus besoin et se constitue ainsi une réserve de force de travail. Comment cela ? Nous avons déjà vu que chaque fabricant sefforce de réduire le prix de revient des marchandises. Pour cela, il introduit de plus en plus de nouvelles machines. Mais la machine, en règle générale, remplace louvrier, rend une partie des ouvriers inutiles. Une nouvelle machine dans une fabrique, cela veut dire quune partie des ouvriers sont congédiés et deviennent des chômeurs. Mais comme de nouvelles machines sont introduites continuellement dans une branche dindustrie ou dans lautre, il est clair que, sous le capitalisme, il y a toujours fatalement du chômage. Car le capitaliste ne se préoccupe ni de donner du travail à tous les ouvriers ni de fournir à tous des marchandises, mais dobtenir le plus de profit. Et naturellement il jettera sur le pavé les ouvriers qui ne sont plus capables de lui rapporter le même profit quavant.
Et effectivement, dans les grandes villes de tous les pays capitalistes, nous voyons toujours un grand nombre de chômeurs. Il y là des ouvriers chinois ou japonais, anciens paysans ruinés, venus du bout du monde pour chercher du travail, danciens boutiquiers ou petits artisans; mais nous y trouvons aussi des ouvriers métallurgistes, des typographes, des tisseurs qui, ayant longtemps travaillé dans les fabriques, en ont été chassés par de nouvelles machines. Ils forment, pris ensemble, une réserve de forces de travail pour le capital ou, comme la dit K. Marx, larmée industrielle de réserve. Lexistence de cette armée, la permanence du chômage, permettent aux capitalistes daugmenter la dépendance et loppression de la classe ouvrière. Le capital, grâce aux machines, réussit à soutirer dune partie des ouvriers plus dor quavant; quant aux autres, ils restent sur le pavé. Mais, même sur le pavé, ils servent aux capitalistes de fouet pour stimuler ceux qui travaillent.
Larmée industrielle de réserve offre des exemples dabrutissement complet, de misère, de famine, de grande mortalité, même de criminalité. Ceux qui, des années durant, nont pu se procurer du travail, deviennent graduellement ivrognes, vagabonds, mendiants, etc. Dans les grandes villes : à Londres, à New-York, à Hambourg, à Berlin, à Paris, il existe des quartiers entiers habités par des chômeurs de cette espèce. Le marché de Chitrov, à Moscou, peut servir dexemple. A la place du prolétariat, il se forme une nouvelle couche déshabituée du travail. Cette couche de la société capitaliste sappelle en allemand Lumpenproletariat : prolétariat en haillons.
Lintroduction des machines a également donné naissance au travail des femmes et des enfants, travail plus économique, et, partant, plus avantageux pour le capitaliste. Avant les machines, une certaine habilité de main était nécessaire; quelquefois, il fallait faire un long apprentissage. Maintenant, certaines machines peuvent être conduites par des enfants, qui nont quà lever le bras ou mouvoir le pied jusqu'à épuisement. Voilà pourquoi les machines ont diffusé le travail des femmes et des enfants. Il faut ajouter que les femmes et les enfants offrent moins de résistance au capitalisme que les hommes. Ils sont plus dociles, plus timides, devant les prêtres et les autorités. Cest pourquoi le fabricant remplace souvent les hommes pardes femmes et transforme en profit le sang des petits enfants.
En 1913, le nombre des ouvrières et employées était : en France, de 6.800.000; en Allemagne, de 9.400.00; en Autriche- Hongrie, de 8.200.000; en Italie, de 5.700.000; en Belgique, de 930.000; aux Etats-Unis, de 8.000.000; en Angleterre et au Pays de Galles, de 6.000.000. En Russie, le nombre des ouvrières a grandi continuellement. En 1900, leur nombre représentait 25% de tous les ouvriers et ouvrières de fabrique; en 1903, 31%, et en 1912, 45%. Dans certaines branches de production, les femmes constituent la majorité : par exemple, dans lindustrie textile, en 1912, sur 870.000 ouvriers il y avait 453.000 femmes, cest-à-dire plus de 52%. Pendant les années de guerre, le nombre des ouvrières augmenta énormément.
Quant au travail des enfants il fleurit dans beaucoup de pays, malgré linterdiction. Dans le pays capitaliste le plus avancé, en Amérique, on le rencontre à chaque pas.
La conséquence, cest la désagrégation des familles ouvrières. Dès que la femme et quelquefois lenfant sont pris par la fabrique, il ny a plus de vie de famille !
Lorsquune femme devient ouvrière de fabrique, elle subit, comme lhomme, toutes les horreurs du chômage. Elle est mise, elle aussi, à la porte par le capitaliste; elle entre, elle aussi, dans les rangs de larmée industrielle de réserve; elle peut, tout comme un homme, descendre dans les bas-fonds. A cette situation est liée la prostitution qui consiste pour elle à se vendre au premier homme rencontré dans la rue. Nayant rien à manger, sans travail, chassée de partout, elle est contrainte de trafiquer de son corps; et même lorsquelle a du travail, son salaire est si misérable quelle est obligée de laugmenter grâce au même trafic. Et elle se fait vite à sa nouvelle profession. Ainsi se crée la couche des prostituées professionnelles.
Dans les grandes villes, les prostituées sont très nombreuses. Des villes comme Hambourg ou Londres comptent des dizaines de milliers de ces malheureuses. Le capital en tire une source de revenus par la création de grands lupanars organisés dune manière capitaliste. Il existe un large commerce international desclaves blanches, dont les villes dArgentines sont le centre. La plus affreuse prostitution est celle des enfants, qui fleurit dans toutes les villes dEurope et dAmérique.
Ainsi, dans la société capitaliste, à mesure quon invente de nouvelles machines et de plus perfectionnées, quon construit des fabriques de plus en plus vastes et que la productivité saccroît, augmentent parallèlement la pression du capital, la misère et les souffrances de larmée industrielle de réserve, la dépendance de la classe ouvrière vis-à-vis de ses exploiteurs.
Si la propriété nexistait pas et si tout appartenait à tous, le tableau serait tout autre. Les hommes réduiraient tout simplement leur journée de travail, ménageraient leurs forces, économiseraient leur peine, songeraient à leur repos. Mais quand le capitaliste introduit les machines, il ne pense quau profit; il ne réduit pas la journée de travail, il y perdrait. Sous la domination du capital, la machine ne libère pas lhomme, elle le rend esclave.
Avec le développement du capitalisme, une partie toujours plus grande du capital est consacrée aux machines, appareils, constructions de toute sorte, aux gigantesques bâtiments, aux énormes hauts-fourneaux, etc.; au contraire, une partie toujours plus petite va au salaire des ouvriers. Quand on travaillait à domicile, la dépense pour les établis et autres outils nétait pas grande : presque tout le capital passait dans le salaire. Maintenant, cest le contraire : la plus grande partie est destinée aux bâtiments et aux machines. Et cela signifie que la demande de main-duvre augmente moins vite que le nombre des gens ruinés, devenus des prolétaires. Plus la technique se développe, sous le capitalisme, et plus augmente la pression du capital sur la classe ouvrière, car il devient de plus en plus difficile de trouver du travail.