1956 |
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! – LA LUTTE de CLASSE n° 3 [a] |
LA LUTTE DE CLASSE
9 décembre 1956
La crise dans l'automobile
La situation dans l'industrie automobile ne cesse de s'aggraver. SIMCA a ouvert la série en licenciant plus d'un millier de travailleurs et en projetant de faire prendre à son personnel la troisième semaine des congés annuels au moment des fêtes de fin d'année. Chez RENAULT et CITROEN la situation est moins catastrophique, pas seulement du fait que les petits modèles 4 et 2 CV sont moins touchés par la mévente, que parce que l'Etat fait un effort spécial pour éviter la fermeture des "Deux Grands".
Le fait que DREYFUS ait cru bon de rassurer par lettre "son" personnel, ne rassure personne à la Régie ; la plus grande incertitude règne et dans les ateliers les conversations s'en font l'écho.
Au quai de Javel, bien que la production des DS augmente pour le moment, chacun envisage le licenciement possible. Certains vont jusqu'à supputer leurs chances par rapport aux travailleurs italiens ou Nord-africains.
Chez Chausson, des réductions importantes d'horaires ont déjà eu lieu en particulier à Gennevilliers. On parle même de mettre en vacances forcées à Noël les chaînes qui travaillent pour Simca.
Pour pallier à la crise, le gouvernement aurait envisagé certaines mesures telles que l'augmentation du crédit, une diminution des prix, une répartition d'essence pour les acheteurs de véhicules neufs, etc...
Ce n'est pas que le gouvernement se soucie outre mesure du sort des travailleurs : il n'hésite pas à imposer des sacrifices sans nom aux masses laborieuses pour pouvoir mener ses guerres en Algérie et en Egypte.
Ce qui l'inquiète ce sont les "troubles" sociaux que pourraient entraîner des licenciements massifs dans la région parisienne. Ces troubles pourraient remettre en question et son existence, et sa politique de guerre. Il lui faut donc essayer d'"étaler" la crise.
Mais c'est bien cela qui prouve que la résistance ouvrière paye. Le gouvernement qui n'a pas hésité à envoyer en Afrique du Nord plusieurs centaines de milliers de jeunes, devient "bon" devant le même nombre de chômeurs à Paris, mais c'est parce qu'il craint leur réaction.
Le gouvernement espère éviter ce risque en "étalant" la crise, du moins dans les grandes entreprises. On évitera un trop grand nombre de licenciements mais on réduira les horaires de travail c'est à dire les salaires.
Mais c'est aux patrons de payer la crise et non aux travailleurs. Pendant la guerre lorsque par suite du manque de matières premières ou des alertes ou de toute autre raison, les usines venaient à fermer, les salaires étaient cependant assurés à 75%. Et ce que les patrons pouvaient faire pendant la guerre, ils le peuvent encore plus facilement maintenant. En fait ce n'est pas une question de possibilités, tout dépend de ce qu'eux et le gouvernement pensent que les travailleurs accepteront sans réagir.
C'est pourquoi le problème de savoir qui paiera la crise sera tranché par la résistance qu'opposeront les travailleurs aux licenciements et aux diminutions de salaires.
DIMINUTION DES HORAIRES S'IL N'Y A PAS DE TRAVAIL,
MAIS MAINTIEN DES EFFECTIFS ET DE LA PAYE.
[*]
Le gouvernement ayant approuvé une hausse de l'ordre de 7 à 9% pour le transport des marchandises et même de 10,51% pour les expéditions entre 60 et 5.000 kg, c'est-à-dire pour la majorité des livraisons de produits fabriqués, le CNPF (Conseil National du Patronat Français) s'indigne dans un communiqué : "C'est la 2ème fois depuis 3 mois que les usagers sont appelés à subir une augmentation des coûts de transport ... En raison du blocage des prix celle-ci ne sera pas répercutée au stade du détail." Et il menace : "La nouvelle hausse des tarifs des transports provoquera inévitablement un relèvement des prix à la consommation."
Evidemment, tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles si, à l'exemple du gouvernement, les patrons étaient libres d'augmenter leurs prix. S'entendant alors comme larrons en foire avec l'Etat sur le dos des consommateurs, les patrons ne dénonceraient pas "le caractère arbitraire" de celui-ci.
Mais voilà ! le "hic" c'est que l'Etat n'est pas libre de ses mouvements. Les luttes ouvrières depuis 47 ont, entre autres obligé le parlement à voter une loi sur l'échelle mobile. Cette loi prévoit une hausse de 5% du salaire minimum garanti chaque fois que l'indice des 213 articles de consommation augmente de 5 points. Le gouvernement a beau falsifier cet indice depuis plusieurs semaines, cela ne lui est possible que dans certaines limites et ne lui permet surtout que du gagner du temps. Mais en fin de compte si la menace patronale d'augmentation des prix se réalisait, le gouvernement ne pourrait pas faire autrement que d'appliquer cette loi.
Soyez donc compréhensifs, Messieurs les patrons, ne jouez pas avec le feu ! Le gouvernement (malgré son étiquette) ne veut que votre bien. Le gouvernement sait ce qu'il fait.
S'il augmente ses prix à lui, sans vous promettre d'augmenter les vôtres, s'il veut vous faire payer à vous certaines augmentations, comme les transports des marchandises, c'est que le gouvernement, pour payer les guerres coloniales, a déjà trop chargé les masses laborieuses ; c'est que les choses en sont arrivées à un point où chaque goutte peut faire déborder le vase : il craint qu'une réaction des masses contre lesquelles il est impuissant, ne vous fasse perdre beaucoup plus que les "charges" qu'il vous impose.
Ne jouez donc pas avec le feu, Messieurs les patrons !
Faites confiance à vos valets.
Dernièrement Monsieur Guy Mollet déclarait à propos du retour des rappelés que les jeunes qui reviennent d'accomplir leur devoir en Algérie pourront témoigner de l'effort de la France dans ce département.
Les travailleurs vont pouvoir effectivement vérifier "l'œuvre de la France en Afrique du Nord" en interrogeant ceux de leurs camarades de travail qui en reviennent et qui ont réellement participé aux opérations de ratissage et de "pacification".
Ces témoignages leur apprendront certainement autre chose que ce que l'on peut lire dans la presse ou entendre à la radio.
Note
[a] Cette série de La Lutte de Classe, bulletin ronéotypé, a été éditée par le groupe Voix Ouvrière.
Barta collabora à sa rédaction. Les articles qui lui sont attribués avec certitude sont signalés par un [*].