1921

Un travail de Boukharine récapitulant les acquis du marxisme. Il servira de manuel de formation de base aux militants communistes durant les années de construction des sections de l'Internationale Communiste.


La théorie du matérialisme historique

N.I. Boukharine

Introduction :
L’importance pratique des sciences sociales


5: Les diverses sciences sociales et la sociologie.

La société humaine est extrêmement complexe, et les phénomènes sociaux sont, à leur tour, très complexes et très variés. Nous avons affaire aux phénomènes économiques, au régime économique, à l'organisation de l'État, à la morale, à la religion, à la science, à la philosophie, aux conditions familiales, etc... Tout cela constitue parfois des mélanges singuliers et forme le torrent de la vie sociale. Il va de soi qu'il est nécessaire d'étudier cette vie sociale, si complexe, de différents points de vue, et de diviser la science en une série de sciences particulières. L'une étudie la vie économique de la société (la science économique) ou même les lois générales du régime capitaliste en particulier (l'économie politique) ; l'autre étudie le droit et l'État, et se subdivise à son tour en plusieurs branches ; une autre encore étudie, par exemple, les mœurs, etc...

Dans chacun de ces domaines, les sciences se divisent à leur tour en deux classes : les unes étudient ce qui a existé à une certaine époque et à un certain endroit; ce sont les sciences historiques. Prenons comme exemple les sciences du droit: on peut étudier et décrire en détail les origines du droit et de l'État, ainsi que les changements qu'ont subis leurs formes ; ce sera l'histoire du droit. On peut aussi étudier et chercher à résoudre les problèmes d'ordre général : ce qu'est le droit, quelles sont les conditions de sa naissance, de sa disparition, de quoi dépendent ses formes, etc... ; ce sera la théorie du droit. Ces sciences sont des sciences théoriques.

Il existe parmi les sciences, sociales deux branches très importantes, qui n'étudient pas un seul domaine de la vie sociale, mais la vie sociale dans toute sa complexité ; en d'autres termes, elles ne s'arrêtent pas à un seul genre de phénomènes. (soit économique, soit juridique, soit religieux, etc.), mais elles étudient la vie sociale dans son ensemble, toutes les manifestations des phénomènes sociaux. Ces sciences constituent d'une part, l'histoire, de l'autre, la sociologie. Ceci dit, il est facile de voir ce qui les différencie. L'histoire suit et décrit le courant de la vie, sociale pendant un intervalle de temps et dans un endroit donnés (par exemple, la façon dont se développent l'économie, le droit,

La morale, la science, etc. en Russie de 1700 à 1800, ou bien en Chine de l'an 2000 avant Jésus-Christ à l'an 1000 après Jésus-Christ, ou bien en Allemagne après la guerre franco-allemande de 1871, ou bien encore une autre époque dans un pays quelconque, ou dans une série de pays). Quant à la sociologie, elle pose des questions d'ordre général: Qu'est la société  ? Quelles sont les raisons de son développement et de sa décadence  ? Quels sont les rapports entre les divers genres de phénomènes sociaux (l'économie, le droit, la science, etc...)  ? Comment expliquer leur développement  ? Quelles sont les formes historiques de la société  ? Comment expliquer leurs changements  ? etc.... etc... La sociologie est la plus générale, la plus abstraite des sciences sociales. On la présente souvent sous d'autres noms: «philosophie de l'histoire », « théorie du développement historique », etc... On voit, d'après ce qui précède, quels sont les rapports entre l'histoire et la sociologie. En expliquant les lois générales de l'évolution humaine, la sociologie sert de méthode à l'histoire. Si, par exemple, la sociologie établit une loi générale suivant laquelle les formes de l'État dépendent de celles de l'économie, un historien, en étudiant une époque donnée, doit s'efforcer, en effet, de trouver ce rapport, et indiquer la forme concrète (c'est-à-dire correspondant au moment donné) dans laquelle il s'exprime. L'historien fournit les matériaux pour les conclusions et les généralisations sociologiques, parce que ces conclusions ne sont pas prises au hasard, mais tirées des faits historiques réels. La sociologie, à son tour, fournit le point de vue déterminé, les moyens de recherche, ou, comme on dit, la méthode de l'histoire.


Archives Boukharine Archives Internet des marxistes
Début Précédent Haut de la page Sommaire Boukharine Suite Fin