Source : http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article136206, notice LABICA Georges [LABICA Léonard, Georges] par Jean-Numa Ducange, version mise en ligne le 7 février 2011, dernière modification le 4 juin 2021.
Né le 27 décembre 1930 à Toulon (Var), mort le 12 février 2009 à Suresnes (Hauts-de-Seine) ; professeur, enseignant-chercheur ; philosophe marxiste ; syndicaliste (SNES puis SNESup) ; membre du PCF (1955-1980).
Né d’un ouvrier menuisier issu de l’immigration italienne et d’une laborantine venant d’un milieu aisé de tendance SFIO, Georges Labica suivit des études de philosophie à Aix-en-Provence puis à la Sorbonne.
G. Labica adhéra au Parti communiste français en avril 1955. Pendant ses études, il travailla comme maître d’internat, d’abord à Cannes (Alpes-Maritimes) de 1951 à 1953, puis à Paris aux lycées Chaptal (1954-1955) puis Henri-IV à partir d’octobre 1955. Il adhéra alors au Syndicat national de l’enseignement secondaire et fut le responsable académique de sa catégorie. Il participa à l’organisation des secouristes infirmiers volontaires, activité qu’il conserva dans les Alpes-Maritimes devenant le vice-président de l’organisation dans le département. Dans les Alpes-Maritimes, G. Labica habitait Riquiers. Secrétaire adjoint de sa cellule, il faisait partie du comité de la section communiste de Riquiers.
G. Labica partit en Algérie dans le cadre de la coopération. Il fut d'abord nommé au lycée Bugeaud, puis en 1960, au Lycée Gauthier et enfin à l'Ecole Normale de la Bouzareah, il fut maitre assistant à l'Université d'Alger après l'indépendance. Président de l’association des enseignants supérieur en Algérie, G. Labica fut le vice-président de l’organisation algérienne de la Fédération de l’Éducation nationale. Il rencontra sa femme Nadya en Algérie et noua rapidement des liens étroits avec des membres du FLN avec lesquels il avait déjà eu des contacts en France, ce qui lui valut à plusieurs reprises des menaces de mort de l’OAS.
L’engagement algérien le marqua profondément et ces amitiés furent durables, ce dont témoigne un colloque d’hommage à l’université d’Alger un an après sa mort en février 2010. Dans le même esprit, ses premières recherches furent consacrées à des penseurs arabes anciens proches d’une vision rationaliste de l’histoire et de la philosophie tels que Ibn Kaldoun (La Mukkadima, le rationalisme d’Ibn Kaldoun, 1966 ; Politique et religion chez Ibn Kaldoun, Alger, 1966) ou Ibn Tufail (Ibn Tufail le philosophe sans maître, Alger, 1969).
En France, où il revint en 1968, il mena une carrière universitaire à l’Université de Paris X-Nanterre où il fut recruté en 1968 d’abord comme maître assistant avant de devenir professeur des universités. Très impliqué à l’Université, il occupa successivement les fonctions de directeur du département de philosophie et de vice-président de la recherche. Également représentant du SNESup au Conseil national des universités, il dirigea à l’Université de Nanterre, jusqu’à son départ à la retraite en 1994, un laboratoire CNRS de recherche de philosophie politique, économique et sociale. C’est au sein de cette équipe que se forma initialement, avant de s’autonomiser, la revue Actuel Marx fondée en 1987 par le philosophe Jacques Bidet.
G. Labica se revendiqua du marxisme toute sa vie. Sa formation initiale et ses principales sources d’inspirations originelles sur cette question furent J.P. Sartre, Henri Lefebvre - avec qui il eut une amitié grande et durable - et Louis Althusser. Son sujet de thèse (sous la direction de Maurice de Gandillac) portait sur le statut marxiste de la philosophie (thèse éditée par Complexe-Bruxelles, Vrin-Paris en 1976). G. Labica y étudia la sortie de la philosophie à laquelle procéda le jeune Marx de 1841 à 1848 et critiqua ensuite à plusieurs reprises ceux pour qui la philosophie devenait de fait une apologie (qu’elle soit indirecte ou non) de l’état actuel du monde. Cette interprétation de la philosophie explique notamment pourquoi G. Labica ne se rapprocha pas autant dans les années 1970 de la figure d’Antonio Gramsci que d’autres intellectuels communistes, à une époque où le philosophe italien était alors très en vogue dans certains cercles. Si G. Labica connaissait bien Gramsci, comme l’attestent plusieurs articles et entretiens, il se méfiait néanmoins de l’interprétation trop libérale proposée alors par les intellectuels dominants du Parti communiste italien. Il préféra à Gramsci le communisme critique d’Antonio Labriola (philosophe socialiste italien mort en 1904) et organisa le premier colloque consacré à ce penseur méconnu en France (Labriola, d’un siècle à l’autre, Paris, Méridiens, 1987). Ses positions sur la philosophie furent prolongées à la même époque par une étude consacrée à Karl Marx qui fit date (Karl Marx : les Thèses sur Feuerbach, Paris, PUF, 1987).
G. Labica fut aussi partie prenante des controverses animant le PCF : dans les années 1970, il participa activement au débat sur la « dictature du prolétariat », à travers notamment des contributions parues dans la revue Dialectiques, en soutenant une position proche de celle alors défendue par Louis Althusser et Étienne Balibar : pour eux, l’abandon de la dictature du prolétariat au XXIIe congrès de 1976 revenait à l’abandon de la visée révolutionnaire du PCF au profit de perspectives purement gouvernementales. Après la rupture brutale de l’union de la gauche et les élections de 1978, il lança avec d’autres, dont Étienne Balibar, le réseau « Pour l’union dans les luttes », afin d’essayer de contrecarrer les rivalités d’appareil entre communistes et socialistes. Peu après, Georges Labica croisa le fer avec le secrétaire général du PCF, Georges Marchais, lors d’une réunion d’intellectuels communistes. On peut citer le témoignage d’Étienne Balibar : « Je vois toujours Labica, qu’on ne faisait pas taire aisément et dont le sang-froid était à toute épreuve, affrontant le colérique secrétaire général, Georges Marchais, dans une réunion convoquée en catastrophe par la direction du PCF pour essayer de mettre au pas les intellectuels communistes qui osaient critiquer sa politique à la fois sectaire et opportuniste ». Dans le même esprit, il publia avec d’autres intellectuels communistes (Étienne Balibar, Guy Bois et Jean-Pierre Lefebvre) en 1979 Ouvrons la fenêtre camarades ! avant de quitter le PCF en 1980.
G. Labica était entré au comité de la fédération communiste des Hauts-de-Seine en 1971 comme responsable aux intellectuels. Il ne fut pas réélu en 1979 à la suite de « désaccord politique » qu’il avait notamment exprimé en signant la pétition lancée par la cellule communiste de l’Université de Provence Michel Barak.
Pendant la même période, G. Labica avait mis en chantier (avec l’aide de Gérard Bensussan), le Dictionnaire critique du marxisme (dont la première édition parut en 1982 pour le centenaire de la mort de Marx) qui demeure un ouvrage de référence. Dans les années 1980, il se rapprocha ponctuellement de la Ligue communiste révolutionnaire et publia aux éditions La Brèche un essai philosophique et politique (Le paradigme du Grand-Hornu).
G. Labica, au cours de sa carrière, avait participé à de nombreux colloques et enseigné au Moyen-Orient, en Amérique Latine (en particulier au cours de deux longs séjours au Mexique) et en Asie, notamment en Chine. Une fois à la retraite, il continua à donner des conférences dans le monde entier. Sa bibliographie est très riche : il a participé à de nombreuses revues : Dialectiques, Actuel Marx mais aussi Critique communiste, Utopie critique... Il publia peu dans des revues académiques françaises.
En 2007, son dernier livre publiée, Théorie de la violence, revint significativement sur une question considérée comme taboue par la gauche, mais centrale pour lui. Il prolongeait des remarques déjà formulées dans un de ses ouvrages les plus singuliers consacré à Robespierre (Robespierre. Une politique de la philosophie, Paris, PUF, 1990). G. Labica pensait que, dans une période d’exception, la violence révolutionnaire est proprement incontournable et fondatrice d’un ordre véritablement autre et contient, à ce titre, une dimension proprement émancipatrice. Dans sa Théorie de la violence, il revint ainsi sur la question de la contre-violence des dominés, en particulier sur l’histoire des mouvements populaires et leur lien avec la violence de masse, trait constant des situations révolutionnaires. En lien avec cette réflexion, G. Labica poursuivit son soutien au mouvement de libération nationale en Palestine. Il avait, par ailleurs, au cours de ses dernières années, soutenu les prisonniers d’Action Directe en raison de leurs conditions très dures de leur détention et entretint une correspondance avec Joëlle Aubron.
G. Labica s’était marié en Algérie avec Nadja Khaled-Khodja, professeur communiste, fille d’instituteurs sympathisants communistes. Le couple a eu trois fils : Pierre Kamel, Serge Salim et Thierry Madjid.