1921 |
Un travail de Boukharine récapitulant les acquis du marxisme. Il servira de manuel de formation de base aux militants communistes durant les années de construction des sections de l'Internationale Communiste. |
La théorie du matérialisme historique
L'équilibre entre la société et la nature
Si nous examinons maintenant tout le processus dans son ensemble, nous verrons que le processus de reproduction est un processus de rupture et de rétablissement constant de l'équilibre entre la société et la nature.
Marx distingue la reproduction simple et la reproduction élargie.
Quand avons-nous affaire à la reproduction simple ?
Comme nous le savons, dans un processus de production, des moyens de production sont consommés (on travaille la matière première, on emploie différentes matières, telles que les huiles lubrifiantes, les chiffons, etc. ; les machines elles-mêmes, les bâtiments où les travaux sont exécutés, les instruments de travail et leurs pièces détachées s'usent) ; d'autre part on dépense aussi de la force de travail (quand les hommes travaillent, ils s'usent aussi à leur tour, leur force de travail se consume et certaines dépenses sont nécessaires pour reconstituer cette force). Pour que le processus de la production puisse continuer, il faut qu'au cours de ce processus, et par lui-même, soit reproduit ce qui a été usé par lui. Ainsi, par exemple, on emploie dans l'industrie textile, comme matière première, le coton ; les métiers à tisser s'usent. Pour que la production puisse continuer, il faut qu'en même temps, on récolte de nouveau du coton et qu'on construise des métiers. D'un côté, le coton disparaît pour se transformer en tissu ; d'un autre côté le tissu disparaît (il est usé par les ouvriers, etc.) et le coton reparaît. D'un côté les métiers disparaissent, et réapparaissent d'un autre côté. En d'autres termes, les éléments nécessaires de production, une fois usés, doivent être reconstitués d'autre part. Il faut pourvoir constamment au remplacement de tout ce qui est nécessaire à la production. Si ce remplacement est réalisé dans la même proportion où se produit la dépense, nous avons alors une reproduction simple. Ceci correspond à une situation où la productivité du travail social reste invariable ; les forces productives ne changent pas, la société ne marche ni en avant, ni en arrière. Il n'est pas difficile de voir que nous sommes ici en présence d'un équilibre stable entre la société et la nature. Ici, la rupture d'équilibre (les produits disparaissent) et son rétablissement (les produits réapparaissent) se produit constamment ; mais ce rétablissement a toujours lieu sur la même base : on produit juste autant qu'on a dépensé ; on dépense de nouveau autant et on produit de même, etc. La reproduction se fait toujours sur le même rythme.
Les choses se passent autrement lorsque les forces productives grandissent. Alors, comme nous l'avons vu plus haut, une partie du travail social se libère et est employée à élargir la production sociale (on crée des branches nouvelles, on développe les anciennes). Cela veut dire que non seulement les éléments de production qui existaient auparavant, sont remplacés, mais que d'autres éléments nouveaux sont introduits dans le cycle de la production. La production ne suit pas ici le même chemin, le même cycle, mais elle s'élargit. C'est la reproduction élargie. Il est facile de voir que l'équilibre se rétablit ici autrement : on a dépensé une certaine quantité, mais on a produit plus ; on a dépensé plus, on produit encore plus. L'équilibre se rétablit chaque fois sur une base nouvelle, plus large. C'est un équilibre mobile avec un résultat positif.
Enfin, un troisième cas se présente; celui d'une baisse des forces productives. Ici, le processus de reproduction marche en arrière: on reproduit de moins en moins. On a consommé tant, on a produit moins; on a consommé moins, on a produit encore moins.
Ici, la reproduction ne suit pas le même mouvement circulaire. Elle ne s'élargit pas, au contraire ; le cercle devient de plus en plus étroit ; la base vitale de la société se rétrécit de plus en plus ; l'équilibre entre la société et la nature se rétablit sur une base nouvelle, mais cette base diminue de plus en plus.
En même temps, la société elle-même ne s'adapte à cette base vitale rétrécie qu'au prix d'une destruction partielle d'elle-même. Nous avons ici un équilibre mobile négatif. La reproduction dans ce cas peut être appelée reproduction élargie négative ou bien sous-production élargie.
Nous avons examiné cette question sur toutes ses faces, et partout nous avons vit la même chose. Tout se réduit, par conséquent, au caractère de l'équilibre entre la société et la nature. Les forces productives servant d'indice précis d'équilibre, nous pouvons juger d'après elles du caractère de l'équilibre. Il est aussi évident qu'on en peut dire autant de la technique de la société.